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La constitution d'un réseau Les dépendances et les familles

L'intérêt des religieux d'Arles et des comtes de Provence pour Montmajour est l'un des signes de l'engouement suscité par la fondation du monastère et des enjeux qu'il représente. Institution pionnière, Montmajour est au cours de la deuxième moitié du Xe siècle la principale référence dans un paysage monastique qui se dessine progressivement. Vers l'abbaye arlésienne convergent alors les donations de tous ceux qui, à l'instar des comtes, cherchent à la fois le salut de leurs âmes et la reconnaissance de leur pouvoir. Plus de 70% des actes connus concernant Montmajour, et son prieuré de Correns, sont en effet des donations. Celles-ci présentent un temps fort évident au Xe siècle et au tout début du XIe siècle. Ensuite, peu à peu, les dons se raréfient pour quasiment disparaître après 1070. Mais alors, grâce à ses bienfaiteurs, l'abbaye possède un temporel très large et un réseau de dépendances qui assure la présence de ses moines sur une vaste partie de la Provence.

La répartition chronologique des actes de Montmajour et de Correns.

période Montmajour Correns TOTAL

actes (191) donations (131) actes (111) donations (87) actes (302) donations (218) 950-1000 61 53 - - 61 53 1001-1050 51 44 47 38 98 82 1051-1100 41 29 58 46 99 75 1101-1150 24 3 5 3 29 6 1151-1200 14 2 1 - 15 2

L'implantation de Montmajour se concentre dans la partie occidentale du comté, surtout dans les diocèses d'Arles, Avignon, Carpentras, Apt et Aix dans lesquels le monastère a reçu ses premiers biens. Les moines arlésiens sont aussi présents dans les diocèses de Vaison, Sisteron, Gap, Riez, Senez et Fréjus. Mais leur pénétration est très faible à l'est, où prédominent les possessions de l'abbaye de Lérins, ainsi que dans les diocèses de Marseille et Toulon, occupés presque exclusivement par les moines victorins (voir Carte

4). Au delà de la Provence, Montmajour a constitué un noyau d'obédiences dans le Dauphiné, aux alentours du pays de Royans (voir Carte 5).

Le nombre important de dons datant de la deuxième moitié du Xe siècle témoigne de la répercussion de la fondation de Montmajour auprès de l'aristocratie provençale. Le comte Griffon et ses neveux Walo et Rostaing, évêque d'Uzès150, ainsi que des alliés des Castellane151, offrent des biens dans le comté d'Apt. Le juge Lambert fait partie de ceux qui, dès les années 950, ont aidé l'implantation de l'abbaye au nord d'Arles, sur la plaine du Trébon152. C'est aussi dans les environs d'Arles que se situent, en général, les

150 En 950, Rostaing offre l'église Saint-Martin et le tiers du lieu de Carniol [ABDR 2H15 n° 38 (Orig.) édité dans DU ROURE p. 29. D'après J.BARRUOL (CA, p. 76) il s'agit de «Carniol et l'église Saint-Martin de Fontcrémat près de Banon». Le document original porte bien la mention du comté d'Apt (et est ipsa omnia in comitatum atensis) et non celle du comté d'Uzès, comme l'a cru J.-P.POLY, LDP, p. 31]. Il s'agit peut-être de l'évêque d'Uzès, neveu du comte Griffon avec qui, il offre deux villae, Vallis et Campos, et l'église Saint-Auban [ABDR 2H9 n° 6 (Orig.) édité dans GCN, Aix, instr., c. 129 (955). D'après J.-P.POLY, LDP p. 31-32, il s'agit de Vallis, Devaux, co. Bonnieux, Vaucluse ; Campos, non identifié, près de Bonnieux, et S. Auban, co. Bonnieux]. En 993 Rostaing et son frère Walo offrent la villa de Luna et l'église de Saint-Etienne, pour l'âme de leur oncle Walo [ABDR 2H14 n° 28 édité dans DU ROURE p. 71. S. Stephannus de Luna, église disparue, co. Rustrel, Vaucluse].

151 L'église Saint-Maurice de Venasque, reçoit dans la deuxième moitié du siècle, une vigne du moine Gisbernus, sise dans la castrum de Saint-Saturnin (arr. et ca. Apt, Vaucluse), et que le moine avait lui-même reçue de Pons-Arbaud et Ermengarde, souche des Castellane [ABDR 2H14 n° 33 (Orig.) édité dans DU ROURE p. 97 ( Xe s.)].

152 Trébon, plaine sur la rive gauche du Rhône, au nord d'Arles, entre Arles et Tarascon. En 954, le juge Lambert et sa première épouse Odile, offrent la villa Felinas. Ce don est fait avec l'accord d'une série de personnages qui sont peut-être ses parents. L'un d'entre eux, Raimbert, porte le même nom que Raimbert, neveu de l'abbé d'Arles Garnier, également bienfaiteur de Montmajour (BN lat. 12685, f° 246v°-247r° : Signum Lambertus et uxor sua [Hodile] voluit

et consensit, S. Warinus voluit et consensit, S. Ragambertus voluit et consensit, S. Astrudes voluit et consensit, S. Rostagnus firmauit, S. Wido vicarius firma, S. Garraldus testis, S. Guirmundus testis, S. Archimbertus testis, S. Amalricus testis, S. Anno testis, S. Ostagnus monachus mandante domno Lambertus judice. Voir quatre autres donations de différents

personnages concernant la plaine du Trébon dans f° 247 r°-v°). Le juge Lambert apparaît encore en 965 à côté du comte Boson lors d'une restitution (CSV 29). Comme l'a démontré G. DE MANTEYER (La Provence, p. 335 et 336 n. 1, et p. j. n° 8, p. 520-522 [1004]), il était fils d'Annon et de Bonnefille, marié —vraisemblablement en deuxièmes noces— à Leutgarde et père de Guillaume de Cucuron. L'existence à la même époque du juge Lambert et de son homonyme, Lambert époux de Galburge, tige de la famille de Reillanne, a été source de malentendus. Certains auteurs, plus récemment J.-P.POLY ( LDP, p. 102), ont confondu les deux hommes, les considérant comme le même personnage, et par là rattachant à tort la famille de Reillanne à celle de Vence issue d'Amic, frère de Lambert le juge. La confusion est d'autant plus compréhensible que les deux Lambert font partie de l'entourage comtal. Ils apparaissent dans les documents de Montmajour, à qui ils offrent des biens reçus du comte,

biens offerts par les membres de la famille des vicomtes de Marseille153. Il en va de même, au début du XIe siècle, pour la célèbre donation funéraire de Franco, père de Pons, archevêque d'Arles (1003/1005-1029), souche de la famille des vicomtes de Fréjus, qui désire être enseveli à Montmajour quel que soit le lieu de sa mort en Provence154.

situés dans les environs de l'abbaye. Ainsi, c'est probablement le juge Lambert (sans porter son titre de juge) qui signe après Amic (nom de son frère) la donation des marais de Montmajour par Lambert «de Reillanne» (ABDR 2H9 n° 4 (sans date) édité dans DU ROURE p. 49) Au XIe siècle leurs dons sont évoqués lors de règlements de conflits entre Montmajour, les arlésiens et Saint-Victor de Marseille [CISV 12 (1040), B. Méj. ms. 329 (554-R125) p. 104 et 105 (1067) édités dans DU ROURE p. 179 et 180].

La famille du juge Lambert :

153 En 1008, Aicard, frère du vicomte de Marseille, offre le quart de tout ce qui lui appartient dans la villa de Saint-Pierre d'Alleins, que ces choses soient sises en territoire d'Aix, d'Avignon ou d'Arles, plus la moitié de la villa de Belcodène avec la moitié du château s'il devait s'en construire un, et les terres qui viendraient à être défrichées, ainsi que le quart de la

villa d'Ollières dans le diocèse d'Aix (CPA 101). Par une notice rédigée à l'occasion d'un

plaid, nous apprenons qu'Arlulf, père d'Aicard et auteur de la famille des vicomtes de Marseille, avait donné à Montmajour la villa Scrivignana, sise près de l'église Saint-Victor (Fontvieille), pas loin de l'abbaye. Cependant, quelques temps plus tard, ses fils, Guillaume et Aicard, offrirent le même bien à Saint-Victor de Marseille, initiant un litige entre les deux monastères (réglé devant l'archevêque Raimbaud, en 1040 [CISV 12]). Les vicomtes Guillaume II et Foulques, ainsi que leurs héritiers, offrent encore à Montmajour, dans les environs du monastère, une partie de l'île de Coutignargues (Castelet) [B. Méj. ms. 329 (554- R125) p. 94 et 95 édité dans DU ROURE p. 167 et 168 (deux donations de 1045 et une confirmation de 1048)]. Voir aussi, dans le même endroit, la donation du comte Bertrand II [B. Méj. ms. 329 (554 - R 125) p. 97 édité dans DU ROURE p. 171 (1059/60)].

154 …Et ubicumque ego mortuus fuero in tota Provincia, meum corpus monachi de

Montemajore accipiant et sepeliant illud in monasterio Montismajoris… [ABDR, 2H14 n° 26

(Copie XIe siècle), édité dans GCN, Arles, n° 317, c. 141-142]. Le document est une copie du XIe siècle, selon E.BARATIER, Répertoire de la série H, 2H. Les éditeurs de la GCN l'ont daté de 1028 (?), mais la donation peut être antérieure d'une vingtaine d'années. Franco apparaît comme signataire en 1005 et en 1013 et fait une donation à Saint-Victor de Marseille à une date inconnue (vers 1030 selon l'éditeur [?]) [CSV 15, 308 et 273]. Il semble être déjà décédé en 1029, lorsque son fils, l'archevêque Pons, fait une donation à Saint-Victor [CSV 209] et une autre à l'Eglise d'Arles [GCN, Arles, n° 319, c. 143-144]. La donation de Franco concerne des biens situés dans le diocèse d'Arles, dont une vigne dans la villa de Pernes, un manse dans

A une époque où les familles s'organisent encore horizontalement dans des larges cousinages, il n'est pas aisé de dégager une image claire de leur organisation et pourtant, pendant plusieurs décennies, certaines de ces parentèles ont été étroitement liées à l'abbaye. Parmi d'autres exemples, une série de dix-sept actes datant de 954 à 1017, et concernant des donations de biens situés dans le comté d'Avignon, mettent en scène des personnages dont le lien de parenté, de voisinage, ou les deux à la fois se manifeste par une dévotion commune au monastère de Montmajour. Au moins dans un cas, celui d'une branche liée au chapitre cathédral d'Avignon, on observe que cette dévotion se prolonge au long de quatre générations155. D'autres

ensembles de donations dans des régions où le domaine comtal était important, comme à Laurade et à Ansouis près de Pertuis, montrent que nombreux fidèles et alliés suivirent la famille comtale dans son attachement

la villa de Marignane, la moitié des dîmes de la pêcherie de Bolmon ; dans le diocèse d'Aix, dont un manse dans le castrum de Rians et un autre dans le castrum d'Esparron, ainsi qu'un manse dans toute villa ou castellum où il possède quelque chose. Il réserve cependant un tiers de tous ces biens à son fils, l'archevêque Pons, qui, en contrepartie, doit verser cent sous ottoniens et quelques denrées à Montmajour

155 Font partie de cette parentèle : Abon (954 - BN, ms. lat. 12685, f° 247 v°), Domedia, Deo

devota (955/79 - ABDR 2H15, n° 43 [Orig.], édité dans CPA 68), Richard et son épouse

Lenesia (956/957 - ABDR 2H15 n° 45 [Orig.] édité par M. VILLARD, «Une charte»), Advenius et Teuderic (964/66 - DU ROURE p. 40), Blismoda et ses fils Pons et Garnier (965/66 - CPA 54), Amblard et son épouse Adalsinne (965/66 - ABDR 2H11 n° 5 [Orig.] édité dans CPA 5), Guillaume (981 - ABDR 2H13 n° 16 édité dans CPA 78), Josue (982 - ABDR 2H14 n° 32 [Orig.] édité dans CPA 77), Rotard (984 - CPA 77), Dominica (985 - ABDR 2H14 n° 29 [Orig.] édité dans CPA 80), Pierre, père de Bonfils (989/91 - CPA 84), Leutoinus (994-1032 - ABDR 2H14 n° 27 [Orig.] édité dans CPA 129), Lautilde, son mari Richard et leur fille Constance (996 - CPA 89), Etienne et son épouse Dominica (1001 - CPA 127), Raimonde et son mari Constant (comté de Vaison, deuxième moitié du Xe siècle - ABDR 2H14), ainsi qu'Eldefredus et son fils Israel, père de Sperandeo (968/70 - CPA 68), ce dernier étant peut-être le père de Garnier et Radfredus, probablement chanoines de la cathédrale d'Avignon (1017 - ABDR 2H11 n° 1 édité dans CPA 114 ; voir CPA 96 [1002], 99 [1006], 104 [1009], ABDR 2H347 p. 3 [fragment de charte, sans date]. Un Radfredus apparaît à Avignon, dans les documents de la Cathédrale en 962 et 976 (CNDD 54 et 44). Un évêque d'Avignon portait ce nom, à la fin du IXe siècle [R.POUPARDIN, Actes des rois de Provence, n° 21 et 51]), ce qui aboutit à l'hypothèse de parenté suivante :

pour Montmajour156. C'est le cas notamment des familles qui ont appelé l'abbé Archinric à diriger leurs fondations.

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