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3 2 2 Une certaine continuité des dévotions clunisiennes en Haute Provence

L'acte par lequel on connaît le concile de Saint-Privat est une donation faite par deux frères, Pons et Laugier, au moment où ils embrassent la vie monastique à Cluny. Pons et Laugier sont les frères de deux évêques, Féraud de Gap et Pierre de Vaison, ainsi que d'Arnulf, Gérard, Rodolphe et Raimbaud, qui tous donnent leur accord à la donation. Revient alors à Cluny la moitié du castrum d'Altonum dont l'autre moitié avait déjà été donnée par leur père. De plus, mais à titre temporaire, ils remettent le quart du castrum de Bar, du castrum Clarenciagias, de la villa et du castrum de Guarnum, et de la villa Fexiana, leur part de Montilio, de Frontiniaco, de Lachias, et le quart du castrum de Mirabellum, biens que les moines de Cluny pouvaient tenir jusqu'à la mort des donateurs, mais qui devaient revenir à leurs frères après leur disparition197. Ces personnages font partie de l'importante famille d'Orange-Mévouillon, qui comme on le verra par la suite, a fait partie des bienfaiteurs de Cluny.

C'est sans doute le même Laugier, moine de Cluny (Leodegarius,

Cluniensis monasterii frater et monachus), qui demande à l'archevêque

Raimbaud d'Arles de consacrer l'église de Sarrians qu'il avait construite, dans cette villa offerte à Cluny par le comte Guillaume II, au moment de sa

197 CLU 2779 : …Nos igitur duo germani fratres Leodegarius et Poncius… abrenunciantes

presenti seculo, adherere cupimus Deo, monasticoque ordini colla submittimus, ut in aeternum gaudere possimus… Facimus autem hoc cum consilio cunctorum fratrum nostrorum, videlicet domni Feraldi et domni Petri episcoporum, atque domni Arnulfi, et domni Geraldi domnique Rodulfi atque domni Raimbaldi, ut gaudia perpetue vite mereantur adipisce. Est autem quoddam castrum, vocabulo Altonum [Sainte-Marie d'Auton] cujus partem dimidam olim a patre nostro Sancto Petro scimus esse derelictam. Reliquam vero ejus dimidiam partem que nobis jure paterno advenit Sancto Petro cedimus… Et ut haec donatio firma et stabilis permaneat, cuncta que infrascripta continentur ceteris nostris fratribus deveniat. De quoddam castro Bar vocabulo [Barret de Lioure] cum omnibus que ad eum pertinent, quarta pars. Item de alio qui vocatur Clarenciagias [Clansayes], quarta pars. De Guarno [Les Guards] autem castro et de quadam villa similiter vocatam Guarnum, quarta pars. Item de castro Pictavis [Peytieux], quarta pars. De villa Fexiana [Faysses], quarta pars. De Montilio [lieu disparu dans la limite des communes de St.-Romain-en-Viennois et de St.-

Marcellin, Vaucluse], quarta pars. De Frontiniaco [lieu indéterminé près de Mirabel] vero, ea

que nostre parti exire videntur similiter dimittimus. De Lachias [l'Achis] similiter. Sed castro Mirabellum nomine [Mirabel-aux-Baronnies], quem jure nobis paterno scimus provenire, quartam partem congregacio Cluniensis quamdiu nobis vita comes fuerit obtinebit ; post nostrum vero exitum, in potestate erit fratrum nostrorum… [Identification des lieux d'après J.-

mort198. L'église de Sarrians est l'un des rares édifices qui subsiste du premier art roman provençal199.

En 1029, l'évêque Féraud de Gap, frère des moines Pons et Laugier, après avoir été sollicité par Arbitrius, chanoine de son église, et par Pons, prévôt de Saint-André-de-Rosans, donne à Cluny l'église Saint-André de Gap, dotée d'une partie des dîmes de la cité200. La constitution d'un prieuré à Saint-

André de Gap se voit renforcée peu après par une donation comtale. En 1030, le comte de Provence Guillaume IV et son épouse Lucie, donnent à Cluny un manse près des remparts de la cité de Gap et de l'église de Saint- Arey201. C'est peut-être ce manse qui, quelques années plus tard, sera

échangé en présence des comtes Geoffroi et Bertrand, par le moine Alboin contre un manse sis près de l'église Saint-André, appartenant à Bérenger, vicomte d'Avignon202.

Les origines de l'église de Saint-André de Gap sont connues par l'acte de sa consécration, daté de 1010. C'est toujours le même évêque, Féraud, qui, à la demande d'un certain Adalard, la consacre. A cette occasion l'évêque dote l'église de la moitié des dîmes du manse exploité par Adalard. Ce dernier et sa femme Frodina donnent la moitié d'une vigne dans le territoire de Gap

198 CLU 2866 (1031-1048). Acte traduit et commenté dans Les Sociétés Méridionales, p. 432. 199 G.B

ARRUOL, «Un témoin du premier art Roman».

200 GCN, Aix, instr., c. 274, n° VIII (27 mars 1029) : Ego Feraldus, gratia divina

Wapincensis episcopus, et canonici urbis nostrae, dedicamus ecclesiam secundum ecclesiasticos usus, in honorem Sancti Andreae apostoli et Sancti Petri Cluniacensis monasterio, ubi domnus Odilo abbas praesse videtur, et est ipsa ecclesia in civitate Vapinco ; per admonitionem domni Arbitrii, canonici Sanctae Mariae, et domni Pontii, praepositi Sancti Andraea Rosanensis. Et donamus in dote dictae ecclesiae, de decimis quae pertinent nostrae civitati…

Dans le sommaire de cet acte publié dans CLU 2813, le nom du prévôt de Rosans est, sans doute à tort, Petrus.

201 P.GUILLAUME, Notice historique et Documents, n° 5 : Willelmus marchio ejusque conjux

Lucia comitissa donant coenobio Cluniacensi unum mansum, situm propre moenia civitatis, subtus ecclesiam Sancti Erigii, ut monachi qui Cluniaci vel in aliqua cella ejus, quam dominus abbas elegerit, degunt, hanc mansum possideant. Acta charta ista et donatio publice Wapinci, VII° idus maii, luna IIIa, anno Domini M°.XXX°. Un siècle plus tard, cette église, a

été donnée aux chanoines réguliers d'Oulx, en Piémont (Ibid. p. 5). 202 G. M

ANTEYER,La Provence, p. 376, n. 3 : …de uno manso pertinente monasterio…

fundatus juxta ecclesiam beati Erigii… non longe de civitate Vapincensi… facimus conventionem mutationis pro uno… manso… juxta ecclesiam beati Andreae… quo… habere videtur a domno Biringario pro beneficio… jure perpetuo… concedente domno Biringario bono animo… in presentia et consensu comitibus nostris Gaugfredus et Bertrannus. Et Berengarius vicecomes… et aliorum plures nobiliorum hominum… domnus Raimbaldus Arelatensis episcopus et Rostagnus de Sestarone et Petrus de Misone… (1037-1045).

pour l'entretien du prêtre desservant l'église203. Le nom du fondateur de l'église Saint-André de Gap, Adalard, est porté par l'un des chanoines de la cité qui signent la donation de l'évêque Féraud à Cluny en 1029.

Selon certaines indications que nous trouvons dans une analyse de dix- sept chartes concernant le prieuré, les chanoines de Gap semblent avoir été très attachés au nouveau prieuré clunisien.

En effet, le chanoine Arbitrius qui avait demandé à son évêque que l'église de Saint-André soit transférée à Cluny, souscrit la donation d'un champ près de la Luye faite au prieuré par Inguilbert, père du moine Gisbernus204. Un autre chanoine de Gap, Pierre Odoin, offre une terre sise près du torrent de Bonne au prieuré de Saint-André dont il devient moine205.

La fondation du prieuré de Saint-André de Gap fut la dernière grande réalisation en Provence de l'abbatiat d'Odilon. Elle est le fruit du développement du prieuré de Saint-André-de-Rosans et de la présence des Clunisiens dans le diocèse de Gap. Le prieur de Rosans est, avec le chanoine Arbitrius, à l'origine de la requête qui aboutit à la donation de Saint-André de Gap par l'évêque Féraud. Nous avons vu plus haut, que les Clunisiens avaient réussi à créer un réseau d'amitiés dans ce diocèse, probablement en gardant la dévotion des descendants des premiers bienfaiteurs de Cluny en Haute-Provence.

203 GCN, Aix, c. 273, n° VI : Ego Pharaldus, gratia divina Wapincensis civitatis episcopus,

et clerici urbis dedicamus et consecramus ecclesiam secundum ecclesiasticos usus, in honorem Sancti Andreae apostoli, quae est propre ipsius civitatem constructa, per admonitionem atque rogatum cuisdam viri nomine Adalaldi…

204 P. G

UILLAUME, Notice historique et Documents, n° 4 : Ingelbertus, pater Girberni

monachi, cum aliis dat Sancto Andreae Wapinco unum campum juxta rivulum Alogia. Subscript Arbitrius cum aliis. Sine data.

Le chanoine Arbitrius apparaît encore en 1030 lors d'une donation de l'évêque de Gap à Saint-Victor de Marseille (CSV 712). Quant au moine Gisbernus, on trouve à la fin du Xe siècle, une donation à l'église de S. Maurice (ou S. Amboise) de Venasque d'une partie des biens sis dans le comté d'Apt sous le castrum de S. Saturnin que le donateur avait reçus de son seigneur Pons, donation faite par un moine du même nom (ABDR 2H14 n° 33). Mais s'agit-il du même moine ?

205 P. G

UILLAUME, Notice historique et Documents, n° 6 : Petrus Odoini, canonicus

Gapincensis, monasticum ordinem suscipiens, donat Sancto Andreae qua[n]dam terram, sitam juxta fluvium Bonnae, et alia quaedam. Actum in claustro Sancti Andreae in presentia d. Hugonis prioris, d. Re... abbate [sic] tunc temporis Cluniacum regente.

Le chanoine Odoin apparaît aussi en 1030 (CSV 712). L'abbé de Cluny à l'époque de cette donation était Odilon ; «l'abbé Re....» mentionné dans cette analyse peut être le prieur de Cluny Rainald, qui avait reçu de l'évêque Almerade de Riez l'église de Valensole (CLU 1990 : … quia congregatio Sancti Petri Cluniensis, cui domnus Odilo abba preest, humili

4. L'abbé Hugues de Semur (1049-1109) et les retombées de la

Réforme Grégorienne

Hugues avait été choisi grand prieur par l'abbé Odilon, un an avant sa mort. Marqué par cette distinction il est élu abbé par les moines de Cluny après la disparition d'Odilon. Issu de la haute aristocratie, Hugues est d'origine bourguignonne, d'une puissante famille du Brionnais, les seigneurs de Semur, parents des comtes de Châlon. Né en 1024, Hugues entre à quinze ans au monastère clunisien de Saint-Marcel-lès-Châlon qui avait été fondé par son grand oncle, Hugues, évêque d'Auxerre et comte de Châlon206.

L'historiographie associe l'abbatiat d'Hugues de Semur à l'apogée de la puissance de l'abbaye de Cluny, bien que celle-ci porte déjà les germes de la crise, à la fois économique et religieuse, qui l'atteindra dans la première moitié du XIIe siècle.

La Provence, lors de l'avènement d'Hugues à la tête de Cluny, était une contrée où les Clunisiens s'étaient installés depuis plusieurs décennies mais où leur expansion s'était pratiquement arrêtée. L'abbatiat d'Hugues est surtout marqué par le rayonnement de Cluny dans des régions où, jusqu'alors, l'abbaye avait très peu essaimé : le Bassin Parisien, le Poitou et l'Espagne207.

Certaines restitutions de biens208 et les rattachements ponctuels de

quelques abbayes et prieurés faits en Provence par les Clunisiens doivent être mis en rapport avec le développement de la politique de réforme ecclésiastique menée par la papauté. Dans ce cadre, Hugues, en tant que légat de Rome, est amené à intervenir dans certains conflits survenus dans la région. Il préside plusieurs conciles à Avignon : en 1060209, en octobre 1063210, en avril 1066211 ; et en 1074 il est une fois de plus dans la cité,

206 A.K

OHNLE, Abt Hugo von Cluny.

207 P

H.RACINET, «L'Expansion de Cluny».

208 L'abbé Hugues de Cluny est en Provence vers 1050 au prieuré de Sainte-Jalle, situé dans le Val Bodon, enclave du diocèse de Sisteron entre les diocèses de Vaison, de Die et de Gap, où il reçoit la restitution des castella de Condorcet (CLU 3331). Il reçoit aussi la restitution d'Isnard, fils de Guérin de Riez, de la potestate de Sarrians (CLU 3576 v. 1080).

209 GCN, Aix, instr., c. 445 n° VII.

210 BN, nouv. acquis. lat. 1674, pièce 1 et Bibl. d'Avignon, ms. 98 f° 144v° (cité par J.-P. Poly, La Provence, p. 262 n. 69).

accompagné de ses prieurs provençaux212. Dans ses séjours en Provence, Hugues doit souvent composer avec sa double fonction de légat pontifical et d'abbé de Cluny, acceptant de fermer les yeux sur la duplicité des évêques simoniaques et de leurs familles, gagnés, à l'occasion, à la cause de la réforme.

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