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2 3 2 Bertrand II et le mouvement grégorien

Après la disparition de la comtesse Adélaïde, en 1026, les relations entre la famille comtale et l'abbaye de Montmajour se sont maintenues, à travers les petits-enfants de la comtesse, les comtes Bertrand I et Geoffroi I. Ces relations sont complexes. Les donations des comtes à Montmajour, bien que tardives, montrent qu'ils demeurent attachés à l'abbaye. Les dons qu'ils prodiguent à Saint-Victor de Marseille à la même époque, sont tout aussi nombreux, mais ils concernent en général d'anciens biens de l'abbaye qui étaient tombés dans le domaine comtal. Ils relèvent plutôt de la politique de récupération de l'ancien temporel menée par les Victorins que de l'initiative des comtes. Néanmoins, en même temps qu'ils se montrent attentifs à enrichir Montmajour de leurs biens, les comtes sont réticents au sujet des droits de l'abbaye sur Pertuis, droits qu'Adélaïde avait pourtant défendus avec ténacité. Il faut noter aussi que la branche de la famille issue du comte Roubaud et rattachée à la maison de Saint-Gilles par le mariage d'Emma avec Guillaume de Toulouse ne partageait pas la même dévotion pour Montmajour, étant liés d'avantage à Saint-André de Villeneuve.

Il a fallu attendre plus d'une dizaine d'années après la mort d'Adélaïde pour que de nouveaux dons soient faits au monastère par les comtes. Nous connaissons environ huit donations émanant d'eux.

En 1037 le comte Bertrand I a donné à Montmajour tout l'héritage qu'il avait reçu de son aïeul et de son père dans le castrum de Manosque, dans le pays de Sisteron121. En avril 1040, Bertrand I est à l'origine d'une série de donations adressées à l'abbaye. Le 12 avril il a offert

l'église Saint-Eloy, sise dans le comté d'Avignon, près de Tarascon, avec l'accord de l'évêque Benoît et du juge Bérenger, tige de la famille des vicomtes d'Avignon122. Peu de temps après, il s'est rendu au monastère, avec son frère Geoffroi I, pour confirmer le don de cette église, ainsi que celui d'un manse dans le lieu, pour lequel ils reçoivent des moines, respectivement 80 et 100 sous123. Le 23 avril, Bertrand I a abandonné aux moines une série de biens et droits de son héritage. Dans le comté d'Avignon, il a laissé son domaine et sa part du port de Tarascon, son domaine dans les villae de Laurade et de Graveson. Dans le comté de Cavaillon, il a offert son domaine dans la villa de Velorgues. Dans le comté d'Aix, il a donné son domaine et la moitié des dîmes de la villa de Pertuis. Dans le comté de Toulon, il a laissé son domaine dans la villa de Garéoult. Dans le comté de Sisteron il a offert le quart de la villa d'Aubignosc et sa part du Châteauneuf construit par Gautier sur le terroir d'Aubignosc124. Le même comte Bertrand I, à moins qu'il ne s'agisse de son neveu, a donné sa part sur la levée des lamproies à Tarascon et Loubières125. Son frère, Geoffroi I, apparaît dans une donation tardive, postérieure à la disparition de Bertrand I (†1051). Avec son épouse, la comtesse Stéphanie et son fils le comte Bertrand II, afin de participer à la communauté de prières des moines126, il a donné, en 1059/60, les pêcheurs qui demeuraient dans les collines autour du monastère et dans les villae de Coutignargues et de Saint-Victor (Fontvieille) et le cens qu'ils lui devaient en poissons. Pour cela le comte a accepté 50 sous127. En 1063, sa veuve et son fils ont offert, de leur héritage, la condamine comtale dans la villa de Laurade et le serchel (cens périodique), de même que le cens sur deux barques chargées d'esturgeons, dans le castrum de Tarascon sur le Rhône128. Après cette date Montmajour n'a plus reçu aucune autre donation de la famille comtale.

En 1079, cependant, le comte Bertrand II se trouve mêlé à l'expulsion de l'abbé Bermond. Pendant la querelle des investitures qui opposait l'empereur Henri IV au pape Grégoire VII, le comte Bertrand II s'était rangé du côté du pape, tandis que l'abbé Bermond de Montmajour avait pris le parti de l'empereur avec Aicard, l'archevêque d'Arles. Nous ne connaissons les événements qu'à travers les seuls témoignages des grégoriens. Il faut nuancer le tableau très noir qu'ils ont dressé de la situation : leurs adversaires sont coupables des pires turpitudes, qui vont de la sodomie à la simonie. Les

122 CPA 145.

123 B. Méj. ms. 329 (554-R125) p. 77 édité dans DU ROURE p. 138 (1040). 124 B. Méj. ms. 329 (554-R125) p. 75 édité dans DU ROURE p. 136.

125 B. Méj. ms. 329 (554-R125) p. 102 édité dans DU ROURE p. 176 (1030-1052 ou 1055- 1090) : Breve memoratorio que fecit Bertrannus comes inclytus… Hoc sunt levatas de

lampredas in Tarascone et de Loberias de mea parte.

126 …In quorum consortio orationum optantes feliciter jungi… 127 B. Méj. ms. 329 (554 - R 125) p. 97 édité dans DU ROURE p. 171. 128 B. Méj. ms. 329 (554-R125) p. 102 édité dans DU ROURE p. 175.

grégoriens réagissent en excommuniant l'archevêque Aicard. Le 1er mars 1079 Grégoire VII écrit au clergé et au peuple de l'église d'Arles et leur envoie Laugier, évêque de Gap, pour élire un nouveau prélat129. Dans une

lettre adressée au pape, le comte Bertrand II déclare que lui et les moines de Montmajour ont expulsé l'abbé Bermond à cause de sa dépravation et surtout parce qu'il avait acheté sa charge à l'archevêque. L'abbé Bermond est remplacé alors par l'abbé Guillaume que le comte envoie au pape pour qu'il soit consacré et investi130. Le comte demande également que le pape

confirme les biens de l'abbaye et les privilèges de ses prédécesseurs. Une bulle de Grégoire VII datant de 31 mars 1079 menace d'excommunication tous ceux qui ne rendraient pas les biens du monastère131. Le comte promet, à son tour, de rendre au pape toutes les abbayes et tous les évêchés.

Cette crise incite Grégoire VII à envoyer, le 18 avril 1081, le cardinal Richard, abbé de Saint-Victor, réformer le monastère de Montmajour132.

Selon la lettre que le pape envoie à Richard, celui-ci doit exercer la correctio et rétablir la discipline, puis placer un nouvel abbé à la tête de la communauté, qui, si possible, doit être choisi parmi les frères du monastère. Richard reçoit aussi l'autorité sur le temporel. Le pape, prévoyant une possible hostilité des moines de Montmajour, leur écrit pour communiquer sa décision en menaçant d'excommunication ceux qui s'opposeraient à la direction de l'abbé Richard133. La sujétion de Montmajour à l'abbé de Saint-

Victor n'est pas la seule. A la même occasion, Grégoire VII a soumis à l'abbé Richard un autre ancien monastère du Midi, Lagrasse, dans le diocèse de Carcassonne134. A part l'autorité du cardinal-abbé Richard sur le monastère,

rien ne semble vraiment avoir été transformé à Montmajour. L'abbaye conserve son rang et son propre abbé, Guillaume. L'abbé Richard se voit confirmer, par Urbain II, la tutelle sur Montmajour et les autres monastères le 20 février 1089 et le 4 avril 1095. Dans ce dernier document le rôle de l'abbé de Saint-Victor dans ces communautés est à nouveau précisé : il doit participer, avec les moines du lieu, à l'élection de chaque nouvel abbé, sur

129 GCN, Aix, instr., c. 277-278, n° XI.

130 Bibl. Arles ms. 163, p. 80 (copie XVIIIe s., L.BONNEMANT), édité dans RHGF, XIV, p. 657-658.

131 Das Register Gregors VII., VI, 31. 132 Das Register Gregors VII., IX, 6. 133 CSV 860.

134 Sur Lagrasse voir l'introduction et la bibliographie donnée par E.M

AGNOU-NORTIER etA.- M.MAGNOU, Recueil des chartes de l'abbaye de La Grasse, t. 1. Sur le rôle de Saint-Victor de Marseille et du cardinal-abbé Richard pendant la Réforme Grégorienne, voir Chapitre III, 3. 5.

lequel il garde le droit de correction avec le conseil de l'évêque du diocèse135. Quoi qu'il en soit la domination victorine sur Montmajour ne dure qu'une quinzaine d'années. En effet, le 30 juillet 1096, le pape Urbain II se trouve à Cavaillon, et à la demande de l'abbé Guillaume, il confirme les biens de Montmajour, son exemption et la libre élection de l'abbé136. Les monastères de Lagrasse et de Psalmodi récupèrent leur liberté à la même époque137. Les

moines de Montmajour, au XIIIe siècle, semblent conserver encore un souvenir amer de la domination de Saint-Victor. Leur rancune se manifeste dans un passage du Roman de Saint-Trophime, confectionné à l'abbaye, où ils reprochent aux Victorins, qui possèdent la nécropole célèbre des Alyscamps, de ne pas honorer convenablement la sainteté du lieu138.

L'engagement du comte Bertrand II vis-à-vis de la papauté va très loin. Le 25 août 1081, quelques mois après que Montmajour soit passé sous la tutelle victorine, le comte Bertrand II s'est constitué vassal du pape Grégoire VII en lui donnant tout son «honneur» et en lui abandonnant les évêchés et les abbayes, comme il l'avait promis dans sa lettre de 1079139. L'attitude du

comte n'est pas un cas isolé, puisque d'autres princes méridionaux se sont dévoués à la cause grégorienne en se soumettant à la papauté140. De tout ceci

il résulte que l'abbaye de Montmajour, sous le contrôle des grégoriens, échappe aussi à l'influence de la famille comtale, à la propre initiative du comte.

135 CSV 839 et 840.

136 B. Méj. ms. 329 (554-R125) p. 120 et 142 édité dans DU ROURE p. 199 et 227. 137 P.S

CHMID, «Die Entstehung des Marseiller Kirchenstaats» ; P.AMARGIER,Un âge d'or, p.

141-142. 138 J.G

AZAY, «Le Roman de Saint Trophime». Le roman a été édité par N.ZINGARELLI, «Le Roman de Saint Trophime».

139 HGL (1875), t. V, c. 670, n° 348 (d'après les archives de l'abbaye de Saint-Victor de Marseille) et le serment : Ego Bertrandus Dei gratia comes Provinciae ab hac hora et

deinceps tibi domino meo papae Gregorio et cunctis successoribus tuis, qui per meliores cardinales Sanctae Romanae Ecclesiae electi fuerint fidelis ero, et quidquid mihi credideritis in damnum vestrum non manifestabo. Sic me Deus adiuuet, et Sancta Dei Evangelia, dans H.

BOUCHE,La chorographie, t. II, p. 82.

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