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4 1 2 Autour d'Avignon L'évêque et les vicomtes

Les séjours de l'abbé Hugues à Avignon, ne sont pas sans rappeler les attaches que les Clunisiens avaient depuis longtemps dans cette cité. Les moines avaient hérité des maisons que la famille de l'abbé Maieul possédait dans le castrum et ils avaient aussi quelques biens dans la campagne environnante. L'influence de Cluny à Avignon est encore attestée par l'adoption probable, par l'abbaye de Saint-André de Villeneuve-lès-Avignon, d'usages liturgiques fondés sur les anciennes coutumes clunisiennes. En effet, la plus ancienne copie des Consuetudines antiquiores, datée de l'extrême fin du Xe siècle au début du XIe siècle, a été réalisée à Saint- André. Une autre copie en a été faite au début du XIIe siècle d'après le texte existant dans le monastère, mais ajoutant des nouveautés en vigueur à Cluny à cette époque221. Il faut noter aussi que l'abbé Maieul de Cluny était vénéré au monastère féminin de Saint-Laurent d'Avignon, dont le martyrologe contient une référence au trépas du saint222, et que Consorce, sainte provençale ayant vécu au VIe siècle et dont la fête était au propre de l'Eglise avignonnaise, figure très tôt dans le sanctoral clunisien223.

Mais si la présence clunisienne dans la cité d'Avignon date de l'abbatiat de saint Maieul, ce n'est qu'en février 1063 que Cluny reçoit la première donation importante dans l'évêché. Il s'agit du don de Pont-de-Sorgues fait par le vicomte Bérenger, son épouse Gerberge et ses fils, parmi lesquels Rostaing évêque d'Avignon, qui, avec ses chanoines donne son accord à la donation de l'église de la Sainte-Trinité dans le castrum de Sorgues dotée d'une série de dîmes et de terres224. Cette donation est l'occasion d'une

grande solennité qui réunit à Avignon, le clergé, plusieurs notables laïques

221 Consuetudinum saeculi X, XI, XII monumenta : introductiones, éd. K.HALLINGER, p. 226, 246-248.

222 Bibliothèque Vaticane, ms. vat. lat. 5414, f° 40 r° (Ipso die transitus domni Maioli,

piissimus abbas). Voir F.NEISKE, «Transitus sancti Maioli. La mémoire de saint Mayeul dans les nécrologes et les martyrologes du Moyen-Age», Saint Mayeul et son temps. Actes du

Colloque International, Valensole 12-14 mai 1994, Digne-les-Bains, 1997, p. 259-271.

223 H.Q

UENTIN, Les martyrologes historiques, p. 160-162.

224 CLU 3387 (14 février 1063) : Quocirca ego Barangarius, cum voluntate uxoris meae

Gisberge, et filiorum meorum, videlicet Rostagni episcopi et Beringarii, Raymundi, Willelmi, Leodegarii, Rostagni, Bertranni, ac consilio predicti Rostagni, Avennicae civitatis episcopi, ejusque canonicorum, dono… ecclesiam Sante Trinitatis que est sita in territorio Avennicensi, in castro quod nominatur Pons Sorgie… (Pour l'identification des lieux cités dans cet acte

ainsi que le comte de Provence, Guillaume VI et son frère Geoffroi, qui souscrivent l'acte. Ce n'était pas la première fois que le vicomte Bérenger avait affaire avec les Clunisiens : une vingtaine d'années plutôt il avait déjà autorisé un échange de manses à Saint-André de Gap225. Cet échange avait

été contesté par son fils, l'évêque Rostaing, mais ensuite, en 1063/1064, Bérenger l'avait confirmé aux moines226.

Une dizaine d'années plus tard, le même évêque, demande à l'abbé Hugues à tenir l'obédience de Sorgues pour l'améliorer. Celui-ci, sur le conseil de Bertrand, prieur de Saint-Saturnin-du-Port, de Pons prévôt de Ganagobie, d'Arnaud doyen de Piolenc, et de Pierre doyen de Valensole, accorde à l'évêque d'Avignon, sa vie durant, ou jusqu'à ce qu'il devienne moine, la tâche de mettre en valeur ce bien de Cluny. Sous la réserve que si, durant les trois années à venir, la situation de l'obédience venait à empirer, l'abbé pourrait la lui retirer. Le mobile de l'évêque Rostaing évoqué dans l'acte était l'amélioration du lieu qui servait au soin de l'âme du vicomte Bérenger et à l'oeuvre de Dieu ; mais on peut à juste titre soupçonner l'évêque d'avoir voulu remettre la main sur la possession donnée par son père à Cluny. En plus des droits ecclésiastiques qu'il en pouvait tirer, le lieu était doté de moulins et d'un marché dont les profits devaient intéresser l'évêque, réputé pour son attachement aux affaires du siècle227. L'accord passé alors

par l'abbé Hugues était une manière de donner satisfaction aux prétentions de l'évêque, qui, comme les moines de Saint-Victor de Marseille avaient déjà pu le vérifier, n'hésitait pas à bousculer les droits des monastères228. L'abbé Hugues conscient du risque de voir la famille de Rostaing, sa mère et ses frères, vouloir un jour recouvrer la villa de Sorgues, avait rappelé plusieurs fois que le bien devait retourner intact à Cluny après la mort de Rostaing. En contrepartie de cette cession, les Clunisiens recevaient de l'évêque, en plus d'un cens annuel, une église à Avignon229.

225 G.M

ANTEYER, La Provence, p. 376, n. 3.

226 Ibid., p. 377, n. 2 : …molestia quam intulit episcopus Avenionensis filii Berengarii…

ecclesiae sancti Andreae… super moenia Wappincense… jure perpetuo supradicti Berengarii vicecomitis… pro cambio… quando ipsa molestatione… ad aures domni Berengarii venerit… graviter accepit… wirpicionem fecit…

227 Vita Sancti Pontii, p. 499 : Eo namque tempore Avennicam regebat ecclesiam nobilis

Rostagnus episcopus magis in secularibus quam in ecclesiasticis astutus et providus.

228 Voir les démêlés de l'évêque Rostaing d'Avignon avec Saint-Victor de Marseille à Saint- Promace de Forcalquier. CSV 664 et 665 (après 1065).

L'abbé Hugues avait été contraint ici de négocier avec un prélat qui n'était pas un exemple pour les réformateurs dont il faisait partie. Albert, abbé de Saint-Ruf et évêque d'Avignon à partir de mars 1096, ne pardonnait pas aux Clunisiens le commerce qu'ils avaient entretenu avec les vicomtes, leur reprochant surtout d'avoir obtenu de façon simoniaque leurs possessions à Pont-de-Sorgues230. Il est probable que ce lieu avait auparavant appartenu à

l'église d'Avignon, et qu'il était passé dans le domaine du vicomte Bérenger lorsque son fils devint évêque. Albert faisait partie des évêques partisans de la Réforme qui, au tournant du siècle, voulaient reconstituer le temporel de leurs églises qui avait très souvent été dilapidé par leurs prédécesseurs231.

La famille des vicomtes d'Avignon avait en effet mis la main sur l'évêché et, après la disparition de Rostaing, en 1075/1076, on avait laissé le siège vacant jusqu'en 1094232. Cependant les vicomtes et l'évêque d'Avignon avaient accueilli et soutenu les conciles réformateurs des années 1060 et 1070. Cette bienveillance à l'égard des grégoriens, pas seulement signe de leur ralliement à la politique des comtes adeptes de la Réforme, était aussi une façon de contraindre les réformateurs à fermer les yeux sur ce qui se passait à Avignon même. La donation du vicomte Bérenger à Hugues de Cluny était peut-être la contrepartie de la complicité de l'abbé. Il n'en reste pas moins que par ce don, Bérenger se rattache à un réseau de dévotions dont Cluny était l'objet en Provence, depuis la deuxième moitié du Xe siècle.

230 CNDD 24 (1096-1110) : Arbertus Avennicensis episcopus dilectis filiis Rostagno

preposito, et eius fratribus in Avenionensi ecclesia canonicam vitam professis… Postulant enim predicti karissimi fratres nostre humilitate devota, quatinus aliqua de rebus ad episcopalem mensam pertinentibus, usibus communitatis eorum paterno affectu conferremus… Donamus… et medietatem ecclesie beate Marie de Ponte, et alteram medietatem quam Cluniacenses monachi per simoniam possident, si quandoque recuperare poteritis, abbatiamque Sancti Tirsi cum decimis, primiciis, alodiis, omnibusque ad eas iure pertinentibus…

231 C'est le cas, par exemple, des évêques Mainfred d'Antibes et Bérenger de Fréjus par rapport aux vastes possessions de l'abbaye de Lérins dans leurs diocèses.

232 J.-P.P

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