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Les Clunisiens en Provence au début du XII e siècle Prospérité et contestation

L'histoire de Cluny au XIIe siècle est marquée par un conflit au sein de la communauté, qui met en évidence, outre les problèmes économiques de l'abbaye, les changements survenus dans le monde monastique, et la remise en question du monachisme clunisien269. Les abbés Pons de Melgueil270 et son remplaçant, Pierre le Vénérable271, ont été directement concernés par

cette crise. Pendant son abbatiat, Pierre le Vénérable a entrepris des réformes afin de parer aux difficultés économiques de l'abbaye. Il a dû également défendre l'idéal monastique clunisien et le mode de vie de ses moines face aux dures critiques faites par les nouveaux ordres monastiques et dont les plus connues sont celles de Bernard de Clairvaux272. Les contestations ne se résument d'ailleurs pas à la confrontation de conceptions différentes de la vie

269 Au début de 1122 éclate à Cluny une crise qui oppose l'abbé Pons à une partie de ses moines, qui l'accusent d'une mauvaise gestion et de dépenses qui risquent de ruiner l'abbaye. Pons se rend alors à Rome, où, sans qu'on n'en connaisse le motif exact, le pape Calixte II le dépose ou le contraint à abdiquer. Pons part alors en Terre Sainte. A Cluny les moines élisent un autre abbé, Hugues II, le très âgé prieur de Marcigny, qui meurt trois mois plus tard. Les religieux choisissent alors pour les diriger, le prieur de Domène, Pierre de Montboissier, plus connu dans l'historiographie sous le nom de Pierre le Vénérable. En 1125 Pons de Melgueil revient d'Orient et, profitant de l'absence de Pierre, il se réinstalle comme abbé à Cluny. Cette intrusion donne lieu à d'âpres conflits, jusqu'à ce que Pons, excommunié par l'archevêque de Lyon et par le pape Honorius II, soit emprisonné à Rome où il meurt l'année suivante.(G. TELLENBACH, «Der Sturz des Abtes Pontius» ; N.FRESCO, L'«Affaire» Pons de Melgueil).

270 Après la mort d'Hugues de Semur vers la fin du mois d'avril de 1109 les moines de Cluny, choisissent comme abbé l'un d'entre eux, Pons de Melgueil. Pons appartient à une importante famille du Languedoc, les Melgueil, apparentée aux comtes d'Auvergne et aux comtes de Toulouse. Il est né vers 1075, et a eu comme parrain le cardinal Rainier, le futur pape Pascal II. Très tôt Pons est entré comme oblat à l'abbaye de Saint-Pons-de-Thomières et a fait sa profession à Cluny, où il occupa plusieurs charges, et probablement la direction de Saint- Martial-de-Limoges. (M. Pacaut, L'Ordre de Cluny, p. 188).

271 Pierre le Vénérable est né en 1092 ou 1094, en Auvergne, dans la famille d'un seigneur de Pallier ou d'Usson, établi depuis 1043 au château de Montboissier dans le Livradois, pas loin de Sauxillanges. Il est offert tout jeune comme oblat à ce prieuré. Il fait profession monastique à Cluny, sous Hugues, et, vers 1113-1115, est envoyé par Pons à Vézelay, auprès de l'abbé Renaud, où il acquiert une vaste culture religieuse et profane. En 1120 il devient prieur de Domène, d'où il est retiré pour devenir abbé de Cluny. Pierre le Vénérable meurt le jour de Noël de 1156. Après son décès, entre 1157 et 1207 neuf abbés se sont succédés à Cluny. (M. Pacaut, L'Ordre de Cluny, p. 204, 234 et ss.).

272 A.H.B

cénobitique. L'Eglise tout entière doit faire face à ceux qui mettent en question les principes mêmes de la pratique religieuse. Pierre, en réfutant l'hérésie pétrobrusienne née dans nos régions, pas loin du prieuré de Saint- André de Rosans, s'engage aussi dans la défense des dogmes de l'Eglise273.

La «crise» interne de Cluny ne semble pas avoir touché les obédiences provençales. Les quelques témoignages écrits évoquent des querelles avec des prélats, événements assez courants à l'époque, et qui n'étaient pas le privilège des Clunisiens. En effet, dans la première moitié du XIIe siècle plusieurs conflits s'élèvent entre les évêques et les monastères. Les prélats espèrent reprendre des anciens biens de leurs églises qui avaient été donnés aux moines par leurs prédécesseurs. En 1119, l'évêque Laugier II de Gap274, en présence du pape Gélase II, restitue à Cluny les terres qu'il avait enlevées aux moines, ainsi que l'église de Veynes, que lui et ses chanoines avaient autrefois donnée au monastère275. Or, la propriété de cette église avait déjà

été confirmée aux Clunisiens en 1105 par l'évêque Isoard276. Apparemment,

Laugier II l'avait confirmée à son tour, mais certains clercs s'étaient opposés à ce don. Vers 1130, Pierre le Vénérable doit écrire à l'évêque d'Orange Guillaume277, pour protéger le prieuré de Piolenc, sur lequel celui-ci a des

prétentions278. Les archevêques d'Arles, essayent, de leur côté, de récupérer l'abbaye de Saint-Gervais de Fos qui avait été fondée sous les auspices de l'archevêque Annon à la fin du Xe siècle. Quand la famille de Fos a donné Saint-Gervais à Cluny en 1081, elle l'a fait à l'insu de l'archevêque d'Arles. Il est vrai qu'à cette époque la situation de l'archevêché d'Arles était trouble: le siège était occupé par un prélat accusé de simonie, et qui, malgré son excommunication et l'élection d'un nouvel archevêque, n'avait pas quitté la charge. L'archevêque d'Arles est encore absent en 1130, lorsque le pape

273 P

IERRE LE VÉNÉRABLE, Ep. 67, éd. G.CONSTABLE, Cambridge (Mass.), 1967, I, p. 197- 198 ; Contra Petrobrusianos hereticos, éd. J. FEARNS. Voir D. IOGNA-PRAT, dans Saint

Maïeul, Cluny et la Provence,, p. 41, et surtout Cluny et la société chrétienne ; voir aussi J.

LECLERCQ, Pierre le Vénérable, p. 357-367 ; J.FEARNS, «Peter von Bruis», p. 311-355. 274 Laugier II de Gap, d'abord archidiacre, évêque de 1106 à 1121 (LEP p. 48). 275 GCN, Aix, inst., c. 278, n° XII.

276 CLU 3834.

277 Guillaume, évêque d'Orange de 1130 à 1137/1138, probablement un ex-moine. (LEP, p. 26 et 28).

Innocent II, de passage à Saint-Gilles, confirme à l'abbé Guillaume les possessions de Saint-Gervais de Fos279. Mais, entre 1142 et 1156, l'abbé

Pierre le Vénérable doit passer un accord avec l'archevêque Raimond I, aux termes duquel ce dernier concède à Cluny le monastère fondé par ses prédécesseurs, et sur lequel il se réserve certaines redevances, que le prieur de Saint-Gervais sera tenu de lui verser280. Cet acte montre les Clunisiens

contraints de reconnaître les droits des archevêques d'Arles sur le monastère de Fos. Juste après la disparition de l'abbé Pierre, l'archevêque se plaint au pape d'avoir été spolié de Saint-Gervais par les Clunisiens. Adrien IV écrit alors aux moines de Cluny et décide que le différend qui les oppose à l'archevêque d'Arles devra être réglé par l'évêque de Nîmes et par l'abbé de Saint-Gilles281. Entre 1173 et 1176 l'archevêque d'Arles Raimond II écrit à

l'abbé de Cluny Rodolphe, surpris par la négligence de celui-ci envers Saint- Gervais, dont les moines avaient été expulsés à l'occasion d'une guerre (probablement lors des guerres baussenques, vers 1162)282. Il semble qu'alors

les Clunisiens se soient désintéressés de la réforme de l'abbaye qu'ils vont perdre définitivement. En 1175, Alexandre III concède à l'abbé de Saint- Gilles283 la restauration et le gouvernement de Saint-Gervais de Fos

ordonnant à tout nouvel abbé de Fos de se soumettre à l'obéissance de l'abbé de Saint-Gilles284. L'autorité sur Saint-Gervais de Fos continue à être l'objet

de conflits opposant l'archevêque d'Arles, l'abbé de Saint-Gervais et les moines de Saint-Gilles285.

279 CLU 4004 (11 septembre 1130) : Innocentius, episcopus, servus servorum Dei. Dilecto

filio Guilielmo, abbati monasteri sanctorum Gervasii et Protasii, quod situm est in Arelatensi provincia, secum oppidum Fossas… Statuentes ut quaecumque possessiones ad idem cenobium in presentiarum juste et legitime pertinere noscuntur… Datum apud Sanctum Egidium…

280 CSG 5.

281 BSG n° LV (26 mai 1155-1159).

282 CLU 4249 : …satis miramur qua tarditate vel negligentia abbatiam Sancti Gervasii,

quam ad vos jures credimus, quaerere et recuperare nostris temporibus negligitis… et sic monachi vostri ejusdem monasterii possessionem nacti, guerra inteveniente, tempore procedente ejecti fuerint…

283 Saint-Gilles du Gard avait été rattaché à Cluny en 1066. Les Clunisiens ont des grandes difficultés pour en garder le contrôle [BSG n° XII (v.. 1077), XVIII (v. 1098), XLV (1121), L (1125), LI (v. 1125), LII (1132)]. Saint-Gilles retrouve son indépendance en 1132. U. WINZER, S. Gilles, p. 52-96.

284 BSG n° LXIII (13 mai 1175), LXVI (20 décembre 1159-1181).

Au début de l'abbatiat de Pierre le Vénérable, les Clunisiens n'avaient pas encore réussi à libérer le prieuré de Pont-de-Sorgues de l'emprise de la famille des vicomtes d'Avignon. Par une lettre adressée par Bérenger, évêque de Fréjus286, à l'abbé Pierre, nous apprenons que ce dernier avait demandé à l'évêque de restaurer le prieuré. Il serait curieux que l'abbé Pierre ait pu avoir recours à l'évêque de Fréjus pour réparer le prieuré situé dans le diocèse d'Avignon si Bérenger n'était pas issu de la famille des vicomtes d'Avignon. Il était en effet, le neveu de l'évêque Rostaing d'Avignon, qui dans les années 1070 avait conclu un accord avec l'abbé Hugues afin de mettre en valeur le lieu. D'après les travaux prévus par l'évêque Bérenger à Pont-de-Sorgues —installation de l'église en un lieu plus sûr et en un meilleur emplacement, sur une colline, avec remise en état des terres incultes, réparation des moulins, replantation des vignes— nous pouvons penser que le prieuré avait été victime d'inondations. L'évêque demandait en contrepartie de cette restauration, la possession du lieu sa vie durant et le cens prélevé pendant quatre ou cinq années287. En réalité l'évêque Bérenger avait de gros intérêts à Pont-de-Sorgues. Une dizaine d'années plutôt il s'était rendu devant l'évêque Albert et ses chanoines et avait demandé avec insistance (vehementer postulavit) la concession en fief, viagère, des dîmes des marais que l'on desséchait près du Pont-de-Sorgues. Il les avait reçues à condition qu'à sa mort, ou s'il devait changer de vie, ou partir à Jérusalem, les dîmes retourneraient à l'église d'Avignon. Les chanoines désirant mieux encore satisfaire l'évêque de Fréjus (volunt letificare episcopum

Foroiuliensem) lui donnèrent en même temps, l'église Sainte-Marie de Pont-

de-Sorgues avec ses dîmes, oblations et terres288. Or, la moitié de cette église

avait été donnée aux chanoines par l'évêque Albert quelques années auparavant, l'autre moitié étant déjà tenue par l'abbaye de Cluny289. Les

avantages que l'évêque devait acquérir en restaurant le prieuré clunisien s'ajoutaient aux revenus qu'il avait extorqués à l'église d'Avignon.

Malgré ces quelques difficultés, certains signes indiquent que les prieurés provençaux se trouvaient néanmoins en bonne situation. Nous savons que les cens versés par ces maisons à Cluny représentaient une somme importante

286 Sur cet évêque voir G.M

ANTEYER, La Provence, p. 389 et ss.

287 CLU 3964 (1122-1131) : dum vixero quod vestri juri est mihi concesseritis… annalis

igitur census quia maximus labor instat, si per V aut per IIIIor annos perceretur, pro munere haberem…

288 CNDD 79 (1117-1119). 289 CNDD 24 (1096-1110).

pour son budget. En plus des redevances en nature, la somme payée par une quinzaine de prieurés de Provence290 au milieu du XIIe siècle atteignait

presque cinquante livres291. Mais c'est surtout dans les témoignages

architectoniques que l'on devine la vitalité des prieurés au XIIe siècle. Les exemples les plus frappants sont les édifices de Ganagobie et de Saint-André de Rosans. Les fouilles conduites sur ces sites et l'étude des bâtiments en élévation montrent qu'à Ganagobie la construction de la prieurale s'est étalée du deuxième quart jusqu'à la fin du XIIe siècle, moment où a été bâti le cloître actuel, et qu'à Saint-André-de-Rosans, il est possible de déceler plusieurs étapes de construction de la prieurale et des transformations étalées de la deuxième moitié de XIe siècle jusqu'à la fin du siècle suivant292. Dans le choeur des églises de ces deux prieurés ont été retrouvées des mosaïques remarquables. Ces mosaïques semblent avoir été confectionnées par le même atelier et posées aux alentours de 1125293. Autant d'ouvrages coûteux qui

donnent un aperçu des possibilités économiques de ces maisons, et par là de l'exploitation rentable de leurs domaines. Même dans des obédiences plus modestes, les élévations ou les remaniements d'édifices sont courants au XIIe siècle : le clocher de Saint-Firmin en Valgaudemar, dans le diocèse de Gap date du tout début du siècle ; on construit une église dans la première moitié du siècle aux Aumades, dans le diocèse d'Apt ; l'église de Sainte- Jalle, dans le diocèse de Gap est élevée au milieu ou dans le troisième quart du siècle ; dans le diocèse d'Orange, dans la deuxième moitié du siècle, l'absidiole nord et le clocher-tour de l'église de Sarrians sont reconstruits, et l'église de Piolenc est dotée d'une tour-porche ; de la même époque date l'église Saint-Martin de Caderousse294.

290 Il s'agit des obédiences de Piolenc dans le diocèse d'Orange, de Saint-Amand de Clansayes et Saint-Pantaléon dans le diocèse de Saint-Paul-Trois-Châteaux, de Sainte-Jalle, Sainte-Luce, Thèze, et Ganagobie dans le diocèse de Sisteron, de Saint-André de Rosans, Beaujeu, Gap, Antraix et Château-Giraud dans le diocèse de Gap, de Saint-Pierre d'Albera dans le diocèse de Digne, de Valensole dans le diocèse de Riez, des Aumades dans le diocèse d'Apt et de Pont-de-Sorgues dans le diocèse d'Avignon.

291 CLU 4395 (1148). G. D

UBY, «Le budget de l'abbaye de Cluny entre 1080 et 1155. Economie domaniale et économie monétaire», dans Hommes et Structures du Moyen Age, p. 67 (article originalement publié dans Annales, 1952, p. 155-171).

292 G.B

ARRUOL, Provence Romane 2, p. 97-164, 299-308, et dans Saint Maïeul, Cluny et la

Provence, p. 61-86 ; M.FIXOT,J.-P.PELLETIER,G.BARRUOL,Ganagobie, mille ans.

293 X.B

ARRAL I ALTET,dans Saint Maïeul, Cluny et la Provence, p. 47-59. 294 G.B

ARRUOL,«Un témoin du premier art roman méridional» ; Provence Romane 2, p. 329- 336, 412 et Saint Maïeul, Cluny et la Provence, p. 61-86.

Le dynamisme des prieurés clunisiens au XIIe siècle, engagés dans des vastes projets de construction, est l'aboutissement d'une implantation réussie, déjà ancienne de plus d'un siècle.

Conclusion

Les deux premiers siècles de présence clunisienne en Provence dégagent une image assez positive, malgré l'essoufflement et les limites de l'implantation.

L'abbatiat de Maieul est la période la plus féconde, celle au cours de laquelle les principales donations sont effectuées et les premiers prieurés installés. Pourtant, face aux menaces seigneuriales cette implantation est fragile. L'abbatiat d'Odilon est une longue période de luttes et de négociations pour consolider les droits des Clunisiens. En revanche, l'abbé Hugues hérite d'un réseau d'obédiences important et stable, dont l'activité est constante pendant tout le XIIe siècle.

Cette évolution est particulière à la Provence, en comparaison avec l'expansion de Cluny dans les autres régions du Midi. Les Clunisiens ne s'installent qu'à la fin du XIe siècle en Languedoc295 et n'arrivent jamais à

s'implanter vraiment en Catalogne296. Le nord de l'Italie, où la percée clunisienne date, comme en Provence, de l'époque de saint Maieul, connaît une évolution différente : Cluny arrive à conquérir de nouvelles dévotions auprès de l'aristocratie locale et à trouver ainsi un deuxième souffle d'expansion dans la deuxième moitié du XIe siècle297.

En Provence la pénétration de Cluny reste celle du Xe siècle. Les principales possessions se trouvent au nord de la Durance. La présence des Clunisiens en Basse-Provence et sur la côte méditerranéenne ne sera que ponctuelle et éphémère. Ces limites géographiques sont le corollaire des liens que l'abbé Maieul avait établis avec des familles nanties en Haute-

295 E.M

AGNOU-NORTIER, La société, p. 498 et ss.

296 A.M

UNDÓ, «Moissac, Cluny».

297 M.P

Provence. Les premiers bienfaiteurs transmettent à leurs descendants leur attachement aux Clunisiens ; les exemples de cette transmission sont encore visibles à la fin du XIe siècle.

Si la dévotion clunisienne semble être restée au sein de ces familles, ce n'est pas de façon exclusive. Très tôt celles-ci sont aussi attirées par les monastères provençaux. L'évêque Féraud de Gap, frère de deux moines clunisiens, donne en 1029 l'église Saint-André de Gap à Cluny, mais l'année d'après, probablement exhorté par les vicomtes de Gap de la famille de Mison, il donne à Saint-Victor de Marseille l'église Saint-Geniès de Dromon, sanctuaire auquel les Mison restent très attachés et qu'ils enrichiront de leurs dons298. Auparavant les Mison avaient été des bienfaiteurs de Cluny.

Probablement apparentés au fondateur du prieuré clunisien de Saint-André- de-Rosans, ils avaient fait don en 1022-1023 d'une église et d'alpages au prieuré de Ganagobie. Les Mévouillon, avant de donner à Cluny des biens à Revest-du-Bion en 1082, avaient déjà offert à Saint-Victor les églises de Saint-Pierre de Rioms, de Saint-Antoine des Mées et la cella Sainte-Marie et Saint-Victor de Trescleoux. Les comtes de Provence abandonneront dès la fin du Xe siècle leur attachement à Cluny pour faire de Montmajour leur nécropole299.

Il semble qu'il ait été très difficile pour les Clunisiens, après la disparition de saint Maieul de pousser plus loin la présence de Cluny en Provence. Les changements apportés par Odilon dans la conception de l'Ecclesia

cluniacensis, et les prétentions seigneuriales des Clunisiens sur leurs

domaines et dépendances a certainement suscité la méfiance de l'aristocratie provençale, qui comme on verra, tient à préserver ses prérogatives sur les monastères. Les grands seigneurs se sentent ainsi plus rassurés face à l'attitude «modérée» des Victorins ou des Lériniens, qu'ils choisissent plus souvent que les Clunisiens, comme c'est le cas pour les Riez ou les Pontevès- Salernes, voisins acrimonieux du prieuré de Valensole. Si les familles les plus importantes restent à l'écart, l'exemple de Saint-André de Gap montre que les Clunisiens attirent tout de même des dévotions dans le voisinage de leurs prieurés.

298 Voir Chapitre III, 2. 2. 2. 299 Voir Chapitre II, 2. 3. 1.

Outre la présence physique des moines clunisiens dans des obédiences il faut prendre en considération l'influence exercée par Cluny et ses abbés sur le monachisme provençal. A Lérins et à Saint-André-de-Villeneuve les moines avaient adopté ou s'étaient inspirés des coutumes liturgiques de Cluny. L'abbé Isarn de Saint-Victor de Marseille était très lié à l'abbé Odilon. Ensemble ils ont cherché à contrer la violence seigneuriale300. Victorins et Clunisiens restent alliés, défendant les mêmes principes, pendant la Réforme Grégorienne. Le prestige et le rayonnement de Cluny est encore grand au XIIe siècle ; l'archevêque d'Arles, s'adressant à l'abbé de Cluny souligne : quod intuitu religionis monasterii vestri et honestatis quae, Deo

volente et beato Petro apostolo cooperante, longe lateque resplendet(...)301.

Malgré cette influence certaine de Cluny en Provence, aucun monastère provençal important n'a été durablement rattaché à l'abbaye bourguignonne. Les exemples de Lérins et de Saint-Gervais de Fos en disent long sur les difficultés d'intégration de monastères traditionnels. La présence clunisienne dans la région a été durable parce qu'elle a été fondatrice et pionnier, plutôt que réformatrice. Les prieurés provençaux, lors de leur rattachement à Cluny au Xe siècle sont des établissements nouveaux ou récemment restaurés dont l'«identité» clunisienne est assurée dès l'origine. Maieul en Provence n'agit pas en abbé réformateur mais comme abbé de Cluny au service de son abbaye, essaimant au nom et au profit de celle-ci. En quelque sorte, il ébauche en Provence ce que son successeur Odilon développe plus concrètement par la suite, prémices d'une Ecclesia cluniacensis structurée autour de Cluny et de son abbé.

Avec l'implantation clunisienne nous avons ouvert un premier volet de l'histoire du renouveau monastique provençal et de ses prolongements. Quand, en 954, Maieul accède à la direction de Cluny comme coadjuteur de l'abbé Aimard, à Arles, les religieux de la cathédrale assurent les débuts de

300 Voir donation du monastère de Saint-Ferréol faite par l'archevêque de Vienne, Laugier, à Saint-Victor et à l'abbé Isarn, par le conseil d'Odilon. CISV 9 (4 novembre 1036) : …ipsum

locum cum omnibus ad se pertinentibus eidem S. Victori perpetualiter [damus] et viro

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