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Chapitre 1 : La déflation par la dette

3. Une théorie du cycle ou de la crise ?

3.1. Cycle de l’endettement

De prime abord, nous pourrions être incités à penser que Fisher n’effectue aucune différence entre théorie du cycle et théorie de la crise. C’est ce que laisse entendre les lignes suivantes contenues au début du chapitre 5 de Booms and Depressions :

Originally, people were content to refer to any given case of Boom and Depression as a “Business Crisis.” Then the given cases seemed to recur with some regularity and to show an apparent family likeness. This fact is brought home, for instance, by the eloquent words of Leonard Bacon in 1837, quoted in the beginning of this book and applying almost equally to 1932. As a result of these family likenesses and of the recurrence as well of the phenomena preceding and toe the phenomena succeeding the “crises,” the term “cycle” became more popular than “crisis”. (Fisher, 1932 : 51)

Crises et cycles sont ainsi présentés comme de simples synonymes. Néanmoins, dans l’article de 1933, Fisher opère une nette distinction entre les deux en opposant ce que serait un « véritable cycle » aux enchaînements de la déflation par la dette :

But if the over-indebtedness is not sufficiently great to make liquidation thus defeat itself, the situation is different and simpler. It is then more analogous to stable equilibrium; the more the boat rocks the more it will tend to right itself. In that case, we have a truer example of a cycle. (Fisher, 1933 : 344-345)

Dès lors, notre avis sur cette question est le suivant : dans Booms and Depressions, Fisher présente sa théorie sous la forme de cycles d’endettement dans lesquels il envisage une possibilité de réajustement automatique de l’économie. En revanche, un an plus tard, dans son article publié dans Econometrica, il formule explicitement l’impossibilité pour l’économie d’enrayer automatiquement la baisse des prix. La déflation par la dette constitue alors uniquement une théorie de la crise.

Commençons par détailler les éléments exposés dans l’ouvrage de 1932 susceptibles de participer au redémarrage. A la fin du chapitre 3, Fisher en présente deux. Tout d’abord, il

20 Comme nous l’avons vu, certes Fisher ne parvient pas à relier surendettement et anticipations, il fournit

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souligne que les faillites d’entreprises permettent de réduire l’encours global d’endettement. De plus, la contraction des échanges diminue la demande de monnaie et de crédit, ce qui ralentit la baisse des prix :

But no downswing goes on forever. Let us trace the first factor, debts. The process of liquidation may persist until at last it overtakes the swelling of the remaining debts, and beings to reduce not only their number but their real size. Every business failure, every bankruptcy, every reorganization grimly speed the liquidation by striking off a certain proportion of the world’s debts without even paying them; so that these failures may prevent the vicious spread of liquidation from swelling the dollar to ten fold dimensions. Moreover, the reduction in the volume of trade, cause by the fall of prices, tends to check that fall. That is, the shortage of money and credit relatively to the needs of commerce becomes a less serious shortage when the needs of commerce have also shrunk. Thus, through real liquidation, or failures, or both, and a diminution of trade, the bottom of the descending spiral is finally reached. (Fisher, 1932 : 41)

Au fur et à mesure que le stock de dettes se liquide, la confiance revient progressivement, notamment du côté des banques, ce qui les amène très lentement à relâcher leurs conditions d’accès au crédit. Le taux d’intérêt réel se situe alors à un niveau qui permet la reprise en avant du cycle économique :

The time comes when the business world is left in a state of under-indebtedness. Then the Debt Cycle (or cycle tendency) will, so to speak, at the zero hour, ready for a recovery which may merge again into a Boom phase, similar to that from which it fell […] And since each dollar of debt no longer grows during the life of the debt, the nominal interest is not belied by the real interest, but both are, for the time being – for short-term loans – one. All that is then needed for an upswing is some left-over individuals, still possessed or resources enough to enable them to take advantage of these bargain prices. The downswing has itself tended to produce such individuals. They are the prosperous residue of the creditor and salaried classes. (Fisher, 1932 : 41-42)

En 1932, Fisher envisage donc un terme au processus de liquidation des dettes. Il fournit deux éléments à même de relancer l’économie. Sa théorie, bien que présentant certaines failles, constitue bien une explication complète du cycle économique par les fluctuations du niveau d’endettement. Néanmoins, dès 1932, Fisher n’est pour autant pas favorable à laisser le marché s’autoréguler et préconise une politique de reflation menée conjointement par l’État et la Banque Centrale :

But the stage is set for further reflation through such measures as: the recent Glass inflation Act, allowing an increase in banks notes; the Glass-Steagall Act, in February, “freeing” gold; the consequent open market operation of the Federal Reserve System on an unprecedented scale; the credit operations of the Reconstruction Finance Corporation; the Home Loan Banks Act, and other reflationary measures. (Fisher, 1932 : 157-158)

Ainsi, même si Fisher envisage la possibilité théorique de cycles d’endettement dans lesquels les forces de marché sont capables d’enrayer la déflation, l’intervention publique lui semble préférable pour résorber la crise.

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3.2. … vs déflation par la dette

Dans cette lignée, Fisher défend la politique de l’État destinée à reflater l’économie en prenant explicitement position en faveur du plan de relance entrepris par Franklin Roosevelt dans l’article de 1933, ce qui est également attesté par sa correspondance21.

On the other hand, if the foregoing analysis is correct, it is always economically possible to stop or prevent such a depression simply by reflation the price level up to the average level at which outstanding debts were contracted by existing debtors and assumed by existing creditors, and then maintaining that level unchanged. […]The fact that immediate reversal of deflation is easily achieved by the use, or even the prospect of use, of appropriate instrumentalities has just been demonstrated by President Roosevelt. (Fisher, 1933 : 346)

A la différence de Booms and Depressions, Fisher n’intègre dans son article aucun retour spontané vers l’équilibre comme dans les cycles d’endettement. Il n’y a pas de mécanismes de reprise endogène à l’économie. La possibilité, même théorique, d’une régulation par le marché est ainsi exclue par Fisher. C’est sur ce point que l’article de 1933 s’écarte de l’ouvrage de 1932 :

Those who imagine that Roosevelt’s avowed reflation is not the cause of our recovery but that we had “reached the bottom anyway” are very much mistaken. At any rate they have given no evidence, so far as I have seen, that we had reached the bottom […] Had no “artificial respiration” been applied, we would soon have seen general bankruptcies of the mortgage guarantee companies, savings banks, life insurance companies, railways, municipalities, and states. (Fisher, 1933 : 346)

Par opposition, l’action de l’État est alors essentielle, car elle-seule peut préserver la stabilité de l’ordre social :

If our rulers should still have insisted on “leaving recovery to nature” and should still have refused to inflate in any way, should vainly have tried to balance the budget and discharge more government employees, to raise taxes, to float, or try to float, more loans, they would soon have ceased to be our rulers. For we would have insolvency of our national government itself, and probably some form of political revolution without waiting for the next legal election. (Fisher, 1933 : 347)

Il apparaît ainsi que, dans la théorie de Fisher, aucun mécanisme marchand n’est opérant pour relancer l’économie, ce qui rend nécessaire l’intervention de l’État. La déflation par la dette n’est donc pas une théorie du cycle. Il s’agit d’une explication de la crise. Il convient de préciser pourquoi la dynamique qu’elle décrit échappe à la tendance générale des cycles de dettes exposés par Fisher en 1932.

21 Voir W.J. Barber, The works of Fisher, Vol. 14: correspondence and other commentary on economic policy

1930-1947, Londres : Pickering & Chatto, 1997. Fisher préconise également à Roosevelt de rompre avec l’étalon- or afin d’élargir la base monétaire et stimuler les prix à la hausse.

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Notre hypothèse est la suivante : les cycles d’endettement décrivent des situations dans lesquelles les fluctuations de l’encours d’endettement, si elles perturbent l’activité bancaire, ne conduisent pas pour autant à un effondrement du système bancaire lors de la liquidation des dettes. Les banques sont suffisamment résilientes pour encaisser les défauts et relancer l’économie par la baisse du taux d’intérêt. A contrario, lorsque le volume d’endettement est trop important, la liquidation engendre une déflation incontrôlable pour l’économie et le système bancaire implose. L’hypothèse cruciale, implicitement posée par Fisher, porte donc sur le stock de dettes détenues par les agents lorsque le retournement s’amorce. Cette hypothèse détermine la stabilité du système bancaire, et à travers elle, de l’économie toute entière. La crise de 1929 échappe ainsi aux cycles d’endettement car le volume de dettes est tellement important que le système bancaire n’est pas en mesure de résister au désendettement et aux faillites.

Pour conclure, la seule différence entre les écrits de 1932 et ceux de 1933 porte donc sur la possibilité théorique d’une régulation par le marché, qui est présente dans l’ouvrage, et absente dans l’article. C’est pourquoi Fisher présente la déflation par la dette sous la forme d’une théorie du cycle en 1932 et d’une théorie de la crise en 1933. Mais dans les deux cas, l’intervention de l’État lui semble nécessaire pour contenir les effets de la dépression et relancer l’activité. De notre point de vue, la déflation par la dette constitue donc uniquement une théorie de la crise car Fisher remet explicitement en cause la capacité du marché à garantir la stabilité de l’équilibre économique. Il s’agit à nos yeux de la principale rupture dans la pensée de Fisher au cours des années 1930 par rapport à son œuvre précédente.

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Chapitre 2 : La théorie des cycles de crédit dans le Pouvoir d’Achat de