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Chapitre 1 : La déflation par la dette

1. Du surendettement au désendettement

1.2. La course au désendettement

La fin de la phase d’endettement repose, chez Fisher, sur deux facteurs liés l’un à l’autre : une chute de la confiance dans l’activité et, d’autre part, une baisse de la liquidité des agents. Le choc de confiance a pour conséquence un ralentissement de la circulation monétaire tandis que la baisse de liquidité se traduit par une crise du marché interbancaire et une contraction de l’encours de crédit. C’est ce que nous allons maintenant expliquer.

Commençons par la fin de la période d’optimisme. D’après Fisher, il s’agit en effet du déclencheur du retournement :

Even the very start of the liquidation may be the psychological discouragement – either of the debtor or the creditor – from a realization that the debts they owe, or the debts owing to them, are too high and should be reduced. This realization may be borne home by many causes; but the chief cause may well that earnings, current or expected, have begun to disappoint the excessive expectations which originally led to the debts. It is often said that the “turn of the cycle” may be due to a very trivial precipitating cause. Anything which causes a slight revulsion of mood may be the last straw. (Fisher, 1932 : 40)

Il retient ainsi deux explications possibles pour justifier la fin de l’excès d’optimisme : une défiance des créditeurs compte tenu du volume atteint par les dettes ; ou bien, la déception des débiteurs en raison de profits réalisés inférieurs aux profits escomptés. Il en résulte une baisse

11 J.M. Keynes, The General Theory of Employment, Interest and Money, chapitre 12 : The State of Long-Term

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de la vitesse de circulation de la monnaie. L’inquiétude des agents les rend plus réticent à dépenser et ils préfèrent conserver leur richesse sous forme d’actifs liquides12.

La conséquence directe de cette hausse de la thésaurisation est le ralentissement de la croissance des prix des titres qui était induite par le processus d’endettement, croissance qui peut même s’arrêter. Cela implique une baisse de la liquidité des agents : la valeur de leur actif s’étiole. Ils sont donc incités à se désendetter en vendant une partie de leurs avoirs, ce qui marque le début du processus de liquidation des dettes. Cette dynamique est particulièrement déstabilisante sur le marché interbancaire. En effet, lorsque la confiance des banques est altérée et que la valeur de leurs actifs cesse de croître au rythme qui était le sien, elles sont encouragées à reconstituer leurs réserves au détriment des prêts interbancaires :

In fact, banks find themselves engaged in a race for “liquidity”. They begin to call their loans; but by calling loans, they help further to extinguish deposit currency. Moreover, the cash which each bank collects comes largely out of other banks; and these, in turn, have to replenish their cash, which they can do only by, in turn, calling loans, thus further extinguishing currency. This hoarding of money by banks has a magnified effect on deposit currency; for every dollar of reserve in a bank may support, say, ten dollars of loans. When, therefore, one bank forces another bank to surrender one of its physical reserve dollars, it forces a potential reduction of ten dollars of deposit currency. (Fisher, 1932 : 36-37)

La contraction de l’encours de crédit est ainsi l’effet principal des perturbations sur le marché interbancaire. D’un côté, les banques réclament à leurs débiteurs le remboursement de leurs prêts, ce qui correspond à une destruction monétaire et engendre une baisse des prix. De l’autre, elles rechignent à prêter, ce qui fait monter le taux d’intérêt réel précisément au moment où les prix commencent à chuter. Face à ces difficultés, le mouvement de désendettement s’intensifie, et les premières ventes en catastrophe ont lieu. Ces dernières génèrent un dysfonctionnement de la loi de l’offre et de la demande qui rend instable l’économie :

Distress selling perverts the operation of the law of supply and demand. Normally, sales are made because supply and demand has worked out a price attractive to the seller; but when the seller is in distress, the sale is made for precisely the opposite reason; not the attraction of a high price, but the compulsion of a low price, which threatens his solvency. (Fisher, 1932 : 14)

Toutefois, selon Fisher, la déflation repose essentiellement sur la contraction des dépôts à vue13,

plus que sur les ventes en catastrophe :

This excessive eagerness on the selling side of a market may seem enough to explain how distress selling tends to lower the price level; but it is not the fundamental influence. In fact, the buyer largely gains the

12 I. Fisher, Ibid., pp. 34-35.

13 Dans l’article de 1933, Fisher considère ainsi de ne pas avoir assez insisté dessus dans l’ouvrage de 1932 : “one

of the most important of such interrelations (and probably too little stressed in my Booms and Depressions) is the direct effect of lessened money, deposits, and their velocity, in curtailing trade…” (Fisher, 1933, p. 342). L’importance qu’il accorde à ce point s’illustre dans sa proposition ultérieure de réforme bancaire publiée en 1935 : 100% Money, qui découle directement de son analyse de la crise de 1929.

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spending power which the seller loses, and spending power is what sustains prices. But the stampede liquidation involved in distress selling has a radical effect on the price level, by actually shrinking the volume of the currency – that is, of “deposit currency”. (Fisher, 1932 : 14)

Cela explique pourquoi Fisher, que ce soit dans l’ouvrage de 1932, ou bien dans l’article de 1933, présente généralement la diminution des prix qui résulte du désendettement comme une baisse sur le marché des biens : c’est d’abord la contraction du crédit qui est responsable de la déflation, et non les ventes en catastrophe d’actifs sur le marché financier.

Néanmoins, dans Booms and Depresions, il suggère dans un court passage que le marché des actions est le lieu idéal pour que la combinaison du ralentissement de la vitesse de circulation et de la contraction de l’encours de crédit exerce des effets soudains et brutaux sur les prix. La transmission du choc au marché des biens se fait alors par la propagation de la panique liée à la baisse de la valeur des actifs financiers :

No one incident unites both contraction and slowing so effectively as a stock market crash. A stock market crash wipes out great masses of credit currency with unusual suddenness; and, at the same time, it so stirs the cautious side of human nature than men hang on harder than even to their available money of every remaining sort. In combination, these two sequels of a stock market crash (contraction and slowing of currency) constitute a dose of deflation almost as good (or as bad) as a bonfire of a large part of the nation's cash. A stock market crash is evil enough in itself; but it is not confined to itself. Through its double effect on the currency in which commodity prices are registered, it sets commodity prices sinking in sympathy with the stock prices - more slowly but also more injuriously to the foundations of the economic structure. And at last, something like a panic develops in the commodity market. (Fisher, 1932 : 35)

Sur le plan factuel, l’hypothèse selon laquelle la crise a pour origine le marché des titres est bien sûr fondamentale au vu du déroulement de la crise de 1929. Mais, du point de vue théorique, elle apparaît également nécessaire à la cohérence de la théorie de Fisher : si le surendettement est rendu possible par les marchés financiers, il est logique que le désendettement y trouve son point de départ. Nous pouvons donc résumer par l’enchainement suivant le retournement de la dynamique économique décrit par Fisher :

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