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Les conséquences néfastes de l’instabilité du pouvoir d’achat de la monnaie

Chapitre 3 : Du dollar-compensé au 100% Monnaie, les étonnantes propositions d’Irving

1. Deux plans, un même défi : stabiliser la valeur de la monnaie

1.2. Les conséquences néfastes de l’instabilité du pouvoir d’achat de la monnaie

A l’abri de cette discutable conception monétaire des fluctuations de prix, Fisher développe une stimulante réflexion de leurs effets déstabilisants. Ainsi, aussi bien dans Stabilizing the Dollar que dans le 100% Money, il établit d’un côté une causalité entre instabilité monétaire et instabilité politique et, d’autre part, détaille les répercussions économiques fâcheuses des variations du niveau général des prix. Notons là encore la grande constance de Fisher : dans les deux ouvrages, l’absence d’une monnaie stable entraîne des processus économiques et politiques strictement identiques.

Commençons par en préciser la dimension politique. Au chapitre 3 de son livre de 1920, Fisher accorde déjà une très grande importance aux troubles publics engendrés par les fluctuations de la valeur de l’étalon monétaire. Au lendemain de la révolution bolchévique et de la révolte spartakiste, il souligne avec vigueur que la volatilité du pouvoir d’achat de la monnaie est à l’origine de fortes tensions sociales, porteuses de contestations et de remises en cause de l’ordre établi :

Every rise in the cost of living brings new recruits to these malcontents who feel victimized by society and have come to hate society. They cite, in their indictment, the high prices of necessities and the high profits of certain great corporations, both of which they attribute to deliberate plundering by “profiteers” or a social system of “exploitation”. […] In fact, before the war, rising costs of living were fast making socialists all over the world. (Fisher, 1920 : 67-69)

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En 1935, en conclusion du 100% Money, il formule dans des termes semblables le lien entre perturbations politiques et versatilité de l’étalon :

There has been a great deal of talk during the depression about the failure of the capitalistic system. A movement “to the left” always comes with deflation. It found expression in this country in “populism” in the deflation ending in 1896 and the Bryan campaign. But populism evaporated as soon as the price level began to be restored. In the middle of the last century a socialistic movement resulted from falling prices and disappeared with the lucky discovery and outpouring of new gold mines in California and Australia. Marx and Engels in this period recognized this relationship far better than the bankers did, and also specifically recognized that their propaganda lost its force, at that time, because of the gold discoveries. In fact, an unstable monetary unit breeds radicalism, whether the movement be up or down, deflation or inflation, if it goes far enough. (Fisher, 1935 : 218).

Selon lui, cette relation est d’autant plus explosive qu’elle se trouve amplifiée par l’application de mesures non seulement inefficaces pour combattre les variations de la valeur de la monnaie, mais surtout nuisibles pour la société tout entière20.

Au niveau économique, les mécanismes par lesquels une modification du pouvoir d’achat de la monnaie affecte le produit global sont également similaires entre les deux contributions de Fisher. Ainsi, dans Stabilizing the Dollar, il affirme que les fluctuations de la valeur de la monnaie impliquent une redistribution injuste des revenus et des patrimoines en raison de la rigidité des contrats de dette21 :

Consider the debtor and creditor relationship. If Congress should suddenly decree that the present fifty- cent piece should henceforth be known as a “dollar”, it is clear that, in practice, the change would not be merely nominal; for while current prices would quickly be doubled the terms of contracts already made would not be adjusted. Therefore every creditor, every bondholder, every bank depositor, would clear be cheater out of half his due […] Consequently, with each change in the purchasing power of money (in other words, with each change in the price level), some people lost what properly belongs to them and others gain what does not properly belong to them. (Fisher, 1920 : 54-55)

D’autre part, il relève que les variations de prix génèrent une incertitude préjudiciable pour la prise de décisions et le niveau d’activité car elles ne peuvent pas être anticipées correctement22 :

Business is always injured by uncertainty. Uncertainty paralyzes effort. And uncertainty in the purchasing power of the dollar is the worst of all business uncertainties. (Fisher, 1920 : 65)

20 “The fact is that among the worst consequences of price convulsions are the vicious remedies proposed. Like

the remedies of primitive medicine, they are often not only futile, but harmful.” (I. Fisher, 1920, p. 75).

21 Pour les revenus : “In recent years salaried men and wage earners have been losing; for, while salaries and wages

have risen, they have not kept pace with the rise in prices. Some wages have remained unchanged for months or years after the cost of living has risen, and then they have only been forced up by strikes. According to the figures of the United States Bureau of Labor Statistics, real wages, i.e. their buying power, in 1917 when we entered the war were only a little over two thirds of what they were ten years before.” (Fisher, 1920, p. 56).

22 On peut noter la grande proximité entre les arguments avancés ici par Fisher en 1920 et l’analyse développée

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Fisher décrit ici, dès 1920, deux mécanismes qui sont au cœur, une décennie plus tard, de sa théorie de la déflation par la dette – ce que James Tobin (1980) a depuis nommé l’effet Fisher23.

Ils sont de nouveau mis en avant au chapitre 7 du 100% Money pour expliquer la propagation de l’instabilité monétaire au secteur réel.

Après la crise de 1929, Fisher conserve ainsi une même explication des conséquences négatives de l’instabilité de la valeur de la monnaie, aussi bien sur un plan politique qu’économique. La récession est néanmoins à l’origine d’une aggravation de son diagnostic. En effet, alors que les variations de prix lui paraissaient maîtrisables jusque-là, elles lui semblent désormais totalement incontrôlables. Il en découle une évolution des moyens qu’il propose pour garantir une monnaie stable. Par conséquent, si l’action du dollar-compensé se situe a posteriori des changements de prix et cherche à en neutraliser les effets, celle du 100% Monnaie se positionne à la racine même des perturbations selon Fisher : il ne s’agit plus d’amortir les variations du niveau général des prix, mais de les supprimer totalement. C’est ce que nous allons maintenant exposer.

2. Dollar compensé vs 100% Monnaie : contrôle de l’unité de compte vs