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Le cubisme et l'art africain

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 151-155)

2.2 Les arts de l'Afrique noire : classification ethnique

3.4.4 Le cubisme et l'art africain

Chez les cubistes, il faut noter que Picasso avait un an de retard sur le reste de lřavant-garde, concernant son intérêt pour lřart africain. Revenons néanmoins sur le fait que le mot primitivisme serait sans doute plus approprié dans ce cas, parce quřà cette époque on faisait rarement la différence entre art africain et art océanien, même chez Picasso. Les fauves et les expressionnistes allemands reconnaissent déjà pour leur part la valeur esthétique des objets africains. Il semble néanmoins que les cubistes soient ceux qui se sont le plus attardés sur la valeur esthétique de ces œuvres. Le rapport que Picasso entretient avec lřart primitif se manifeste de façon plus éloquente dans son tableau : Les demoiselles d’Avignon où il est possible de voir, selon Tim Hilton, « avec quelle intensité cette révélation fut appliquée aux deux femmes427 ». Remarquons que cette référence aux arts primitifs est essentiellement en relation avec les visages du tableau comme nous le verrons.

Ce qui intrigua Picasso dans lřart primitif, cřest le fait que le masque Dan qui lui avait

424GOLDWATER, R., p 223.

425AKA-EVY J.L., Op.cit., pp. 563-582.

426Ibid.

427 HILTON, T., Picasso, Lřunivers des arts, Editions Thames et Hudson 1996. p83

été présenté par Derain ne correspondait pas aux normes esthétiques de lřart classique européen. Cette dimension intéressa beaucoup Picasso qui en parla à Matisse. Michel Leiris nous explique que, « c’est à Maurice de Vlaminck que l’on attribue le mérite d’avoir reconnu le premier l’art africain à sa juste valeur 428». En effet, ce dernier aurait acquis plusieurs statues africaines, dont un masque Dan quřun ami de son père lui avait donné, et que sa femme voulait jeter aux ordures. Ce même masque quřil cède à son ami André Derain tombe entre les mains de Matisse et Picasso qui en furent bouleversés. Picasso durant lřété 1907 fut également fort intéressé par des œuvres du musée du Trocadéro. En réalité, il fut attiré par la simplicité et la pureté des formes géométriques. Pour lui ce langage plastique avec des signes codifiés (un rectangle pour la bouche, un cylindre pour les yeux, etc.) entraîna une véritable révélation. Cřest à cette même période quřil achève une toile de six mètres carrés quřil a commencée depuis plusieurs mois. Ce tableau choqua énormément son entourage immédiat. Il sřagit de Matisse, Apollinaire et de Braque. Si ce tableau suscita des émotions si vives, cřest sans doute parce quřil avait « une position presque agressive à l’égard de l’avant-garde parisienne qui essayait d’inventer un art nouveau429 ».

Seul Kahnweiler un jeune collectionneur allemand aime ce tableau dès sa première visite. Cette toile sřappellera quelques années plus tard, Les demoiselles d’Avignon. Si ce tableau a suscité tant de réactions, cřest aussi parce quřil représentait une véritable révolution dans le travail du peintre espagnol. En effet, Les demoiselles d’Avignon, annonce ce mouvement fulgurant qui va bouleverser lřart du XXe siècle et annoncer une rupture avec ce qui jusque-là sřest fait en matière de production plastique : le cubisme. William Rodin, explique dřailleurs que cřest « seulement lorsque Picasso s’est inspiré de l’art tribal dans les demoiselles d’Avignon que sont apparus les signes d’une véritable percée »430. Cette percée va entraîner, en quelque sorte, la mise à lřordre du jour de lřart tribal dans la peinture occidentale. Cette peinture représentait pour Picasso, « en premier lieu, une affinité élective et en second lieu une substance propre à alimenter son œuvre ». Certains auteurs émettent cependant des réserves quant à lřinfluence de « lřart nègre431 » sur le travail de Picasso. En effet, selon Tim Hilton432, « on a exagéré le rôle que l’art africain a joué sur le cubisme ». Il semblerait que Cézanne ait beaucoup plus influencé le travail de ce dernier. Il ajoute que

« l’africanisme n’avait été qu’une incursion rapide et spectaculaire433 ». Michel Leiris pense, quant à lui, que pour réellement ressentir lřinfluence de lřart nègre sur ses travaux, il faut attendre la période du cubisme analytique.

Ainsi, lřaspect conceptuel de certaines œuvres primitives influença les cubistes.

Ajoutons quřen réaction contre lřimpressionnisme, « les cubistes avaient opté pour une peinture à l’ossature plus forte qui rendrait compte des objets dans ce qu’ils ont de permanent et non de circonstanciel 434». Les tableaux ne seraient plus agencés de manière décorative et dans la seule quête du beau. Ils ne représenteraient plus ce que lřon voit mais ce que lřon connaît. Ainsi, ce qui intéressa les cubistes par rapport à lřart primitif, ce fut cet aspect conceptuel des œuvres. Il faudrait également ajouter que, par rapport à lřaspect

428LEIRIS, M., Op.cit., p1129.

429HILTON, T., Picasso, Op.cit, p84

430RODIN, W., Op.cit., p15.

431Ce terme semble plus approprié pour décrire les œuvres qui intriguèrent Picasso.

432Auteur de Picasso, lřunivers des arts, Editions Thames et Hudson 1996, p83.

433Ibid

434LEIRIS, M., Op.cit. p1138.

esthétique de certaines théories explique lřattrait de Picasso, pour le primitivisme, à sa dimension magique. Selon Colin Rhodes, « Picasso ne se concentrait pas tant sur les qualités formelles de la sculpture tribale … que sur ce qu’il considérait comme ses éléments magiques435 ». Il ajoute, en citant Picasso : «… ces masques, tous ces objets que des hommes avaient exécutés dans un dessein sacré, magique, pour qu’ils servent d’intermédiaire entre eux et les forces inconnues, hostiles, qui les entouraient, tâchant ainsi de surmonter leur frayeur en leur donnant couleur et forme. Et alors j’ai compris que c’était le sens même de la peinture. Ce n’est pas un processus esthétique ; c’est une forme de magie qui s’interpose entre l’univers hostile et nous, une façon de saisir le pouvoir, en imposant une forme à nos terreurs comme à nos désirs. ».

Doit-on justifier cette par la part dřamitié que Picasso portait à Malraux et à Leiris ? En définitive, il ne fait nul doute que lřart tribal a exercé une influence sur Picasso mais également sur tout le mouvement cubiste. Néanmoins, il se pourrait quřil nřait pas entraîné de changements fondamentaux dans lřorientation prise par lřart moderne, au début du XXe siècle. Selon William Robin, « les objets primitifs contribuaient moins à réorienter l’histoire de la peinture moderne qu’à renforcer et confirmer une évolution déjà en cours436 ».

En réalité si Picasso sřintéressa de cette manière à lřart primitif, cřest parce quřil lřenvisageait comme le fruit dřun raisonnement et donc dřune réflexion définitivement conceptuelle. On pourrait ajouter en conclusion, ce que Michel Leiris interrogé par Paul Lebeer pense de lřinfluence de lřart nègre sur lřOccident437 : «…Je parle de la question de l’influence possible mais de façon très prudente de l’art nègre dans le cubisme dont on a tendance à surestimer considérablement le rôle. Le cubisme dérive principalement de Cézanne. Il y a peut-être un apport de l’art nègre, mais pour l’essentiel, c’est une chose occidentale, enfin de sources occidentales. »

435RHODES, C., Le primitivisme et l’art moderne, collection lřunivers de lřart, Editions Thames et Hudson 1994, p116.

436RHODES, C., 117

437LEBEER, P., Michel Leiris, « Au delà d’un regard » entretien sur l’art africain, Editions Sainte Opportune, 1994, Bruxelles, p 53.

C

H AP ITR E

4 : L'

A RT CO LO NI AL

:

L A P ENE TR ATIO N D E S T ECH NIQ U ES O CCID EN TA LE S E N

A

F RIQ UE

L'influence des arts dits « premiers » se révéle dès le début du XXe siècle en Europe.

Le continent africain lui, opère sa rencontre avec l'art occidental d'une manière assez différente. Les systèmes coloniaux, l'impérialisme occidental, ainsi que l'introduction du modernisme en Afrique, entrainent l'émergence d'un style artistique qui mêlera art traditionnel, artisanat et techniques artistiques occidentales. Cet art dit colonial provient selon Sidney Kasfir de son public, c'est à dire les colons occidentaux qui étaient établis en Afrique.

Des artistes d'un nouveau genre apparaissent. Ils ne sont plus liés aux cours royales ou aux divinités, mais à des mécènes et à de riches clients qui sont prêts à payer pour obtenir satisfaction après commande. L'art en Afrique ayant de tous temps été très lié au pouvoir, qu'il soit d'ordre mystique ou social, va à la rencontre du modernisme, trouver un nouveau marché qui entrainera petit à petit la sphère de l'art africain du local vers le global.

L'émergence d'un nouveau type d'artistes en Afrique durant cette époque, requiert une importante précision. En effet, il est nécessaire d'expliquer que si comme l'affirme Amselle ,

« Pour qu'il y ait art, il faut qu'il existe un « « champ artistique » » (Bourdieu 1992), un

« « monde de l'art » » (Greenberg 1961) ou un « « régime de valeur » » (Myers 2002), bref, un réseau de galeries, d'expositions, de biennales, de critiques et de magazines qui certifient, accréditent et valorisent les œuvres participant à l'espace d'interlocution que l'on nomme art au sens esthétique du terme438 ». Il est évident que ces conditions n'étaient en aucun cas réunies pour que l'on puisse parler « d'Art » sur le continent africain. Cette conception qui prend forme se fait donc à travers l'introduction de techniques mais également d'une esthétique de type occidental. Même si les œuvres gardent une certaine authenticité, un authentique exotisme, elles sont empreintes d'influences religieuses (animistes, chrétiennes ou musulmanes) ou encore de modernisme, comme l'affirme encore une fois Sidney Kasfir439. L'auteur précise que c'est ainsi que l'on a assisté à l'introduction de masques syncrétiques

« représentant Jésus aux côtés de Mami Warta, ou encore des tabourets de chef ayant la forme des tous premiers véhicules à moteur440 ». La production artistique durant la période coloniale en Afrique a été transformée par l'introduction de nouveaux outils et de nouvelles valeurs. Des objets inédits ont fait leur apparition et ont suscité l'intérêt des artistes et artisans africains. Cette période a également entrainé l'introduction de la couleur dans les usages de nombreux peuples. Bien que, comme nous lřavons évoqué, certains peuples utilisaient des pigments lors de la réalisation de leurs masques, il faut préciser que ces derniers étaient assez limités en termes de tonalité.

De nouvelles figures apparurent également ; la très célèbre statue du colon par exemple, sur les marchés africains. Cette dernière est principalement représentative des éléments de la modernité qui sont introduits en Afrique et qui sont perçus par les africains comme étant « des symboles puissants de la modernité441 » alors qu'elle représentait « une forme de parodie ou tout simplement de la naïveté442 » pour le public occidental. Selon Raoul

438AMSELLE, J.L « Retour sur « « l'invention de la tradition »", L'Homme 2008/1-2, numéros185-186, pp 187-194.

439LITTLEFIELD, KASFIR, S.Op.cit., p 64.

440Ibid.

441Ibid.

442 Ibid.

Mahé, consultant pour la maison Gaïa,

« Historiquement, la statuaire dite « colon" a été conçue dans le but de signaler le passage ou la présence des blancs dans une région. Différentes études établissent leur existence à compter de la première période de la colonisation. Les

« colons » étaient placés aux croisements des chemins, près des ponts et à l'entrée des villages pour informer la population de la présence des blancs. Dans un second temps, ces statues servirent de moyens de lutte contre la colonisation.

Elles représentaient « l'homme blanc » et on y posait des fétiches pour « chasser » ou « tuer » le colonisateur. Les « colons » de cette époque figuraient ainsi le

« Blanc » tel qu'il était perçu par les artisans africains mais à travers des canons traditionnels. Les statuettes étaient peintes avec des teintures végétales et les personnages représentés avec leurs habits spécifiques443 ».

Lřart colonial apparaît donc comme étant une des applications de lřintroduction du modernisme en Afrique. Il est comme nous lřavons affirmé issu dřune certaine vision que des mécènes avaient, de ce que devait être lřart africain. Des écoles naquirent dans certaines régions du continent et eurent pour mission de transmettre leur vision de lřart à des apprentis artistes et artisans.

4.1

L'

ART MO DE RN E E N

A

F RIQ U E

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L ES E CO LES

,

L

'

A RT P OP ULAIR E

Nous entendons par « art moderne africain » toutes les productions artistiques qui ont été créées par le biais des écoles dřart de type occidental, des centres de formations qui ont été créés par des professionnels occidentaux, des « écoles » qui en sont sorties.

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