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Authenticité versus Contemporanéité ?

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 163-167)

Ce titre emprunté à Christine Eyene462 nous pousse à réfléchir sur ce que doit représenter lřart contemporain africain, la création artistique et surtout sur la place que doit

458Art contemporain africain.

459DOMINO,C., MAGNIN, A., L’art contemporain africain, Editions Scala, 2005, p 8.

460EYENE, C., « LřAfrique dur la place internationale » Africultures numéro 48, Mai 2002, pp 15-18.

461 Ibid.

462 EYENE, C., Op.cit. 2002, pp 15-18.

occuper lřAfrique au sein du marché international de lřart a été lřobjet de multiples réflexions durant les deux dernières décennies. Des opinions, bien évidemment divergentes, ont tenté chacune, avec des arguments qui lui semblaient légitimes, dřexpliquer ce qui aujourdřhui, compte tenu de tous les éléments que nous avons évoqué, permettrait à lřAfrique de se positionner sur le marché de lřart. Autant les artistes que les critiques dřart ont en Afrique, une sorte dřobligation de se positionner par rapport à cette question à un moment ou à un autre de leur carrière professionnelle. La question est récurrente et ne semble pas prête à être élucidée. On peut par exemple citer Virginie Andriamirado pour qui, la façon dřappréhender lřart contemporain africain doit être plus globale. Elle affirme ainsi :

«Appréhender les productions artistiques issues de l’Afrique contemporaine nécessite une approche qui ne soit pas limitée aux seules œuvres présentées dans les galeries et les musées par lesquelles elles sont en quelque sorte labellisées «« présentables »» pour l’occident. Il faudrait aussi prendre en compte les expressions populaires et d’autres productions non encore « étiquetées » par les professionnels de l’art qui témoignent de la pluralité des styles et des formes d’expression et qui s’inscrivent aussi dans une démarche contemporaine et esthétique.

Face une approche linéaire de l’histoire de l’art dans l’évolution des formes et des courants qui est celle de l’histoire de l’art occidental – à laquelle tout artiste peut se référer parce qu’elle fait partie de l’histoire globale. – on peut proposer une approche d’une « « histoire culturelle de l’art» » qui envisage les productions dans les liens qu’elles entretiennent avec les évolutions sociales et culturelles du monde d’aujourd’hui. Cela peut nous aider à aborder la question des enjeux identitaires contenus dans certaines expressions artistiques sans pour autant les enfermer dans le ghetto d’une production territoriale463 ».

On constate alors que lřart en Afrique ne sřest pas encore détaché de ses frontières spatiales et même temporelles. Bien que lřartiste africain veuille de plus en plus être un

« citoyen du monde », pour des raisons qui peuvent être dřordre matériel, pratique, esthétique… lřart africain est encore et de manière assez forte étiqueté par les professionnels occidentaux. Bien que les choses semblent évoluer, des artistes restent néanmoins encerclés par cette notion dřauthenticité quřils doivent avoir selon certains professionnels. A cet effet, Nicole Guez constate quřaujourdřhui, en parlant de la différence qui pourrait exister entre art

« traditionnel » et art « contemporain » en Afrique que ce qui peut constituer la contemporanéité dřune œuvre, cřest essentiellement son caractère temporel. Elle affirme ainsi, « l’art africain ne se résume pas à l’art tel qu’il est produit dans les villes ou par les artistes de la diaspora. Il relève de tout ce qui est produit par les sociétés africaines contemporaines, qu’elles soient rurales ou urbaines, comme œuvre de création 464». La question de la contemporanéité dans lřart africain contemporain va au-delà de la simple notion de temps. Nicole Guez, en répondant à Virginie Andriamirado465 affirme que

« Beaucoup de gens dont c’est le métier de s’occuper des artistes, ne

463ANDRIAMIRADO, V., « Dřune approche globale de « lřart contemporain africain », Entretien avec Nicole Guez Africultures numéro 48, Mai 2002. p 6.

464Ibid.

465 Ibid.

montrent et ne valorisent que certaines expressions artistiques africaines qui renvoient à des expressions ou des recherches qui existent dans les cultures occidentales. Il en est ainsi, par exemple, du travail très clinique de Pume (Afrique du Sud) qui évoque celui de Jean-Pierre Reynaud, de même pour les maquettes de Body-Isek-Kingelez proches du pop art. Esther Mahlangu (Afrique du Sud) a été exposée – et ce n’est pas un hasard – avec Sol Lewitt (Etats Unis) à la Biennale de Lyon. … On construit un artiste comme on construit un chanteur ou un acteur de cinéma, en focalisant sur certains aspects de son travail au risque de l’emprisonner466 ».

Tout le débat est là et si lřon en croit les propos de Christine Eyene, tant que la valeur de lřart africain sera définie par ceux qui lřachètent, le débat sera toujours ouvert. Notons que dans la majorité des colloques la question de lřauthenticité des artistes africains refait surface et ce qui en ressort, au-delà de tout débat idéologique, cřest bien évidemment la question de la logique de marché. Comme nous lřavons déjà évoqué en ce qui concernait lřart « traditionnel africain », lřart est de manière générale assez lié à la notion de pouvoir, quřil soit économique, social ou religieux. Ainsi, les artistes africains qui veulent se positionner sur la scène internationale, ont grand intérêt à produire des œuvres qui soient en adéquation avec leur public. Lřart africain contemporain souffrirait-il du succès de lřart nègre ? Cřest ce quřaffirme lřhistorienne de lřart Maureen Murphy lorsquřelle constate que depuis les années 1920, de nombreux sujets sont comme récurrents lorsquřil sřagit de parler ou dřexposer lřart africain.

« Tradition, africanité, esthétique brute et récupération467 ». Lřauteure en veut pour preuve lřexposition Primitivism in the 20th century qui selon Maureen Murphy dut son succès à la façon dont elle sut juxtaposer des œuvres occidentales de grands maîtres tels Gauguin, Klee, Picasso avec des œuvres dont la ressemblance esthétique devait accentuer la créativité de lřart moderne occidental. Elle continue le parallèle en montrant comment lřexposition Magiciens de la terre qui était censée avoir une position plus claire en faveur des artistes non occidentaux, afficha ne serait-ce quřavec son titre, ce que Murphy définit comme étant une

« conception particulière de l’artiste : démiurge, mystérieux… les travaux choisis, tels Richard Long, Alberola ou Christian Boltanski, relevaient d’une réflexion conceptuelle critique tandis que les travaux émanaient plutôt d’une pratique populaire ou urbaine… 468 ».

Jean-Hubert Martin affirme lui-même que « Sans aller jusqu’à parler d’une religion de l’art, il n’en reste pas moins que ce terrain d’activité, cette discipline tient dans notre société la place dévolue au spirituel ou au métaphysique, à ce qui transcende le matériel ou le rationnel469 ».

Beaucoup dřartistes sont donc renvoyés à cette question de lřauthenticité de leur travail mais aussi à ces micro-univers de la « récupř », de lřart brut, naïf, etc.

Cette situation évoque la question de lřidentité de lřartiste africain que nous avons posée tantôt. Cette notion revient souvent dans la façon dont les artistes se définissent ou sont définis par les curators africains et occidentaux. Ainsi, comme l'affirme Gérard Xuriguera, critique d'art, « La problématique de l'identité culturelle, comprise comme vecteur d'un itinéraire artistique élaboré à partir d'une localisation géo-historique donnée, est depuis

466 Ibid.

467 MURPHY, M., « Lřart africain dans les grandes expositions », Africultures numéro 48, mai 2002, p 35.

468MURPHY, M., Op. Cit. p 37

469 MARTIN, J.H., « Preface » Catalogue dřexposition « Magiciens de la terre », Centre Pompidou, 1989, p 8.

longtemps au cœur de bien des débats.470 » Il ajoute cependant que malgré les nombreuses barrières qui se sont érigées dans le marché de l'art, la problématique de l'identité fait peu à peu place à la logique de l'économie. Il affirme ainsi qu'aujourd'hui, « Le marché international, en dépit de ses vertiges, est désormais davantage attentif, non pas au legs d'une culture séculaire, mais à la flamboyance d'un art africain en quête de légitimité471». Il y aurait donc une évolution des manières de voir qui permettraient à l'art contemporain africain de pouvoir figurer sur le marché international, occidental depuis maintenant une ou deux décennies. Il préconise enfin l'ouverture des artistes et de l'art en général vers la contemporanéité et affirme :

« il convient de donner aux artistes l'opportunité d'aller au devant de leur destin, c'est-à-dire les moyens matériels de » vivre des expériences à l'étranger d'établir des relations gratifiantes, d'aborder d'autres perspectives, sans modifier leurs concepts mais leurs champs d'investigations, afin d'exporter ce qu'il y a d'unique chez chacun d'entre eux. Car l'art en train de se faire, s'accommode mal de nos jours, des espaces balisés. Il aspire à l'universel dans la diversité des cultures, hors des encrages castrateurs. Ce qui importe, pour l'artiste, c'est d'exprimer des choses simples, qui n'appartiennent qu'à lui. Ce sont aussi et surtout les rapports avec ses semblables, sans distinction ethnique, le droit au rêve à la révolte et à la transgression, gages de liberté et de fraternité472 ».

La question que l'on pourrait dès lors se poser c'est, est-ce qu'être authentique c'est rejeter sa contemporanéité ou ces deux termes peuvent-ils se juxtaposer dans ce qui constitue l'essence même de ce que doit représenter l'artiste et le monde dans lequel il évolue. Est-ce qu'aujourd'hui, être contemporain, induit le fait de rejeter sa culture et donc ce qui pourrait éventuellement constituer pour l'artiste une particularité par rapport à ses congénères ?

Il est déjà difficile de pouvoir parler de l'Afrique contemporaine car, pour reprendre l'expression de Jean-Loup Amselle, nous sommes en présence d'un « continent à plusieurs vitesses ». Autant d'un point de vue spatial que temporel, le continent africain offre plusieurs visages qui brouillent sa carte situationnelle. Marie-Laure Bernadac, dans son texte

« Remarques sur « « l'aventure ambiguë » » de l'art contemporain africain », émet l'hypothèse selon laquelle, il serait peut-être temps de « mettre en pratique le système poétique de la créolisation, l'esthétique du divers d'Edouard Glissant, d'admettre le métissage, le syncrétisme, l'hybridité et de faire la différence entre le bon et le mauvais usage de ces termes 473». La question ambiguë de la place de l'artiste contemporain africain dans ce tourbillon de concepts est cependant une problématique qui ne nous permet pas de nous éloigner poursuit l'auteure, de connotations exotiques et primitives qui sont encore accolées à la représentation de l'art contemporain africain. Elle ajoute en parlant de ces deux concepts, qu'ils se retrouvent de toutes les manières dans les autres continents dans la mesure où, [citant Jean-Hubert Martin], l'exotisme est l' « alter ego de toute identité474 » et que le primitivisme

470XURIGUERA, G., « Les promesses pour l'art contemporain africain », La création artistique africaine et le marché international de l'art, Acte des « « Rencontres et échanges » » de Dak'art 96, p 72.

471XURIGUERA, G., Op.cit., p73.

472XURIGUERA, G., Op.cit., p73-74.

473BERNADAC, M.L « Remarques sur « « l'aventure ambiguë » »d e l'art contemporain africain, Texte d'introduction du catalogue de l'exposition « Africa Remix », Centre Pompidou, du 25 mai au 8 août 2005. p 12.

474Ibid.

fut de toutes les manières « une catégorie esthétique récurrente dans l'histoire de l'art475 ».

L'auteure en conclue alors que « L'identité multiple dont se réclament aujourd'hui nombre d'artistes de la diaspora à l'ère de la mondialisation est un des facteurs parmi les plus positifs et les plus enrichissants du renouveau de l'art476 ».

1.2 Yinka Shonibare : la question de l’hybridité et de l’ambigüité de

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