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Le substantif crespinete (crespinette)925 est attesté dès le XIIIe siècle pour

désigner un ouvrage de passementerie, un filet qui sert à envelopper la coiffure des dames.

Dès le début du XIIIe siècle, en effet, l'usage est d'enserrer dans une coiffe de

tissu deux nattes, montées sur la nuque. Par-dessus cette coiffe, on place une résille dont la couleur peut être différente926: c'est la crespinete. Mais celle-ci peut se poser

directement sur les cheveux:

et desus la crespine estache une mout precieuse estache. et par desus la crespinete

une courone d'or grellete… (Roman de la Rose, 20936-39)

Vers le milieu du siècle, la coiffure à crespinete est tellement répandue, que sa fabrication donne naissance à un corps de métier, celui des crépiniers de fil et de

922 Cf. Roman de la Rose, v.3416.

923 Cf. Roman de la Rose, vv.3416, 9243; ainsi que les comptes et inventaires cités dans Gay, op.cit., p.423.

924 Du latin crispus "frisé", FEW, II-2, 1348.

925 F. Godefroy (II, 367), C. Enlart (p.181) et R. Boulengier-Sedyn (p.116) considèrent crespine et

crespinete comme synonymes, se fondant sur les vers 20936-38 du Roman de la Rose, où Jean de Meun

utilise l'un comme le diminutif de l'autre. D'autres chercheurs voient dans la crespine un objet différent de la crespinete, décrivant celle-là comme une "collerette" (voir FEW, II-2, 1348; L, 2, 1033). Mais

T-L propose la même définition pour crespinete (2, 1034). Si l’on se fie à la logique de l'auteur du Roman de la Rose, qui décrit le processus de création de la coiffure, et si l'on admet que la crespine est un

accessoire différent, on peut supposer que le mot crespine désigne la coiffe en tissu, qui ressemble peut-être à celle qui recevra plus tard le nom de crespe (crêpe) attesté dès 1357 (Gay), dans laquelle les tresses sont enveloppées.

soie927. Les crespinetes en fil sont blanches, celles en soie colorées dans diverses teintes

naturelles.

A l'instar d'autres accessoires, la crespinete est très appréciée comme don: Tels dons con ci dire m'oez,

chapiaus de fleurs en esclicetes,

aumonieres ou crespinetes. (Roman de la Rose, v.7404)

Vers la fin du XIIIe siècle, la coiffure subit des modifications: les nattes, qui

sont toujours enveloppées dans la coiffe recouverte par la crespinete, ne sont plus attachées à la nuque, mais au-dessus des oreilles. Cette coiffure, dite coiffure à

cornes928, reste très en vogue jusqu'au début du XIVe siècle.

Dans la seconde moitié du XIVe, la forme de la coiffure change encore, si bien

que la résille n'a plus d'utilité. Mais on la conserve encore quelque temps comme ornement, en la chargeant de broderies, de perles et d'orfèvrerie929. Le mot crespinete

perd ensuite son acception liée à la coiffure à la disparition de l'accessoire qu'il désigne. Le Dictionnaire de Huguet ne mentionne qu'une seule acception qui n'a aucun rapport à la coiffure930.

CORNES

931

(coiffure à)

Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, comme nous l'avons remarqué, les

tresses sont ramenées vers les tempes, constituant deux masses au-dessus des oreilles. Elles peuvent ensuite être enserrées dans une coiffe, elle-même enveloppée dans une résille. La coiffure, qui affecte une forme de triangle renversé, prend le nom de coiffure

927 1260, Le Livre des Métiers, titre XXXVII (Enlart, op.cit., p.181, note 6).

928 Voir infra Coiffure à cornes.

929 Enlart, op.cit., p.196.

930 Huguet, op.cit., 2, 638: "crespinette – sorte d'herbe".

931 Du latin cornŭ (FEW, II-2, 1195). Le mot corne est attesté au XIIe siècle, et repris le siècle suivant pour désigner la coiffure qui ressemble à cette forme.

à cornes. A l’origine, mêmes si ces proéminences ne sont pas très prononcées932, elles provoquent déjà le mécontentement des prêcheurs de « bonnes manières », tel Jean de Meun dans le Roman de la Rose:

Face tant que l'en li aporte Cheveus de quelque fame morte, Ou de saie blonde borreaus, Et boute tout en ses forreaus. Seur ses oreilles port tex cornes Que cers ne bous ne unicornes, S'il se devoit touz effronter,

Ne puist ses cornes seurmonter. (v.13263-70)

Si la femme n'a pas de chevelure suffisamment épaisse ou doit se la faire couper à la suite d’une maladie933, elle utilise des postiches, en remplissant sa coiffe de cheveux « de femmes mortes », afin de donner l’illusion de l'abondance934 . Ce procédé

suscite la vive réprobation des prédicateurs. Eustache Deschamps s'exclame, en s'adressant aux dames:

Rendez l'emprunt des estranges cheveulx!935

Au XIVe siècle, les proéminences vont s'étirant et gagnent en hauteur tant que

cette coiffure « eut plus que toute autre le don d'exciter l'enthousiasme des élégantes, la bile des censeurs et le verbe des satiriques »936.

Mais déjà au XIIIe siècle, Jean de Meun se moque de cette coiffure dans la

seconde partie du Roman de la Rose:

Seur ses oreilles port tex cornes Que cers ne bous ne unicornes, S'il se devoit touz effronter,

Ne puist ses cornes seurmonter. (v.13267-70)

932 Cf. Enlart, op.cit., p.182, fig.183.

933 Voir Roman de la Rose, v.13253-62.

934 L'art du postiche est connu depuis l'Antiquité.

935 Cité dans Quicherat, op.cit., p.244.

936 R.Boullengier-Sedyn, op.cit., p.94. Voir, par exemple: l'extrait du Traité du Chevalier de la Tour

Landry (cité dans T-L, 2, 871); le Dit des Cornettes (dans Jubinal, Jongleurs et Trouvères, p.88); La Contenance des Femmes et Le Testament de Jean de Meung (ibid., pp.174 et 288).

L'auteur de La Clef d'Amours, ce manuel de l'élégance qui enseigne aux femmes la mesure et le goût, leur conseille de choisir la coiffure en fonction de leur visage:

Se tu as la fache rondete, Il te siet à estre toussete Ou avoir cornes si petites,

Que de moquers soient quites. (p.85)

A la fin du XIVe siècle, la coiffure à cornes s'orne d’un bourrelet d'étoffe

rembourré de coton ou d'étoupe. Ce bourrelet, lorsqu'il est placé sur une coiffe surélevée, en occupe le sommet et suit les sinuosités de la coiffe et des truffeaux. Il a tendance à se refermer en un ovale très allongé qui annonce l'appartition du hennin au XVe siècle.

TOURET

Touret937 (ou touret de front938) désigne une autre coiffure, très populaire au XIIIe siècle, surtout sous le règne de Saint Louis, qui n'apparaît cependant que rarement

dans les textes littéraires.

A l'origine, le touret est un voile « couvrant la tête, les épaules, quelquefois le visage, et en particulier la bordure antérieure de cet ajustement »939. Puis le touret

désigne une coiffure où les cheveux sont entassés sur la nuque, enveloppés ou non dans une résille, avec une bande de tissu qui passe sous le menton et recouvre le haut de la tête940, et par-dessus est posé un bandeau de linge de huit à dix centimètres de large,

légèrement évasé et ondulé. Quelquefois, ce bandeau est pourvu d'un fond, la coiffure

937 Issu du latin tornare.

938 Enlart, op.cit., Index; Gay, op.cit., II, p.414.

939 Gay, Glossaire, II, p.414. Cette description explique que le substantif touret réunit les deux acceptions: "touret de front" et "touret de nez", cette dernière expression n'apparaissant qu'au XVe siècle (FEW, XIII-2, 58).

940 C. Enlart lui donne le nom de couvrechef, V. Gay de barbette, tandis que Quicherat et Viollet-le-Duc appellent cette bande mentonnière.

prenant alors l’aspect d'une toque en forme de mortier941. Par-dessus le touret, on peut

jeter un couvrechief en l'épinglant. Cette coiffure apparaît au milieu du XIIIe942 siècle et

persiste jusque dans la première moitié du XIVe943.

Au XVe siècle, le touret désignera la bande d'étoffe noire ou de couleur posée

au bas du hennin ou d'une autre coiffe, retenue sur les côtés par des épingles, et qui peut rester relevée sur le front ou être rabaissée devant le visage944. Au XVIe siècle, on

n'utilise plus le mot touret que dans son acception "touret du nez"945.