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Le substantif bliaut542 désigne une tunique portée par les deux sexes, depuis

l'époque carolingienne jusqu'à la fin du XIIe siècle543.

Le bliaut est d'abord un léger tissu de soie à fils d'or544; importé d'Orient, et par

conséquent très onéreux, il est réservé aux vêtements de la noblesse. Par extension, selon un phénomène linguistique très courant au Moyen âge545, il désigne ensuite une

pièce d’habillement fabriquée dans cette étoffe.

Avant le milieu du XIIe siècle, tandis que le bliaut des femmes est talaire, aux

manches évasées, le vêtement des hommes s'arrête sous le genou, souvent fendu devant et derrière pour mieux monter à cheval, avec des manches étroites aux poignets. Il se pose sur la chemise dont on aperçoit les poignets et l'encolure brodés ou galonnés, ainsi que le bas qui dépasse légèrement. Les bliauts sont confectionnés dans un tissu léger et certains se lacent sur le côté ou sur les reins546.

542 Issu du germanique blî-alt, par l'intermédiaire de la forme blialt, le bliaut est attesté aux environs de 1130. Voir FEW, XXI, 518, I, 409. Gamillscheg propose l'étymon *blîfald de blî- "coloré, brillant" et

fald –, à rapprocher de l'anc.haut all. fald –, "action de plier, pli" (Gamil., I, 120). Pour von Wartburg,

cette étymologie ne peut pas expliquer l'anc.provençal blidal, blizal: il propose l'étymologie bli-alt.

543 FEW, XXI, 517.

544 Voir E.R. Goddard, Women's costume in french texts of eleventh ant twelfth centuries, Baltimore, John Hopkins Press, p.40-49. Elle cite des auteurs qui soutiennent la même hypothèse, dont M.Lexer qui définit blîalt comme "golddurchwürkter Seidenstoff bes von purpurbrauner Farbe" (M. Lexer,

Mittelhochdeutsches Handwörterbuch, 3 vol. Leipzig, 1872-78). En analysant les textes en haut

allemand, en anglais et en ancien français où apparaît le mot bliaut, elle démontre que celui-ci a désigné un tissu avant d'être appliqué au vêtement fait dans ce tissu, acception qui se développe au XIIe siècle quand le bliaut est fabriqué dans d'autres étoffes, telles le samit, le pourpre, le siglaton. Cf. Cote ot d'un

blanc bliaut (Berte, 593).

545 Goddard, op.cit., p.47. Autres exemples du même type: le siglaton, l’auqueton, la souscanie

(sourquanie).

546 Voir de nombreux exemples dans les romans du XIIe siècle, cités notamment par God. (I, 662) et par

Gay (I, p.160):

Vers 1140, avec l'avènement de la mode byzantine, le bliaut des hommes atteint en longueur celui des femmes547. Tous deux possèdent alors des manches ajustées de

l'épaule au coude qui s'élargissent en de grands pans retombant parfois jusqu'aux chevilles et souvent noués pour ne pas traîner sur le sol. Le bliaut des femmes, en étoffe fine et élastique, est composé de deux parties: un corset, qui moule le torse et les hanches, dont l'encolure et les poignets sont ornés de broderies, de galons, voire de pierres précieuses; et une longue jupe à petits plis nombreux, appelée gironée548, qui est

cousue au corset. Le bliaut est attaché par une très longue ceinture, de laine ou de lin, ou par une tresse de lanières de cuir, que l'on passe deux fois autour de la taille.

Le bliaut est un vêtement très élégant, réservé à la noblesse549, car à l'époque les

tissus qui servent à sa confection proviennent tous d'Orient. Il peut être fourré ou bordé de fourrure:

Cel hermin peliçon, cel bliaut engoulé. (Elie de S.Gille, 1125, A.T.) Un bliat ot ben seant

D'un bon samit furré de hermine. (Prothesiaus, Richel. 2169, f° 12d)550

Au XIIIe siècle, le bliaut passe de mode comme l'atteste sa disparition des

sceaux vers 1230551. Mais on le rencontre encore dans les textes jusqu'au début du XIVe

siècle, pour désigner un vêtement féminin très élégant qui met en valeur le corps bien fait, contrairement à la cotte, robe dont la coupe est moins élaborée:

Lor damoisele ont esvillié, Si l'on molt bien apparillié,

Par un petit ne se pasma, Oncques n'eut veues si beles, Il le retint entre ses bras, Vestues furent richement De son bliaut trença les las. Et laciées estreitement

(M.de Fr., Lai de Gugemer) De deux bliaus de purpre bis. (Id., Lai de Lanval)

547 Li blïaus traïnans jusques as piés

Que li damoiseus done as chevaliers. (Aiol, v. 3720). Cité dans T-L, 1, 1001.

548 Lundquist, op.cit., pp.15 et 16; Goddard, op.cit., p.20.

549 Ibid., p.14; Enlart, op.cit., p.33; G. Demay, Le costume au Moyen âge d'après les sceaux, Paris, Berger-Levrault, 1880 (réimp. 1978), p.91; Goddard, op.cit., p.47.

550 Les deux exemples sont cités dans God., I, 662.

D'un bliaut ynde crusilliée, A merveilles bien entaillié. ...Euriaut Très par deseure le bliaut A çaint .I. centuriel de soie552.

(Roman de la Violette, vv.812-15; 826-28),

Dans le Bel Inconnu, au début du XIIIe siècle, on relève la description d'un

bliaut très richement orné, dont est habillée la fée qui séduit le héros:

De cel drap dont li mantials fu Fu li blials qu'ele ot vestu; Molt estoit ciers et bien ovrés, D'un ermine fu tos forrés.

Plus de cinc onces d'or, sans faille, Avoit entor le kieveçaille;

Au puins en ot plus de quatre onces. Par tot avoit asis jagonsses

Et autres pieres de vertu,

Qui furent deseur l'or batu. (v.3291-3300)553

A cette époque, le bliaut évoque aussi un vêtement d'enfant ou de jeune fille554

qui est porté sans ceinture:

La fille au signor vint deschainte Acourant, quant ot la nouviele. En pur son bliaut fu la biele,

Sans guimple, .I. chapel d'or el chief.

(Roman de la Violette, v.5012-15) Au XIVe siècle, on ne le recense plus qu'une fois en tant que vêtement royal555,

tandis que la forme blizaut556 désigne un vêtement qui se rapproche de la blouse

actuelle.

552 Cité dans Gay, Glossaire, I, p.160.

553 Voir aussi Bel Inconnu, v.3968 et sq. et Lai de Désiré, v.625. Dans ces deux textes, le bliaut évoque les origines à la fois nobles et féériques des personnages féminins.

554 E. Goddard remarque que le bliaut cintré est un vêtement de jeunes femmes bien faites, les femmes plus âgées préférant le chainse ou la cotte (Goddard, op.cit., p.16).

555 En 1316, dans Godefroy de Paris, v.7078 (Gay, Glossaire, I, p.160), le roi Philippe le Bel, malade, est vêtu d'un bliaut : « Si se vesti en un bliaut, / Si voit à Fontainebliaut ». C. Enlart suppose que ce vieux mot est appliqué à la mode nouvelle (Enlart, op.cit., p.38).

556 Dans le registre des frères Bonis de Montauban (Les Livres des frères Bonis, éd. Forestié E., Paris, 1890, 2 vol., Introduction, p.LXIII) sont mentionnés deux blizauts, un pour l’homme et l'autre pour la femme.