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Attesté dès le XIe siècle946, chapel947 est un terme générique qui désigne

plusieurs types de coiffes et dont la signification est précisée par le contexte. Il est possible de répartir les nombreux accessoires qui portent au Moyen Age le nom de

chapel en plusieurs catégories: les cercles de tête, les toques et les autres types de

chapeaux, comme ceux de feutre ou de paille.

Chapel évoque donc tout d'abord cette coiffe très ancienne qui est le cercle de

tête, la couronne ou la guirlande de fleurs. En effet, la mode d'enserrer la chevelure dans une bandelette a pour origine l'Antiquité grecque et romaine et traverse tout le Moyen Age. Aux XIIe et XIIIe siècles, chapel (ou son diminutif chapelet) désigne un

cercle en métal, un ruban qui peut être de fil et de soie948 ou d'orfrois, ou encore une

couronne de fleurs ou de feuillage. Il se pose directement sur les cheveux, sur des

941 Enlart, op.cit., p.180; voir aussi la note 1 de la même page.

942 FEW, XIII-2, 58.

943 Enlart, ibid.

944 Gay, Glossaire, II, p.414.

945 Huguet, op.cit., 7, 279: touret – "sorte de masque (touret du nez)".

946 FEW, II-1, 287.

947 Dérivé du latin capellus.

coiffes d'étoffe949 ou sur d'autres types de chapel. Porté par les deux sexes, le cercle de

tête réunit deux fonctions: retenant les cheveux, un couvrechief ou une autre coiffe pour les femmes, il possède aussi une valeur ornementale. Les jeunes filles, seules autorisées à porter les cheveux dénoués, l’utilisent pour mettre en valeur leur longueur et leur beauté.

Le chapel d'orfrois, un galon brodé d'or950, est mentionné à deux reprises dans

la première partie du Roman de la Rose. Aux vers 549-552, c'est Oiseuse qui

d'orfrois ot un chapel mignot, onques nule pucele n'ot plus cointe ne plus deguisé951, ne l'avroie hui bien devisé.

Sous la plume de l'auteur, qui le comble d'épithètes flatteuses, il devient le symbole de la féminité et de l'élégance oisive, et celui de l'œuvre humaine, complémentaire de la Nature952. Plus loin, le même roman précise que le chapel

d'orfrois est fait de soie et qu'il maintient les cheveux galonnés d'un fil d'or953.

Les chapels de fleurs ou de feuillage sont les plus fréquents dans la littérature romanesque. Portée par les peuples antiques pendant les fêtes et les réjouissances, la couronne de fleurs garde au Moyen Age la même fonction et son port connaît une apogée entre le début du XIIIe et la seconde moitié du XVe siècle954. Arborer un chapel

de fleurs955 est un signe de joie, de fête ou d'honneur956. La fabrication de cette coiffure

949 Enlart, ibid.

950 God., V, 631; Enlart, ibid.

951 Le participe passé adjectivé desguisé signifie "chargé d'ornements, bigarré", mais aussi "hors du commun, extraordinaire".

952 Oiseuse porte un chapel de roses par-dessus celui d'orfrois (v.553-554).

953 Vers 854-858.

954 Cf. A. Planche, « La parure du chef: les chapeaux de fleurs », Razo, n°7, 1987, p.133.

955 On retrouve l'expression chapel de fleurs, sans autre précision, dans: Roman de la Rose, vv.2149, 7405, 8911, 20979; Cleomadés, v.3429-30.

956 Un chapel de fleurs, notamment de roses, est parfois donné au seigneur à titre de redevance ou offert « à un personnage noble, lorsqu'il entrait dans une ville ou présidait une assemblée » (Viollet-le-Duc,

occupe tout un corps de métier957 qui la réalise en entrelaçant des tiges de fleurs ou en

les fixant sur un support de jonc958 à l'aide d'un ruban. Les chapels de fleurs peuvent

être placés sur des cheveux épars ou galonnés, se superposer à une autre coiffe ou être posés sur un heaume959:

Venoit armés molt gent et biel. De roses avoit un capel

En son elme, qui biaus estoit. (Bel Inconnu, v.1717-19)

La qualité la plus appréciée de ces couronnes est leur fraîcheur, synonyme du printemps et de la jeunesse:

et li porte fleurs nouveletes don ces jolives puceletes font en printens leur chapelez, et pelotes et oiselez,

et diverses choses noveles delitables a damoiseles;

et chapelez de fleurs li fet. (Roman de la Rose, v.20973-79)960 Le don d'un chapel de fleurs, plus que tout autre cadeau, est un signe d'attention, d'affection envers son (sa) bien-aimé(e):

En temps jolis et nouvelet Pues envoier un capelet Cen provera queque nul die

Quen bien te menbre de tamie. (Clef d'Amours, p.56)961

957 Cf. Gay, I, p.325: « Tit.90. Quiconques veut estre chapeliers de fleurs à Paris, estre le puet franchement. Nus chapeliers de fleurs ne doit ne ne puet cueillir ne faire cueillir au jour de diemenche en ses courtiuz nules herbes, nules fleurs à chapiaus fère ne à mengier » (Rég. d'Etienne Boileau). Ce métier a été établi pour « servir les gentilshommes » (E. Boileau, Le Livre des Métiers, titre XC, cité dans Enlart, op.cit., p.140; Gay, op.cit., I, p.325). Le chapel de fleurs est donc réservé à la noblesse.

958 Au vers 7405 du Roman de la Rose, il est fait mention de chapiaus de fleurs en esclicetes. R. Boulengier-Sedyn interprète le substantif esclicetes comme un "entrelacs de jonc" et l'éditeur du texte comme une "petite éclisse, forme sur laquelle étaient montées les fleurs d'un chapel" (t.III, Glossaire). A. Planche pense que les "chapeaux en esclissettes" sont faits « d'un assemblage de petits éclats de bois (les éclisses) à l'extrémité desquels les fleurs sont fixées » (op.cit., p.134). Le roman Cléomadés semble confirmer la première hypothèse, car il cite les esclices et les lïures parmi les éléments d'un chapel qui servent à attacher les fleurs:

des fleurs de li lor chapiaus font, les esclices sont de pitié,

et les lïures d'amistié (v.2734-36).

Plus loin, le roman mentionne la soie comme matériau servant à liier le chapel (v.3433-34).

959 Cf. Boulengier-Sedyn, op.cit., p.49-50.

960 Voir aussi Bel Inconnu, v.1717-19, cités ci-dessus, et Roman de la Rose, v.8909-11: ne por leur luisanz superfices,

dom el resemblent ardefices, ne por chapiaus de fleurs noveles.

La fleur qui est de loin privilégiée pour confectionner ces chapels, est la rose. Chargée d'une très forte symbolique, elle est un signe d'amour, de passion et de joie amoureuse962. Dans le Roman de la Rose, où la reine des fleurs est le personnage

central, la couronne de roses est portée par Amour en personne: Il ot el chief un chapelet

de roses; mes rosignolet, qui entor son chief voletoient,

les fueilles jus en abatoient… (v.894-897)

Opposée dans les romans à d'autres fleurs, moins signifiantes et plus discrètes963, la rose du chapel offerte en cadeau n'est pas seulement un signe

d'affection, mais également celui de l’engagement amoureux; offrir un chapel de roses à son bien-aimé signifie le couronner de son amour:

Par druerie et par solaz li ot s'amie fet chapel

de roses, qui mout li sist bel. (Roman de la Rose, v.826-828)964 La rose est aussi appréciée pour son parfum envoûtant, qui augmente sa force séductrice et auquel les textes médiévaux paraissent très sensibles965.

Parmi les autres fleurs qui ornent les couronnes, figurent le glaïeul, la pervenche, la violette, le lys, mais beaucoup ne sont pas nommées. Certaines possèdent

961 Dans le Roman de la Rose (v.2149-50), Amour, « partisan d'une générosité mesurée » (A. Planche, p.136), conseille aux amants d'échanger d'un

Chapel de flor, qui petit coste,

ou de rouses a Pentecoste,

la Pentecôte étant une période où la floraison des roses est abondante. Cf. aussi le proverbe cité par J. Morawski: "A Pentecôte roses sont, à la Saint-Jean s'en vont" (op.cit., N°47).

962 Cf. Bel Inconnu, v.2253-54; Roman de la Rose, vv. 553-554, 826-828, 2149-50; Escanor, v.632-633;

Meliador, v.20573-74.

963 Cf. Roman de la Violette, v.708-710; Roman de la Rose, vv.2149-50, 21742-43.

964 Voir aussi Lancelot en prose, LXXI, 45.

965 Cf. Escanor, v.630-633:

La pucele tint en sa main Un mireoir ou se miroit Et un chapel qu'ele flairoit

De roses qu'ele ot fait adonques.

Cette force séductrice est aussi révélée dans des scènes comme dans Perceforest, où trois jeunes filles prennent un bain, des couronnes de roses sur la tête (Perceforest, IIIe partie, t.2, XLVI, 893).

leur symbolique propre, que ce soit par la plante (chapel d'ortie966), l'homophonie

(chapel de soussie967) ou la couleur (chapel vert968).

Quelquefois, dans les romans, la nature du chapel n'est pas précisée, mais de par sa fonction il est facile de deviner qu’il s’agit d’un chapel de fleurs, comme le don de Vieille à Bel Accueil969, ou le chapel porté par les chevaliers pendant la fête dans le

Roman du comte d'Anjou, la mode des couronnes de fleurs ne faisant que s'amplifier au

XIVe siècle970:

Cez chevaliers vont par la feste;

chascun ot chapel en sa teste (v.2857-58)

Mais les fleurs étant éphémères, on les remplace parfois par des répliques en soie ou en or, ce qui provoque l'indignation de certains auteurs, tel Jean de Meun qui considère ces fleurs artificielles comme une offense à Dieu971.

Les couronnes de fleurs tombent en désuétude au XVIe siècle, leur usage

adoptant une signification particulière: elles deviennent un attribut de la Vierge, de la mariée et du roi972. Le chapel de roses posé sur la tête d’une jeune fille par ses parents

le jour de ses noces, signale son exclusion de la succession973. Néanmoins, le chapel

(et le chapelet) de fleurs devient surtout à cette époque un insigne de dignité et de solennité.

966 Roman de la Rose, v. 20738-39.

967 Roman de la Rose, v.21739-43. Dans la Louange des Dames de Guillaume de Machaut, l'amoureux dolent porte un chapel de soucie, "fleuri de pleur et boutonné d'ennui" (Ed.Nigel Wilkins, Edimburg, 1972, p.51).

968 Roman de la Rose, v.8499; Escanor, v.8102; Meliador, v.8271-72. Comme la plupart des couleurs populaires au Moyen Age, le vert est ambivalent: il symbolise la beauté, la jeunesse et la vigueur, mais aussi le désordre, la folie, l'amour intime et l'avarice (cf. M. Pastoureau, Figures et couleurs…, op.cit., p. 39).

969 Roman de la Rose, vv.12600-02, 12697-12704.

970 A. Planche, op.cit., p.139.

971 Roman de la Rose, v.9009-17.

972 Cf. Lundquist, op.cit., p.106.

Les chapels d'or, ou cercles d’or, sont également présents dans les romans974.

Au XIIIe siècle, ils sont garnis de pierreries et de perles et sont souvent articulés. On en

porte davantage encore au XIVe siècle. Les comptes et inventaires décrivent

précisément certains chapels d'or de l'époque975 qui imitent souvent les fleurs mais qui

proposent aussi d'autres motifs, tels les oiselets émaillés et les écussons976:

ces cercles d'or bien entailliez,

precieusement esmailliez. (Roman de la Rose, v.9245-46)977 Parmi les pièces les plus remarquables portées dès le XIIe siècle978, on peut citer

le chapel de paon. Le Livre des Métiers d’Etienne Boileau indique que les plumes de paon sont fixées sur une armature d'étain doré979 qui est posée sur un chapeau de soie

ou de feutre. Porté par les hommes aussi bien que par les femmes, mais réservé à la noblesse ou aux gens d'Eglise, ce chapeau est un signe de haut rang980. Dans les

romans, il est décrit multicolore, bigarré et criant mais, considéré comme élégant, il sert de reconnaissance aux personnages nobles:

974 Jehan et Blonde, v.4726-27 (capelés de fin or); Roman de la Rose, vv.1085, 9245 (cercle d'or);

Perceforest, IIIe partie, t.1, XXI, 353-354 (chapel d'or); Ysaïe, § 87 (capelet d'or).

975 Cf. Gay, Glossaire, I, p.325: 1301 – « Un chapel d'or à rubis et à esmeraudes, fait en plance, de 16 pièches dont l'une est demeurée » (Inventaire des joyaux de Blanche de Perthes).

976 Gay, ibid.: 1302 – « Un chapel à oiselès esmaillé, vaut 40 l ». – « Un chapel seur soie à 3 pelles grosses semés d'escuchons, 40 l. » (Inventaire de Raoul de Clermont).

977 Cf. aussi la longue et riche description du chapel d'or appartenant à Richesse, aux vers 1084-1105 du

Roman de la Rose:

Rubiz i ot, saphirs, jagonces, esmeraudes plus de deux onces; mes devant ot el cercle asise

une escharbocle par mestrise. (v.1094-97)

978 FEW (II-1, 287) date l'apparition de ce chapeau du XIIIe siècle, mais R.Boulengier-Sedyn pense que dans le Roman de Troie (c.1165), l'auteur décrit déjà un chapel de paon:

En lor chiés orent dous chapeaus Faiz de la plume d'uns oiseaus Qui conversent, ço dit l'Autor, En Inde la Superior.

Soëf velent, ços sai retraire, E si n'est color que n'i paire:

Ceus portent por le chaut d'esté. (v.6227-33)

979 Gay, Glossaire, I, p.327: «… Se chapelliers de paon met seur chapeau de paon estain doré li quex estains n'est pas seurargentés avant qu'il ne soit dorés, l'uevre est fause ». Une illustration du Glossaire représente cette coiffe à larges bords, garnie d'une couronne de plumes de paon posées verticalement.

980 Gay, Glossaire, I, p.327: « Quiconques veut estre chapeliers de paon à Paris estre le puet franchement… Leur mestier n'apartient fors que as esglises, aus chevaliers et aus haus homes » (Reg.