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Chapitre III Vers le sens

III. 2 « L’éveil des cœurs »

III.3 Le corps cage

La vision du corps encombrant l’âme dans son élan vers la spiritualité est une

permanence de la pensée soufie. Ghazâlî écrivait :

Je suis un oiseau : ce corps était ma cage,

Mais je me suis envolé, le laissant comme un signe.

2

Nous retrouvons également cette image de l’oiseau et de la cage dans des vers de Rûmî :

Très fort tu as agité tes ailes et tes plumes et, brisant ta

cage,

Tu as pris ton envol et tu es parti vers le monde de l’Âme.

3

L’image de l’oiseau entraîne dans sa structure profonde celle de la cage qui

l’empêche de déployer ses ailes. De même, toute tentative de définition de la liberté

passe nécessairement par la captivité et l’enfermement. Le dépassement des contraintes

corporelles devient pour le fils de Rûmî, Sultân Walad, l’équivalent d’une seconde

naissance :

L’être humain doit naître deux fois : une fois de la mère, une autre fois de son propre corps et

de son propre existence. Le corps est comme un œuf ; l’essence de l’homme doit devenir dans

cet œuf un oiseau, grâce à la chaleur de l’amour : alors il échappera à son corps et s’envolera

dans le monde éternel de l’âme, au-delà de l’espace.

4

Il est à remarquer que le symbolisme de l’oiseau, de la cage, de l’âme

prisonnière dans le corps représente une invariable dans la pensée soufie. Tous les

1 Tahar Ben Jelloun, Cette aveuglante absence de lumière, Paris, Seuil, 2001, p. 164.

2 Cite par Martin Lings, in Qu’est-ce que le soufisme, Paris, Seuil, 1977, p. 11.

3

Cité par Éva de Vitray-Meyerovitch, Rûmî et le soufisme, Paris, Editions du Seuil, coll. « Sagesse », 2005, p. 24.

4

renvois symboliques que nous avons soulignés dans les vers cités se trouvent éclairés

par les explications de Martin Lings :

[…] le soufisme est une voie et un moyen de prendre racine, à travers la « porte étroite » qui

est dans la profondeur de l’âme, dans l’Esprit pur qui débouche lui-même dans la Divinité. Le

soufi accompli est donc conscient d’être, comme les autres hommes, prisonnier du monde des

formes, mais, à leur différence, il a aussi conscience d’être libre, d’une liberté qui l’emporte

incomparablement sur sa captivité.

1

Cette conception de la captivité, du corps qui enferme comme une cage, se

retrouve dans les récits de Tahar Ben Jelloun, par la lucidité des personnages qui

essaient de dépasser leur condition d’esclave de la matérialité. Ainsi Zahra a-t-elle

l’intuition d’une liberté impérative, en se demandant : « Comment ne pas croire que la

Nuit du Destin est une nuit terrible pour les uns, libératrice pour les autres ? Les vivants

et les morts se rencontrent en cette étape où les bruits des uns couvrent les prières des

autres ».

2

Libérée, au moment où son père rend l’âme, de l’entrave d’une fausse identité,

Zahra signe un acte officiel de délivrance par l’enterrement des seuls objets qui lui

restaient comme signe de sa vie inauthentique. Arrivée au tombeau de son père, elle y

enterra tout ce qui constituait la preuve de sa vie antérieure, les objets qui avaient

emmuré sa liberté. Ces objets ne sont pas nombreux, ils sont, en définitive, de petits

riens qui ne seraient pas capables d’étouffer la liberté de mouvement. Mais le procédé

d’énumération et les points de suspension dans le fragment suivant, montrent, au

contraire, leur immense accablement :

Je vidai très vite le sac qui contenait presque tout ce que je possédais, une chemise d’homme,

un pantalon, un extrait d’acte de naissance, une photo de la cérémonie de mariage avec la

malheureuse Fatima, les médicaments de mon père que je lui faisais prendre de force, des

chaussettes, des chaussures, un trousseau de clés, un ceinturon, une boîte de tabac à priser,

un paquet de lettres, un livre de registres, une bague, un mouchoir, une montre cassée, une

ampoule, une bougie à moitié entamée…

3

Zahra accomplit un geste symbolique qui équivaut à un premier pas sur le

chemin de sa délivrance ; c’est le renoncement à la matérialité de son corps-prison.

Mais, avoir quitté les derniers points d’accroche au monde de la captivité ne se traduit

pas nécessairement par une liberté définitivement conquise. L’image du corps cage,

1 Martin Lings, Qu’est-ce que le soufisme, Paris, Seuil, 1977, p. 13.

2

Tahar Ben Jelloun, La Nuit sacrée, Paris, Éditions du Seuil, 1987, p.33.

prisonnier dans son revêtement, poursuit les jours et les nuits de Zahra par des

cauchemars d’enfermement : « Enfermée dans une cage de verre, une main me faisait

descendre jusqu’au fond et me remontait à sa guise. J’étouffais, mais mes cris ne

sortaient pas de la cage ».

1

La conscience d’être prisonnière du monde des formes alterne avec des moments

où le sentiment de liberté s’empare de son existence, diurne ou bien nocturne, comme le

prouve un autre rêve fait par Zahra : « Cette nuit, dès que j’ai fermé l’œil, j’ai retrouvé

le lac d’eau lourde. Il n’y avait plus de cage. J’y plongeais de moi-même et remontais

sans difficulté ».

2

L’évolution de Zahra et les événements auxquels elle se confronte mettent en

relief une métamorphose de l’enfermement : la possibilité d’exercer la liberté à

l’intérieur même du cloisonnement. C’est dans cette réhabilitation de l’emmurement

que le personnage de La Nuit sacrée rejoint la dialectique soufie, qui se configure entre

la conscience de la captivité et de la liberté. Le geste d’enterrer les objets qui lui

rappelaient sa vie d’homme et qui avait marqué le début de sa liberté, n’avait pas suffi

pour atteindre à l’oubli du passé, la vraie libération. Par contre, la prison réelle,

matérielle, celle des quatre murs, aide Zahra à se détacher de son passé : « Avec

l’enfermement il s’était produit un phénomène curieux : mon passé d’homme déguisé

ne m’obsédait plus ; il était tombé dans l’oubli ».

3

Les fluctuations de la conscience de

la liberté et de la captivité poursuivent inlassablement Zahra, prise sans relâche entre la

cage et l’envol, jusqu’à la compréhension des dimensions réelles de l’emprisonnement :

« Mon histoire était ma prison ; et le fait de me trouver enfermée dans une cellule grise

pour avoir tué un homme était secondaire. Partout où j’allais, je transportais ma prison

comme une carapace sur le dos ».

4

La vision de la délivrance est retardée pour un beau

jour, un jour qui s’annonce à Zahra par le biais d’une voix inconnue qui lui apporte,

encore une fois, l’image de l’oiseau libérateur, né de la lumière du soleil:

Un jour, pas une nuit, les nuits sont de l’autre côté, un jour tu enfanteras un oiseau de proie, il

se mettra sur ton épaule et t’indiquera le chemin. Un jour, le soleil descendra un peu plus vers

toi. Tu n’auras aucun recours pour lui échapper. Il laissera ton corps intact mais brûlera tout ce

qu’il contient. Un jour, la montagne s’ouvrira ; elle t’emportera. Si tu es homme, elle te gardera ;

1 Tahar Ben Jelloun, La Nuit sacrée, Paris, Éditions du Seuil, 1987, p. 121.

2 Id., p. 127.

3 Id., p. 151.

si tu es femme, elle t’offrira une parure d’étoiles et t’enverra au pays de l’amour infini… Un

jour…Un jour…

1

La liberté infinie ne gît qu’à l’intérieur de nous-mêmes ; elle est un centre vers

lequel l’être entier s’efforce de se diriger, dans un mouvement double, de descente et

d’élan vers les hauteurs, suggérées dans le fragment y cité par les cimes des montagnes

et par le transport céleste. Nous retrouvons ces images de l’oiseau et de l’enlèvement

céleste, toujours au crépuscule de la nuit, dans des vers de Rûmî :

Au matin, une lune apparut dans le ciel,

Elle descendit du ciel et jeta sur moi un regard.

Comme un faucon qui saisit un oiseau lors de la chasse,

Cette lune me ravit et m’emporta en haut des cieux.

Quand je me regardai moi-même, je ne me vis plus,

Car dans cette lune mon corps par grâce était devenu

pareil à l’âme.

2

Dans L’Enfant de sable, Ahmed se retrouve dans un enfermement pareil. Il

avoue au correspondant anonyme son sentiment d’être pris dans le piège du monde des

formes : « Comment se parle-t-on dans une cage de verre vide et isolée ? À voix basse,

à voix intérieure, tellement basse, tellement profonde, qu’elle se fait l’écho d’une

pensée pas encore formulée ».

3

D’ailleurs, le récit entier est un combat contre l’angoisse

corporelle du personnage enfermé dans les formes masculines de son identité féminine.

Dans Cette aveuglante absence de lumière, apprenant à découvrir peu à peu la

voie spirituelle, le narrateur, prisonnier du bagne Tazmamart, connaît la même

expérience de l’évasion du corps cage. Ses prières ardentes mentionnent le besoin de

quitter son corps qui emprisonne plus que les murs du bagne : « Aide-moi à renoncer à

cet attachement qui m’encombre, à sortir en douceur de ce corps qui ne ressemble plus à

un corps, mais à un paquet d’os mal formés ; […] »

4

, dit-il lors d’une prière. Grâce à la

méditation et à la concentration moyennées par la solitude, il arrive à s’en détacher et à

apprendre la lévitation :

1 Tahar Ben Jelloun, La Nuit sacrée, Paris, Éditions du Seuil, 1987, p. 183.

2 Cité par Éva de Vitray-Meyerovitch, Rûmî et le soufisme, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Sagesse », 2005, p. 46.

3 Tahar Ben Jelloun, L’Enfant de sable, Paris, Seuil, 1985, p. 95.

4

À cette étape sur le chemin de la spiritualité, j’étais entré tout naturellement dans « le pavillon

de la solitude limpide », celui où il ne servait à rien de se lamenter, mais où chaque pierre,

chaque moment de silence était un miroir où l’âme apparaissait, tantôt légère et confiante,

tantôt grave et meurtrie. Ce pavillon était ma conquête, mon secret absolu, un jardin mystérieux

où je m’échappais. Je quittais ma cellule et je partais sur la pointe des pieds. Je laissais la

carcasse de mon corps, et je m’envolais vers les terrasses ensoleillées de cette grande maison

[ …]

1

L’entreprise n’est pas facile et quelque grand que soit le désir de se détacher du

corps pour rejoindre le jardin paisible de ses rêves, le corps et ses contraintes pèsent

lourd et empêchent le plus souvent la délivrance. L’histoire de Zahra, comme son corps,

était une prison. Le personnage de Cette aveuglante absence de lumière est, lui-même,

deux fois emprisonné ; son corps s’avère être une prison, encore plus difficile à

transgresser que les murs du bâtiment où il a été jeté :

Je devais me séparer de ma coquille, prendre le temps de me libérer, passer à un autre monde.

Cela n’était pas aisé. Il fallait des conditions exceptionnelles pour réussir à se concentrer, le

silence ne suffisait pas. Je n’atteignis jamais une plénitude totale, car je n’arrivais pas toujours

à oublier la douleur […]

2

S’il y a un moyen d’apaiser et de dépasser les douleurs qui semblent s’enraciner dans le

sol de la cellule, celui-ci ne se trouve pas dans le souvenir du calme de la vie antérieure,

mais, toujours, dans la force thérapeutique de la prière.

Grâce à la prière, j’étais en train d’accéder au meilleur de moi-même avec la modestie de celui

qui se détache petit à petit de son corps, s’en éloignant pour ne pas être l’esclave de ses

souffrances, de ses appétits et de ses délires.

3

Le fragment y visé offre plusieurs facettes de cette réalité de la prière, telle

qu’elle est également conçue et exigée par le soufisme : d’une part, elle est l’issue

possible du monde physique de la souffrance ; d’autre part, elle est la clé d’accès vers

l’intériorité, vers la profondeur de l’être. En outre, elle facilite la voie vers le

renoncement complet aux amarres qui attachent l’âme à la matérialité du monde des

objets et en même temps vers la découverte d’une altérité insoupçonnée. Le narrateur

avoue explicitement la dette qu’il a envers l’enseignement soufique dans cet exploit

solitaire pour atteindre l’apaisement de l’âme : « J’arrivais, grâce aux prières et à la

récitation de poèmes soufis, à atténuer l’intensité de la douleur et même, parfois, à

1 Tahar Ben Jelloun, Cette aveuglante absence de lumière, Paris, Seuil, 2001, p. 135.

2 Id., pp. 136-137.

m’extraire de ce corps tout meurtri, déformé mais résistant ».

1

Grâce à la prière, il arrive

à « un état de renoncement et de dépouillement intérieur »

2

, il devient un autre, il est

« confronté à un autre moi, libéré de toutes les entraves de la vie superficielle, n’ayant

aucun besoin, ne réclamant aucune indulgence ».

3

Devenir un autre rejoint la notion

coranique du mystère ; c’est croire à une autre dimension des choses. La connaissance

de soi passe invariablement par la connaissance du je qui est un autre, pour reprendre la

découverte rimbaldienne.

La victoire sur les ténèbres et la souffrance physique se traduit par la conquête

d’une simplicité sereine, requise pour accomplir l’acheminement vers Dieu : « Surtout

ne rien posséder, ne rien acquérir, être léger, avec une simple djellaba pour couvrir le

corps, être dispos, prêt à tout laisser et s’en aller ».

4

Le détachement du personnage est

complet, allant jusqu’à l’indifférence totale, à l’annihilation de tout désir qui aurait pu

l’ancrer dans le monde des vivants. Grâce à la prière, il arrive à un état de parfaite

immatérialité :

Je connus à cet instant un moment de grande paix. Plus rien ne pouvait m’arriver. Sortir.

Rester. Survivre. Mourir. Cela m’était égal. Tant que j’avais la force de prier et d’être en

communion avec l’Être supérieur, j’étais sauvé. J’étais enfin arrivé au seuil de l’éternité, là où la

haine des hommes, leur mesquinerie et leurs bassesses n’avaient jamais accès. J’étais ainsi

parvenu, ou je croyais l’être, à une solitude sublime, celle qui m’élevait au-dessus des ténèbres

et m’éloignait de ceux qui s’acharnaient sur des êtres sans défense.

5

La dépossession de tout ancrage dans le monde des formes et des objets est une

des caractéristiques essentielles du soufisme, tel qu’il est défini par Abu’l-Hasan Nûrî :

« le soufi est celui qui n’a rien en sa possession et qui n’est lui-même possédé par

rien », ou bien encore : « Le soufisme est le renoncement à tous les plaisirs égoïstes ».

6

Le renoncement atteint sa forme essentielle, en ce sens de l’annihilation entière du

plaisir, qui conduit à la possibilité d’une contemplation véritable. La sincérité des

intentions, la pauvreté et l’humilité au plan matériel, la noblesse de vue, quant au

spirituel, ce sont des vertus essentielles de l’attitude soufie.

Dans le cas du personnage de Cette aveuglante absence de lumière, le

renoncement est complet ; il n’est pas provoqué par son état d’emprisonnement,

1 Tahar Ben Jelloun, Cette aveuglante absence de lumière, Paris, Seuil, 2001, p. 204

2 Ibid.

3 Ibid.

4 Id., p. 136.

5 Id., p. 226.

puisqu’à son retour, après avoir retrouvé le monde des objets familiers et rassurants, il

continue à se sentir détaché, éloigné de tout ce qui l’entoure. En effet, les gens qui

l’entourent après sa libération, « ne pouvaient pas comprendre combien j’étais ailleurs,

accroché à mes prières, exilé dans mon univers de spiritualité, de foi et de

renoncement »

1

, affirme-t-il.

L’euphorie du renoncement est ressentie également dans La Prière de l’absent.

Le voyage vers le Sud est une étape de l’initiation des personnages sur la voie de la

dépossession ; Sindibad constate avec soulagement leur manque d’attachement au

monde matériel :

Tu ne trouves pas que nous traversons le pays et le temps avec l’élégance du renoncement ?

Bientôt plus rien ne nous retiendra. Nous sommes déjà sans attaches, libres de tout. La

violence qui nous environne et qui s’abat sur les êtres dépossédés ne saura nous détourner de

notre marche. De quoi pourra-t-on nous dépouiller ? Nous ne possédons rien.

2

La conscience de cette liberté conquise par le dépouillement progressif

n’empêche pourtant pas Sindibad de ressentir son corps comme un fardeau dont il

commence à faire l’apprentissage de l’évasion. C’est par la fuite du corps qu’il atteint

l’état de grâce et de béatitude :

Il savourait les vertus du vide. Il se sentait si léger, si libre et totalement détaché qu’il eut peur

de ne plus exister du tout, peur de se dissoudre dans l’air, de devenir cet être de sable, ballotté

par les vents et retenus par les touffes d’herbe sauvage sur les dunes. Être de sable et non de

cristal, pour pouvoir s’effriter, se perdre dans le néant et se relever avec la première lueur de

l’aube. Être impalpable, débarrassé de tout ce qui encombrait sa vie antérieure […]

3

La destinée de Zina, protagoniste de La Nuit de l’erreur, est marquée par la

même voie de renoncement et de dépouillement des avatars de la vie terrestre. Dans le

talisman offert par le maître Abdessalam elle peut déchiffrer la vision des malheurs de

sa vie, soumise à la malédiction due à sa naissance, mais elle y retrouve, également, la

promesse de la sérénité finale :

Il ne te restera qu’une voie, celle de l’amour de Dieu, celle du renoncement, de l’absence

volontaire et du grand Silence. Seule cette voix te mènera vers la paix, celle du sommeil

éternel, celle de l’oubli.

4

.

1 Tahar Ben Jelloun, Cette aveuglante absence de lumière, Paris, Seuil, coll. « Points », 2001, p. 246.

2 Tahar Ben Jelloun, La Prière de l’absent, Paris, Éditions du Seuil, 1981, p. 195.

3 Id., pp. 12-13.

4

Le silence devient un miroir dans lequel l’âme se reflète. Il est important de

rappeler le symbolisme du miroir pour le soufisme. L’homme est le reflet de Dieu.

L’homme et le monde ne sont que des miroirs qui reflètent la lumière divine. L’univers

entier y est comparé à un ensemble de miroirs dans lesquels l’Essence infinie se

contemple et qui reflète l’image de l’Être unique. Lorsque l’âme apparaît dans un

miroir, l’une des voiles qui cache l’image de Dieu tombe et laisse apercevoir la lumière

divine. Henri Corbin apprécie que cette épreuve du voile soit le sens de la Création et

tout humain est censé à dépasser cette épreuve :

Pour cela, il faut que le mystique découvre sa connaissance de soi comme étant le propre

regard dont Dieu se contemple, comme étant même le témoin par lequel Il s’atteste

soi-même.

1

L’apprentissage du renoncement au monde des formes, des biens et des

apparences est une forme d’apprendre à mourir avant la mort physique. L’idée de la vie

en tant que fausse mort qui prépare à la vraie mort appartient aux soufis. Martin Lings

rappelle ce propos du Prophète : « Mourez avant de mourir »

2

, une formule qui

individualise le mysticisme soufique, dans le sens qu’il témoigne d’une sensibilité

particulière à l’approche de l’heure finale. Zahra semble s’être imprégnée de cet

apprentissage de la mort avant la mort physique. En prison, après avoir commis le

meurtre de son oncle, elle devient un apprenti de la mort lente, celle qui prend le visage

de l’absence et du manque de la lumière : « Ma cellule était étroite et j’en étais ravie. Je

vous disais qu’elle préfigurait la tombe ; je considérais ce séjour comme faisant partie