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Contexte du projet MERMAID : Etude de la Qualité de l'Air Intérieur

Le projet MERMAID s’inscrit dans un contexte large de caractérisation et de compréhension de la Qualité de l’Air Intérieur (QAI). Les travaux portant sur la QAI se sont développés et même intensifiés ces 10 dernières années en utilisant le plus souvent soit une approche expérimentale sur le terrain, soit avec une analyse de processus en laboratoire, soit avec des techniques de modélisation de la QAI, mais très rarement avec une approche couplée. De plus, le développement des bâtiments énergétiquement performants ajoute des questionnements nouveaux concernant la QAI, qu’il est également important de considérer.

1.1. Etat de l'art sur les mesures de la Qualité de l'Air Intérieur

De nombreuses études ont porté sur l’identification et la quantification des polluants dans les bâtiments de type logements, écoles et bureaux, la plupart du temps via des mesures moyennées au moyen de préleveurs passifs. La plupart mettent en évidence dans ces différents types d’environnements une grande diversité de Composés Organiques Volatils (COV), présents parfois en quantité élevée.

Dans les logements, les campagnes nationales menées par l’OQAI [1] ont mis en évidence la présence prépondérante de polluants de type aldéhydes (acétaldéhyde, formaldéhyde, hexaldéhyde, etc.), aromatiques (benzène, éthylbenzène, etc.), mais aussi dans une moindre mesure de composés type éthers de glycols (2-butoxyéthanol, 1-méthoxy-2-propanol) ou composés chlorés (trichloroéthylène), ceci ayant été confirmé par une grande campagne de mesure (AIRMEX) dans des grandes villes européennes [2], à la fois dans les logements, les bureaux, les écoles et les crèches.

La qualité de l’air dans les bâtiments publics et en particulier dans les écoles est un sujet de préoccupation croissant. Les enfants y passent une grande partie de leur temps [3] et ils représentent une population sensible aux polluants [4] dont les effets, comme l’asthme, sont reconnus [5]. Des campagnes de mesures ont été réalisées en France [6] et dans d’autres pays afin de caractériser à la fois les niveaux de pollution présents dans les écoles ou les crèches, comme à Hong Kong [7], aux USA [8], en Australie [9], en Turquie [10], au Portugal [11, 12], en Belgique [13], et aux Pays-Bas [14], mais également les risques qui y sont associés [15, 16]. Ces campagnes ont mis en évidence la présence de nombreux COV à des niveaux jusqu'à plus de dix fois supérieurs aux niveaux extérieurs. Parmi ceux-ci, on note en particulier le formaldéhyde, à des concentrations la plupart du temps en-dessous du seuil recommandé par l’OMS (100 µg/m3) mais avec une large gamme de concentration, allant jusqu’à 500 µg/m3.

En France, le décret du 2 décembre 2011 prévu par la loi Grenelle 2 avait pour objectif de rendre obligatoire la surveillance de la qualité de l'air intérieur dans les établissements recevant du public (ERP), en imposant un contrôle périodique des niveaux de concentration de 3 substances jugées prioritaires, et en définissant des valeurs guides et des valeurs limites d’intervention rapide [17]: le formaldéhyde (<30/100 µg/m3) et le benzène (<5/10 µg/m3), tous deux classés substances cancérigènes pour l’homme, et le dioxyde de carbone, représentatif du niveau de confinement (indice ICONE<4/5) [18], indicateur d’une accumulation de polluants dans les locaux.

Ce décret prévoyait la mise en place des mesures dans les établissements recevant le public le plus sensible (crèches et écoles maternelles), avant le 1er janvier 2015, mais les modalités de la surveillance réglementaire ont été simplifiées avec une mise en application au 1er janvier 2018 (décret 2015-1000). Les résultats de la campagne pilote nationale (2009-2011; 310 établissements) ont montré que 89 % d’entre eux ont une concentration moyenne annuelle en formaldéhyde inférieure à la valeur règlementaire, 99 % en ce qui concerne le benzène (en référence à la valeur de 5 µg/m3, qui passera à 2 µg/m3 au 1er janvier 2016), et que 73 % présentent un indice de confinement inférieur à 3 [6], assimilé à un renouvellement d'air suffisant.

Ces résultats rassurants ont été obtenus sur un parc français, constitué en majorité de bâtiments construits depuis plusieurs dizaines d’années (la plupart avant les années 80, [6]), et n’incluant donc pas les bâtiments les plus récents répondant aux contraintes de la réglementation thermique en vigueur. On peut donc s’interroger sur la transposabilité de ces résultats à des bâtiments récents répondant à ces nouvelles contraintes.

De plus, la plupart des campagnes de mesure dans des environnements réels sont basées, comme décrit précédemment, sur des mesures moyennées sur plusieurs jours. Peu de campagnes ont été réalisées avec des instruments permettant un suivi des concentrations avec une résolution temporelle fine de l’ordre de la minute ou de l’heure. On peut mentionner les travaux dans plusieurs écoles pointant le rôle des échanges intérieur/extérieur sur les concentrations en NOx et ozone [19], ou dans un collège mettant en évidence le rôle de la photochimie en air intérieur [20], dans une université avec une analyse du rôle des occupants [21]

et enfin dans la maison MARIA sur la réactivité induite par l'usage des produits ménagers [22]. Il est donc important de pouvoir caractériser la dynamique des polluants dans d'autres environnements et notamment les bâtiments performants en énergie (BPE).

9 1.2. Spécificité des bâtiments énergétiquement performants

La qualité de l’air dans les bâtiments énergétiquement performants est un enjeu majeur des années futures.

En effet, le Grenelle de l’environnement a fixé des objectifs ambitieux de réduction de la consommation énergétique des bâtiments pour les années à venir au travers des différentes réglementations thermiques (2005, 2012, 2015 et 2020 à venir), qui imposent de nouvelles contraintes sur les pratiques constructives (isolation, matériaux, étanchéité à l’air ventilation, récupération de chaleur, …).

En parallèle à la RT 2012, la loi sur l’étiquetage des matériaux en termes de caractéristiques d’émissions en COV aura pour conséquence d’éradiquer très rapidement du marché les matériaux les plus émissifs, mais aussi peut-être de faire émerger d’autres substances polluantes utilisées comme substituts des composés retenus pour les tests obligatoires. Dans le cas des bâtiments neufs livrés à partir de 2012, le HCSP (Haut Conseil de la Santé Publique) recommande que ceux-ci présentent des teneurs moyennes en formaldéhyde inférieures à 10 μg/m3 avant livraison aux occupants [23]. Il en est de même pour ceux faisant l'objet d'opérations de rénovation de grande ampleur.

L’effet de l’ensemble de ces mesures sur la Qualité de l’Air Intérieur (QAI) est encore méconnu. Elles peuvent l’améliorer ou au contraire la dégrader et aller à l’encontre de la santé et du bien-être des occupants.

Dans le but d’apporter des solutions techniques pour la réalisation de ce nouveau type de construction, le programme PREBAT (Programme de Recherche sur l’Energie dans le BATiment) a été mis en place. Afin de compléter la vision initiale strictement énergétique du programme, un volet d’évaluation de la qualité de l’air intérieur a été proposé. Ce programme de large envergure aura l’avantage de dresser un bilan sur les bâtiments énergétiquement performants dans les années à venir, mais cela demande du temps et ne permettra que de dresser un bilan sur l’état du parc analysé.

A l’heure actuelle, seules deux études ont été publiées concernant la qualité de l’air dans les Bâtiments Performants en Energie (BPE). Une étude française très récente sur 7 logements concerne des mesures de paramètres de confort (humidité, température) et de concentrations en COV [24]. L’autre est un article de revue datant de 2009 [25], portant principalement sur des mesures dans des logements anglais.

Il existe donc un manque important en données disponibles sur ce type de bâtiment. Un large programme a été mis en place par l'OQAI (OQAI-BPE).

On peut mentionner en particulier, qu’aucune étude sur des BPE de type ERP n’est disponible actuellement dans la littérature.

1.3. Processus contrôlant la Qualité de l’Air Intérieur (QAI) - modélisation de la QAI

En parallèle de la cartographie en polluants des différents bâtiments et en particulier des BPE, il est important de pouvoir identifier les processus qui contribuent à la présence des polluants en air intérieur. En effet, ces processus physiques et chimiques sont nombreux et complexes (Figure 1).

Les processus physiques sont l’émission par les matériaux, le mobilier, les occupants, les phénomènes réversibles d’adsorption et de désorption par les surfaces, et le dépôt. Ces phénomènes, notamment de sorption, sont très spécifiques d’un matériau donné dans un environnement donné. Même si des données issues de mesures en chambres d’émission sont disponibles dans la littérature [26, 27], des comparaisons entre concentrations réelles mesurées dans une maison et concentrations prédites par un modèle utilisant les vitesses d’adsorption/désorption de laboratoire [28] montrent des divergences importantes et mettent en évidence la nécessité de réaliser de mesures in situ pour caractériser correctement les phénomènes de sorption [29] et développer de nouvelles paramétrisations des processus dans les modèles.

Figure 1: processus physiques et chimiques prenant place dans l’air intérieur Transport

advectif infiltration ventilation Air extérieur Système de

ventilation

Phénomènes aérauliques

Air intérieur

Air extérieur Système de ventilation

Phénomènes aérauliques

Air intérieur

Émission bâtiments mobilier occupants

activités Émission (ex:COV)/désorption Surface intérieure

(paroi, mobilier) Dépôt /adsorption

O3

Surface intérieure (paroi, mobilier) Dépôt /adsorption O3

Dépôt Adsorption Désorption Surfaces intérieures O3

O3

Réactions en phase gazeuse

Réactivité chimique homogène hétérogène photolyse

Surface intérieure (paroi, mobilier) Réactions hétérogènes

Des processus de réactivité chimique hétérogène sur les surfaces sont également observés, tels que la formation de l’acide nitreux HONO [30] par réaction de NO2 en présence d'eau, potentielle source de OH en air intérieur et de processus d'oxydation en phase gazeuse.

En effet, les processus chimiques en phase gazeuse sont liés à la présence d’espèces oxydantes (ozone [31], OH [20]) pouvant transformer les polluants présents en espèces plus oxygénées (Figure 2). Ces processus peuvent être liés aussi aux phénomènes de photolyse mais ils peuvent être différents de ce qui est observé dans les environnements extérieurs car la gamme spectrale de transmission de la lumière dans les environnements intérieurs est limitée par les caractéristiques du vitrage. Des travaux de la littérature montrent que seules les radiations avec une longueur d'onde supérieure à 320 nm sont transmises par des fenêtres [32]. Plusieurs études mentionnent des transmissions dans différents domaines spectraux. Une étude réalisée dans deux bâtiments dans des environnements différents montre que le flux de photons à l’intérieur représente 70 % dans le visible (400-760 nm) et 25 % dans l’UV (300-400 nm) du flux extérieur pour le premier bâtiment, et 80 % dans le visible et 30 % dans l’UV pour le deuxième bâtiment [33]. Des travaux menés dans un musée ont permis d’observer que 0.7 % de la lumière dans le visible arrivant sur le toit était transmise à l’intérieur par une lucarne et 0,15 % dans l’UV sur les mêmes gammes de longueurs d’onde [34]. Ces grandes différences selon l'environnement et le peu de données disponibles rendent particulièrement difficile l'étude de l'impact des processus de photochimie en air intérieur.

Les espèces secondaires formées peuvent être à l’origine de formation de particules [35] ou se coaguler sur les particules déjà présentes, provenant des activités ou de l’extérieur [36].

Figure 2 : mécanismes de transformation chimique pouvant prendre place à l'intérieur

Ces processus ayant lieu simultanément, il est difficile, sans une analyse couplant des mesures et une approche de type modélisation de l’environnement intérieur, d’identifier les contributions de chacun. Avant le projet MERMAID, seule une étude de Nazaroff [34] présentait une comparaison entre des données modélisées et mesurées dans un environnement réel, et uniquement sur les NOx et l’ozone. Afin de mieux évaluer la validité des modèles de QAI, des comparaisons entre données simulées et expérimentales sont indispensables.

Pour cela, il est nécessaire de renseigner au mieux les paramètres d’entrée du modèle relatif à ces différents processus de l’environnement réel étudié, et de disposer de mesures résolues dans le temps permettant d’accéder à la dynamique de variation en niveau de polluants et d'espèces réactives.

Les outils de modélisation permettent à la fois de comprendre les phénomènes observés mais également de prédire la QAI, de la modéliser dans des cas scénarisés (recherche d’actions efficaces de réduction de la pollution) et dans d'autres bâtiments. Le modèle construit dans ce projet fait partie des modèles de type boîte ou 0D incluant la réactivité chimique.

Ces travaux sont complémentaires du développement d'autres types de modèles, réalisés pour différents types d'applications nécessitant des niveaux de détail des différents processus prenant place en air intérieur plus ou moins fins. On peut citer notamment :

- les modèles aérauliques visent à étudier les flux dans le bâtiment et entre le bâtiment et l’extérieur (modèles AIRNET, MOVECOMP et plus récemment CONTAM et COMIS). CONTAM modélise les flux d’air échangés mais peut également traiter des transferts de particules ou de substances gazeuses dans les ambiances comme dans les réseaux de ventilation (gaines, filtres, …), en proposant pour cela un large éventail de modèles de sources (taux d’émission décroissant dans le temps) et de puits à paramétrer par l’utilisateur. D'autres modèles aérauliques sont destinés à caractériser l’écoulement d’air dans une pièce en fonction de sa géométrie, du mobilier installé, du débit de ventilation, et de la position des bouches d’entrée

11 et de reprise de l’air (outils de mécanique des fluides numériques, ou en anglais CFD, pour Computational Fluids Dynamics). Les modèles de type CFD utilisés pour l'air intérieur présentent l’avantage de pouvoir représenter finement les écoulements d’un bâtiment en 3 dimensions, mais n’incluent pas la réactivité chimique notamment du fait de la capacité de calcul nécessaire pour simuler la chimie en chaque point de grille [37]. On peut noter cependant que pour des applications atmosphériques, il existe des modèles qui incluent la chimie atmosphérique et la dynamique des particules ([38, 39]),

- les modèles d’exposition permettent de déterminer les doses de polluants absorbées par un individu ou une population. Différents modèles d’exposition ont été développés tels que le modèle TRA pour les produits d’entretien, ConsExpo pour les produits de consommation (Boudet et al., 2011). Certains ont fait l’objet de développement de logiciel de simulation des émissions (IA-QUEST) intégrant une base de données sur les matériaux, produits de consommation, nécessitant une mise à jour régulière. D’autres, enfin, dits modèles génériques, par opposition aux modèles spécifiques précédemment décrits, calculent, entre autres, des niveaux de concentration, sur la base d’informations saisies par l’utilisateur et non à l’aide d’une base de données (modèle RISK, IAQX, MCCEM, MIAQ). Ils permettent d’étudier des moyens de remédiation pour réduire les expositions (ventilation, épuration,…),

- les modèles intégrant la réactivité chimique prennent en compte les processus chimiques de transformation des polluants qui nous intéressent particulièrement dans le cadre de ce projet. Plusieurs travaux de recherche ont porté sur la modélisation de l’air intérieur incluant cette réactivité chimique avec des mécanismes plus ou moins détaillés [34, 36, 40-44]. Ces modèles ne représentent généralement pas la dynamique des fluides ni l'exposition. Certains couplages entre les différents outils sont cependant envisageables dans le futur. Un récapitulatif des principaux modèles considérant la réactivité chimique est présenté dans le paragraphe 2.2,Tableau 5. La première contribution significative à la modélisation des phénomènes de réactivité chimique dans les environnements intérieurs émane des travaux de Nazaroff [34]

qui ont permis de comparer les simulations avec des concentrations expérimentales (sur l’ozone et les NOx) et d’effectuer les premiers tests de sensibilité pour caractériser la qualité de l’air intérieur en fonction de différents scénarios incluant successivement des situations de fortes émissions de COV, de fortes concentrations de NOX, et différentes vitesses de dépôt. Plus tard, les travaux de Sarwar et al. [40] se sont concentrés sur l’étude de la concentration du radical OH en air intérieur. Dans l’étude de Carslaw [41], utilisant le mécanisme chimique le plus détaillé jusqu’à présent, une analyse de sensibilité a été réalisée en testant différents scénarios afin de mettre en évidence l’influence des différents paramètres sur la qualité de l’air intérieur. L’analyse des contributions sur les budgets des radicaux OH, HO2, RO2 et RO a été réalisée pour déterminer les principales voies de formation et de destruction de ces espèces.

Compte tenu de ces différents enjeux et approches possibles de l'étude de la QAI, le projet MERMAID s'organise autour de 2 axes de recherches : un volet expérimental et un volet modélisation, avec des interactions fortes entre les deux approches, décrites dans le paragraphe suivant.