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3 La conduite de l’entretien

Dans le document Td corrigé asile politique - HAL-SHS pdf (Page 159-162)

L’élaboration du guide d’entretien117 nous a amené à décomposer ce dernier en 9 parties (précédées d’une présentation de l’étude) basée sur la chronologie des étapes :

 Présentation de la famille, départ, choix du pays

 Parcours, arrivée en France

 Les premiers temps à Nice

 Démarches administratives

116 Voir dans la troisième partie de ce rapport le compte-rendu des entretiens menés auprès des publics.

117 Voir le guide d’entretien en Annexe.

 Parcours résidentiel récapitulative qui permet à l’enquêteur de « vérifier » si toutes les informations nécessaires ont été recueillies (caractéristiques socio-démographiques, langues parlées, niveau d’étude), et de les compléter si nécessaire. De plus, cela permet de ne pas poser ces questions, qui peuvent paraître formelles et administratives, en début d’entretien afin de créer une situation d’entretien plus libre que d’autres situations d’entretien (police, OFPRA…) commençant souvent par le recueil de ces données (état civil, composition familiale…).

Les premiers entretiens recueillis nous ont permis de « tester » ce guide d’entretien et de fournir les premières observations. Même si l’élaboration d’un guide d’entretien pose toujours le même type de questions aux enquêteurs, il est vrai que le recueil d’entretien auprès de ce type de publics pose des questions qui, sans être nouvelles en soi, ont peut-être plus d’acuité dans ce cas précis. Tel est le cas de deux interrogations qui, pour paraître triviales, n’en sont pas moins importantes : « Par quelle question commencer ? » et « Par quelle question finir » ? En effet, la première question lance l’entretien et définit la situation d’interlocution qui s’engage entre les contractants, détermine la qualité de l’interaction et des propos recueillis.

Faut-il commencer par aborder leur situation passée, les raisons de leur exil et affronter dès le début de l’entretien les situations douloureuses à narrer ou au contraire aborder en premier lieu la situation présente ? Dans le cadre de ce travail, nous avons choisi de consacrer la première question à la composition familiale pour aborder ensuite celle du départ. Quant à la question de la fin de l’entretien, qui contribue souvent à fixer l’ « impression générale » sur l’entretien lui-même, elle est d’autant plus importante qu’elle laisse ensuite les personnes seules face à leurs derniers propos. Est-il possible, dans le cas d’entretiens menés avec des personnes ayant reçu une réponse négative de l’OFPRA, et ayant peur pour le déroulement futur de leur vie, d’éviter que le vécu de l’entretien soit trop difficile ?

On ne se risquera pas ici à présenter un « mode d’emploi » du recueil d’entretiens auprès de ce type de population ne serait-ce que parce que, comme c’est le cas pour toute enquête par entretien qualitatif et peut-être encore plus ici, chaque entretien est singulier. Nous nous bornerons donc à faire état des quelques enseignements qu’il nous semble possible de tirer des entretiens que nous avons réalisés.

Le premier relève sans doute de l’évidence mais nous semble tout de même devoir être mentionné. Sans céder à une attitude misérabiliste ou naïve, on ne saurait laisser de côté le fait que, au vu de la souffrance exprimée à l’occasion de l’évocation de souvenirs douloureux (guerre, assassinats, disparitions de membres de la famille, torture…), recueillir la parole de personnes en demande d’asile n’est pas anodin. Sans remettre en cause la légitimité de la démarche, on ne saurait sous-estimer le retentissement affectif de ce qui s’exprime dans ces échanges118. Dans ce contexte, les attitudes de l’enquêteur, la présentation de l’étude, la mise en place de la situation d’entretien, a peut-être une importance plus grande encore que lors d’enquêtes auprès d’autres populations.

118 On peut citer à ce propos les conclusions d’une étude menée à Nice récemment (Poissy, Philippe, Beraud, 2001) : « D’une façon générale, les demandeurs d’asile évoquent très peu ce passé douloureux et ce qui les a poussé sur les routes de l’exil, par peur, par méfiance ou plus simplement pour éviter de se remémorer les morceaux d’une vie brisée. (…). Il n’est pas étonnant que les demandeurs d’asile hésitent à raconter leur histoire : le faire, c’est pour eux se confronter de nouveau à la torture, à la souffrance, c’est réactiver la culpabilité et la honte ».

Dans le cadre de notre travail119, les attitudes face à l’enquêteur et à l’entretien ont été très diverses et dépendantes de la perception de l’étude. Ainsi, une personne a eu l’impression qu’il fallait « correctement » répondre aux questions et ne se sentait pas forcément la personne adéquate pour le faire (entretien 9). Une autre (entretien 8), nous a semblé souhaiter montrer qu’ayant également fait des études, son discours était construit et « rationnel », alors qu’une autre, déclarant explicitement qu’elle ne craignait pas ce type d’exercice et y était rôdée, s’est attachée à plusieurs reprises à manifester sa capacité de contrôle de la situation d’entretien (entretien 10), en commençant l’entrevue en se présentant très officiellement et de manière solennelle et en la clôturant par « Fin de la conversation ». Certains interviewés avaient envie d’exprimer leurs opinions (entretien 6) et de raconter leur histoire et leurs conditions de vie actuelle ; d’autres (entretien 3) ont exprimé leur colère d’avoir obtenu un refus quant à leur demande d’asile en accusant tour à tour les associations, l’OFPRA, l’Etat français, et ont pensé que, peut-être, l’enquêteur pouvait « faire quelque chose pour eux ». De plus, le vécu de l’entretien et le rapport à la narration nous a semblé sensiblement différent selon que les personnes attendaient encore (avec angoisse) la décision ou qu’elles avaient été reconnues comme réfugiées.

Il est important de noter que l’attitude de la population (au sens de disposition à se comporter de telle ou telle manière) peut être différente selon les structures. Ainsi les personnes rencontrées à l’accueil de nuit un « soir donné », souvent en grande détresse, ayant dormi à la rue les jours précédents, ne sont pas dans les même « dispositions » que les personnes informées auparavant par un travailleur social sur l’existence de l’étude, ayant ensuite rencontré l’enquêteur et effectuant l’entretien lors d’un rendez-vous ultérieur fixé avec eux.

En tout état de cause, il est nécessaire d’être vigilant quant à la manière dont se crée la situation d’interaction qu’est l’entretien même si certains facteurs ne sont pas contrôlables. En effet, une « impression générale » se crée en quelques secondes, et l’interprétation d’un seul regard ou d’une seule phrase influera sur la perception de l’enquête et donc sur les propos : ce qui sera dit, comment cela sera dit, et, surtout, ce qui ne sera pas dit120.

Lorsqu’il s’agit de définir la situation d’entretien, il faut s’adapter aux interlocuteurs, effectuer des choix. Faut-il oui ou non adopter une position de neutralité lorsque l’interviewé vous pose une question sur la politique locale et l’action des structures associatives (entretien 1) ? L’enquêteur doit-il ou non évoquer ses connaissances sur la ville d’origine de l’enquêté (entretien 10)?

A plusieurs reprises s’est posée la question de la hiérarchisation, par les personnes interrogées, de l’importance des thèmes prévus dans notre grille d’entretien. En effet, si dans la plupart des cas tous les thèmes ont pu être abordés, beaucoup ont insisté sur le fait qu’ils n’avaient pas « envie de se plaindre », mais surtout sur le fait que les difficultés de logement par exemple, n’étaient en rien comparables à celles rencontrées dans leur pays en guerre ou à l’angoisse qu’ils vivent chaque jour dans l’attente des décisions OFPRA ou RCC. Il est alors arrivé que les questions relatives à l’opinion sur les conditions de logement paraissent futiles, dérisoires, et que les interviewés n’aient pas l’intention de s’y étendre ou même de les aborder, focalisant l’entretien sur la description de l’injustice et de l’angoisse qu’ils vivent au jour le jour. Se plaindre peut même revêtir une signification encore plus importante comme pour l’interviewé 8 pour qui cette attitude est à l’origine de la situation tragique de l’Algérie :

119 Dans les lignes qui suivent, nous nous référons aux entretiens présentés dans la troisième partie du rapport.

120 Ainsi, par exemple, lors de l’entretien 8, l’enquêteur demande à l’enquêté si cela ne le dérange pas d’ouvrir la porte de la salle surchauffée, ne pensant pas au fait qu’après une nuit passée dehors, l’enquêté était très heureux de ce sur-chauffage et que cette réaction l’a peut-être amené à catégoriser l’enquêteur comme une personne menant des entretiens sans trop connaître la réalité vécue par la population à laquelle il s’intéresse.

« Mais, on parle comme ça dans cette occasion, mais moi, je n’aime pas me plaindre.

A mon avis, se plaindre, c’est pas une solution. Pour vous signifier que, je ne sais pas pourquoi je vous raconte ça…le malheur ça commence là. Je me souviens quand j’étais en Algérie, quand la crise a commencé […] ça a commencé à partir de là. Se plaindre, c’est ça la crise en Algérie, tout le monde se plaint, dit que le gouvernement… dit que c’est pas bien, au lieu de proposer, proposer une idée, réfléchir, accepter peut-être. C’est comme dans la famille, chacun se plaint et ça finit par une grande colère, se plaindre c’est que la solution de l’un n’arrange pas l’autre et ça finit pas ».

Dans ce dernier cas, on comprend que tout propos en réponse à un questionnement sur les conditions de vie au quotidien à Nice doit être rapporté à un ensemble de représentations plus large (concernant en l’occurrence la situation du pays d’origine) auquel seul un entretien approfondi est en mesure d’accéder. Ceci pose directement la question du type d’outil privilégié pour recueillir la parole des demandeurs d’asile.

Dans le document Td corrigé asile politique - HAL-SHS pdf (Page 159-162)