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1 L’accès à la population

Dans le document Td corrigé asile politique - HAL-SHS pdf (Page 154-158)

Concernant l'approche directe des publics par des enquêteurs extérieurs au système d'action local, plusieurs difficultés se présentent.

La première est liée à la nécessité d'obtenir l'accord des structures concernées, du moins d'obtenir de celles-ci une certaine liberté de choix dans l'établissement des conditions d'approche. Non pas que les responsables contestent par principe l'idée d'aller à la rencontre des publics. D'ailleurs, le feraient-ils qu'ils ne pourraient de fait s'y opposer, pour peu que la rencontre n'ait pas lieu à l'intérieur des établissements. Remarquons simplement qu'il apparaît clairement préférable de s'appuyer sur les structures plutôt que d’agir contre elles. Or, ce principe étant posé, toute la difficulté est de ne pas se laisser imposer les conditions de la rencontre : choix des personnes et choix du lieu notamment. Comme cela a déjà été constaté dans ce type d'enquête, la tentation est souvent grande chez les acteurs de terrain de choisir, à partir de considérations qui ne se superposent pas forcément aux critères de l'enquêteur, les personnes convenant apparemment bien au thème de la recherche110. De même, le choix du lieu de l'entretien n'est en rien anodin et n'est pas toujours contrôlable. Enfin, il faut évoquer la question de la manière dont les intervenants sociaux présentent les caractéristiques de l'enquête aux publics (objectifs, déroulement, destinataires, etc.).

Ce dernier aspect est d'autant plus important qu'il influe sur un autre type de considération à prendre en compte : l'attitude des publics eux-mêmes face à l'idée de devenir un objet d'enquête. Si, en effet, il est légitime de mener des enquêtes auprès des demandeurs d'asile111… encore faut-il que ces derniers soient d'accord. S'il est évident que, a posteriori, les personnes interrogées sont forcément des personnes qui ont accepté de l'être, encore faut-il que ce critère ne prenne pas a priori le pas sur d'autres critères (de représentativité) fondés analytiquement. Or, on ne saurait sous-estimer le poids des difficultés — connues dans le cas des SDF ou des usagers de drogue — qui se présentent lorsqu’on souhaite s’adresser à des publics susceptibles d’exprimer une attitude de méfiance face à toute demande de renseignement pouvant être assimilée à l’exercice d’un contrôle social. Le cas des demandeurs d'asile apparaît à ce sujet comme un cas limite, leur parcours étant parsemé d’entretiens (douloureusement) tendus vers la tentative d’obtention du statut de réfugié, et par là stratégiquement adaptés, en ce qui concerne leur contenu, aux attentes supposées de l’interlocuteur. Pour le dire plus clairement, il n’est pas toujours facile d’éloigner l’image négative de l’ « entretien-interrogatoire », et de créer les conditions propres à ce que le discours recueilli ne se présente pas comme un exercice d’auto-mise en scène de soi.

110 Pour illustrer cette idée, on peut évoquer le cas de cet intervenant social, soucieux de nous « trouver des migrants francophones afin de faciliter l’enquête »…

111 FIRDION J FIRDION Jean-Marie, MARPSAT Maryse, BOZON Michel, "Est-il légitime de mener des enquêtes statistiques auprès des sans-domicile ? Une question éthique et scientifique", Revue Française des affaires sociales, Paris, Ministère du Travail et des Affaires Sociales, n°2-3, avril-septembre 1995.

Afin d’illustrer ce propos sur l’importance des paramètres de la situation d’entretien112, nous pouvons relater le déroulement de la négociation des quatre premiers entretiens avec une association. La responsable nous avait donné son accord pour effectuer quelques interviews lors du premier entretien. Nous l’avons donc re-contactée afin de négocier les modalités de cette enquête. Elle nous proposa de demander elle-même aux résidents s’ils accepteraient de participer à cette étude. Rendez-vous téléphonique fut pris pour obtenir une réponse… qui fut négative :

« En fait, j’ai demandé à de nombreuses familles en expliquant que c’était une enquête sur les conditions de logement des demandeurs d’asile et des réfugiés et qu’il fallait faire un entretien avec vous mais elles ont toutes refusé. Elles m’ont toutes dit que pour les conditions de logement, il n’y avait pas trop de problèmes et qu’elles n’étaient pas vraiment intéressées.

Donc là, c’est vrai que ça paraît difficile… je ne sais pas trop… ».

Après une demande de détails sur la présentation de l’étude, les motifs du refus, et une insistance sur la nécessité du recueil de ces entretiens, elle nous proposa alors d’organiser une réunion avec des familles afin que l’enquêteur puisse être présent physiquement et avoir un contact direct avec ces familles qui pourront « mettre un visage sur cet enquêteur » et poser les questions qu’elles voudront aborder avant de donner leur réponse. Une réunion a donc été organisée deux semaines plus tard. Certaines familles étaient présentes, ainsi que la responsable, deux traducteurs (russe et arabe), de même que l’enquêteur qui a pu se présenter, exposer les objectifs de l’étude de manière plus large, expliquer qu’il ne s’agissait nullement d’un entretien type OFPRA mais plutôt d’un recueil d’histoires personnelles et d’opinions. La question du magnétophone et de l’anonymat fut re-explicitée à la demande de plusieurs d’entre elles ainsi que l’utilisation qui serait faite de ces entretiens.

Sur les cinq familles présentes, trois ont accepté et deux femmes ont refusé, la première car elle n’était pas vraiment sûre et souhaitait disposer d’un temps de réflexion avant de donner sa réponse et la seconde parce qu’elle ne savait pas si son mari était d’accord. Concernant les conditions du recueil d’entretien, la responsable a proposé que les entretiens se passent dans les locaux de l’association en présence d’un traducteur de l’association (« ce qui les rassurera un peu »).

Intentionnellement ou pas, cette responsable a contribué à construire le cadre de ces entretiens. Or, le lieu de l’entretien est un paramètre important à prendre en compte.

Dans le cas qui nous occupe, il a eu des conséquences lors des entretiens menés dans les locaux de l’association. Ainsi, on peut évoquer, lors de l’entretien effectué avec un couple de personnes palestiniennes, l’intervention d’une quatrième personne, salariée de l’association, présente dans la salle où se déroulait l’entretien. Ayant prévu de « ranger la salle », elle fut présente pendant l’entretien et intervint plusieurs fois à des moments clefs et agités de l’entretien en donnant son avis a posteriori sur leur parcours « Vous avez eu tort de quitter la Suède, maintenant votre situation est pire en France… », perturbant l’entretien et participant à l’état d’agitation dans lequel étaient les personnes113.

Concernant le choix des personnes interrogées, la responsable avait proposé de nous présenter des personnes francophones, ce que nous avons immédiatement refusé en ré-expliquant notre objectif de respecter la condition de représentativité. En s’appuyant sur ces

112 On sait que celle-ci peut se décomposer en trois unités théâtrales : unité de temps (programmation temporelle), unité de lieu (la scène), unité d’action (distribution des actions).

113 L’entretien à trois étant déjà complexe, entre la traduction, le recouvrement entre les propos de la femme et son époux, la douleur de l’enquêtée qui s’est mise à pleurer à plusieurs reprises et la révolte de monsieur qui s’emportait de plus en plus en évoquant le refus de l’OFPRA.

critères de représentativité (surtout nationalité, statut, langue parlée) elle s’est alors adressée à des familles Tchétchènes en demande d’asile, représentant la majorité des résidents, à une famille palestinienne en langue arabe en demande d’asile, ainsi qu’à une femme angolaise ayant le statut de réfugié.

En conclusion, notons que le mode d’accès indirect aux interviewés, par l’intermédiaire de la structure, n’est pas neutre et peut fausser le poids relatif des acceptations et refus, liés parfois aux rapports qu’ils entretiennent avec la structure. Les contacts avec les sujets de l’enquête étant déterminés par une personne tierce, il apparaît nécessaire de négocier les conditions de l’enquête le plus tôt et le plus précisément possible.

Rétrospectivement, les conditions dans lesquelles les structures ont apporté leur concours au choix et au déroulement des entretiens furent très variables.

Dans un premier cas nous n’avons pu recueillir aucun entretien auprès de personnes hébergées en hôtels malgré l’insistance de notre part. Les tentatives ont toutes échouées et nous n’avons pu rencontrer aucune personne ayant accepté de mener un entretien avec notre enquêteur. Le travailleur social devant se charger de demander aux hébergés s’ils acceptaient de mener un entretien n’est pas parvenu à nous proposer de candidat avec qui l’enquêteur aurait pu avoir une entrevue lui permettant ainsi de se présenter et de présenter l’enquête. Les raisons données ont été diverses : « une famille a refusé car on est actuellement en conflit avec elle, car elle doit quitter les locaux, il y a un avis d’expulsion, et on est dans une période de crise ». « La seconde famille est déstabilisée, instable, ça va être trop compliqué ». « Une autre famille qui a obtenu le statut ne veut plus trop en parler ». Ces réponses nous éclairent sur les différents motifs de refus qui ont été rencontrés à nouveau par la suite, en fonction des personnes, des histoires personnelles, des statuts.

Dans un autre cas, cette phase d’accès à la population a pris du temps, plus d’un mois et demi, avant d’accéder aux deux recueils d’entretiens. Deux travailleurs sociaux ont été sollicités pour proposer deux familles de nationalité russe, en demande d’asile (en adéquation avec le profil des hébergés de la structure concernée). Les deux familles ont finalement accepté et les entretiens se sont déroulés sans aucun problème.

Dans une troisième structure, nous avons procédé de différentes manières. Le médiateur culturel, parlant le russe, nous a proposé de l’accompagner pendant ses « tournées114 » dans les meublés, effectuées deux samedis matins dans le mois, afin de proposer le recueil d’un entretien, de se présenter et de convenir ensemble d’un rendez-vous dans le cas d’une réponse positive. Nous avons donc rendu visite aux personnes à leur domicile en nous présentant ainsi que l’étude et les objectifs de l’entretien. Une personne, une femme en demande d’asile, a accepté mais était ensuite absente au rendez-vous fixé la semaine suivante. Une personne en demande d’asile a accepté et a fixé le rendez-vous la semaine suivante, entretien qui eut effectivement lieu. Une autre personne, réfugiée statutaire, a accepté dans un premier temps.

Nous devions lui téléphoner à nouveau pour fixer le rendez-vous deux semaines plus tard.

Cette personne a alors refusé l’entretien au motif qu’elle se trouvait dans une situation difficile : elle devait quitter ce logement avec sa femme et leur quatre enfants sans en avoir trouvé un autre, et ne désirait plus rencontrer l’enquêteur. Nous avons également testé un

114 Ce médiateur culturel effectue ces « tournées » afin de vérifier « si tout va bien », d’apporter des informations aux personnes hébergées, de se mettre au courant des changements de situation, de prévenir les risques de prostitution. Il se rend ainsi chez les personnes, le samedi matin, sans rendez-vous et passe du temps avec les hébergés. Nous l’avons accompagné à quatre reprises lors de ces « tournées » et recueilli, à l’occasion de l’une d’entre elles un entretien.

autre mode d’accès à la population en participant à une permanence d’accueil. Le but était ici de proposer aux personnes présentes à cette permanence un entretien. Nous avons fait deux propositions d’entretien. L’une d’entre elles a été acceptée mais l’entretien n’a pas pu avoir lieu (problème de retard, la personne n’étant plus chez elle). L’autre proposition a été refusée, la jeune femme, les larmes aux yeux à l’annonce de la proposition, nous expliquant qu’elle ne se sentait pas capable de remuer, à nouveau, son passé trop douloureux.

Enfin, nous nous sommes rendus à deux reprises à l’accueil de nuit de la ville de Nice et avons demandé avec l’assistante sociale à plusieurs personnes présentes ces soirs-là (correspondant au profil qui nous intéressait) si elles acceptaient de mener un entretien anonyme sur leur parcours, conditions de logement. Les trois propositions faites ont été acceptées.

Cette description des négociations d’entretien nous montre plusieurs choses. Tout d’abord, l’accès à la population n’a pas été chose facile et s’est déroulée de façon très différente selon les structures. Cette phase paraît plus aisée lorsque les personnes hébergées sont « intégrées » dans la structure d’hébergement. En effet, il a été plus facile d’obtenir des entretiens avec les personnes hébergées en CADA qu’avec des personnes hébergées en hôtels meublés. De plus, le taux de refus peut être fonction des statuts. Les personnes acceptent ou n’acceptent pas selon le vécu de leur situation. On peut penser qu’une personne en demande d’asile, vivant dans une angoisse permanente, ne manifestera pas la même attitude et la même réaction face à une proposition d’enquête, qu’une personne venant d’obtenir son statut de réfugié ou qu’une personne déboutée devant quitter son hébergement, présente illégalement sur le territoire.

Mais ces réactions sont aussi fonction des personnes et de leur perception de l’étude. Ainsi, une personne réfugiée peut refuser l’entretien, estimant que cette période est désormais révolue et ne souhaitant plus pour cette raison en parler. Une personne en demande d’asile ou déboutée peut avoir envie de participer à l’étude afin d’exprimer ses opinions même si elle se trouve dans une situation difficile. La situation familiale joue également un rôle dans les taux de refus. Certaines femmes ont refusé de mener l’entretien ne sachant pas si leurs maris allaient être d’accord. Certaines femmes et certains hommes sont venus ou étaient seuls au moment de l’entretien, d’autres ont préféré venir en couple.

Le sexe de l’enquêteur et du traducteur peut également être un obstacle à certains recueils d’entretien. En effet, au delà de l’implication de ce paramètre dans la situation d’entretien (présentation de soi…), cet élément peut poser problème quant il s’agit d’avoir rendez-vous au domicile d’une jeune femme, par exemple comme cela semble avoir été le cas pour un refus d’entretien avec une jeune femme d’origine Tchétchène (Voir encadré ci-dessous).

Rendez-vous samedi matin avec le médiateur culturel-traducteur du Secours Populaire

Nous avons rendez-vous devant un immeuble où nous allons voir une jeune femme de nationalité Tchétchène, enceinte avec ses deux enfants dont le mari est actuellement en prison. Nous sonnons… une jeune femme en peignoir nous ouvre et nous demande d’attendre quelques instants. Elle nous rouvre ensuite la porte et nous dit que l’on va s’installer dans l’entrée car le salon est trop en désordre. Elle ferme toutes les portes des chambres et fait entrer les enfants dans le salon en refermant la porte. Elle nous installe deux chaises dans l’entrée. Le traducteur et la jeune femme ont une discussion en russe et abordent diverses questions avant de me présenter et d’expliquer les raisons de ma venue (étude sur les conditions de vie, de logement, d’accueil des personnes en demande d’asile, réfugiées…).

Elle me pose plusieurs questions : à quoi sert cet entretien exactement ? quelles seront les

questions posées ? Après avoir abordé la question de l’enregistrement par magnétophone, elle nous explique que cela la gêne et qu’elle n’accepte de mener cet entretien qu’à condition que je prenne des notes. Nous expliquons à nouveau le principe de strict anonymat et elle nous répond qu’elle accepte à une deuxième condition : celle d’effectuer l’entretien dans un

« lieu neutre » et pas dans son domicile. Nous lui proposons donc de se donner rendez-vous dans un café mais elle n’est pas convaincue. Nous lui proposons alors d’effectuer l’entretien dans un endroit public, un parc public ou au bord de la mer, elle accepte cette dernière solution et nous convenons d’un rendez-vous « pique-nique » samedi suivant, rendez-vous auquel elle sera finalement absente.

J’aurais l’occasion, quelques semaines plus tard, de croiser cette jeune femme par hasard dans la salle d’attente d’une association niçoise. Elle fit mine de ne pas me reconnaître, tout en parlant à voix basse à une femme et un homme qui l’accompagnaient…tous les trois me regardèrent en chuchotant.

Le taux de refus relativement élevé montre que l’entretien ne représente pas toujours un exercice facile pour ce type de public et qu’il faut consacrer du temps à l’explicitation des objectifs de l’enquête aussi bien auprès des acteurs associatifs qu’auprès des personnes à qui l’on propose les entretiens.

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