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IV. 1.) L’ophiolite du Monviso

IV.1. a.) Conditions P-T des métagabbros et évolution géodynamique du massif

Les estimations thermobarométriques réalisées sur les gabbros et/ou les méta-sédiments associés montrent que le massif a enregistré un pic métamorphique aux alentours de 550°C et 20kbar vers 48-55 Ma (Cliff et al., 1998 ; Monié and Philippot, 1989 ; Schwartz, 2001 ; Angiboust et al., 2012a). Bien que ces différentes études s’accordent sur les conditions P/T qu’a subi le massif, les interprétations quant à l’évolution géodynamique de ce massif diffèrent.

A partir d’estimation P/T, basées sur le thermobaromètre Fe-Mg entre le grenat et le clinopyroxène d’Ellis & Green (1979) pour les chimies ferrotitanées et de Pattinson & Newton pour les chimies alumino-magnésiennes, Schwartz et al. (2001) proposent l’existence de conditions métamorphiques contrastées au sein du massif du Monviso avec un gradient en allant vers le Nord. Ces variations sont indépendantes de la chimie des roches initiales étudiées. Ainsi, ces auteurs distinguent quatre unités dont le volume est inférieur à 50 km3 parmi lesquelles l’unité de Lago Superiore aurait enregistré des conditions métamorphiques maximales à 620°C et 24 kbar (Figure IV.2). Ces estimations sont interprétées comme reflétant un échantillonnage à différentes profondeurs de la lithosphère océanique subduite. L’exhumation de ces morceaux de lithosphère océanique serait rendue possible grâce à un chenal de serpentinisation où les serpentinites feraient office de lubrifiant tectonique permettant l'exhumation de matériel plus dense que les serpentinites, tel que les métagabbros (e.g. Hermann et al., 2000 ; Guillot et al., 2004). Dans ce modèle, l’origine des serpentinites reste à préciser : serpentinites résultant de l’hydratation du coin mantellique (ex. Himalaya ; Deschamps et al., 2010) ou serpentinites océaniques. Blake & Jayko (1990) proposent qu’il s’agisse d’un mélange entre des serpentinites du coin mantellique et océaniques.

Figure IV.3: (a) Carte géologique de la partie centrale du massif du Monviso (Angiboust et al., 2012a) montrant 2 unités de P-T différentes. Trois grandes fractures recoupent l’unité du Lago Superiore. Les estimations P-T obtenues par caractérisation thermique du graphite par spectroscopie RAMAN sont

marquées par des boîtes blanches. (b) Schéma illustrant le mécanisme d’exhumation par une large pièce de croûte océanique (Angiboust et al., 2012a).

Angiboust et al. (2012a) proposent, à partir d’estimations P-T réalisées par caractérisation thermique du graphite par spectroscopie RAMAN (Beyssac et al., 2002) dans les métasédiments, l’existence de seulement deux unités dans le massif dans lesquelles les conditions P-T seraient homogènes (Figure IV.3) : l’unité de Lago Superiore (530°C et 27 kbar) et l’unité du Monviso (500°C et 22 kbar). Ces unités préserveraient alors une séquence océanique typique composée de haut en bas de lave en coussins, filons, poches de métagabbro et manteau serpentinisé. Ainsi, l’exhumation de l’ophiolite du Monviso serait la conséquence d’une faille de détachement tardive pendant la subduction (Angiboust et al., 2012b). Dans ce modèle, les serpentinites représentent une unité continue, basale, de la lithosphère océanique.

IV.1.b.) Pétrologie des serpentinites

Afin de caractériser la nature du matériel serpentineux observé dans le massif du Monviso et ainsi affiner les modèles proposés par les différents auteurs, nous avons échantillonné deux zones à serpentinites susceptibles d’avoir enregistré des conditions P-T contrastées : la vallée de Chianale (5 échantillons), située au Sud du massif, et l’unité du Lago superiore (10 échantillons), localisée au Nord du massif (Figure IV.2).

Les serpentinites de la vallée de Chianale

L’unité de Chianale est composée de serpentinites foliées dont la foliation entoure des amandes métriques de serpentinites plus massives (Figure IV.4a). Les parties massives présentent à l’affleurement quelques cristaux blancs (anciennes bastites) et veinules de serpentine blanche millimétriques.

Les serpentinites massives sont majoritairement composées d’antigorite associée à du clinopyroxène, du chrysotile tardif, de la chlorite, de la trémolite et de la magnétite. Hormis,

le clinopyroxène mantellique qui est peu préservé, les autres minéraux primaires de la péridotite (olivine, orthopyroxène, spinelle ou plagioclase) ne sont plus présents dans la roche. En lame mince, les sites des pyroxènes sont en grande partie remplacés par des lamelles d’antigorite orientées, parfois associées à des granules de trémolites de ~100 µm. Au niveau du site de l’olivine, l’ancienne texture maillée est partiellement préservée (Figure IV.4b). Le bord de la maille est remplacé par de l’antigorite lamellaire associée à des lignes discontinues de magnétite. Le cœur de la maille est homogène et peut présenter des spectres intermédiaires entre la lizardite et l’antigorite (Figure IV.4d). Les analyses en éléments majeurs des cœurs de maille (Al2O3 = 1.2-3.0 wt%, FeO = 2.6-3.2 wt% ; Cr2O3 = 0.2-0.5 wt%) sont identiques à celles de l’antigorite (Al2O3 = 0.8-3.5 wt% ; FeO = 2.4-3.0 wt% ; Cr2O3 = 0.3-0.7 wt%).

Deux types de clinopyroxènes cristallisent dans ces roches. Le clinopyroxène mantellique est peu préservé. Il possède une bordure indentée, interprétée comme une bordure de dissolution et les anciennes exsolutions d’orthopyroxène sont remplacées par de l’antigorite lamellaire. Les teneurs en Cr2O3 et Al2O3 et le rapport XMg (= Mg/(Fe+Mg)) du clinopyroxène mantellique varient respectivement de 0.3-1.1 wt%, 1.2-2.7 wt% et 0.91-0.96. Du clinopyroxène métamorphique peut être en couronne autour de l’antigorite ou sous forme de cristaux à texture spinifex associés à de la chlorite (Figure IV.4c). Le clinopyroxène est partiellement transformé en trémolite. Les clinopyroxènes métamorphiques ont des teneurs en Cr2O3 et Al2O3 inférieures à 0.1 wt% et un XMg variant de 0.96-0.98. L’ensemble des minéraux de la roche est recoupé par des veines de chrysotile tardif.

Les serpentinites foliées entourant les amandes de serpentinite massive sont composées exclusivement d’antigorite avec quelques amas de magnétite. Les anciens sites des pyroxènes présentent des lamelles d’antigorite larges de ~50 µm associées à des amas de magnétite, alors que les anciens sites de l’olivine sont composés de lamelles de ~10 µm de large.

Figure IV.4 : (a) Boudins de serpentinite massive enveloppés par une fine bordure de serpentinite foliée (marquée par des pointillés rouges). (b) Microphotographie en LPA d’une texture maillée partiellement préservée : le cœur de la maille mixte est homogène alors qu’en bordure des lamelles d’antigorite sont associées à des résidus de magnétite. (c) Microphotographie en LPA d’un assemblage à chlorite recoupé par des agrégats à clinopyroxène secondaire à texture spinifex et trémolite. (d) Spectres RAMAN d’antigorite et des mixtes à lizardite et antigorite.

Les serpentinites du Lago Superiore

L’unité de Lago Superiore est composée de serpentinite foliée enveloppant des amandes de serpentinites massives (Figure IV.1) ou de métagabbros hectométriques.

En lame mince, les serpentinites massives sont totalement recristallisées en antigorite lamellaire peu orientée. Les minéraux primaires de la péridotite ne sont pas préservés dans ces roches et peu de phases accessoires sont observables (magnétite, trémolite <5%).

La bordure des amandes des serpentinites ou des métagabbros est composée de serpentinites foliées. Ces dernières présentent des structures C-S. La foliation (S) de la serpentinite est régulière. Elle s’atténue en se courbant de part et d’autre d’une partie médiane et est recoupée par une nouvelle surface (C) espacée et discontinue (Figure IV.5a). On notera que la surface C correspond plus précisément à un plan de cisaillement, c’est pour cette raison qu’on la nomme C.

En lame mince, les serpentinites foliées sont composées d’un ensemble d’antigorite, chlorite, trémolite et brucite orienté selon la foliation S (Figure IV.5b). Les teneurs en Al2O3, FeO et Cr2O3 des antigorites sont très hétérogènes ; elles varient respectivement de 0.0 à 2.9 wt%, de 1.8 à 4.7 wt% et de 0 à 1.5 wt%. Les zones de cisaillement C contiennent un assemblage métamorphique à olivine, clinopyroxène et magnétite (Figure IV.5b). L’observation en lumière réfléchie des olivines métamorphiques révèle la présence d’une bordure de quelques microns de composition différente (Figure IV.5c) : le cœur des olivines a un XMg de 0.88-0.89 et des teneurs en NiO et MnO variant de 0.36-0.49 wt% et 0.32-0.41 wt% alors que la périphérie du minéral, associée à de la magnétite en inclusion, a un XMg (0.93-0.94) plus élevé et des teneurs en NiO (0.08-0.14 wt%) et MnO (0.25-0.27 wt%) moins élevées que le cœur. Le clinopyroxène métamorphique a, quant à lui, un XMg de 0.97-0.98 et des teneurs en Al2O3 et Cr2O3 inférieures à 0.1 wt%.

Figure IV.5 (a) Serpentinite foliée présentant des structures C-S. (b) Microphotographie en LPA présentant de l’antigorite et de la brucite orientée selon la foliation S et de l’olivine de déserpentinisation orientée selon la surface C. (c) Microphotographie MEB (BSE) montrant une olivine secondaire avec une fine bordure moins riche en Fe que le cœur et associée à de la magnétite.