• Aucun résultat trouvé

I. 3.) La serpentinisation intra-océanique

I.3. b.) Chimie des serpentinites et serpentines océaniques

Le processus de serpentinisation engendre une modification complexe de la chimie de la péridotite. En effet, la mobilité des éléments lors de l’hydratation de la péridotite est contrôlée par de nombreux facteurs tels que le rapport eau / roche, la composition du fluide, la fO2 locale, le pH, la composition chimique du protolithe… En conséquence, il existe de nombreux cas de figures dans lesquels le comportement de certains éléments peut changer (e.g. Paulick et al., 2006).

Une des observations majeures dans l’étude du comportement des éléments lors de la serpentinisation océanique est la baisse de densité de la roche qui passe de 3,3 g.cm-3 dans les péridotites à 2,5 g.cm-3 dans les serpentinites (Deer et al., 1966). Si cette baisse de densité se fait à volume constant, elle s’accompagnerait d’une perte d’éléments chimiques. A l’inverse, si elle est accompagnée d’une augmentation de volume, alors la composition de la roche resterait inchangée (Mével, 2003).

L’observation pétrographique des péridotites et serpentinites montre que la serpentinisation engendre une série de fractures micrométriques à métriques, associée à la cristallisation de différentes générations de serpentine (O’Hanley, 1992 ; Andreani et al., 2004, 2007). Ces fractures seraient la manifestation d’une augmentation de volume associée au processus de serpentinisation. D’autre part, l’étude des éléments majeurs suggère que, hormis la perte du CaO et l’oxydation du fer, ceux-ci sont peu mobilisés et affectés par les fluides lors de la serpentinisation (Miyashiro et al., 1969 ; Coleman & Keith, 1971 ; Komor et al., 1990 ; Mével, 2003 ; Andreani et al., 2007). Il semblerait donc que la serpentinisation soit un processus globalement isochimique à l’échelle des éléments majeurs.

Le comportement des terres rares (REE : Rare Earth Elements) est variable durant la serpentinisation océanique. Les analyses de roches totales des serpentinites et les analyses

in-situ de leurs minéraux montrent que l’altération de la péridotite peut conduire à une augmentation de la teneur en L-MREE (Light-Medium Rare Earth Elements, Figure I.17) et au développement d’une anomalie positive en Eu (Paulick et al., 2006 ; Andreani et al., 2009a). Cependant, cette observation n’est pas généralisable à tous les sites d’étude en contexte intra-océanique et dépend des conditions d’altération de la péridotite (rapport eau/roche, conditions redox, etc… Paulick et al., 2006). Néanmoins, ces études montrent que les HREE (Heavy Rare Earth Elements) sont peu mobiles par rapport au L-MREE dans les fluides lors de la serpentinisation océanique.

Figure I.17 : Spectres des REE normalisés aux chondrites des serpentines à texture maillée (Mesh) et bastite (Andreani et al., 2009a). Les serpentines présentent un enrichissement en LREE par rapport aux minéraux primaires de la péridotite (champs gris).

Parmi les éléments en trace, certains sont additionnés lors de la serpentinisation (Figure I.18) ; c’est le cas de certains FME (Fluid Mobile Elements) : B, Li, As, Sb, Ba, Cs, Be, Pb, U. En effet, ces éléments sont peu concentrés dans les minéraux primaires de la péridotite. Ils sont susceptibles, de par leur propriété, d’être présents en abondance dans le fluide engendrant la serpentinisation et d’être additionné dans la roche lors de la cristallisation de la serpentine.

Le Bore est fortement concentré dans les serpentinites (10 – 65 ppm) et les serpentines (10 - ~100 ppm) par rapport aux péridotites et à leurs minéraux primaires et à l’eau de mer (4-5 ppm). Cependant, cet élément n’excède jamais plus de ~200-300 ppm dans la serpentine, suggérant qu’il est progressivement incorporé jusqu’à un seuil de saturation dans la serpentine (Vils et al., 2008 ; Pabst et al., 2011 ; Figure I.18a). Les serpentines ont des teneurs en Li comparables à celles des minéraux primaires attestant que les teneurs de cet élément dans les serpentines sont contrôlés par celles du minéral hôte (Vils et al., 2008 ; Andreani et al., 2009a ; Figure I.18). Le Béryllium est faiblement concentré dans les serpentines (Vils et al., 2008) ; les concentrations de cet élément dans la serpentine sont proches de celles des minéraux primaires de la péridotite (Vils et al., 2011). Le peu de mesures disponibles dans la littérature en As, Sb, Ba, Cs, Pb et U montrent que ces éléments sont enrichis dans les serpentinites et serpentines par rapport au protolithe (Figure I.18b ; Andreani et al., 2009a). De plus, il semble que leur addition dans les serpentinites soit contrôlée par des facteurs différents. Par exemple, l’addition en As et Sb dans les serpentinites océaniques semble être en relation avec la circulation de fluides tardifs. La mobilité dans les fluides et le développement d’anomalies positives en Pb et U (ainsi qu’en Eu) dans les serpentinites et les serpentines semblent dépendre de la valence de ces éléments et donc des conditions oxydo-réductrices du milieu (Paulick et al., 2006 ; Morishita et al., 2009).

Les études portant sur le comportement des éléments volatiles (S, C) et halogènes (F, Cl) montrent que ceux-ci sont additionnés dans la péridotite lors de la serpentinisation (Orberger et al., 1999 ; Alt & Shanks, 2003 ; Delacour et al., 2008a).

Figure I.18 : (a) Diagramme B versus Li présentant la composition des serpentines océaniques et des minéraux primaires associés (Vils et al., 2008). (b) Diagramme présentant la composition des serpentines océaniques normalisés à la composition du protolithe péridotitique. Les valeurs supérieures à 1 indiquent un gain lors de la serpentinisation, à l’inverse celles inférieure à 1 indiquent une perte (Andreani et al., 2009a).

Le comportement du soufre est complexe lors de la serpentinisation océanique. En effet, le soufre est présent sous forme de sulfures dans la péridotite mantellique qui, lors de la serpentinisation de la roche, sont remobilisés dans les fluides (Delacour et al., 2008a). Ce S recristallise ensuite sous forme de micro-sulfures disséminés dans les textures maillées ou bastites (Alt & Shanks, 2003 ; Klein & Bach, 2009). L’analyse roche totale de péridotites totalement serpentinisées révèle un gain en S indiquant que cet élément est aussi additionné dans la roche lors de la circulation des fluides engendrant la serpentinisation. Cette addition n’est pas constante mais dépend de la composition du fluide (e.g. Delacour et al., 2008a). On notera que bien qu’aucune phase sulfatée ne soit observée dans la roche, les analyses isotopiques montrent une augmentation significative des teneurs en SO4 lors de la serpentinisation. Cette augmentation résulterait de la circulation de fluides riche en SO4 dans la roche (Delacour et al., 2008b).

Lors de la serpentinisation, le carbone est fixé dans la roche sous forme de carbone réduit organique (e.g. hydrocarbures) ou oxydé inorganique (e.g. carbonates ; Delacour et al., 2008c). Dans les échantillons naturels, la mise en évidence de ces espèces aux seins des serpentinites se fait par pétrographie couplée à la chimie isotopique. La nature des espèces formées dépends principalement des conditions oxydo-réductrices du milieu. En effet, il est proposé que lors de la serpentinisation de l’olivine, l’oxydation du fer soit couplée à une réduction du CO2 originellement dissous dans l’eau suivant une réaction supposée de type Fischer-Tropsch (McCollom & Seewald, 2001) :

Olivine (Fo88) + 1,34 H2O  0,25 Serpentine + 0,26 Brucite + 0,08 Magnetite + 0,08 H2

CO2 + 4 H2  CH4 + 2 H2O

A l’inverse, si les fluides sont plus riches en CO2, ils vont précipiter des carbonates (Kelemen & Matter, 2008) :

Mg-Olivine + 2 CO2  2 Magnesite +Quartz

Mg-Olivine + CaMg-pyroxene + 2 CO2 + H2O  Serpentine + Calcite + Magnesite Le taux de carbonatation versus serpentinisation et réduction du carbone est dépendant de la cinétique de ces réactions, qui peuvent aussi être lié à la présence de catalyseur, en particulier pour la réduction du CO2 (e.g. Prokurowski et al., 2008). Si la serpentinisation est rapide, le carbone va être réduit, puis transporté par les fluides sous forme de méthane. Si le système est suffisamment riche en CO2, la cinétique de carbonatation est supérieure à celle de serpentinisation, ce qui permet une carbonatation naturelle (e.g. Andreani et al., 2009b ; Jones et al. 2010).

Ainsi, la serpentinisation de la péridotite en domaine intra-océanique s’accompagne du stockage et du piégeage des LREE, FME, volatiles et halogènes dans les serpentines et les

phases associées. Ces roches transportent ces éléments depuis la ride océanique jusqu’aux zones de subduction.