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III. 1.) Le prisme sédimentaire du Queyras

III.1. b.) Evolution géochimique des serpentinites

L’étude géochimique des serpentinites du Queyras montre une évolution de la concentration des éléments en trace des serpentinites et des serpentines avec l’augmentation de température la température d’Ouest en Est du prisme d’accrétion du Queyras (Lafay et al.,

2013). Les échantillons étudiés dans le travail de Lafay et al. (2013) sont les mêmes que dans Schwartz et al. (2013, Figure III.3 & Figure III.4) : CR02, RQ23, RQ16 et RQ01.

D’après leur spectre en éléments en trace, les serpentinites du Queyras peuvent être divisées en deux groupes (Figure III.6). Le premier groupe correspond aux échantillons RQ01 et RQ23. Ils présentent un spectre en REE concave caractérisé par un faible enrichissement depuis les LREE jusqu’aux HREE (LaN/YbN = 0.57-1.01). Ces spectres sont interprétés comme hérités d’un protolithe harzburgitique (Lafay et al., 2013). Le second groupe correspond aux échantillons RQ16 et CR02. Ceux-ci ont des spectres en REE appauvris en LREE par rapport aux HREE (LaN/YbN = 0.19-0.24). Ils sont interprétés comme le résultat de la serpentinisation d’une lherzolite (Lafay et al., 2013). Parmi ces échantillons, seul RQ23 présente un spectre avec une anomalie positive en Eu (Eu/Eu* = 1.73). Les spectres étendus aux éléments en trace des serpentinites du Quyeras présentent une anomalie positive en Pb et des anomalies variables en U, Zr et Hf par rapport aux éléments de même compatibilité.

Les serpentinites du Queyras sont caractérisées par un enrichissement progressif d’Ouest en Est en As, Sb et Cs (cf. Fig. 12 dans Lafay et al., 2013). Les compositions en ces éléments des serpentinites du Queyras sont comprises entre un pôle péridotite ou serpentinite peu métamorphisée (e.g. Montgenèvre) et un pôle sédiment. Ceci suggère que cet enrichissement progressif provient d’interaction fluides entre les sédiments et les serpentinites pendant la subduction (Lafay et al., 2013).

Les serpentines ont des concentrations en REE et des spectres en éléments en trace variables reflétant la signature géochimique du site cristallographique à partir duquel elles cristallisent (Lafay et al., 2013). Dans l’échantillon CR02 (Grade 1 sur Figure III.7), les textures maillées (Yb = 0.45-1.09 ×C1) ont des concentrations en REE plus faibles que les bastites (Yb = 2.44-2.59 ×C1). Ces deux textures ont des spectres similaires, caractérisés par

une forme concave avec une augmentation progressive depuis les LREE jusqu’aux HREE (CeN/YbN = 0.14-0.34 et GdN/YbN = 0.17-0.83) et une anomalie négative en Eu (Eu/Eu* = 0.22-0.88). Les spectres en éléments en trace des textures maillées et des bastites se distinguent par des anomalies respectivement positives (Pbn/Cen = 2.8-12.4) et négatives en Pb (Pbn/Cen = 0.27-0.37). Les deux textures ont une anomalie négative en Zr et Hf (Zrn/Ndn =0.10-0.36). Les teneurs en FME de ces serpentines sont : B = 32-200 ppm ; Li = 0.7-27 ppm ; As = 0.07-0.21 ppm ; Sb ~ 0.01 ppm ; Rb = 0.16-1.39 ppm ; Ba = 0.8-3.5 ppm, Cs =0.1-1.7 ppm).

Figure III.6 : Spectre en REE et en éléments en trace des serpentinites du Queyras normalisés respectivement aux chondrites et au manteau primitif (valeurs de McDonough & Sun, 1995 ; analyses Lafay et al., 2013). Les échantillons sont classés par ordre croissant de métamorphisme.

Dans l’échantillon RQ23 (Grade 2 sur Figure III.7), les serpentines mixtes (Yb = 0.47-0.84×C1) sont enrichies en REE par rapport aux antigorites (Yb = 0.02-0.16×C1). Ces serpentines mixtes et antigorites ont des spectres en REE légèrement convexes (CeN/YbN = 0.3-1.3 et GdN/YbN = 0.3-0.7) avec des anomalies positives en Eu (Eu/Eu* = 1.4-4.4). Les spectres étendus aux éléments en trace de ces serpentines présentent des anomalies positives en Pb (Pbn/Cen = 1.2-68.7). Les serpentines mixtes ont des teneurs en B (87-125 ppm), Li (0.4-1.8) et Rb (0.2-0.3 ppm) similaires et en As (0.7-1.0 ppm), Sb (0.1-0.2 ppm), Ba (0.4-0.7 ppm) et Cs (1.9-3 ppm) supérieures aux antigorites (B = 65-98 ppm ; Li = 0.2-0.8 ppm ; As =

0.2-0.6 ppm ; Sb = 0.04-0.08 ppm ; Rb = 0.09-0.36 ppm ; Ba = 0.08-0.29 ppm ; Cs = 0.3-1.7 ppm). Par rapport à l’échantillon CR02, les serpentines de l’échantillon RQ23 sont enrichies en As et Sb et appauvries en Ba.

Les serpentines avec des spectres RAMAN intermédiaires et les antigorites de l’échantillon RQ16 (Grade 3 sur Figure III.7) ont des concentrations et des spectres en REE similaires (Yb = 1.9-5.6 xC1). Leurs spectres en REE sont concaves avec un enrichissement progressif depuis les LREE jusqu’aux HREE (CeN/YbN = 0.12-0.18), un aplatissement dans la région des M-HREE (GdN/YbN = 0.41-0.90) et une légère anomalie négative en Eu (Eu/Eu* = 0.72-0.96). Ces formations ont des concentrations en Li (5.3-16.7 ppm), Sb (0.24-1.24 ppm), Rb (0.41-0.92 ppm) Ba (3.2-8.9 ppm) et Cs (0.7-8.4 ppm) supérieures et en B (50-77 ppm) et As (0.20-0.69 ppm) similaires aux serpentines de l’échantillon RQ23.

Les antigorites de l’échantillon RQ01 (Grade 4 sur Figure III.7) sont appauvries en REE par rapport aux échantillons précédents (Yb = 0.05-0.33×C1). Elles ont un spectre en REE convexe avec un enrichissement en HREE par rapport aux L-MREE (CeN/YbN = 0.03-0.19 et GdN/YbN = 0.12-0.28). Leur spectre en éléments en trace possède des anomalies positives en Pb (Pbn/Cen = 41-718). Les antigorites de l’échantillon RQ01 ont des concentrations similaires en B (30-128 ppm), As (0.16-96 ppm), Sb (0.11-0.35 ppm) et plus faibles en Li (n.d.), Rb (0.03-0.09 ppm) Ba (0.04-0.23 ppm) et Cs (b.d.l.) que les serpentines de l’échantillon RQ16.

Figure III.7 : Spectres en éléments en REE (a, c, e, g) et en éléments en trace (b, d, f, h) des serpentines du Queyras (classées par degré métamorphique croissant, CR02 : grade 1, RQ23 : grade 2, RQ16 : grade 3, RQ01 : grade 4) normalisés aux chondrites et au manteau primitif (Lafay et al., 2013).

L’étude de Lafay et al. (2013) montre une augmentation progressive des concentrations en As et Sb dans les serpentines et les serpentinites avec la température. Cet enrichissement s’arrête brutalement à l’échantillon RQ01. Les travaux de Bebout et al. (1999) et de Garofalo (2012) mettent en évidence une évolution inverse dans les sédiments avec l’augmentation des conditions métamorphiques : ils suggèrent que le B, Li, As et Sb soient progressivement relâchés dans les fluides lors de la déshydratation des sédiments en contexte de subduction. A l’opposé, ils proposent que le Ba et le Sr soient peu mobiles dans les fluides lors de la déshydratation des sédiments. En accord avec ces observations, Lafay et al. (2013) proposent que l’As et Sb soient apportés par des fluides riches en SiO2 en provenance de la déshydratation des sédiments.

Ainsi, dans le prisme d’accrétion du Queyras, les serpentines jouent un rôle de réservoir temporaire des FME. Pendant les premiers stades de la subduction, la cinétique de réaction de la transition Liz/Chrys  Atg est contrôlée par des fluides riches en SiO2 en provenance de la déshydratation des sédiments (Schwartz et al., 2013). Ces fluides seraient enrichis en FME et permettraient la cristallisation de serpentines riches en ces éléments (Lafay et al., 2013). A partir 360-390°C, les serpentines du Queyras intègrent une quantité moindre de ces éléments suggérant qu’ils ont été relâchés de la composition de la serpentine par des fluides pouvant alors contaminer le coin mantellique.