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III. 1.) Le prisme sédimentaire du Queyras

III.1. a.) Observations pétrologiques et évolution P-T

Les ophiolites du Queyras représentent des lambeaux de lithosphère océanique arrachés puis incorporés dans le prisme d’accrétion lors de la subduction. Nous présentons ici l’évolution des textures et des paragenèses des métagabbros et des serpentinites avec l’augmentation des conditions P-T en allant d’Ouest en Est.

Les métagabbros

Les métagabbros du Queyras présentent des textures ophitiques faisant apparaitre à l’affleurement les anciens sites cristallographiques du plagioclase, blanc, et du clinopyroxène,

noir. Localement ces cristaux peuvent présenter un allongement témoignant d’une déformation ductile de haute température. Ces roches sont localement traversées par des filons de métabasaltes non déformés attestant que la déformation haute température est héritée d’un épisode océanique anté-subduction (Bruand, 2007). L’observation microscopique des métagabbros du Queyras révèle une augmentation progressive des conditions métamorphiques en allant d’Ouest en Est. Cette évolution est marquée par la cristallisation successive de paragenèses de BP à hornblende brune + hornblende verte + actinote + albite, à des paragenèses de plus HP passant de glaucophane + albite + lawsonite à glaucophane + jadéite + lawsonite puis glaucophane + jadéite + zoïsite.

Figure III.1 : Microphotographies en LPNA des métagabbros du Queyras. (a) Texture coronitique présentant au cœur le clinopyroxène magmatique puis en allant vers l’extérieure, une couronne de hornblende brune, de glaucophane et d’actinote (Nicollet, 2010). Le plagioclase est recristallisé en lawsonite. (b) Clinopyroxène bordé par une couronne de glaucophane (Bruand, 2007). Le plagioclase est recristallisé en lawsonite.

En lame mince, le site du clinopyroxène est partiellement remplacé à BP par des cristaux d’amphibole brune (Figure III.1a). Les teneurs en TiO2 de ces amphiboles varient de 5 à 3 % ce qui correspond à des températures de formations tardimagmatiques de l’ordre de 1050-950°C (Bruand, 2007). Ces amphiboles sont zonées : la couleur brune passe progressivement à une couleur verte en allant vers l’extérieur du cristal (Figure III.1a). Cette évolution s’accompagne d’une progressive diminution de la teneur en TiO2 des amphiboles qui passent de la magnésio-hornblende à l’actinote en allant vers le bord du cristal. Cette transformation de l’amphibole est similaire à celle observée dans les métagabbros du Montgenèvre (Chapitre II). Elle est interprétée comme liée au refroidissement et à l’hydratation de la roche en contexte intra-océanique (Bruand, 2007). La magnésio-hornblende marque le refroidissement de la roche dans les conditions du faciès Amphibolites et l’actinote, dans les conditions du faciès Schistes Verts.

L’augmentation des conditions P-T lors de la subduction est marquée par l’apparition du glaucophane et de la lawsonite puis de la jadéite à plus haute pression et température (Figure III.1). A l’Ouest du prisme, le glaucophane cristallise au contact du site du plagioclase et du pyroxène, sous forme

Figure III.2 : Affleurement présentant une zone à talc et carbonates au contact entre les sédiments et les serpentinites (Photo S. Guillot, Eychassier, Queyras)

de fine couronnes millimétriques. Le glaucophane se forme principalement aux dépens de l’amphibole de BP. Le site du plagioclase est formé d’assemblages de microcristaux à albite, actinote, lawsonite et glaucophane. En allant vers l’Est du prisme, les couronnes de glaucophane s’épaississent jusqu’à remplacer quasi-entièrement les amphiboles de BP (Figure III.1b). Dans le site du plagioclase, l’albite et l’actinote sont progressivement remplacés par un assemblage à jadéite, glaucophane et lawsonite. Localement, le site du plagioclase est recristallisé tardivement en zoisite +/- actinote. Ces minéraux cristallisent sous forme d’agrégats de ~ 100 µm repartis aléatoirement dans le site du plagioclase (Bruand, 2007). Leur cristallisation résulte d’une augmentation de température lors du trajet rétrograde du massif. Les clinopyroxènes magmatiques présentent des lamelles de jadéite orientées parallèlement aux clivages.

Les serpentinites

Dans le prisme d’accrétion du Queyras, les serpentinites sont emballées dans les Schistes lustrés. Elles sont entièrement recristallisées en serpentine et magnétite. Très peu de minéraux primaires sont préservés. Seul le clinopyroxène et le spinelle peuvent être observés en lame mince. Le contact entre les serpentinites et les métasédiments est souligné par une zone à talc et carbonate (Figure III.2). Cette dernière est le témoin d’interactions fluides entre ces deux lithologies. La présence de talc est particulièrement importante, car celle-ci suggère des échanges en SiO2. En effet, lors de la déshydratation des métasédiments, les fluides relâchés sont particulièrement riches en H2O, SiO2 et CO2 par rapport aux autres éléments (Bebout & Barton, 1989 ; Garofalo, 2012). Ainsi, lors de la subduction, il est envisagé que la cristallisation de l’antigorite aux dépens du chrysotile et de la lizardite océaniques se fasse selon les réactions suivantes (Evans, 2004 ; Schwartz et al., 2013) :

Liz/Ctl + SiO2(aq) = Atg (ou talc) + H2O

Dans le prisme d’accrétion, les conditions métamorphiques, obtenues grâce au thermomètre du graphite dans les métasédiments, varient de 330°C à l’Ouest à 470°C à l’Est (Figure III.3). Il est ainsi possible d’observer, dans les ophiolites associées au prisme d’accrétion, la cristallisation progressive de l’antigorite avec l’augmentation des conditions P-T. L’étude de Schwartz et al., 2013 présente l’évolution pétrographique de cette transition de phase d’Ouest en Est (Figure III.3). Nous résumons ici les parties essentielles de ce travail.

Figure III.3 : Carte présentant l’évolution de la température dans le prisme d’accrétion du Queyras. Les résultats sont obtenus par spectroscopie RAMAN sur le graphite contenu dans les méta-sédiments en contact avec les serpentinites. CRXX, RQXX, BBXX : localisation des échantillons (Schwartz et al., 2013).

L’échantillon CR02 (T = 340°C) présente des textures maillées composées de lizardite et de magnétite. La bordure de la maille est localement remplacée par des aiguilles

d’antigorite (Figure III.4b). La proportion d’antigorite est estimée dans cet échantillon à 10%. Les échantillons RQ23 (T = 356°C) et RQ16 (T = 373°C) sont composés majoritairement d’antigorite avec des reliques de lizardite. L’antigorite est sous forme de baguettes accumulées dans des zones de ~ 300 µm de diamètre et en bordure de maille où elle remplace la lizardite (Figure III.4c). Le cœur de la maille présente des spectres RAMAN intermédiaires entre la lizardite et l’antigorite attestant de leur recristallisation partielle en antigorite à l’échelle micrométrique (Schwartz et al., 2013). Peu de reliques de magnétite apparaissent en bordure de la maille. Les échantillons BB01 (T = 402°C) et RQ01 (T = 463°C) sont essentiellement composés d’antigorite et chlorite (Figure III.4d). Quelques fines lignes de magnétites permettent de différencier l’ancien site de l’olivine de celui du pyroxène. Dans l’échantillon RQ01, les spectres XRD indiquent la présence d’olivine. Sa présence dans l’échantillon est interprétée comme résultant de la déserpentinisation de l’antigorite (Schwartz et al., 2013).

Nous avons vu dans le chapitre précédent que les champs de stabilité de la lizardite et/ou du chrysotile à HP sont mal définis. Seule l’étude thermodynamique de Evans (2004) propose un champ de stabilité très large pour l’apparition de l’antigorite depuis 30°C jusqu’à 350°C. L’étude pétrographique de Schwartz er al. (2013) des serpentinites du Queyras permet de tester le champ de stabilité à HP de l’antigorite en contexte naturel.

Figure III.4 : Schéma illustrant la recristallisation progressive de la lizardite en antigorite lors de la subduction (Schwartz et al., 2013). Le stade intra-océanique est basé sur l’échantillon ICH02 du Montgenèvre.

Dans le prisme d’accrétion du Queyras, la coexistence de l’antigorite avec la lizardite est observable dès 320°C et 9-11 kbar. Dans ces échantillons, l’antigorite croit aux dépens de la lizardite. Sa croissance est assistée par la présence de fluides riches en SiO2 en provenance des sédiments qui se déshydratent (Figure III.2 ; Lafay et al., 2013 ; Schwartz et al., 2013). La coexistence de lizardite et d’antigorite est encore observable dans les serpentinites du Queyras jusqu’à 390°C où la présence de la lizardite est déduite par spectroscopie RAMAN (Mixed Lz/Atg sur Figure III.4). Au-delà de cette température, la lizardite disparait des échantillons et est totalement remplacée par l’antigorite (Figure III.4). Ceci montre que la transition lizardite

(a) (b)

vers antigorite, lorsqu’elle est assistée par des fluides riches en SiO2 en provenance des sédiments, est comprise dans un champ divariant s’étalant depuis ~300 à ~400°C (Figure III.5).

Figure III.5 : Diagramme de phase de la lizardite et de l’antigorite (Schwartz et al., 2013). Les chiffres 1 et 3 correspondent au début des réactions et 1’ et 3’ à la fin de ces mêmes réactions. Le champ de coexistence de la lizardite et de l’antigorite est restreint à un champ s’étalant entre 300 et 400°C dans le prisme d’accrétion du Queyras. A partir de 460°C, la réaction 4 suggère l’apparition de l’olivine.