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2.4 Commissions techniques

2.4.3 Conclusions concernant les commissions techniques

commissions techniques

Les commissions techniques à Nantes et à Bordeaux ont des fonctionnements et des résultats très différents. A Nantes, la commission reste assez superficielle dans son analyse technique du projet de Nouvel, ne met jamais en doute les propositions de l’architecte et formule ses conclusions d’une manière de toute évidence orientée e n faveur du projet (quitte à utiliser des moyens de censure ou de falsification assez grossiers). A Bordeaux au contraire, la commission propose une analyse technique fine du projet de Rogers, voire même une contestation assez directe du parti énergétique de l’architecte ; ses conclusions semblent plus impartiales et font état de ses doutes. On ne sait pas si la première attitude a favorisé le choix du projet de Nouvel, le maître d’ouvrage nous rappelant simplement que les images de l’architecte ont joué un rôle prépondérant. A contrario, on sait que les réserves de la commission à Bordeaux n’ont pas pesé dans le choix du jury, pour autant qu’elles aient même été mentionnées lors des délibérations.

Les travaux des commissions techniques, dans ces projets, se rapprochent donc plus de gesticulations satisfaisant les procédures plutôt que de véritables outils de décision. Qu’elles les orientent positivement ou négativement, leurs conclusions semblent rester marginales dans le choix du jury, ce que nous confirme d’ailleurs le maître d’ouvrage : « l'évaluation au moment du concours (…) cherche quand même à voir quel est le meilleur projet, au regard de tel ou tel angle d'attaque (…) mais, c'est un élément

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subalterne puisque le choix final qui se fait au sein du jury se fait en donnant à ce critère là un poids extrêmement faible quand il est mesurable ».

Dans ces conditions, les qualités d’ambiance qui sont évaluées par les commissions techniques apparaissent comme un critère mineur dans le choix des projets (58). Lorsque nous demandons au maître d’ouvrage si les membres du jury de Nantes avaient conscience que la projection de la lumière naturelle dans les salles d'audience pouvait n'être pas juste, qu’elle pouvait être purement rhétorique, celui-ci nous répond très simplement : « la question n'a même pas été évoquée ».

Plusieurs éléments peuvent expliquer ce déni des ambiances dans le choix des projets. D’une part la nature technique des décisions peut faire peur : les membres des jurys de concours sont en droit de faire valoir leur incompétence : comment juger dans u n domaine d’expertise réputé difficile et que l’on ne connaît pas ? Les conclusions des commissions techniques peuvent sembler hermétiques, ou bien leurs enjeux peuvent ne pas être compris. Par ailleurs, le caractère innovant de certaines propositions peut également inquiéter : le manque de références quant aux solutions de ventilation naturelle proposées par Rogers à Bordeaux, ou sur les dispositions d’éclairage de Nouvel à Nantes, peut conduire à écarter l’argument technique dans un processus décisionnel délicat et potentiellement source de conflits.

Une autre raison tient à l’expression même de cette argumentation technique dans les documents de concours. Les commissions procèdent par filtres successifs, qui résument une information techniquement complexe à quelques lignes conclusives dans un rapport thématique, puis à une note ou une appréciation dans une synthèse générale. Le contenu des analyses elles-mêmes et les implications architecturales, symboliques ou ambiantales des propositions sujettes à débat, sont perdus dans ce filtrage. Le cas de Nantes est assez caricatural : on passe d’une analyse technique plus ou moins fiable, à une note établie entre 1 et 2, puis à une appréciation en termes simplistes de type bon, moyen, faible. A ce niveau de dégradation de l’information, l a nature même des dispositifs étudiés a disparu : de quoi parle-t-on lorsque l’on dit que l e palais de justice de Nantes est « satisfaisant » sur le plan fonctionnel ? A Bordeaux, ce phénomène apparaît moins caricatural mais l’absence de hiérarchie dans les réserves émises par la commission technique contribue à diminuer l’importance de chacune de ces réserves, si bien que des questions d’importance comme celle des bureaux transparents et de leur éclairage naturel est interrogée avec les mêmes mots que des questions comme la nature des menuiseries extérieures. Ces formulations peuvent laisser penser que ‘tous ces problèmes techniques seront réglés plus tard’.

Enfin, une dernière explication tient aux outils d’évaluation des projets mis en œuvre par les commissions techniques, et qui apparaissent d’un niveau bien inférieur à ceux utilisés par les concepteurs eux-mêmes. Ainsi, lorsque Nouvel présente des simulations d’éclairement des salles d’audience, la commission technique de Nantes ne se donne aucun moyen pour en vérifier la validité et ne peut dans ce cas qu’entériner les résultats de l’architecte. Elle est conduite à faire semblant en quelque sorte. De même à Bordeaux, même si elle émet des doutes quant aux méthodes de simulation thermique utilisées par l’architecte, la commission ne propose pas d’évaluation alternative et ne peut fournir au jury que ses doutes. Dans ces conditions, les commissions peuvent-elles réellement prétendre à une évaluation technique des projets ? Leurs conclusions peuvent-elles être jugées crédibles et sont-elles susceptibles d’avoir un poids, même minime, dans les choix que doit opérer le jury ?

58. De même que le coût des projets si l’on se rappelle que dans les deux cas, les projets retenus sont les plus chers, en investissement et/ou en exploitation.

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