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Toutes les tentatives de définition du rapport masculin/féminin butent en définitive sur une dissymétrie essentielle qui s’exprime autant dans la quotidienneté des rapports sociaux que dans les constructions linguistiques des cultures ou encore dans les idéologies tacites qui façonnent les sociétés. Qu’il s’agisse de distinguer sexe et genre, ou de chercher à comprendre les mécanismes de la domination masculine, c’est surtout l’étrange faculté de catégorisation de l’espèce humaine

32 Planté, C. (2002). La confusion des genres. In M.C. Hurtig, M. Kail, H. Rouch (Coord.). Sexe et Genre. CNRS

éditions.

33 Duru-Bellat, M. (1994). Filles et garçons à l’école, approches sociologiques et psychosociales. Note de synthèse.

Revue Française de Pédagogie. 109. 111-141.

à valoriser ou dénigrer, à partir de l’absence ou de la présence de certains caractères corporels, qu’il faut ici retenir.

Le passage d’une différence anatomique et physiologique objective, matérielle, irréfutable des sexes à la hiérarchie, à la catégorisation binaire, et à la valorisation de ces catégories selon qu’elles sont appliquées au masculin ou au féminin, traverse les cultures et les sociétés. Aujourd’hui, il est clair que les mobiles de l’instauration de différences identitaires entre les deux sexes ne peuvent se résoudre à une simple ou quelconque déduction biologique. Les travaux actuels de la biochimie ou de la génétique nous convainquent de l’unicité de l’espèce humaine, la biologie génétique atteste de l’absence d’indicateurs dichotomiques irréfutables du sexe d’un individu ; chaque élément (caryotype, taille, anatomie du bassin, pilosité…) se présente le plus souvent sous forme de variables continues. Pourtant, le corps et la nature légitiment toujours la domination masculine. Les courants féministes universalistes ont cherché en vain à nier la place du corps pour construire l’égalité entre les sexes, mais tous les mouvements féministes trébuchent entre la dénonciation du stigmate, de la caricature féminine et un désir de neutralisation des apparences.

Ce chapitre s’interroge sur les finalités de l’EPS. Puisque les inégalités entre les sexes semblent prendre racine dans des fondements biologiques, anatomiques, faut-il prendre le risque d’en tenir compte ou faut-il les ignorer dans une neutralité suspecte au sein d’une discipline qui justement s’adresse au corps et se revendique à cet égard essentielle ? Les contenus enseignés en EPS sous couvert de culture commune ne risquent-ils pas de gommer une identité, une spécificité féminine, un usage particulier et différencié du corps, une mobilisation de techniques et d’habitus spécifiques aux femmes et aux filles ?

Actuellement, pour les féministes, revendiquer que les hommes et les femmes soient égaux, n’implique pas ipso facto qu’ils soient identiques, car l’égalité est avant tout un donné politique. C’est une construction culturelle, juridique qui n’existe pas dans la nature. Elle permet de déterminer et d’attribuer une valeur. L’égalité n’a rien à voir avec la ressemblance, l’identité, la similitude. Elle atteste d’une égalité de droits civils mais ne valide aucunement une quelconque ressemblance ou similitude. Elle est liée à une fonction ou à une condition plus qu’à un état. Parler de l’égalité des sexes revient à définir une règle, un principe de fonctionnement dans une société qui partage et reconnaît pour chacun des droits et des devoirs.

A l’école, le principe d’égalité des chances prévaut, mais le principe d’une discrimination positive est parfois aussi évoqué. Certaines exceptions sont-elles nécessaires, acceptables pour rétablir un équilibre social précaire ? L’EPS peut-elle continuer à ignorer ou faire semblant

d’oublier les différences culturelles ou génétiques ou doit-elle déroger à la règle et compenser par des actions particulières, des inégalités qui ne seraient pas si naturelles que cela ? Si la présence de barèmes différenciés mesurant les performances athlétiques des filles et des garçons ne semble par exemple choquer personne, ne faut-il pas aussi s’interroger plus en profondeur sur les conditions qui laissent les filles à plus d’un point des garçons en EPS au baccalauréat?

Pour Arnaud35, « la pédagogie différenciée connaît les différences d’âge, les particularités socioprofessionnelles, ethniques et religieuses, mais elle ignore le sexe. L’éducation physique tout comme le sport s’adresse au genre humain, non à des femmes ou à des hommes, à des filles ou à des garçons ». Il montre ainsi que l’éducation physique tout au long de son histoire récente a occulté toute réelle velléité de différenciation de finalités, de programmes, de contenus d’enseignement et même d’évaluation entre les sexes. Son analyse des instructions officielles de la discipline le conduit à affirmer que les filles sont ignorées au profit d’un être a-sexué, d’un enfant épistémique, d’un type-idéal. Il affirme aussi que ce n’est même pas cet élève neutre qui est éduqué mais bien plus une technique qui est enseignée, technique sportive qui pour lui n’a pas de sexe et « tend à l’acculturation des populations, à l’indifférenciation des rôles et des statuts masculins et féminins ».

Clément36 nous rappelle aussi que l’EPS fut particulièrement concernée par les évolutions culturelles des années 1970 et notamment les idées issues des mouvements féministes. « En tentant de réhabiliter le corps contre le sport, les courants alternatifs issus des années soixante préconisent l’expressivité des corps et critiquent à la fois la ségrégation sexuelle qu’impliquent une EP exclusivement sportive et l’idée d’une EP féminine ». Pour lui, l’évolution du sport et des activités physiques féminines au sens large suit celle des luttes féministes, mais la relation n’est pas directe. Lors des mouvements féministes, les femmes qui revendiquent une libération de leur corps sont restées ou muettes ou plutôt hostiles au mouvement sportif compétitif, symbole de la domination masculine. Il souligne aussi la nécessité d’approfondir la réflexion sur ces questions d’inégalités garçons-filles, plus particulièrement ici : « l’EPS, discipline qui s’occupe des corps par l’intermédiaire des sports, est la plus concernée des disciplines scolaires par cette réalité dans une école ouverte par définition à la diversité des représentations et des usages de la différenciation sexuelle. »

35 Arnaud, P. (1996). Le genre ou le sexe ? Sport féminin et changement social (XIX° - XX° siècle). Histoire du

sport féminin ; Tome 2 : Sport masculin-sport féminin : éducation et société. L’harmattan.

36 Clement, J.P. (1996). Pratiques corporelles féminines, différenciation sexuelle et gestion de la mixité en EPS

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Le chapitre précédent montre comment les différences biologiques sont énoncées pour justifier les disparités entre les sexes puis les inégalités sociales. Elles servent souvent d’alibis, de cautions spontanées et contestables d’une organisation sociale particulière. C’est aussi ce qui sous tend le travail de Bourdieu pour qui la domination masculine s’érige toujours à partir de différences biologiques entre les hommes et les femmes. La hiérarchie instituée socialement apparaît alors naturelle. Les individus disposent d’aptitudes, de ressources physiques différentes, mais ce capital doit-il induire, expliquer, justifier même des comportements, des rôles sociaux spécifiques ?

Ce deuxième chapitre s’attachera justement à l’étude plus circonspecte des différences biologiques qui distinguent filles et garçons au lycée et sont souvent présentées comme suffisantes pour expliquer les écarts de réussite en EPS. Pour les élèves, comme pour les enseignants, disposer d’un fort capital physique ou énergétique constituerait une sérieuse assurance de réussite en EPS. Dans une discipline qui s’attache au corps et à son développement, qui valorise les performances physiques et les habiletés motrices, il semble ici pertinent d’aborder la question de la réussite, de l’efficacité et de la compétence physiques sous leurs aspects énergétiques, morphologiques, biologiques, physiologiques….

Un long propos sur les mécanismes physiologiques ou sur les différences anatomiques entre garçons et filles pourrait cependant paraître bien fastidieux. Ce chapitre pointera quelques données scientifiques, qui prendront davantage valeur d’exemple pour étayer le propos, plutôt que de développement exhaustif. Il s’agira dans un premier temps de dresser un bref état des lieux des connaissances scientifiques relatives aux potentialités physiques des adolescents en ciblant le point de vue sur les écarts morphologiques qui peuvent exister entre les jeunes gens et les jeunes filles. Une attention particulière sera ensuite portée sur les déterminants de la performance physique qui pourraient induire des écarts de réussite entre les individus des deux sexes.

Ce chapitre tentera de montrer que la compétence physique a peut-être plus à voir avec les conditions de vie, le niveau socioéconomique, la pluralité des stimulations affectives et

cognitives qu’avec la quantité de fibres musculaires, de testostérone ou d’œstrogènes. Le sexe serait un facteur de peu d’importance dans la prédiction ou la limitation des performances physiques. Ce seraient davantage les compétences acquises, l’entraînement, la maîtrise de techniques efficaces qui distingueraient entre eux les individus.