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Chapitre 2 : Approches théoriques

2.2. L’approche néo-institutionnaliste

2.2.2. Concepts clés

2.2.2.2. Complémentarité institutionnelle

Le point commun de toutes les définitions du concept de complémentarité institutionnelle est l’idée que la coexistence de deux dispositifs (ou plus) affecte de manière positive les choix stratégiques des acteurs concernés (Deeg, 2007, p. 612). En d’autres termes, la complémentarité institutionnelle s’actualise lorsqu’un acteur est plus avantagé par les retombées conjointes de dispositifs en complémentarité avec des institutions, que par celles d’un dispositif singulier (Deeg, 2007).

La complémentarité institutionnelle se situe entre deux institutions (ou plus) qui interagissent et peuvent être soutenues différemment et simultanément par une diversité d’institutions, telles que l’État, le patronat, des syndicats ou autres (Charest, 2008a; Crouch, 2006). Le postulat principal du concept de complémentarité institutionnelle est qu’elle émerge d’un processus de jeux politiques entre acteurs et de luttes historiques. Il n’y a pas de planification d’ensemble venant des élites concernant l’évolution de la complémentarité institutionnelle. Cette dernière évolue de manière incrémentale ou plus ou moins hasardeuse entre acteurs (Campbell, 2011). En conséquence, la complémentarité institutionnelle résulte :

 tantôt d’une diversité d’acteurs aux visions et aux intérêts divergents ou convergents, lesquels sont construits socialement au fil du temps et ne sont donc pas prédéterminés ; ils peuvent entrer en conflit et mener à des compromis sociaux complexes qui peuvent produire une complémentarité institutionnelle et son évolution (Crouch, 2005a) ;

 tantôt des capacités dont peut se prémunir à différents degrés une diversité d’acteurs dans un contexte donné, afin d’influencer la trajectoire et les retombées de la complémentarité institutionnelle.

Ce processus n’est pas nécessairement intentionnel de la part des acteurs ; souvent même il est le fruit du hasard. Le processus de complémentarité institutionnelle est contingent et exprimé par des jeux politiques entre acteurs portant sur la finalité, les ressources et le pouvoir de conception et de transformation des dispositifs. La complémentarité institutionnelle est continuellement renégociée et contestée par des acteurs : aucun mécanisme ne garantit sa stabilité et elle a un besoin constant de l’appui politique des parties prenantes pour survivre à long terme (Busemeyer et Trampusch, 2012b). La complémentarité institutionnelle n’est donc pas nécessairement le résultat d’un processus rationnel où les acteurs tentent d’obtenir une complémentarité optimale et économique. Elle dépend plutôt des forces politiques en présence. Ce processus a l’avantage de clarifier le rôle des acteurs sociaux à l’égard des dispositifs (Charest, 2008a; Crouch, 2005a). La complémentarité institutionnelle désigne généralement l’influence de l’interdépendance des institutions sur le comportement des acteurs.

L’idée est que plus il y a de complémentarité, plus il y a de retombées institutionnelles positives ou négatives. Les retombées de la complémentarité peuvent être négatives en raison d’un déséquilibre ou de comportements extrêmes de certains acteurs. Les retombées de la complémentarité peuvent être positives, deux explications aident à comprendre comment la complémentarité institutionnelle peut générer des retombées positives plutôt que négatives (Campbell, 2004). D’abord, la complémentarité institutionnelle met en jeu des institutions qui

s’alignent et renforcent les incitatifs des acteurs afin de produire des gains économiques ou autres retombées qui ne seraient pas produits autrement. Ensuite, la complémentarité institutionnelle créée des institutions politiques pour développer des incitatifs compensatoires qui vont réduire les comportements extrêmes découlant de l’intérêt propre des acteurs. Par exemple, une institution est créée pour compenser la faiblesse d’une autre institution (Campbell, 2011). Il y a en ce sens une tentative d’équilibrer la complémentarité institutionnelle.

Dans l’approche de la variété du capitalisme, la complémentarité institutionnelle entre des dispositifs est, par contre, définie comme fonctionnelle et non politique (Godard, 2004, p. 238). Selon Crouch (2010), dans l’approche de la variété du capitalisme, la complémentarité institutionnelle peut jouer trois rôles : les institutions compensent entre elles les faiblesses des autres institutions (Crouch, 2010; Sisson, 2007, p. 34-37) ; les meilleures pratiques dans un secteur d’activité peuvent être adoptées par un ensemble d’institutions comme normes à suivre pour assurer un succès quelconque des institutions ; enfin, la complémentarité institutionnelle a un sens économique, car elle a pour fonction de réduire les coûts de transaction, c’est-à-dire que différentes institutions transigent entre elles, produisant un modèle stable de transaction économique mutuellement positif, permettant de réduire les coûts de transaction (Crouch, 2010). Ces perspectives ne tiennent pas compte, cependant, de la poursuite des visions et des intérêts divergents et/ou convergents des acteurs et de leur capacité d’agir afin d’obtenir des gains qui leur sont propres. Nous suggérons que la complémentarité institutionnelle est plus complexe que les rôles fonctionnels proposés par l’approche de la variété du capitalisme.

L’analyse conceptuelle développée par des auteurs de l’approche néo-institutionnaliste, Crouch, Campbell et Streeck, conçoit la complémentarité institutionnelle comme un processus d’évolution constante d’essais et erreur menés par des acteurs. En ce sens, la complémentarité institutionnelle devient ambiguë lorsqu’elle n’est plus ce qu’elle était au moment de sa conceptualisation. Elle peut être ignorée par les acteurs s’ils n’y croient pas. Elle est conçue par des luttes historiques et n’a pas de caractéristique universelle d’application (Deeg, 2007).

Autrement dit, la complémentarité institutionnelle est conçue et évolue en réponse aux visions et aux intérêts divergents et convergents d’une diversité d’acteurs ayant des capacités leur permettant d’en tirer profit. L’évolution de la complémentarité institutionnelle peut avoir un coût pour un acteur, mais bénéficier à un autre. La complémentarité institutionnelle peut donc être positive ou négative. (Campbell, 2011; Crouch, 2010). Dans cette analyse conceptuelle, nous cherchons à comprendre comment la finalité, les ressources et le pouvoir qui gravitent autour des dispositifs expriment la dynamique de la complémentarité institutionnelle d’un dispositif.