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Chapitre 3 Revue de la littérature : de la traductologie à la formation des traducteurs et

3.3. Axe pédagogique : les compétences en traduction et en interprétation

3.3.2 Compétences en interprétation

Plus spécifiquement, en ce qui concerne les compétences en interprétation, il faut signaler qu’elles ne sont pas exactement les mêmes qu’en traduction bien qu’il puisse y avoir quelques similarités. À part les compétences générales que les deux professions semblent avoir en commun, les compétences spécifiques requises pour la traduction et l’interprétation diffèrent de manière assez importante, et c’est ce dont nous allons traiter dans cette partie. Cependant, nous remarquons dans le discours traductologique contemporain que très peu d’auteurs se sont préoccupés des compétences spécifiques en interprétation.

À en croire Abi (2010 : 80) :

Rares sont les auteurs qui ont détaillé les compétences spécifiques acquises au cours de la formation en interprétation. Seule Hurtado et son groupe de recherche PACTE ont formulé les objectifs d’apprentissage. Cependant, ils ne citent pas les compétences spécifiques dans la formation des interprètes comme ils le font pour la traduction […]

Par ailleurs, il est important de constater qu’à part Hurtado, Gile (1995a) dans son ouvrage Basic

Concepts and Models for Translator and Interpreter Training, propose ce qu’il appelle les modèles

d’efforts qu’il présente comme constituant des compétences en interprétation. Les modèles d’efforts de Gile seront considérés ici comme les compétences (skills) dont l’interprète a besoin pour mener à bien sa tâche d’interprétation.

S’agissant particulièrement de l’interprétation simultanée, Gile (1995a : 162) détermine trois types d’efforts requis. Ce sont :

1. Listening and Analysis or Comprehension Component (écoute et analyse ou compréhension) 2. Speech Production Component (production du discours)

3. Short Term Memory Component (mémoire à court terme). Nous allons examiner chacune de ces compétences en détail.

1. Effort d’écoute et d’analyse ou de compréhension (Listening and Analysis or

Comprehension Effort)

Le premier effort exigé de l’interprète tel que préconisé par Gile relève de sa capacité à entendre pour comprendre. Il s’agit de déterminer comment l’interprète reçoit, perçoit, analyse et comprend le discours avant de l’interpréter. Selon Gile : « The Listening and Analysis Effort is defined here as consisting of all comprehension-oriented operations, from the analysis of the sound waves carrying the source-language speech which reach the interpreter’s ears, through the identification of words, to the final decisions about the “meaning” of the sentence ». (1995a : 162) Pour bien

reproduire ce que dit l’orateur dans la langue d’arrivée, il est impératif de bien entendre ce qui est dit dans la langue de départ. D’où l’importance de cet effort d’écoute, d’analyse ou de compréhension. C’est l’une des compétences que l’apprenti-interprète a besoin d’acquérir tout au long de sa formation, car ce n’est pas une opération automatique.

2. Effort de production du discours (Production Effort)

Cet effort concerne la capacité de produire (ou de reproduire) dans la langue d’arrivée le message que l’interprète a entendu et compris dans la langue de départ. Gile précise que « this is the name given to the output part of interpretation […] It is defined as the best set of operations extending from the mental representation of the message to be delivered to speech planning and the performance of the speech plan ». (1995a : 165) À l’instar de l’effort de compréhension, l’effort de production n’est pas une opération automatique, cela veut dire qu’elle s’apprend, elle aussi. Cette capacité est naturellement difficile pour l’interprète, mais elle doit être acquise durant la formation.

3. Effort de mémoire (Memory Effort)

Ici, il s’agit de la capacité de retenir de l’information, la reformuler, puis la restituer dans la langue d’arrivée en un court laps de temps qui, normalement, ne dure que quelques secondes. La mémoire active est donc une capacité importante que doit développer l’apprenti-interprète afin d’être en mesure de retenir, reformuler et restituer l’information au fur et à mesure que l’orateur parle. Pour développer cette mémoire active, il faut aussi cultiver l’hyper-concentration.

Gile donne un exemple de la mise en application de l’effort de mémoire comme suit :

During interpreting, short-term memory operations (up to a few seconds) occur continuously. Some are due to the lag between the moment sounds are heard and the moment they are interpreted: phonetic segments may have to be added up in memory and analyzed until they allow identification of a word or phoneme. (1995a: 168)

Pour réunir les trois types d’efforts ci-dessus énumérés, Gile propose un autre effort qui est celui de la coordination, qui sert de liaison entre les autres trois efforts. Selon lui :

Simultaneous interpretation (SI) can be modeled as a process consisting of the three Efforts described above, namely the Listening and Analysis Effort L, the Short-term Memory Effort M, and the Speech Production Effort P, plus a Coordination Effort C, which is required to coordinate the three other Efforts.

Gile résume les modèles d’efforts que nous pouvons considérer comme les compétences en interprétation simultanée en une formule mathématique comme suit :

SI = L + P + M + C

SI signifie Simutaneous Interpreting (interprétation simultanée)

L signifie Listening and Analysis Effort (effort ou compétence d’écoute et d’analyse)

P signifie Production Effort (effort ou compétence de production du discours en langue d’arrivée) M signifie Memory Effort (effort ou compétence de mémoire)

C signifie Coordination Effort (effort ou compétence de coordination des autres trois efforts). Bien que légèrement différentes des compétences requises pour l’interprétation simultanée, celles qui sont proposées par Gile pour l’interprétation consécutive comportent quatre aspects également, en l’occurrence : listening and analysis, note-taking, short-term memory operations et coordination.

Contrairement à l’interprétation simultanée qui ne procède qu’en une seule phase d’opération comme on l’a vu plus haut, le modèle d’effort en interprétation consécutive s’opère en deux phases :

Phase 1

Interpretation = L + N + M + C L Listening and Analysis N Note-taking

M Short-term Memory operations C Coordination

Phase 2

Interpretation = Rem + Read + P Rem Remembering

Read Note-reading

P Production (Gile, 1995a : 179)

Toujours à propos des compétences en interprétation, il est important d’ajouter que dans un autre ouvrage, Gile (1995b : 172-173) énumère 14 éléments qu’il choisit d’appeler « les aptitudes fondamentales » à l’interprétation. Ce sont :

1. Une bonne connaissance des langues de travail 2. Une bonne capacité d’analyse

3. Une bonne capacité de synthèse

4. Une capacité intuitive d’extraction du sens du discours 5. Une bonne capacité de concentration

7. Une voix et une présentation acceptables 8. La curiosité intellectuelle

9. L’honnêteté intellectuelle

10. Le tact et un certain sens diplomatique 11. Une bonne endurance physique

12. Une bonne endurance nerveuse 13. Une bonne santé

14. Une bonne culture générale

Notons que ces compétences déterminées par Gile, s’appliquent tant à l’interprétation simultanée qu’à l’interprétation consécutive.

Gillies lui aussi s’est penché sur la question des compétences que doit posséder tout bon interprète, dans son ouvrage intitulé Conference Interpreting - A Student’s Practice Book (2013). Même si le terme « compétence ou skills » n’est pas spécifiquement défini dans le livre, les éléments que Gillies décrit comme skills (p. 4-5) et qu’il explique en présentant des exemples d’exercices dans les parties C et B du livre, représentent amplement les compétences que doivent acquérir les apprentis-interprètes au cours de leur formation.

Pour l’interprétation consécutive, voici les compétences que propose Gillies (2013 : 99-194) : 1. Production (Delivery) : capacité de maîtriser la manière de parler, l’intonation, le débit de la voix, comment

lire sa note, etc.

2. Écoute active et analyse (Active listening and analysis) : capacité d’écouter un discours de manière attentive, de suivre la structure du discours et d’en dégager les points principaux présentés par l’orateur sans n’en perdre aucune partie. Cette compétence exige une hyper-concentration de la part de l’interprète.

3. Mémoire et rétention (Memory and recall) : capacité de retenir les informations et de s’en rappeler.

4. Prise de notes (Note-taking) : capacité de prendre des notes au fur et à mesure que l’orateur prononce son discours avant l’interprétation consécutive.

5. Reproduction (Reformulation) : capacité de restituer le message de la langue de départ vers la langue d’arrivée.

6. Contrôle de soi (Self-monitoring) : capacité de s’autogérer, s’autocontrôler psychologiquement, mentalement et physiquement.

7. Concentration multiple (Split attention) : capacité de se concentrer et de gérer plusieurs tâches en même temps.

Quant à l’interprétation simultanée, voici les compétences requises, selon Gillies (2013 : 195- 264) :

1. Production (Delivery) : capacité de maîtriser la manière de parler, l’intonation, le débit de la voix.

2. Concentration multiple (Split attention) : capacité de se concentrer et de gérer plusieurs tâches en même temps.

3. Décalage (Time lag or Ear Voice Span) : capacité de respecter le temps minimal raisonnable entre l’orateur et l’interprète.

5. Reproduction (Reformulation) : capacité de reformuler ou de changer les mots, les phrases ou les expressions afin de rendre une version qui est grammaticalement et syntaxiquement correcte.

6. Contrôle de soi (Self-monitoring) : capacité de s’autogérer, s’autocontrôler psychologiquement, mentalement et physiquement pendant l’interprétation.

7. Gestion du stress (Stress management) : capacité de gérer le stress, la fatigue, la distraction, etc.

Également, Gillies recommande différentes activités ou techniques pouvant aider les apprentis- interprètes dans l’acquisition de ces compétences.

Par ailleurs, l’European Masters in Conference Interpreting (EMCI), un consortium des écoles d’interprétation de conférence ayant pour objectif d’optimiser et d’harmoniser la qualité de la formation des interprètes dans l’espace de l’Union européenne, propose, dans un document intitulé

EMCI Core Curriculum17 mis à jour en septembre 2017, les compétences suivantes que doivent acquérir les futurs interprètes de conférence durant leur formation :

- good powers of concentration, analysis and synthesis - good communication skills

- a high degree of motivation - the ability to work under pressure

- and a readiness to accept feedback. (EMCI, 2017)

Au regard de ce qui précède, il va sans dire que toutes les compétences examinées ci-dessous sont importantes, voire indispensables, et donc doivent être prises en compte dans un programme de formation des interprètes visant l’efficacité.

3.4. Formation des traducteurs et interprètes dans le monde : historique et développement