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PARTIE II. CLARIFICATIONS CONCEPTUELLES ET PRESENTATION DE

3.2 Comment percevoir l’identité professionnelle ?

Nous ne regardons pas, dans cette étude, l’identité des enseignants de façon générale mais leur identité professionnelle ; celle qui à l’échelle du groupe, « permet aux membres d’une même profession de se reconnaître eux-mêmes et de faire reconnaître leur spécificité à l’extérieur » (Ion, 1990, p. 91). L’identité professionnelle des enseignants, que nous ne posons pas comme uniforme entre membres d’un même groupe ni, a priori différente d’avec celle de l’autre groupe, est ce qui va pouvoir unir les membres du groupe et les distinguer (Obin, Savoie et Verneuil, p. 133). « C’est ce qui rassemble des idéaux professionnels, toujours constitués d’une part de réel (des pratiques, des normes, une éthique) et d’éléments imaginaires (une histoire parfois mythifiée, une vision de l’avenir) » (id.). Il nous faut donc à la fois comparer le réel et l’imaginaire, les pratiques et les croyances des enseignants.

La possibilité d’une identité professionnelle commune

Le courant fonctionnaliste (par exemple Goode, 1957) voit dans les professions des communautés homogènes aux caractéristiques communes : sentiment d’identité, valeurs communes, statut à vie, langage spécifique, etc. Cette approche a été critiquée par les interactionnistes, dont les sociologues de l’école de Chicago, qui vont mettre en avant ce qui distingue avant ce qui rassemble. Pour Bucher et Strauss (1992 [1961]), c’est le terme de « segment » qui permet d’appréhender les professions dans leur diversité, segments qui sont

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les différentes composantes d’une même profession et peuvent faire obstacle à son unité. Claude Dubar va lui encore plus loin dans son analyse en parlant de crise des identités (Dubar, 2000) avec « la modernisation à l'œuvre dans les sociétés industrielles [qui] est un mouvement qui fait primer l'identité des Je sur l'identité des Nous ; les formes individualisantes, différenciatrices, sur les formes collectives, généralisantes » (Dubar, 2001, p. 25).

La question qui se pose à nous est celle de la possibilité même d’une identité professionnelle commune à un groupe d’enseignants, PE ou PC, avant même que de pouvoir imaginer une identité commune aux deux groupes. Notre travail est alors de comprendre ce qui fait unité pour les enseignants eux-mêmes. Est-ce le degré d’enseignement ? Ou bien d’autres composantes de leur identité comme l’appartenance à un mouvement pédagogique ou syndical, à un genre, un âge ou à un type d’établissement, à des valeurs ? Assiste-t-on, comme le pense Dubar, chez les enseignants, « à l'éclatement de modèles dominants au profit d'identités professionnelles qui sont davantage singularisantes, incertaines mais individualisées » (2001, p. 25) ?

Le concept de « segment », repris et développé par Florent Champy permet de prendre en compte à la fois l’unité d’une profession et sa diversité. En effet, il propose de définir trois logiques de segmentation : hétéronome, organique et agonistique (Champy, 2012, p. 129). La segmentation hétéronome prend en compte les différentes demandes faites aux membres d’un même groupe professionnel (par exemple en fonction du territoire ou du milieu social des usagers). Ici, nous pouvons analyser les différences entre des établissements scolaires se situant en milieu rural ou urbain ou accueillant des populations plus ou moins favorisée. La segmentation organique d’une profession s’applique lorsqu’un seul membre de la profession ne peut tout maitriser de son activité. Il y a alors une division du travail qui s’opère en complémentarité entre les membres du groupe mais également avec une forme de hiérarchie entre ses membres. C’est ce qui peut être à l’œuvre entre PE et PC ou entre PC de différentes disciplines. Enfin, la segmentation agonistique met en avant les oppositions visibles entre membres d’un même groupe professionnel, lorsque les valeurs mises en avant diffèrent trop. Il nous faudra étudier si cette segmentation peut se retrouver dans le groupe des enseignants, qu’ils soient PE ou PC, voire entre professeurs d’un même degré.

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 Une identité qui se construit dans l’interaction

L’identité professionnelle se manifestant dans l’action, on pourra en repérer certains traits dans les actions des individus. « S’il y a des identités collectives, c’est que les individus ont en commun une même logique d’acteur dans les positions sociales qu’ils occupent » (Sainsaulieu, 2014 [1977], p. 399-400). Mais, au-delà, c’est l’interaction entre des individus appartenant, ou non, au même groupe, mettant en avant les représentations professionnelles des uns sur les autres (Blin, 1997), qui nous amènera à distinguer les traits relevant d’une identité professionnelle commune.

« C'est dans leurs pratiques quotidiennes que les membres d'une société construisent tacitement leur appartenance à un groupe, leur caractère individualisant, leurs identités multiples et situées. L'identité est façonnée dans l'action sociale ; elle est le résultat de façons de faire, de procédés, d'"ethnométhodes" mobilisées par les acteurs sociaux pour rendre intelligible leur appartenance à une ou plusieurs catégories. Que ce soit dans les discours ou dans les pratiques, l'identité repose sur la double dynamique de rassemblement autour du "même" et de différenciation d'avec l'"autre". Ainsi les acteurs sociaux sont confrontés au cours de leurs pratiques à des choix et à des tensions entre le fait de marquer une différence avec certains groupes et de partager des traits communs avec d'autres." (Greco, Mondada, 2014, p. 7)

Ici, l’interaction permet à l’individu de s’affirmer comme semblable ou différent dans ses réactions, notamment au travers de « l'échange verbal entre les différents acteurs du monde du travail » (Dubar, 2001, p. 25), de construire son identité à travers la relation qu’il entretient avec son groupe, et avec les autres groupes avec lesquels il est en contact (Cuche, 2010, p. 101).

Par ailleurs, l’interaction entre groupes professionnels permet de voir si les individus sont porteurs de caractéristiques particulières, en affirmant une identité propre. « Si un groupe maintient son identité quand ses membres entrent en interaction avec d’autres, ceci implique qu’il y ait des critères pour déterminer l’appartenance et des façons de rendre manifeste l’appartenance et l’exclusion » (Barth, [1969] 2008, p. 213). Ainsi, si PE et PC, lorsqu’ils se rencontrent, maintiennent des postures différentes, manifestées par des logiques d’acteur spécifiques, alors, on pourra parler d’identités distinctes. Pour définir l’identité d’un groupe, ce qui importe n’est pas d’inventorier l’ensemble de ses traits culturels distinctifs mais de repérer, parmi ces traits, ceux qui sont utilisés par les membres du groupe pour affiner et maintenir une distinction culturelle (Cuche, 2010, p. 101).

Cherchant à mieux comprendre l’identité professionnelle des PE et des PC, c’est dans l’interaction entre ces deux groupes professionnels que notre travail se portera puisque « [o]n ne se construit son identité que sous le regard de l’autre et des autres, des différents autres, car selon les cercles de socialisation, on n’affiche pas la même facette identitaire, que

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ce soit avec les collègues de travail, le patron, les amis, la famille, etc. » (Kaufmann, 2009, p. 61). Nous nous demanderons si c’est la même « facette identitaire » que les PE et les PC affichent lorsqu’ils sont en présence les uns des autres et lorsqu’ils sont seuls dans une explication individuelle de qui ils sont (par le biais de questionnaires ou d’entretiens).