• Aucun résultat trouvé

Pourquoi choisir “ceux du milieu” parmi les deux classes moyennes sud-

L’exercice de « test empirique » que nous avons rapporté ci-dessus rend compte du caractère polymorphe d’une même catégorie qui peut désigner plusieurs groupes sociaux, selon les critères choisis : l’un correspondant à une upper middle class et l’autre, moins présent dans le débat public, que l’économiste J. Visagie appelle le « milieu réel ».

A partir des deux conceptions de la classe moyenne que nous venons de décrire, nous allons maintenant expliquer :

– comment nous avons construit un objet de recherche que nous désignons comme « ceux du milieu » ;

– pourquoi il est important de révéler les enjeux économiques et politiques derrière l’usage du terme « Black Middle class » en Afrique du Sud.

2.5.1 Les enjeux politiques de la polarisation du

débat public sur la strate supérieure de la « Black

Middle Class »

En effet, par ce terme de « Black Middle Class » est souvent désigné un groupe d’individus « noirs » qui affichent leur réussite et affichent tous les signes propres à une bourgeoisie : villa dans des quartiers résidentiels sécurisés, plusieurs voitures, et consommation de loisirs et de produits culturels.

Nous l’avons vu dans le chapitre 1, section 1.3, la « Black Middle Class » dans le discours public sud-africain est caractérisée par des signes d’opulence et de

ESCUSA Elodie ǀ Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 146

consommation ostentatoire qui correspondent à l’image du « Black Diamond ». Ce groupe, appelé « classe moyenne » correspond davantage à l’idée occidentale d’une classe moyenne, sans tenir compte des spécificités nationales et de la place de ce groupe dans la structure de la société sud-africaine, c’est-à-dire de sa signification dans le contexte du post-apartheid. J. Visagie montre que la classe moyenne « aisée » correspond aux standards occidentaux de classe moyenne en termes d’éducation : plus de la moitié des individus en âge de travailler ont l’équivalent du baccalauréat ou un diplôme de l’enseignement supérieur, alors que c’est le cas de seulement 20% des individus du « milieu réel ». Ce dernier est néanmoins plus représentatif « racialement » car elle comprend une majorité d’individus « noirs », alors que la classe moyenne « aisée » comprend pour moitié seulement des « Noirs » et près de 30% de « Blancs ».

Quels sont les enjeux de cette catégorisation « abusive » ?

On peut noter tout d’abord que, bien que similaire en taille (nombre de ménages), les deux groupes sociaux ainsi distingués n’ont pas le même poids économique. La classe moyenne « aisée » reçoit en effet presque la moitié du revenu total (47,3%) du pays en comparaison des 12,7% reçus par la classe « réellement » moyenne.

« Ce groupe [classe moyenne aisée] constitue une base importante pour la société en termes d’éducation et de compétences, il promeut l’entreprenariat et l’investissement et représente une source importante de demande de consommation ». (Visagie 2015 :3)

Il y aurait donc un intérêt des milieux économiques au développement de cette strate moyenne supérieure.

Les enjeux d’une telle catégorisation sont également politiques. Dans un pays où, de façon contre-intuitive, les inégalités de revenus ont augmenté sous l’ère démocratique post-apartheid271, il semble que l’image d’une classe moyenne « noire » aisée qui affiche les signes d’un enrichissement spectaculaire grâce à une consommation ostentatoire doive être analysée dans le contexte de la Transformation post-1994, et surtout de ses attentes déçues, notamment concernant la redistribution des revenus.

271 Voir le chapitre 9 « Income inequality after apartheid » de Seekings et Natrass 2005 pp300-339.

ESCUSA Elodie ǀ Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 147

Si les outils de la catégorisation sont économiques et quantitatifs, les enjeux sont politiques272. La « classe moyenne noire » institutionnalise l’État sud-africain post-apartheid et constitue un mode d’inscription dans le système international globalisé. En effet, l’idée d’une « Global Middle class » est théorisée par les IFI depuis 2007273. Elle est présentée comme un atout pour un pays « en développement » ou « intermédiaire » car, produit de la croissance, elle serait l’élément-clef d’un cercle vertueux qui lie croissance, consommation et démocratie. L’Afrique du Sud confirme donc par là son appartenance au «

middle-income countries »274.

L’Afrique du Sud rejoint un récit qui la dépasse grâce au concept de la classe moyenne, celui du progrès au sens large, qu’il soit économique ou politique275

. En filigrane des récits sur le « Black Diamond », le message transmis est que l’émancipation ou l’ascension sociale – la sortie de la pauvreté – sont possibles grâce à l’accès au marché et à la consommation.

Enfin, la « Black Middle Class » peut être également vue comme un élément d’un « récit nationaliste non classiste de progrès et de modernisation » développé par l’ANC276

depuis 1994.

En effet, pour le parti au pouvoir depuis 1994 en quête de légitimation, la catégorisation qui est faite de la classe moyenne « noire » dans les médias permet d’attester d’une réussite des politiques de rattrapage des « Noirs » sur les

272 Selon B. Hibou, « La macroéconomie apparaît ainsi comme un élément des processus de légitimation du régime, une expression de sa puissance et de sa capacité à créer de l’ordre. » (2011 :136). Non comme une technique ou un savoir, mais comme « un discours et une pratique de l’intégration internationale », comme une « appropriation d’un langage global ».

273 La Banque Mondiale est la première à publier un rapport sur le sujet en 2007, suivie par d’autres Institutions Financières Internationales (IFI) telles que l’OCDE (2012), la BRI etc. Cette « classe moyenne mondiale » est, selon cette littérature, créée par l’augmentation des produits intérieurs bruts de ces pays, au premier rang desquels se trouvent la Chine, l’Inde et le Brésil. Elle est d‘ailleurs définie par des tranches de revenus et l’augmentation de la croissance rend prévisible la croissance de groupes intermédiaire : Goldman Sachs prévoit une classe moyenne globale de 2 milliards d’individus en 2030 alors qu’ils seraient près de 5 milliards selon l’Institut d’Etudes sur la Sécurité de l’Union Européenne, soit près des deux tiers de la population mondiale.

274

Même si selon la Banque Mondiale (2009), la classe moyenne selon les critère s retenus par les théoriciens de la GMC ne concernerait que 2% de la population du continent africain.

275 Selon l’économiste N. Birdsall, « Les classes moyennes sont l’épine dorsale à la fois de l’économie de marché et de la démocratie dans la majorité des sociétés avancées » (Birdsall et al. 2000).

276“In 1996 the government adopted the Growth Employment and Redistribution (GEAR) strategy,

which turned the ANC’s developmental agenda toward market-driven globalization. Now in power, the liberation movement shifted its focus from resistance to economic profitability, political stability and the disciplining of social radicalism […] the political hegemony of the ANC translated liberation into a non-class nationalist narrative of progress and modernization.”

ESCUSA Elodie ǀ Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 148

« Blancs ». Le président J. Zuma s’exprimait en ces termes au Forum Forbes Africa en juillet 2014:

« La croissance [de la classe moyenne noire] démontre que nous sommes en train de progresser dans l’amélioration de la qualité de vie et dans l’accroissement des opportunités pour tous ceux qui étaient opprimés il y a seulement 19 ans de cela avant l’avènement de la liberté. »277

Cette vision de la société sud-africaine a un « angle mort » : l’augmentation du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté par exemple, et qui sont en très grand majorité des « Noirs ». L’émergence d’une « nouvelle classe moyenne noire » est souvent présentée comme un résultat ou le produit des politiques conduites par l’African National Congress depuis son arrivée au pouvoir en 1994. Selon L. Schlemmer (2005) et R. Southall (2004 :326)278, la « classe moyenne noire » post-apartheid aurait été créée de toute pièce par la politique du Black

Economic Empowerment, c’est-à-dire par un ensemble de mesures privilégiant

l’accès des « Noirs » à l’actionnariat et à l’emploi grâce à un système de quotas, notamment dans les grandes entreprises parapubliques279. En conséquence, ses liens de dépendance à l’État sont souvent questionnés.

Enfin, la catégorisation « Black Middle Class » participe de la « narration » de la rupture post-apartheid en mettant en scène et en images l’avènement d’une « nouvelle société ». Les travaux de sociologues et historiens sud-africains (Crankshaw, Southall, Brandel-Syrier etc.) montrent dès les années 1960 qu’une « classe moyenne noire » est présente (même si elle n’était qu’à l’état embryonnaire) sous l’apartheid. Pourtant, elle est souvent présentée comme « nouvelle » (Gervais-Lambony (2015 : 25), c’est-à-dire post-1994. Utilisée dans des discours de « mise en forme et de représentation » de la société (Boltanski et Chiapello [1999] 2011), elle permet d’attester de l’essai « transformé » de la rupture post-apartheid.

277

“The [black middle class] growth demonstrates that we are making progress in improving the

quality of life and extending opportunities to those who were oppressed only 19 years a go before the dawn of freedom.”

278 L’ANC penche vers « la construction d’un Etat pro-capitaliste et interventionniste », selon R. Southall, « prêt à utiliser son pouvoir, son influence et sa capacité d’investissement pour créer une bourgeoisie noire, étendre la classe moyenne noire et ainsi générer un transfert de richesse important des Blancs vers les Noirs. » (Southall 2004 :326)

279 La loi Employment Equity Act est mise en œuvre dans le secteur public et en 2003 des mesures similaires mais non coercitives sont instaurées dans le privé avec le Black Economic

ESCUSA Elodie ǀ Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 149

L’ANC a-t-il vraiment mis en œuvre une politique de création d’une « classe moyenne noire » ?

Au début des années 1990, la question ne semble pas tranchée parmi les théoriciens du mouvement (Southall 2012). P. Jordan, s’interroge dans les colonnes du journal du parti : « Dans le cadre de la déracialisation de la société, est -ce bien le rôle de l’ANC de nourrir et d’encourager les classes moyennes noires émergentes ? »280. La question est à l’ANC traversée par des ambiguïtés et des contradictions : si certains souhaitent faire de la bourgeoisie une force morale redistributrice281 au service du programme RDP (Jordan ANC 1996), d’autres regerettent la collusion des élites contraire à la théorie de l’Etat « developemental » et à la « transformation économique » (ANC 2012)282.

Ensuite, à la lecture des textes de doctrine, on trouve quelques mentions des « strates du milieu » ou de la « classe moyenne noire », mais elles sont souvent associées. Par exemple, dans un texte de 1997 : « La bourgeoisie noire émergente et les strates du milieu sont des forces motrices importantes de la transformation dont les intérêts coïncident avec au moins les intérêts immédiats de la majorité ». (ANC 1997 :10)

En fait, nous nous rendons compte que les théoriciens de l’ANC (Jordan dans ANC 1997, Netshitenzhe 1996) ou les sociologues (Southall283, Schlemmer, Crankshaw) emploient les termes « Black middle class » et « Black bourgeoisie » comme s’ils étaient interchangeables.

D’une part, cette confusion est consubstantielle à la langue anglaise et, en conséquence à la théorie sociologique britannique. Selon C. Bidou-Zachariasen qui s’intéresse aux classes moyennes dans la sociologie britannique : « […] la traduction de « middle classes » par « classes moyennes » est approximative car l’histoire de cette terminologie est différente dans les deux pays. Dans le langage courant, le terme « middle classes » évoque plutôt les couches aisées de la population.» (Bidou-Zachariasen 2000 :777). D’autre part, dans la tradition marxiste, l’émergence d’une classe moyenne est théorisée comme fondamentalement temporaire. Elle est appelée « petty bourgeoisie » et est amenée à rejoindre les rangs de la classe ouvrière ou de la bourgeoisie.

Cette confusion n’est pas seulement une question de vocabulaire. Concrètement, c’est en fait une minorité d’individus noirs disposant déjà d’un capital qui a été encouragée dans son développement. Dans la période de l’immédiat post-libération, la « bourgeoisie »284, qui constitue en majorité les rangs des leaders du parti (Darracq 2010) est vue par l’ANC

280 “In the de-racialization of society, is the fostering and encouragement of these emergent Black

middle classes one of the ANC task ?” (ANC 1996).

281 C’est la théorie de la « catalytic class » portée par l’économiste N. Birdsall de la banque mondiale selon laquelle la classe moyenne serait porteuse de meilleur gouvernance et de réformes économiques car ses intérêts coïncideraient avec ceux des plus pauvres.

282 “However, the dependence of this stratum on white and multinational capital and the State

makes some susceptible to pursue narrow interests which may not always be in the interest of economic transformation.” (ANC 2012).

283 R. Southall l’exprime d’ailleurs clairement dans un texte plus tardif (2014 encore non publié) dans lequel il revient sur son emploi des termes « Black middle class » et « petty bourgeoisie » selon une même acception.

284 Le texte qui théorise la Révolution Démocratique Nationale, par exemple, théorise le rôle de l’Etat (donc de l’ANC) dans l’économie mixte ; légitimise le rôle historique du Parti à diriger le pays ; et enfin, valide le besoin d’un Etat coordinateur et initiateur afin de changer radicalement la société dans le contexte d’une économie mixte. En vue de la réalisation de ce dernier objectif, il justifie l’existence et le développement d’une « bourgeoisie noire », tant qu’elle respecte les lois édictées par le Parti.

ESCUSA Elodie ǀ Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 150

comme une « avant-garde » dans le développement d’une économie de marché et entrepreneuriale que l’Etat doit donc favoriser tout en l’encourageant par la suite à redistribuer ses richesses285 plutôt qu’à les accumuler. Il est aujourd’hui prouvé par divers études (Visagie, Crankshaw etc.) que la politique de BEE n’a servi qu’à renforcer une bourgeoisie « noire » en germe à la fin de l’apartheid286 et à rapprocher celle-ci d’une élite politique au point critique de collusion entre élites économique et politique (Southall 2004)287.

285 “This bourgeoisie is referred to as "patriotic" because they are said to be concerned about the

interests of the nation as a whole, in terms of the RDP, and want to see South Africa succeed in a way that benefit the majority.”

286

Parce qu’ils étaient les seuls pouvant à ce moment -là remplacer les « Blancs » sur des postes de responsabilité ou des postes de décision.

287 Se mettent en place à ce moment-là les bases de l’Etat-parti selon le modèle d’une machine politique qui alloue les biens politiques et économiques afin de consolider son pouvoir et l’aisance de la nouvelle élite (Southall 2014).

ESCUSA Elodie ǀ Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 151

Conclusion du chapitre 2

La construction de notre objet grâce aux

différents critères d’identification sociale

Face au constat qu’il existait deux classes moyennes en Afrique du Sud, l’une plutôt aisée, et l’autre aux revenus plus modestes correspondant au « milieu réel » de l’échelle de répartition des revenus (le « milieu de la pyramide » comme le dit la Banque Africaine de Développement), nous avons choisi comme catégorie d’analyse celle qui était relative à la situation du pays.

Ainsi appréhendés, « ceux du milieu » sont réellement un « milieu social » au double sens de terme « milieu » qui se situe littéralement au milieu de l’espace social. Cette définition rejoint les approches néo-wéberiennes de la sociologie américaine qui placent la classe moyenne au milieu de la distribution statistique des revenus et du prestige.

Quel serait alors l’intervalle de revenus que l’on pourrait retenir aujourd’hui pour définir notre cible d’interviewés appartenant à la petite classe moyenne sud-africaine ?

Il convient d’actualiser les chiffres de J. Visagie qui datent de 2008288

. Selon les chiffres les plus récents que nous avons pu trouver, le revenu médian mensuel des ménages sud-africains en 2010 se situe autour de R5500 (€400) (OCDE 2010, NIDS 2012)289. Ce sera un repère tout en sachant qu’il connaît de trop nombreuses limites pour constituer un critère unique de définition.

Tout d’abord, ce chiffre vaut pour tout le pays et nous réalisons notre enquête auprès de la petite classe moyenne urbaine de la province du Gauteng, la plus développée économiquement. Nous savons que les revenus y sont en mo yenne plus élevés (SAIRR South Africa Survey 2012).

288 Le « milieu réel » correspondrait alors à des ménages dont le montant des revenus se situait entre R1520 et R4560, autour d’un revenu médian alors estimé à R3036

289 Voir l’étude NIDS (2012 :8), qui donne une estimation proche du revenu médian mensuel par tête (et non plus pour le ménage) pour l’année 2010 et selon le lieu d’habitat. Pour les ménages en zones urbaines (hors informal settlements), il est de R1113 par personne et par mois. Etant donné que les études statistiques considèrent qu’un ménage est composé en moyenne de 5 personnes en Afrique du Sud, cela reviendrait à un revenu médian de R5565.

ESCUSA Elodie ǀ Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 152

L’étude NIDS (2012 :8) donne une estimation proche du revenu médian mensuel par tête (et non plus pour le ménage) pour l’année 2010 et selon le lieu d’habitat. Pour les ménages en zones urbaines (hors informal settlements), il est de R1113 par personne et par mois. Etant donné que les études statistiques considèrent qu’un ménage est composé en moyenne de 5 personnes en Afrique du Sud, cela reviendrait à un revenu médian par ménage de R5565.

Grâce aux indicateurs Living Standard Measures (LSM) disponibles en Afrique du Sud, nous savons que « ceux du milieu » se situent environ dans les LSM 4,5 et 6 : ils ont donc au moins le Matric (équivalent du baccalauréat), et occupent un emploi semi-qualifié lorsqu’ils ne sont pas entrepreneurs.

ESCUSA Elodie ǀ Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 153

Conclusion de la 1

ère

Partie

Les catégorisations que nous avons répertoriées peuvent être qualifiées d’exogènes, voire d’« objectives », au sens où elles participent de façon exogène à la construction d’une identité sociale grâce à des critères de quantification qui se veulent objectifs. Dans les luttes pour le pouvoir symbolique de représenter la société, certains acteurs sont en position dominante et peuvent ainsi « nommer » les choses et les gens en les classant par catégorie. La 1ère partie a retracé une généalogie historique partielle du concept de « Black Middle Class », puis a présenté quelques-uns de ses usages contemporains ainsi que leurs enjeux.

État et marché apparaissent comme étant au cœur du pouvoir symbolique de catégorisation de cette « Black Middle Class » en Afrique du Sud, pouvoir que P. Bourdieu définit comme « le pouvoir de constituer le donné par l’énonciation, de faire et de faire croire, de confirmer ou transformer la vision du monde, et par là, l’action sur le monde, et donc le monde » (Bourdieu 2001 :210).

Mais, contrairement à ce que laisse entendre P. Bourdieu avec le concept de « classe-objet », une identité sociale ne vient jamais uniquement d’acteurs extérieurs. Bourdieu pense en effet que certaines classes sociales, comme les paysans qu’il prend en exemple, sont « dominées jusque dans la production de leur image du monde social et par conséquent de leur identité sociale. » (Bourdieu 1977 :4) Elles seraient « parlées », sans pouvoir contribuer à la vérité objective de leur classe.

Nous ne nions pas ces processus de catégorisation, bien au contraire puisque nous venons de les développer en 1ère partie, mais alors que Bourdieu met l’accent sur le travail de labellisation externe et de performativité des catégories sociales290, nous

290 La performativité a pour effet de créer une réalité à partir d’une entité théorique. Ainsi, des catégories sociales, même créées de façon artificielle, fin issent par se matérialiser et devenir pertinentes pour les acteurs eux-mêmes qui se la réapproprient, l’adoptent ou la réinventent. La performativité passe par la « répétition des images sociales, des attentes sociales, des outils

ESCUSA Elodie ǀ Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 154

allons maintenant nous intéresser aux processus plus diffus qui se déroulent au sein même des groupes de l’espace du « milieu ».

constitués sur cette catégorie, des statuts, des emplois, iconographies, etc. ». Présents dans le quotidien des individus, ces éléments « tendent à leur faire adopter de nouvelles pratiques correspondant davantage à la qualification proposée » observables dans le domaine de l’éducation, de la propriété foncière, de l’habillement et des espaces de socialisation par exempl e. (Darbon et Toulabor 2014) La classe-objet produit alors son effet social par prophétie auto -réalisatrice ou par les effets de la représentation étudiés par Bolta nski notamment. Il est quasiment impossible