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Chimie des complexes de gadolinium

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A. Découverte et utilisation des lanthanides et du gadolinium

Le gadolinium doit son nom à Johan Gadolin, qui découvrit en 1794 dans une carrière proche de Stockholm le premier élément des lanthanides, aussi appelés « terres rares » : l’yttrium, présent dans un minerai appelé ytterbite (Gadolin, 1794). C’est presque un siècle plus tard, en 1880, qu’un chimiste suisse, Jean-Charles Gal- lisard de Marignac le découvre, et, 6 ans plus tard, le chimiste français Paul-Emile Lecoq de Boisbaudran réussit à l’isoler, nommant ainsi cet élément en hommage à son prédécesseur (Idée, 2009b). Ces « terres rares » ne le sont, en fait, qu’assez peu. Des mines d’extraction se trouvent notamment en Chine, aux USA, au Brésil, en Australie, en Inde (Emsley, 2011). Cependant, l’extraction et la séparation des lanthanides depuis les minéraux dans lesquels on les trouve est coûteuse et fastidieuse. De plus, ces procédés s’accompagnent de rejets toxiques importants (métaux lourds et radioactifs), dangereux pour la santé et l’environnement. C’est pour ces raisons que la Chine (environ 30% des réserves mondiales de terres rares), plus souple en matière de règlementation, en détient le quasi-monopole (site internet 7).

Les lanthanides sont largement utilisés dans de nombreuses technologies, telles que les turbines éoliennes, les moteurs électriques, le raffinement pétrolier, la production nucléaire, et plus récemment dans les fibres optiques, en tant que pigments dans le verre et les céramiques, les agents de contraste en imagerie bien sûr, ou encore comme marqueurs anti-contrefaçon (Eliseeva, 2011 ; Bünzli, 2013).

Le Gd, en plus de servir d’agent de contraste en imagerie, se retrouve dans les cathodes couleur des télévi- seurs, dans les disques durs, dans des alliages de fer ou de chrome, dans des composés optiques, ainsi que dans les centrales nucléaires pour ses capacités d’absorption des neutrons (Hurst, 2010). Sa concentration dans la croute terrestre est estimée à 5 ppm (Wastie, 2004).

B. Les différents chélates de gadolinium

Comme cela a été évoqué précédemment, le Gd3+, sous forme hydrosoluble, est fortement toxique pour

l’organisme. Les différences entre chélates hydrosolubles de Gd résident dans la structure de leur ligand polyaza-polycarboxylique. Le terme « chélate » a été introduit en 1920 par Sir Gilbert T. Morgan et KT Drew à partir du mot grec chele  qui signifie « pince de crabe » (Morgan, 1920). On distingue les chélates de Gd par leur structure moléculaire (il en existe 4 grandes catégories), leur efficacité en IRM, leur spécificité, ainsi que leurs constantes de stabilité thermodynamique (Bellin et Van Der Molen, 2008).

1. Structure moléculaire des chélates de gadolinium

On distingue 4 catégories structurales pour les chélates de Gd en molécules linéaires ou macrocycliques, puis dans chaque cas, ioniques ou non-ioniques (Port, 2008).

Les chélates macrocycliques ont un ligand qui « encage » en quelque sorte l’ion Gd3+, par des liaisons avec 4

groupes amines centraux, et 4 groupes carboxyles pour les ioniques ou 3 groupes carboxyles et un groupe alcool pour les ligands dits « non-ioniques » (ou « neutres ») (équilibre des 3 charges positives de Gd3+ avec

Dans la catégorie des chélates dits « linéaires », la structure du ligand est en « chaîne ouverte », avec uni- quement 3 groupes aminés centraux et 5 groupes carboxyles pour les agents ioniques, ou 3 groupes car- boxyles et 2 carbonyles pour les non-ioniques (Port, 2008). Les chélates linéaires étaient, jusqu’à 2018, au nombre de 6, mais désormais tous ne sont plus autorisés, du moins en Europe.

Les chélates ioniques, en solution aqueuse, apparaissent sous forme de sel de méglumine, de diméglumine, disodique ou trisodique, afin de neutraliser les charges négatives du complexe de Gd. Tous les chélates de Gd ne sont pas commercialisés dans les mêmes pays, et leurs indications peuvent également différer selon le pays et l’autorité de santé auxquels cela est soumis (EMA, European Medicines Agency : Agence Euro- péenne du Médicament ; FDA, Food and Drug Administration, aux USA ; PMDA : Pharmaceuticals and Medi- cal Devices Agency au Japon).

Tableau 4 : Structure moléculaire de complexes de gadolinium commercialisés à ce jour ou l’ayant été (Port, 2008).

2. Spécificité des différents chélates commercialisés

Les chélates de Gd sont prescrits pour l’exploration des pathologies cérébrales et médullaires, les pathologies du rachis, les angiographies, mais aussi pour l’imagerie de toute autre pathologie du corps entier (notamment du foie, du sein, mais aussi des articulations par exemple). En effet, leur masse moléculaire relativement faible (par exemple, pour le gadopentétate diméglumine : 938 g/mol, pour le gadotérate de méglumine : 558,64 g/mol): ajoutée à leur haut caractère hydrophile (Port, 2008), les chélates de Gd diffusent aisément et rapidement dans l’espace extravasculaire / interstitiel.

Cependant, du fait de la structure de leur ligand, certains chélates de Gd ont des indications spécifiques. C’est le cas des chélates dont le ligand contient un groupe aromatique, à savoir le gadoxétate (Primovist® ou Eovist® aux Etats-Unis), ou le gadobénate (MultiHance®) en moindre proportion, qui vont, de ce fait, être capturés par les hépatocytes et présenteront donc une spécificité hépatique. Le gadoxétate a ainsi une indi- cation purement hépatique, car son élimination est réalisée à 50% par la voie biliaire (Bashir, 2014). Le ga- dobénate n’est lui excrété qu’à 2 à 4% par le foie chez l’Homme (Kirchin, 1998), et présente donc les mêmes indications cliniques que les agents non-spécifiques, auxquelles s’ajoute l’imagerie des lésions hépatiques en oncologie. Ce tropisme hépatique est la conséquence de l’incorporation de structures aromatiques sur le ligand. Cela diminue l’hydrophilie du chélate de Gd et, par conséquent, en augmente la capture hépatocytaire puis l’élimination biliaire (Port, 2008).

Enfin, le gadofosveset (ou MS-325), aux deux cycles aromatiques, est, quant à lui, spécifique de l’angiogra- phie. En effet, il ne s’extravase que très peu car il se lie de manière réversible et non covalente aux protéines sanguines telles que l’albumine, ce qui augmente son temps de résidence vasculaire. On parle alors d’un « agent à rémanence vasculaire » (ou « blood pool contrast agent » dans la littérature anglophone). Au bo- lus, en fait, 25% de cet agent sont liés à l’albumine (Port, 2005). Cela a, en outre, la propriété d’augmenter le τr (temps de corrélation rotationnel) en IRM, et donc sa relaxivité (De León-Rodríguez, 2015), pour les 25%

de la dose administrée qui sont liés (Port, 2005). Il a cependant été retiré du marché en 2017 pour des raisons commerciales.

Tableau 5 : Concentration, dose et indications des différents chélates de Gd

Principe actif (de- nomination com- mune internatio- nale) Nom de marque Fabricant – année de mise sur le marché Concentration en Gd de la solution phar- maceutique (mM) Dose

(

mmolGd/ kg) Indications

Gadotérate Dotarem® Guerbet

1989 500 0,1

Non-spécifiques (N.-S.) Gadobutrol Gadovist® (UE) / Gadavist® (US) Bayer 1998 1000 0,1 N.-S. + rénale et hépatique Gadotéridol ProHance® Bracco 1992 500 0,1 Non-spécifiques Gadobénate MultiHance® Bracco 1997 500 0,1 N.-S. + hépa-tique Gadopentétate Magnevist® Bayer 1986 500 0,1 Non-spécifique

Gadoxétate Primovist® (UE) / Eovist (US) Bayer 2004 250 0,1 Hépatique Gadodiamide Omniscan® General Electrics Healthcare 1993 500 0,1 Non-spécifiques Gadoversétamide

(n’est plus com-

mercialisé) OptiMARK® Covidien 1999 puis Guerbet 500 0,1 N.-S. + hépa- tique Gadofosveset

(n’est plus com- mercialisé) Vasovist® / Abla- var® Lantheus 2005 puis Bayer 250 0,03 Angiographie périphérique

C. Propriétés physico-chimiques des chélates de Gd

Injectés par voie intraveineuse et ayant, pour la plupart, la capacité de se distribuer rapidement dans l’espace extravasculaire, il convient de décrire ici les principales propriétés physico-chimiques des chélates de Gd.

1. La viscosité

Ce paramètre dépend, logiquement, de la concentration de l’agent de contraste. Représentant la résistance au mouvement de fluides, la viscosité de la plupart de chélates de Gd est comprise entre 1,2 et 2,9 mPa.s à 37°C. Seuls le gadobutrol, commercialisé à une concentration double (1 M contre 0,5 M pour la grande ma- jorité des autres produits), et le gadobénate, du fait de son cycle aromatique (Port, 2008), ont une viscosité quasiment double de celles des autres agents (respectivement 5,0 et 5,3 mPa.s à 37°C). Cela reste donc de l’ordre de la viscosité sanguine qui est de 3,26 mPa.s à 37°C pour un taux de cisaillement de 100 s-1 (Rosenson,

1996)). Ce paramètre ne pose donc pas de problèmes lors de l’injection.

2. L’osmolalité

L’osmolalité, ou concentration de particules osmotiquement actives dissoutes par kilogramme de solvant, dépend de l’ionicité de la molécule. En effet, les chélates ioniques sont mis en solution sous forme saline, ce qui augmente logiquement leur osmolalité. Dans tous les cas, les chélates, même non-ioniques, sont hype- rosmolaires par rapport au plasma. On pourrait ainsi craindre plus de problèmes avec les agents ioniques qu’avec les non-ioniques, notamment en cas d’extravasion ou d’insuffisance rénale préexistante, comme c’est le cas pour les produits de contraste iodés hydrosolubles. En pratique, les chélates de Gd sont adminis- trés sous un faible volume (en général 0,2 mL/kg) et leur charge osmotique est donc faible : elle est comprise entre 0,7 et 2 mOsm/L (Port, 2008), soit nettement moins que celles des agents de contraste iodés, qui est d’environ 10 mOsm/L pour un monomère non ionique tri-iodé à la posologie utilisée pour un examen tomo- densitométrique (Thomsen, 2005). L’injection de chélates de Gd n’a donc pratiquement aucun effet hémo- dynamique après administration intraveineuse à la dose clinique.

3. La stabilité thermodynamique

La stabilité thermodynamique d’un chélate de Gd (Gd-L) reflète l’affinité du ligand (L) pour son métal Gd3+

(Gd), qu’il retient en son cœur. Il s’agit donc d’un paramètre essentiel. L’ion Gd3+ ayant un niveau de toxicité

élevé, il serait malencontreux qu’il se retrouve libéré dans l’organisme, abandonné par son ligand. La stabilité thermodynamique peut être représentée par l’équation suivante :

Équation 8 : [Gd] + [L]  [Gd-L]

De cette équation, on définit la constante de stabilité Ktherm du complexe :

Équation 9 :

𝐾

=

[ ]

[ ][ ]

Cette constante est souvent représentée, de façon physiologiquement plus pertinente, par la constante de stabilité thermodynamique apparente ou « conditionnelle » Kcond, au pH physiologique (pH=7,4)

(Équation 10). Cette constante rend ainsi compte de la compétition entre le Gd3+ et les protons pour le ligand

L.

Elle est alors définie pour une concentration totale de ligand non-complexé (LT), {c’est à dire L + [HL] + [H2L]

+ … } (où [HL], [H2L], etc. sont les concentrations des formes protonées du ligand libre) au lieu de la concen-

tration du ligand libre L, selon la formule :

Équation 10 : 𝐾 = [ ]

[ ] [ ]

Cette constant de stabilité conditionnelle peut aussi être exprimée à partir de la constante Ktherm selon l’équa-

tion suivante :

Équation 11 : 𝐾 = ×

La constante de stabilité thermodynamique reflète, de façon plus simple, la force du lien entre le métal et le ligand, et donc, la quantité de Gd susceptible d’être libéré une fois l’équilibre atteint.

Figure 11 : Constantes de stabilité thermodynamique des différents chélates de Gd, représentées par Kcond (échelle

logarithmique) ou logKcond (étiquette au-dessus du graphe) (d’après Port, 2008).

4. La stabilité cinétique

La stabilité cinétique, ou inertie, exprime la vitesse de dissociation du complexe, autrement dit la durée né- cessaire au complexe pour atteindre l’état d’équilibre thermodynamique. La stabilité cinétique se traduit par le calcul de demi-vies de dissociation du chélate de Gd T1/2, généralement déterminées en conditions très

acides.

Ce phénomène de dissociation correspond (Port, 2008) :

a) soit à la réaction suivante :

19,3 18,7 18,4 17,7 17,7 17,1 15 14,9 14,7 0 2E+18 4E+18 6E+18 8E+18 1E+19 1,2E+19 1,4E+19 1,6E+19 1,8E+19 2E+19 Kc on d (à p H 7 ,4 )

L'étiquette au dessus indique la valeur de logKcond

Kcond : chélates de Gd ioniques

> ion-

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