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Le chantier de construction : source de nuisance sonore

§I- Les instruments juridiques organisant la gestion des déchets de chantier

A. Le chantier de construction : source de nuisance sonore

Il convient de préciser que notre intérêt se portera sur les nuisances stricto sensu,

notamment, celles liées aux nuisances sonores (A) et aux pollutions des eaux et sols (B).

A. Le chantier de construction : source de nuisance sonore

Les chantiers de construction provoquent d'importantes nuisances sonores447 à l’égard

des voisins dans le cas de construction ou de démolition448. Ces nuisances proviennent le plus

souvent de l'utilisation d'engins puissants tels que des pompes, des marteaux-piqueurs449 ou

l’utilisation du tracteur, d'une grue, d'une pelleteuse ou le déchargement de camions450

.

Il paraît utile de porter l’attention sur le trouble anormal de voisinage au Maroc (1)

avant de suivre l’évolution des moyens mis en œuvre par les pouvoirs publics pour limiter les

bruits en provenance des chantiers de construction en France (2).

1.Le trouble anormal de voisinage au Maroc

Deux articles dans le Dahir des obligations et contrats451 réglementent ce genre de

nuisance. Le premier c’est l’article 91 qui dispose que : « les voisins ont action contre les

propriétaires d’établissements insalubres ou incommodes pour demander, soit la suppression de ces établissements, soit l’adoption des changements nécessaires pour faire disparaître les inconvénients dont ils se plaignent : l’autorisation des pouvoirs compétents ne saurait faire obstacle ». Cela dit, l’article qui lui succède proclame que : « toutefois, les voisins ne sont pas

445

Fissures, déstabilisation des ouvrages, etc.

446

Défaut d’ensoleillement, perturbation de réseaux de connexions téléphoniques, internet, etc.

447

A. Alexandre, « Une des principales, voire la première, cause de la détérioration de la qualité de la vie ». J-P. Barde, « Le bruit une pollution sans écho », L’observateur de l’OCDE, Paris n° 167, 1990, p. 23.

448

Cass. 1ère civ., 18 mars 2003, n° pourvoi 99.18720 affirme que les travaux de démolition d’un immeuble occasionne des désordres chez le voisin.

449

Cass. 3ème civ., 17 nov. 1971, Bull. civ. III, n° 566, p. 404 ; Cass. 3ème civ., 15 déc. 1971, Bull. civ. III, n° 632, p. 452 ; Cass. 3ème civ., 28 janv. 1975, Bull. civ. III, n° 30, p. 23 ; Cass. ass. plén. 5 mars 1976, Bull. civ. n° 5, p. 3; Cass. 3ème civ., 8 mars 1978, D. 1978. p. 641, note C. Larroumet.

450

CA. Caen, 1er juin 1995, Sect. ci. et com., Coin c/ S.C.I. Plazza, Juris-Data n° 049318: à propos de la violation d'un arrêté interdisant des travaux en été dans une station balnéaire

451

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fondés à réclamer la suppression des dommages qui dérivent des obligations ordinaires du voisinage, tels que la fumée qui s’échappe des cheminées et autres incommodités qui ne peuvent être évitées et ne dépassent pas la mesure ». Au sens de ces deux articles, le voisin d’un ouvrage en construction peut parfaitement demander la réparation des nuisances qu’il a subies, à condition que le préjudice soit inévitable, incommode et anormal. L’exigence de ces conditions est justifiée par le fait qu’une certaine tolérance est nécessaire entre voisin.

Mais, qu’est ce que l’incommodité ou l’anormalité dans laquelle le voisin lésé serait en droit d’agir ? Comment on peut apprécier le caractère inévitable de l’anormalité ? Et quels sont les seuils de l’incommodité ? Sur ces points le droit des obligations n’a pas apporté des précisions. C’est la doctrine qui s’est efforcée d’apporter une réponse tangible. En effet, le

Professeur Girod note que « l’anormalité s’entendra d’un dommage d’une gravité

exceptionnelle, elle se signalera aussi par une périodicité manifeste, elle s’appréciera enfin eu égard aux circonstances de temps, de lieu et de personne »452. De son côté, le Professeur

Henriot ramène la notion de dommage anormal à trois idées principales : « la gravité, la

continuité et l’atteinte à un droit par l’exercice d’un droit »453.

2.La réglementation limitant les nuisances sonores provenant des chantiers de construction

Le législateur français par l’article R. 1334-6454

du Code de la santé publique (CSP) a défini plusieurs critères permettant d’apprécier les bruits de voisinage provenant d’un chantier

de construction. Ces critères se résument dans « le non-respect des conditions fixées par les

autorités compétentes en ce qui concerne soit la réalisation des travaux, soit l’utilisation ou l’exploitation de matériels ou d’équipements []. »

Il est évident que les développements ci-après vont se porter sur la réglementation des

engins et des bruits de chantiers (a) avant de déterminer le responsable de l’acte de nuisance

lors de l’opération de construction (b) et les recours entre les coobligés (c).

452

P. Girod, La réparation du dommage écologique, Paris, L.G.D.J. 1974, p. 48.

453

M. Henriot, Le dommage anormal : contribution à l’étude d’une responsabilité de structure, Thèse, Paris, 1960, p. 33.

454

Décr. n° 2006-1099 du 31 août 2006 relatif à la lutte contre les bruits de voisinage et modifiant le CSP, JORF n° 202 du 1er sept. 2006.

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a.La réglementation des engins et des bruits provenant de chantier

L’article 47 de la loi n° 11-03 du 12 mai 2003 relative à la protection et à la mise en

valeur de l’environnement énonce que : « les bruits455 et les vibrations sonores, quelles qu’en soient l’origine et la nature susceptibles de causer une gêne pour le voisinage, de nuire à la santé de l’homme ou de porter atteinte à l’environnement en général, notamment lors de l’exercice des activités de production, de services, de mise en marche de machines et de matériels et d’utilisation d’alarmes et des hauts parleurs, doivent être supprimés ou réduits conformément aux dispositions législatives et réglementaires prises en application de la présente loi. Ces dispositions fixent les valeurs limites sonores admises, les cas ou les conditions où toute vibration ou bruit est interdit ainsi que les systèmes de mesure et les moyens de contrôle ». Or, cette loi est restée lettre morte, aucune disposition n’a été prise pour

fixer le seuil limite d’une sonorisation admise456

. Contrairement au législateur français qui a

adopté le décret n° 69-380 du 18 avril 1969 relatif à l’insonorisation des engins de

chantier457.

Ce décret a interdit l’utilisation des matériaux458

susceptible d’émettre des bruits

pouvant émettre des gênes excessives459. En conséquence, une série d’arrêtés

455

Aucune définition juridique n’a été attribuée au bruit. L’Afnor l’a défini comme étant : « toute sensation auditive désagréable ou gênante, tout phénomène acoustique produisant cette sensation, tout en ayant un caractère aléatoire qui n’a pas de composants définies ». Pour l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) le bruit est un : « phénomène acoustique produisant une sensation auditive désagréable ou gênante. »

456

L’art. 8 de la loi cadre n° 99-12 du 6 mars 2014 portant CNEDD incite, en vue de prévenir et lutter contre toutes les formes de pollution et de nuisance, à établir des un régime juridique relatif aux nuisances sonores.

457

JORF du 25 avril 1969 page 4181 ; Il a été abrogé par le décr. n° 95-79 du 23 janv. 1995 fixant les prescriptions prévues par l'article 2 de la loi n° 92-1444 du 31 décembre 1992 relative à la lutte contre le bruit et relatives aux objets bruyants et aux dispositifs d'insonorisation, JORF du 25 janv. 1995, abrogé par l’art. 4 du décr. n° 2007-1467 du 12 oct. 2007 relatif au livre V de la partie réglementaire du code de l'environnement et modifiant certaines autres dispositions de ce code, JORF 16 oct. 2007.

458

Selon la directive n° 84/532/CEE du Conseil du 17 sept. 1984 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux dispositions communes aux matériels et engins de chantier, (JOCE n° L 300 du 19 nov. 1984, p. 0142-0148) sont : « les matériels, équipements, installations et engins de chantier ou leurs éléments qui, selon leur type de construction, servent à effectuer des travaux sur des chantiers de génie civil et de bâtiment sans être destinés principalement au transport des marchandises ou des personnes ». Cette définition a été reprise par l’art. 1er

de l’arr. du 12 mai 1997 fixant les dispositions communes applicables aux matériels et engins de chantier, JORF n° 127 du 3 juin 1997, p. 8949.

459

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interministériels460 ont été adoptés en vue de fixer les niveaux sonores admissibles461, les

conditions auxquelles doivent répondre ces matériels et la procédure d’homologation par type applicable aux matériels. Les dispositions relatives aux engins de chantier ont été unifiées par

la loi du 31 décembre 1992 n° 92-1444462.

L’article R. 571-1 du Code de l’environnement a le mérite d’avoir élargi le domaine

d’interdiction pour englober « la fabrication, la mise en vente, la vente, l’importation, la

location, la destruction ou même l’exposition, la cession ou l’utilisation de tout objet susceptible de provoquer des nuisances sonores élevées ». Cette disposition s’applique aux objets bruyants463.

Les catégories de matériels et d’engins de chantier respectant les caractéristiques acoustiques, et des valeurs limites admissibles correspondant avant leurs mises sur le marché, doivent respecter une procédure d’évaluation spécifique leur permettant de porter la marque

460

Arr. du 11 avr. 1972 relatif à la limitation du niveau sonore des bruits aériens par le ou les moteurs à explosion ou à combustion interne de certains engins de chantier, JORF 2 mai 1972, p. 4535. Cet arr. a réglementé aussi les groupes moto-compresseurs, les brise-béton et les marteaux-piqueurs, il a été modifié par l’arr. du 5 mai 1975 du 11 avril 1972 portant limitation du niveau sonore des bruits aériens émis par le ou les moteurs à explosion de certains engins de chantier, JORF du 11 mai 1975, p. 4776, l’arr. du 19 déc. 1977 portant limitation du niveau sonore des bruits aériens émis par les moteurs à explosion de certains engins de chantier, JORF 20 janv. 1978, p. NC 588, modifié par l’arr. du 2 janv. 1986 fixant les dispositions communes applicables aux matériels et engins de chantier, JORF du 26 janv. 1986, p. 1465. Ce dernier arr. a été remplacé par sept arr. du 12 mai 1997 relatif à la limitation des émissions sonores des groupes électrogènes de soudage, (JORF n°127 du 3 juin 1997, p. 8958) pris en application du décret n° 95-79 du 23 janv. 1995, modifié par l’arr. du 18 mars 2002 relatif aux émissions sonores dans l’environnement des matériels destinés à être utilisés à l’extérieur des bâtiments, JORF n° 103 du 3 mai 2002, modifié par l’arr. du 21 janv. 2004 relatif au régime des émissions sonores des matériels destinés à être utilisés à l'extérieur des bâtiments, JORF n°68 du 20 mars 2004, p. 5405. Arr. du 4 nov. 1975 relatif à la limitation du niveau sonore des bruits aériens émis par les brise-béton ou les marteaux-piqueurs, JORF du 11 déc. 1975. Arr. du 26 nov. 1975 relatif à la limitation du niveau sonore des bruits émis par les groupes électrogènes de soudage, JORF du 16 déc. 1975, modifié par l’arr. du 19 déc. 1977 portant limitation du niveau sonore des bruits aériens émis par le ou les moteurs à explosion de certains engins de chantier, JORF du 20 janv. 1987, p. NC 588 ; Arr. du 10 déc. 1975 relatif à la limitation du niveau sonore des bruits aériens émis par les groupes électrogènes de puissance, JORF du 23 janv. 1976, modifié par arr. du 24 oct. 1977, JORF15 nov. 1977, p. NC 7442 et l’arr. 19 déc. 1977, JORF du 20 janv. 1978.

461

L’art. L.571-3 du C. envir. prévoit que : « les valeurs limites retenues tiennent compte des caractéristiques de l’objet, notamment de sa puissance et de la source d’énergie employée, ainsi que de la durée et de la fréquence de son utilisation dans des conditions normales. »

462

JORF n° 1 du 1er janv. 1993.

463

Art. R. 571-2 du C. envir., cible les engins utilisés ou destinés à être utilisés sur les chantiers de travaux publics ou non, […].

84

CE. Cela se fait à travers l’homologation CEE464, d’attestation d’examen CEE465

ou de déclaration. Un certificat de conformité européen (C.O.C) doit accompagner les matériels et engins de chantier qui seront introduits dans l’Union européenne.

Selon l’article L. 2213-4 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), le maire peut limiter les nuisances sonores générées par les chantiers sur le territoire de la

commune en définissant notamment les horaires possibles466, les travaux de construction

effectués en dehors des heures prévues467 et les périodes autorisées.

Malgré les dispositions prises par le législateur français les nuisances sonores sont toujours occasionnées par les travaux de construction. De ce fait, la victime a le droit d’agir contre le responsable de ces nuisances. Cependant, ce voisin devra connaître contre qui il peut ester en justice en cas d’un bruit relevant du chantier de construction.

b.Le responsable du trouble anormal de voisinage lors de la construction

L’article R. 1334-31468

du Code de la santé publique469 en France précise qu’ : « aucun

bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne d’une chose, dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité ». Il est manifeste que les activités de construction immobilière causent des nuisances sonores à l’égard des riverains. Les victimes de cette nuisance peuvent assigner le responsable sur le

fondement de la théorie prétorienne selon laquelle « nul ne peut causer à autrui un trouble

anormal de voisinage »470. Cette théorie est née en 1876471 pour remédier à la difficulté de la

464

Art. 2 de la directive 84/538 du Conseil du 17 sept. 1984 constate, après des essais, et atteste qu’un type de matériel visé à l’art. 1er

satisfait aux prescriptions harmonisées.

465

Art. 8 de la directive déclare que : « constitue lorsqu’il est prescrit par une directive particulière, une condition préalable à la mise sur le marché, la mise en service et l’utilisation d’un matériel. »

466

Interruption entre 20 heures et 7 heures et toute la journée des dimanches et jours fériés sauf en cas d’intervention urgente.

467

CA. de Paris, 6 juill. 1994, Amaro c. Amouroux, Juris-Data n° 024104.

468

Inséré par l’art. 1, II décr. n° 2006-1099 du 31 août 2006, JORF 1er sept. 2006.

469

CSP.

470

Cass. 3ème civ., 13 nov. 1986, Bull. civ. III, n° 172 ; Cass. 3ème civ., 28 juin 1995, Bull. civ. III, n° 222.

471

85

mise en œuvre de la théorie de l’abus de droit472

.

D’emblée, pour sanctionner tout trouble au voisinage occasionné par le droit de

propriété, la jurisprudence appliquait la théorie de l’abus de droit473. Mais, la Cour de

cassation était confrontée à statuer sur des affaires liées aux troubles de voisinage en

l’absence de toute intention de nuire474

. Partant, la Cour de cassation a créé la théorie du

trouble anormal de voisinage. Ainsi, la jurisprudence a affirmé que : « le droit, pour un

propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue sauf usage prohibé par les lois et les règlements, est limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux de voisinage. »475

Cette théorie a été rendue au visa des articles 544, 1382 et 1384 du Code civil.

Toutefois, elle s’est affranchie de la notion de faute476

et a imposé son autonomie par rapport à l’article 544 et la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle des articles 1382 et 1384 du

Code civil477. En effet, elle présente l’avantage de dispenser le requérant de la difficile

production de la preuve de l’existence d’une faute. C’est ce que certains auteurs appellent ‘responsabilité pour risque’478

. Mais, pour bénéficier de cette théorie, la victime doit justifier d’un dommage personnel intolérable qu’il ne peut pas supporter. L’appréciation du caractère

anormal du trouble relève du pouvoir souverain des juges de fond479. Cependant, il sera

confronté à la difficulté de désigner le responsable du trouble causé au voisin lors de l’opération de construction.

472

Art. 544 du C. civ. souligne que : « tout propriétaire a le droit de jouir et de disposer de sa chose de la manière la plus absolue, ce ne peut être qu’à la condition de n’en pas faire un usage prohibé par les lois ou les règlements ou de nature à nuire aux droits des tiers. »

473

Colmar, 2 mai 1855, D. 56. 2. 9 ; Req. 10 juin 1902, DP 1902. 1. 454 ; Cass. Req. 3, 3 août 1915, D. 1917. 1. 79.

474

Cass. 3ème civ., 19 févr. 1971, Bull. civ. III, n° 134 ; Cass. 3ème civ., 20 mars 1978, Bull. civ. III, n° 128, Defrénois 1979, art. 31928, n° 4, p. 371, obs. Aubert ; Cass. 3ème civ., 17 janv. 1978, Bull. civ. III, n° 41, RTD civ. 1978, n° 3, p. 655, obs. Durry, D. 1978. IR. 322, obs. Larroumet.

475

Cass. 3ème civ., 4 févr. 1971, Bull. civ. III, n° 77; Cass. 3ème civ., 1er déc. 1976, Bull. civ. III, n° 395.

476

Cass. 3ème civ., 16 nov. 1977, Bull. civ. III, n° 395; Cass. 2ème civ., 17 déc. 1974, D. 1975. 441, note Larroumet ; Cass. 2ème civ., 24 avr. 1989, n° pourvoi 87-16.696 V, arrêt n° 893 D, Murer, Rueffli c/ Cordier, Chevalet ; Cass. 2ème civ., 20 juin 1990, Bull. civ, n° 140 ; CA. Paris, 12 janv. 1999, Mutuelle du Mans Assurances Iard c/ Voillot, Juris-Data n° 020049.

477

Cass. 2ème civ., 19 nov. 1986, Bull. Civ. II, n° 172.

478

J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Les obligations, Le fait juridique, t. 2, 14ème éd., Dalloz, 2011, n° 127.

479

Cass. 1ère civ., 1er juin 1977. Bull. civ. III, n° 237 soutient qu’ : « il leur revient d’apprécier la réalité, nature et la gravité des troubles »

86

D’entrée de jeu, une présomption irréfragable de responsabilité incombait, depuis longtemps, au maître de l’ouvrage, ayant initié l’opération de construction, le seul susceptible

d’en tirer profit et directement lié aux voisins troublés480. C’est une responsabilité objective

même s’il n’est pas l’auteur matériel de ce trouble. Pourtant, cette certitude a été nuancée par

le célèbre arrêt Intrafor481. En l’espèce, cet arrêt avait désigné le sous-traitant comme étant

responsable de l’inconvénient anormal de voisinage. Cette décision n’était pas un cas isolé. Elle a été reprise par les arrêts ultérieurs. En effet, cette théorie a été étendue à

l’entrepreneur482

, au gestionnaire de projet contractuellement désigné comme seul

porte-parole de la maîtrise d'œuvre483, et au constructeur d’une maison individuelle484

. Ces décisions ont été prises sur le fondement d’une nouvelle construction juridique, à savoir, le

principe de voisins occasionnels, intermittents, épisodiques, éphémères485.

Ces solutions ont suscitées une grande inquiétude de la doctrine486. Ainsi, les arrêts

480

Cass. 3ème civ., 4 févr. 1971, JCP 1971. II. 16781, 1ère esp. et note R. Lindon ; Cass. 3ème civ., 25 oct. 1972, D. 1973. 756, note H. Souleau ; JCP 1973. II. 17491 et note G. Goubeaux ; Cass. 3ème civ., 21 avr. 1982, JCP 1982. IV. 232. Le maître de l’ouvrage devait répondre des troubles anormaux de voisinage parce qu’il est l’initiateur de l’opération de construction et de ce fait il devait personnellement en tirer profit Cass. 3ème

civ., 3 mars 1976,

Bull. civ. II, n° 83.

481

Cass. 3ème civ., 30 juin 1998, Bull. civ. III, n° 144, p. 96 ; RTD civ. 1999, p. 115, obs. P. Jourdain ; RDI 1998, p. 647, obs. Ph. Malinvaud ; Defrénois 1999, p. 549, obs. H. Périnet-Marquet. A priori, la responsabilité de l’architecte (cass. 1ère

civ. 29 juin 1964. Somm, p. 10) et de l’entrepreneur (Cass. 2ème civ., 10 janv. 1968, Gaz. Pal. 1968, Jur. p. 163 ; AJDI 1968, p. 597, note Caston ; RTD civ. 1968, p. 725, obs. Durry) sur l’assise du principe de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage. Il convient de souligner que cette solution a été adoptée avant que l’autonomie de cette théorie ne soit confirmée.

482

Cass. 3ème civ., 11 mai 2000, D. 2001, Somm. p. 2231, obs. P. Jourdain ; Cass. 3ème civ., 13 avr. 2005, JCP

2005, IV, 2244 ; Constr.-Urb. 2005, comm. n° 130 ; RDI 2005, p. 299 ; Cass. 1ère civ., 18 mars 2003, n° 99.18720, RDI 2003, p. 284, obs. Ph. Malinvaud. Jadis, l’entrepreneur était poursuivi sur le fondement de

l’art. 1384 sa responsabilité est retenue en tant que gardien du chantier (Cass. 3ème

civ., 10 déc. 1970, Bull, civ., III, n° 690) ou gardien des engins (Cass. 3ème civ., 8 mars 1978, D. 1978, 641, note, Ch. Laroumet. Mais, la Cass. avait décidé que l’entrepreneur n’était pas gardien de plein droit et qu’il incombait au juge de rechercher si l’entrepreneur avait effectivement l’usage, la direction et le contrôle du chantier (Cass. 3ème

civ., 20 oct. 1971, D. 1972. 444, note, L. Deschamps. Par ces décisions la jurisprudence avait voulu éviter aux constructeurs d’être la cible directe et systématique de tous les troubles causés aux voisins.

483

Cass. 3ème civ., 22 juin 2005, Bull. civ. III, n° 136 ; RDI 2005, p. 330, obs. E. Gavin-Millan et 339, obs. Ph. Malinvaud ; D. 2006, Jur. p. 40, note J.-P. Karila ; RTD civ. 2005, p. 788, obs. P. Jourdain.

484

Cass. 3ème civ., 12 oct. 2005, n° pourvoi Q 03-19.759, Bull. civ. III, n° 195; RDI 2005, p. 459 obs. Ph. Malinvaud.

485

Selon, J.-L. Bergel c’est « le voisin qui ne durent qu'un temps mais qui est particulièrement incommodant, gênant ou, plus généralement, préjudiciable », Les contentieux immobiliers, Les intégrales, Lextenso, 2010, n° 66. Cette notion a été utilisée pour la première fois par H. Périnet-Marquet, JCP G I. 117, n° 4.

486

Ph. Malinvaud, « La responsabilité du maître d'ouvrage à l'égard des voisins », RD imm. 2002, p. 492 ; Ph. Malinvaud, « L'entrepreneur est responsable sur le fondement de la théorie des troubles de voisinage », obs. ss

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ultérieurs semblent avoir pris du recul par rapport aux décisions précédemment retenues487.

En effet, l’arrêt du 21 mai 2008 a restreint la notion de voisin occasionnel. Il est vrai que la Cour de cassation a confirmé la présomption irréfragable de responsabilité du constructeur, en cas d’une lésion causée aux voisins, en sa seule qualité de voisin occasionnel. Pourtant, elle n’a fait jouer cette présomption qu’à l’encontre du constructeur auteur du trouble.