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La spécificité du risque dans une métropole à la lumière de

2. Des chaînes de risques

La spécificité du risque dans le cas parisien est que l’on a affaire non

pas à un risque, mais à une multitude de risques entraînés par l’aléa ini- tial. Ce dernier provoque en effet des dommages en chaîne. Par exemple,

l’interruption de la fourniture d’électricité entraîne l’arrêt des systèmes de sécurité type digicode, interphones, etc., et du système d’éclairage public augmentant les risques de cambriolages et de troubles sociaux, dans une situation où, on l’a vu, les effectifs de police sont affectés prioritairement à l’évacuation des personnes. Elle provoque aussi l’arrêt des ascenseurs et des systèmes d’alarme incendie, ce qui engendre un risque accru en cas de feu.

Autre exemple, l’interruption de la fourniture d’électricité entraîne l’ar- rêt des transports en commun ferrés, qui crée un report du trafic sur les modes de circulation alternatifs (bus et véhicule individuel), ce qui provoque des risques de congestion, qui peuvent à leur tour empêcher les secours d’ef- fectuer des missions d’urgence, etc. Le risque premier et les risques induits sont ici décalés dans le temps et l’espace.

De plus, les risques « secondaires » peuvent parfois interagir soit entre eux (l’interruption de la fourniture d’électricité bouleverse le fonctionne- ment des transports en commun ce qui produit une congestion du trafic automobile qui empêche les agents d’aller rétablir le courant), soit avec des aléas externes : la contamination de l’eau potable peut être aggravée par des actes de malveillance humaine ou des dysfonctionnement du réseau des particuliers (absence de clapets anti-retour) ; un autre aléa naturel peut in- tervenir (en 1910, la neige avait encore compliqué la situation, empêchant les déplacements) ; des aléas technologiques comme une panne des généra- teurs de secours ou une défaillance des systèmes informatiques en charge de la gestion peuvent aussi survenir indépendamment de l’inondation.

Ces risques en chaîne traduisent en fait des effets dominos (ou encore effets cascade) : le terme désigne la survenance en chaîne de dommages et de perturbations suite à un premier choc, au sein de l’enjeu touché, mais aussi dans son environnement (entendu au sens large d’environnement socio- économique).

Les effets dominos ont une dimension spatiale double. D’une part, ils créent un phénomène d’ubiquité : la perturbation se manifeste en même temps dans plusieurs lieux distincts. Par exemple, la fermeture d’une station de métro perturbe le fonctionnement d’autres stations. L’inondation d’un sous-répartiteur électrique ou d’un central téléphonique prive d’un seul coup de téléphone ou de courant plusieurs centaines voire milliers d’abonnés.

D’autre part, ils induisent le déplacement de la perturbation de l’échelle locale à des échelles plus globales. La perturbation locale se diffuse par contagion hors de la zone inondée et affecte des espaces plus vastes. Par exemple, l’inondation des voies et l’interruption des transports en commun

ÉLECTRICITÉ Système de sécurité incendies Éclairage public Digicodes, interphones Risque de troubles

publics - insécurité Risque d'incendie

Téléphones hors service

Fig. 2.1 : Exemple d’une chaîne de risques liés à une coupure d’électricité

Coupure de courant

Fermeture du réseau RATP

Congestion du trafic automobile

Inondation des voies

Pénurie d'essence Agents réparateurs

bloqués

empêchent les gens dépendant de ce réseau mais habitant hors de la zone inondée de se rendre à leur travail. Les entreprises éprouvent alors des diffi- cultés pour fonctionner ce qui a un impact sur l’économie locale. Cet impact peut à son tour perturber l’économie régionale voire nationale.

Il ressort enfin de nos entretiens avec les différents gestionnaires qu’ils ont conscience de ces chaînes de risque, mais qu’ils peinent à les appréhen- der, tant au moment de la connaissance du risque que de sa gestion. Il leur faut en effet non seulement tenir compte de la propagation de la perturba- tion au niveau de l’enjeu mais aussi envisager des effets sur d’autres enjeux sachant que ces effets ne sont pas forcément négatifs à court, moyen ou long terme. Certains acteurs ou enjeux peuvent par exemple bénéficier de la dé- faillance d’un concurrent ou de l’augmentation de la demande induite par la reconstruction. Ainsi, les fournisseurs de groupes électrogènes, pompes, sacs de ciment, etc., et plus largement, les entreprises capables de répondre à la forte demande pendant et après la crise, verront leur activité « dopée ». De même, la capacité d’un grand groupe financier à gérer la situation d’ur- gence lui assurera la confiance de ses clients et renforcera son image sur les marchés, ce qui se traduira et sur le cours de l’action, et sur l’augmentation du nombre de ses clients.

Le constat que nous établissons ici remet en question l’approche tradi- tionnellement spécialisée en fonction de l’aléa d’origine. Parler de la vul- nérabilité de la métropole parisienne au risque d’inondation est commode pour comprendre le facteur déclenchant de la crise, mais masque en réalité le caractère multi-aléas de la perturbation.

En revanche, au plan pratique, le travail des gestionnaires se trouve dans une certaine mesure facilité puisque des études menées à propos d’autres aléas ou des dispositifs déjà mis en place peuvent être réutilisés. Ainsi, la réflexion menée au sujet des risques de pandémies à l’hiver 2005-2006 a per- mis de définir des plans de secours et des secteurs prioritaires qui pourront être réutilisés en cas d’inondation. Le responsable de la Société Générale citait le cas de l’approvisionnement des distributeurs d’argent liquide en temps de crise, en nous indiquant que la situation induite par l’inondation (routes coupées, pénurie d’essence) ou par une pandémie (confinement des personnels) posait les mêmes problèmes aux convoyeurs de fonds. Dans le même ordre d’idée, depuis 2003, le recensement par la mairie de Paris des personnes isolées pour le plan canicule sert également à identifier les per- sonnes à évacuer en cas d’inondation.

2.

Le poids de certains enjeux

La vulnérabilité parisienne est associée à un certain nombre d’enjeux qui soit n’existent pas dans d’autres villes, soit ont ici un rôle infiniment plus important.