• Aucun résultat trouvé

Le Centre de Découverte du Son : tendre l’oreille pour écouter le territoire

Dans le document Soundspaces (Page 81-87)

Jean-Yves Monfort et Guy-Noël Ollivier

Créé et géré par l’association « 3, 4, 5 » fondée en 1994, et ouvert au public en 1998, le Centre de Découverte du Son est basé à Cavan, dans le Trégor, au nord de la Bretagne. C’est un parc ludique et pédagogique employant cinq personnes polyvalentes 117. Sa vocation est

d’imaginer, de créer et de développer des activités de loisirs et de pédagogie de l’écoute en s’appuyant sur l’existant sonore d’un environnement ou d’un territoire donné. Il propose des animations touristiques et pédagogiques pour les scolaires sur un « Sentier musical », un « Jardin sonifère » et sur divers sites du territoire.

Le Centre de Découverte du Son est né du croisement de multiples préoccupations : importance de l’oralité dans les cultures traditionnelles bretonnes et rurales, caractère fonctionnel des musiques traditionnelles (par exemple, le couple biniou-bombarde est autant un instrument servant à remplir les espaces de sons qu’un instrument de musique), lien sensoriel avec la « nature », attachement à l’identité des territoires (en particulier dans ses expressions sensibles), intérêt du bricolage et du recyclage fonctionnel. La volonté de participer au développement local en créant une entreprise se positionnant dans une démarche d’économie sociale et solidaire, la disponibilité d’un site « naturel » disposant de qualités acoustiques intéressantes et la rencontre avec un élu communautaire (Pierre-Yvon Trémel) attentif aux projets novateurs ont permis de concrétiser un projet autour de la découverte des sons.

Depuis son ouverture, le Centre a accueilli plus de 120 000 visiteurs. 55 000 scolaires ont également bénéficié d’animations pédagogiques. Outre ses propres réalisations et projets, le Centre de Découverte du Son propose des prestations sur différents sites, en forte synergie avec les collectivités locales, associations et entreprises implantées sur le territoire. Il a obtenu le Décibel d’Or 1999 et été nominé au Décibel d’Or 2009.

Le centre axe ces actions autour d’une « valorisation des territoires par le sonore » et d’une « valorisation du sonore des territoires », en s’inscrivant dans une démarche militante en faveur de l’écologie sonore. Nous en présenterons ici les différentes activités, en montrant comment le centre associe démarche de site et projet de territoire.

Le Sentier musical

Le Sentier musical permet de développer des animations d’éveil à l’écologie sonore pour des scolaires en visite pour la journée ou en classe transplantée. Entre avril et novembre, il fonctionne par ailleurs comme un parc de loisirs pour un public touristique de proximité ou de passage. Le Sentier musical est un parcours en sous-bois, parsemé de chaos de granit, le long d’un cours d’eau, bordé de prairies et de petites falaises. Le visiteur est actif et explore, découvre, s’amuse, écoute, manipule, génère des sons (figure 9). Les approches de l’acoustique et de la physique se font au moyen de l’existant sonore du lieu, de l’imaginaire des visiteurs, d’aménagements et constructions à partir d’objets détournés, que chacun est invité à actionner, faire vibrer, sonner.

117Elles se répartissent différentes tâches : direction, création et entretien paysager, accueil touristique, administratif, études, créations sonores, animations pédagogiques, animation de réseaux.

81

Figure 9 : La transmission du son. Dispositif du sentier musical. Cavan, 2011. Cliché : C. Guiu Le Jardin sonifère

« Partez à l’exploration d’une oreille géante où les sons sont cultivés au bout de chaque allée », telle est l’invitation du jardin sonifère. Cette création paysagère sonore est un outil pédagogique au service de l’éveil à l’écoute, de l’éducation au sonore, de compréhension du fonctionnent de l’oreille (figure 10). Le visiteur parcourt ce site de 3 000 m2 en autonomie, de

façon ludique et sensorielle, selon une progression pédagogique à plusieurs « entrées ». Des animations pédagogiques y sont également proposées aux scolaires. Ce jardin expérimental est dessiné en forme d’oreille ; les végétaux sont cultivés pour leur qualité sonore ; jeux et mobiliers génèrent un fond « musical » aléatoire, la présence d’acteurs sonores variés (domestiques ou sauvages) y est favorisée et gérée. Le jardin est construit à partir d’éléments de récupération, dans un style « jardin ouvrier ». La physiologie et le fonctionnement de l’oreille sont abordés par des installations ludiques. Le cheminement se fait depuis l’oreille externe jusqu’au cerveau, en passant par l’oreille moyenne et l’oreille interne. Les moyens d’écoute et de perception de différentes espèces animales y sont également comparés. Le Jardin sonifère insiste sur l’unicité du système auditif de chaque individu d’une même espèce (forme, histoire personnelle affective ou traumatique, etc.) ; la fin du parcours met en évidence le fait que les membres d’une même collectivité s’approprient des repères sonores communs (issus d’une même histoire, d’une mémoire partagée, d’un même contexte environnemental, d’une même imprégnation esthétique, etc.), construisant ainsi leur identité et leur culture sonores.

Figure 10 : Le pavillon de l’oreille, jardin sonifère.

Cliché : Centre de Découverte du Son de Cavan

Figure 11 : Le pavillon de l’oreille, jardin sonifère.

83

Valorisation sonore et projet de territoire

Au-delà des activités sur site, le Centre de Découverte du Son propose, en différents lieux du Trégor et du Goëloune, des séances d’écoute (« Siestes Sonores », « Cinéma pour l’oreille »), des animations d’écoutes de la sono-bio-diversité ou des « sons buissonniers » (avec fabrication de petits objets sonores).

Par ailleurs, il contribue au projet de territoire des pays Trégor-Goëlo, dans le cadre d’une pensée du développement environnemental et durable du territoire. En effet, il y a une dizaine d’années, ces pays ont rédigé et adopté une Charte de l’environnement pour un développement durable. Le Centre de Découverte du Son a participé à la rédaction de cette charte, et un certain nombre de ses propositions ont été retenus, en particulier dans 3 des 8 objectifs prioritaires. Cette Charte est un outil d’aide à la décision, notamment pour les élus et les techniciens des collectivités. Parmi les actions préconisées dans la charte, il est mentionné :

- dans le paragraphe intitulé « Développer la connaissance, protection et mise en valeur des

espaces naturels terrestres et côtiers », de « contribuer à la connaissance du fonctionnement sonore du territoire (inventaires, préservation d’échantillons sonores...) »

- dans le paragraphe intitulé « Développer un urbanisme en cohérence avec les objectifs de

développement durable », d’« avoir une réflexion sur le confort sonore » et dans le « pôle de promotion et de conseil sur l’éco-construction et les énergies renouvelables », d’« intégrer un espace dédié au confort sonore ».

- dans le paragraphe « Aménager le territoire dans un souci de développement équilibré et

d’amélioration de la qualité de vie », il convient de mener une « gestion et amélioration des espaces générant des nuisances sensorielles (sonores, olfactives, visuelles) ».

Si certaines de ces actions font déjà l’objet de projets menés seul ou en partenariat par le Centre de Découverte du Son, plusieurs d’entre elles nécessitent une forte implication des acteurs locaux et se placent dans un processus à long terme, combinant information, éducation, sensibilisation, puis mise en application dans le cadre de plans pluriannuels. Ces préoccupations doivent sans cesse être réactivées par une présence régulière et active des salariés et bénévoles du Centre au sein des multiples instances et rencontres qui jalonnent la vie locale. Le Centre de Découverte du Son participe par ailleurs aux ateliers du Pays (tourisme, culture, environnement, économie). Il fait partie du comité de pilotage de la GIZC Trégor (Gestion Intégrée de la Zone Côtière) et promeut un projet d’Observatoire Sonore du Paysage dans le cadre de ce programme.

Par ailleurs, en 2001, le projet « Identité Sonore et Développement Durable du Pays de Trégor-Goëlo » a été présenté et validé lors d’une réunion à laquelle participaient les responsables de la Mission Bruit du Ministère de l’écologie, de la Diren Bretagne (« pôle bruit »), du Service Naturel du Conseil Général des Côtes d’Armor, de l’Association de Développement de la Musique des Côtes d’Armor, du Pôle de Compétence Bruit des Côtes d’Armor, du Conseil de Développement du Pays Economique de Trégor Goëlo, du Pays Touristique du Trégor Goëlo, de la Communauté de Communes du Centre Trégor, de l’Education National (conseiller pédagogique musique-informatique). L’ensemble des projets et réalisations du Centre de Découverte du Son s’inscrit dans ce projet global. Le projet « Identité Sonore et Développement Durable du Pays de Trégor-Goëlo » part du constat que :

« La gestion collective ou individuelle de notre environnement sonore se limite principalement à constater des situations d’échecs (plaintes dues aux nuisances sonores,

détérioration de richesses sonores, « matraquage » sonore dans les lieux publics de consommation, détérioration de l’appareil auditif, etc.). Tout semblerait indiquer que l’oreille est devenue un fardeau pour la collectivité. Les quelques solutions proposées sont législatives, répressives ou prônent l’isolement et l’enfermement comme valeurs. C’est en fait à l’opposé de ce qui a permis, dans le passé, à ce formidable outil sensuel qu’est l’appareil auditif, de participer à inventer les formes les plus complexes d’art et de communications. Il est donc primordial aujourd’hui de reprendre l’initiative et d’inverser cette tendance en positivant et valorisant l’écoute, créant ainsi les bases d’une écologie sonore garante d’une meilleure qualité de vie. Pour l’individu comme pour la collectivité, cette démarche implique la connaissance et l’appropriation de l’environnement sonore de son territoire. » (Extrait de « Identité Sonore et Développement Durable du Pays de Trégor-Goëlo »)

Outre le Sentier Musical et le Jardin Sonifère, en 2007, un Circuit Campanaire a été mis en place sur huit communes du Centre Trégor, à la suite d’une commande de la communauté de communes. Depuis 2009, des captations sonores diversifiées ont été effectuées sur les Estuaires du Trégor (éléments naturels, biodiversité, activités humaines, mise en évidence de certaines acoustiques par des interventions musicales, enquête de ressentis sonores), constituant la base d’une sonothèque territoriale et préfigurant un projet d’ « Observatoire Sonore des Paysages ». Tout en recherchant une cohérence avec les démarches d’observatoires photographiques des paysages (OPS) développés sur plusieurs territoires, il s’agit ici de mettre en évidence les caractéristiques et singularités sonores du pays (phénomènes acoustiques liés au relief, à la nature des sols ou aux éléments, fonctionnements sonores des milieux, ressentis des populations résidentes ou de passage). Le Centre de Découverte du Son réalise également divers documentaires sonores valorisant les activités économiques, culturelles et touristiques du territoire (documentaires écoutables sur le site « Bretagne Terre à Ecouter »).

Réflexions et conclusions

Le Centre de Découverte du Son est un lieu expérimental en permanente évolution, au sein duquel les installations sont « validées » par les visiteurs. Il participe, par une approche non didactique, à une éducation populaire des sciences acoustiques basée sur l’expérimentation et l’écoute. Certaines de ces installations sont parfois implantées dans des sites extérieurs, révélant par leur présence le sonore des lieux (par exemple sur une aire de repos sur la RN12 ou lors du Festival Interceltique de Lorient). Au travers des projets menés en complément du développement des parcours du Centre de Découverte du Son, celui-ci s’est toujours associé avec des acteurs locaux ou nationaux, que ce soient des musiciens, acousticiens, audio-naturalistes, chercheurs, responsables de jardins ou parcs valorisant le sonore (par exemple le PNR Haut Jura).

Le Centre de Découverte du Son ne mène pas à proprement parler de recherches sur les espaces sonores, mais il s’implique par une mise en action et une application sur le terrain des principes, protocoles ou résultats théoriques, en proposant des retours opérationnels permettant d’affiner les choix théoriques. Par sa démarche collaborative, la multiplicité de ses interlocuteurs, son implication dans des réseaux, tel que « SON ECOUTE » » (qui réunit des personnes ou structures impliquées dans l’éducation à l’écoute et vise à renforcer ou générer des projets transversaux s’appuyant sur de la mutualisation de compétences et de moyens), le Centre de Découverte du Son apporte ses pierres à l’édification de ponts entre les différentes approches et champs disciplinaires.

L’expérience acquise au cours des années par le Centre de Découverte du Son et sa volonté d’impliquer autant que faire se peut les décideurs dans sa démarche, participent à instiller le

85

sonore dans le développement rural, les politiques touristiques, culturelles, éducatives et environnementales du territoire118. Il n’est pas ici question de se restreindre à la valorisation d’un

aspect patrimonial sonore ou d’en préserver la mémoire : l’objectif est bien de considérer, de révéler et de gérer l’ensemble du sonore du territoire, d’en faire un patrimoine vivant et fonctionnel, optimisé pour les générations futures.

Chapitre 3

Dans le document Soundspaces (Page 81-87)

Outline

Documents relatifs