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Archiver les acoustiques de la transformation urbaine à Barcelone

Dans le document Soundspaces (Page 106-108)

Claire Guiu

Le collectif « Ciudad sonora », rassemblant six chercheurs de différentes disciplines (psychologie de l’environnement, anthropologie, musicologie, géographie) intégré à l’Institut Catalan d’Anthropologie (ICA), mène entre 2006 et 2010 un projet de recherche intitulé « Acoustiques des transformations urbaines du littoral de Barcelone », en collaboration avec le groupe d’artistes Orquestra del caos du Centre de Culture Contemporaine de Barcelone (CCCB). Cette recherche consiste à développer une approche qualitative de l’étude du sonore dans la ville et à élaborer un inventaire sonore de la frange littorale de Barcelone. Elle est financée par l’Institut Catalan d’Anthropologie et par l’Inventaire du Patrimoine Ethnologique de la Catalogne (IPEC), dépendant du Département de la Culture de la Generalitat.

La célébration des jeux olympiques en 1992 à Barcelone a en effet constitué un moteur de nouveaux aménagements et d’une « réinvention » culturelle de la ville. Elle a marqué l’avènement d’un « modèle barcelonais » comme nouvelle conception du design urbain etd’une gouvernance métropolitaine postindustrielle. Le front de mer, évoqué par les acteurs locaux sur le mode de la « réappropriation » et de la « modernité », assemble bâtiments touristiques, résidentiels, infrastructures culturelles et anciens quartiers populaires. Il est le terrain de conception de nouveaux espaces publics constituant les supports de discours d’une ville désormais personnifiée et publicisée. La mise en tourisme et les dynamiques foncières transforment cet espace, renforçant des tensions entre différents groupes, qui se lisent au quotidien par l’observation de conflits d’usages. Le groupe de recherche a alors voulu s’interroger sur la façon dont l’écoute de la ville permet d’appréhender les dynamiques urbanistiques et les pratiques sociales et spatiales dans la ville.

Le matériel collecté sur le terrain est constitué de 100 heures d’enregistrement de points fixes, d’« écoutes flottantes », d’ « événements sonores » et de « cartes postales sonores ». Les écoutes flottantes et dérives sonores permettent dans un premier temps au groupe de recherche de se familiariser avec l’approche auditive de la ville, de faire apparaître des questionnements puis de déterminer des lieux permettant d’accéder au terrain. Les points fixes, sélectionnés en fonction de leurs caractéristiques nodales et de leur distribution spatiale, sont considérés comme des échantillons spatiaux. Ils font l’objet d’enregistrements systématiques déterminés par une volonté de représentativité spatiale et temporelle (une sortie par semaine, de 10h à 20h, donnant lieu à 16 registres sonores, pendant un an). Les « événements sonores » sont captés dans une seconde phase de l’étude, parallèlement à la démarche d’écoutes systématiques. Il s’agit ici d’expressions sonores collectives au sein de manifestations et de regroupements éphémères (événements festifs,

sportifs et de revendication). L’intention est de capter des moments signifiants, des situations de « publicité », des scènes, des « ambiances remarquables » définies par leurs caractéristiques sensibles, excessives, collectives, temporelles et imaginaires (Torgue, 2004). Les signaux et emblèmes sonores et musicaux constituent des éléments discursifs qui agissent sur les représentations et l’imaginaire et participent à la définition et à la reconnaissance d’identités. Si l’enregistrement systématique se fait à intervalles réguliers et sans préoccupation, a priori, ni des régimes d’attention au sonore mobilisés, ni des manifestations qui pourraient advenir dans l’espace-temps de la captation, l’enregistrement « d’événement » engage un travail d’anticipation et de réflexion sur la notion d’objet sonore et de situation. Enfin, les « cartes postales sonores » font entendre les récits d’usagers sur leurs représentations sonores des espaces. L’ensemble du matériel collecté est intégré dans une base de données référençant les enregistrements d’ambiances de trois minutes, par dates (jours de travail/fériés), lieux, types d’espaces, sources, acteurs et pratiques. Chaque extrait est accompagné de cartes de localisation, de photographies et de notes descriptives.

Pour l’Inventaire du patrimoine ethnologique créé en 1994 par le Centre de Promotion de la Culture populaire et traditionnelle catalane et rassemblant différentes archives orales, le financement de cette recherche permet d’ouvrir le fonds à un nouveau type d’archives (enregistrements d’ambiance) et de concevoir le geste patrimonial dans une démarche d’anticipation et de projet. Les archives doivent constituer un ensemble de données pérennes et audibles informant de l’environnement sonore d’une ville en pleine transformation.

Pour le collectif de recherche, il s’agit d’articuler une triple attente, convoquant l’archive sous des statuts différents. L’enregistrement sonore est tout d’abord un mode d’accès au terrain pour le développement d’une approche exploratoire. Il permet aux chercheurs de développer une approche sensible des espaces et d’en constituer de nouvelles typologies. Mais l’archive collectée est aussi une matière d’échange avec les compositeurs et artistes de l’Orquestra del Caos, spécialisée dans l’art sonore et la musique expérimentale. C’est enfin le produit finalisé d’une commande de l’Inventaire. Des ajustements ont dû être opérés. L’IPEC a par exemple, en fin de projet, demandé à multiplier les enregistrements des sons de petits métiers dans la ville (vendeurs de bonbonnes de gaz notamment), ou bien de sources sonores emblématiques considérées comme évanescentes, privilégiant ainsi une approche par objet plutôt que par ambiance.

Les fragments sonores recueillis circulent donc dans différentes chaines d’écoute et régimes d’attention. Ils sont appréhendés au prisme d’écoutes analytique, flottante, esthétique ou identitaire (de reconnaissance). Mais si le projet a pendant trois ans permis de confronter des écoutes à partir de matériaux communs, la fragilité des supports de conservation et la-non anticipation des usages possibles de la base de données mettent à mal la pérennité d’écoute de ces archives. Sans doute celles-ci ne servent-elles pas tant à construire un support de mémoire et de transmission qu’à formaliser l’entrée de l’environnement sonore dans les champs de la valorisation patrimoniale, de l’art sonore et de la recherche en sciences humaines.

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Dans le document Soundspaces (Page 106-108)

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