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L’architecture par l’oreille Ecouter le lieu théâtral, interroger ses représentations visuelles

Dans le document Soundspaces (Page 87-95)

Marie-Madeleine Mervant-Roux

« L’espace ou le lieu théâtral supposent, au niveau même de leur constitution, des liens génériques avec un milieu et avec une forme. Cette forme, c’est d’abord la place, comme extension des espaces d’échange que sont la salle, la cour, puis le carrefour des voies de circulation, au cœur de l’agglomération, puis de la ville. Que le lieu théâtral s’exile […], ici hors du champ étroit de la cité, là au contraire en un monument particulier s’articulant sur l’espace urbain, ne doit pas nous faire oublier le moment fondamental de sa constitution. Là se trouve la clef de ses transformations comme de sa permanence. »

Elie Konigson119

Les archives sonores des spectacles de théâtre et plus précisément les captations de représentations en public peuvent jouer un rôle dans la redécouverte du lieu théâtral comme espace auditif. Le mot « redécouverte » mérite un commentaire. Avant de présenter l’exemple sur lequel nous nous appuierons, nous devons rappeler une réalité qui pourrait surprendre : depuis les années 1960, on ne pense plus – en France du moins – la salle de théâtre en termes d’écoute. Les ouvrages consacrés aux bâtiments modernes et contemporains s’intéressent de façon précise à l’organisation de la vision et au confort des spectateurs, ne mentionnant l’acoustique que secondairement et souvent en termes généraux, abandonnant sauf exceptions la réflexion sur le son aux spécialistes de la sonorisation 120. Notre hypothèse est que l’effacement des

problématiques acoustiques et phoniques au milieu du XXe siècle (les raisons, complexes, de cet

effacement ne peuvent être évoquées dans le cadre de cet article121) a largement contribué à

altérer la façon de concevoir l’inscription du théâtre dans la ville et les relations du théâtre avec la ville. Le fait de traiter les salles de théâtre à peu près de la même manière que les autres salles de spectacle, dont les salles de cinéma, tend à faire oublier le lien structurel entre l’espace de la séance dramatique et les espaces urbains « dramatisés » à partir desquels le théâtre s’est défini en

119 Konigson E., « Espaces construits », Espace privé, espace public, Théâtre/Public n° 179, dir. B. Boisson et M-M Mervant-Roux, 4e trimestre 2005, p. 7.

120 Signe des temps : la restauration de l’acoustique de la salle Richelieu de la Comédie-Française, effectuée à l’occasion de la récente rénovation, achevée en janvier 2013, a été commentée comme un véritable événement. 121 Voir par exemple Jean-Marc Larrue, M-M Mervant-Roux, Introduction au dossier Le son du théâtre. 1. Le passé

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Europe – nous reprenons ici le terme et la proposition de l’historien Elie Konigson122. Les

chercheurs en urbanisme qui aujourd’hui évoquent le bâtiment théâtral se préoccupent d’abord de son insertion architecturale dans son environnement ; quant aux analystes des phénomènes sonores urbains, ils semblent considérer que seul le théâtre de rue ou de plein air les concerne. Les recherches récemment engagées par des spécialistes de théâtre sur l’histoire de l’acoustique des salles, mais aussi sur le son de la représentation ou de la performance, incluant les manifestations de la présence et de l’écoute des spectateurs, devraient contribuer à modifier cette situation et à faire inscrire ou réinscrire le lieu théâtral dans un tout autre ensemble de lieux collectifs urbains, où priment l’attention auditive et l’expression orale. L’inventaire et l’écoute des captations sonores des spectacles constituent un volet majeur de ce programme123.

Les archives audio que nous allons évoquer ont été produites dans le cadre d’une recherche personnelle menée en 2009-2010 à la Comédie-Française, en partenariat avec cette institution, pour le programme CNRS/CRI « Le son du théâtre ». Nous avons enregistré de la même place de la salle Richelieu (la place 439 du deuxième balcon, voir figure 12) six représentations d’Ubu roi d’Alfred Jarry mis en scène par Jean-Pierre Vincent124. A ces documents se sont ajoutés un

enregistrement effectué d’une baignoire de l’orchestre (place 720), lors de la générale, et les enregistrements de quatre autres représentations réalisés par la régie du théâtre à l’aide d’un dispositif très différent : deux micros accrochés au jardin et à la cour sous le balcon des loges d’avant-scène. Notre objectif initial était de prolonger la recherche que nous avions effectuée entre 1986 et 1996 sur la place du public dans l’événement théâtral. Nous avions alors pu décrire l’intervention concrète, mesurable, de l’assistance sur les rythmes, les tonalités et les intensités d’une dizaine de spectacles125. Dans ce nouveau travail de terrain, il s’agissait de suivre une

création théâtrale dans la durée (en l’occurrence sur deux saisons), en nous appuyant uniquement sur les captations sonores de représentations, afin de confirmer et affiner nos propositions sur la ponctuation fluctuante et décisive du théâtre par les spectateurs. La relecture de travaux d’historiens sur les tumultes et les cabales du public, en un temps – maintenant révolu – où le théâtre occupait une place centrale dans la vie sociale et politique et où le bâtiment était vécu comme un « forum » urbain126,nous a fait songer que ces captations pouvaient être exploitées

dans une autre perspective : leur écoute révèle en effet une « image » inédite de la très célèbre salle Richelieu. Elles constituent ensemble une sorte d’empreinte sonore et aurale d’un volume architectural dont on ne retient d’habitude que les caractéristiques visibles et la façon dont il organise les points de vue des spectateurs sur le spectacle scénique (voir figure 13).

122 Spécialiste du lieu théâtral du Moyen Age et de la Renaissance, Elie Konigson associe dans son travail les méthodes de l’anthropologie historique à celles de la géographie humaine. Sur la notion d’espace dramatisé, voir « Espaces construits », loc. cit.. « L’espace urbain – mais avant ou en même temps que lui, l’espace de la demeure qui en est la cellule première – est perçu et vécu comme espace dramatisable-dramatisé au même titre et en même temps qu’il est organisé et vécu comme espace d’échange. »

123 Le programme ANR ECHO (ARIAS, BnF, LIMSI, UvA, CRIalt, 2014-2017) s’organise autour des fonds audio de la BnF (Arts du spectacle) Voir le résumé sur le site de l’ANR :

http://www.agence-nationale-recherche.fr/projet-anr/?tx_lwmsuivibilan_pi2%5BCODE%5D=ANR-13-CULT- 0004

124 Il s’agissait de la création de la pièce à la Comédie-Française, avec, entre autres interprètes, Anne Kessler (Mère Ubu) et Serge Bagdassarian (Père Ubu). Décor de Jean-Paul Chambas, son de Benjamin Furbacco.

125 Voir L’Assise du théâtre. Pour une étude du spectateur, Paris, CNRS Editions, coll. Arts du spectacle, série « Spectacles, histoire, société », 1998. p. 149-217.

126 Voir par exemple l’article d’Alain Corbin, « L’agitation dans les théâtres de province sous la restauration » [1985],

Zones aurales, zones orales : un dispositif acoustique complexe

Le travail effectué sur les représentations d’Ubu roi a confirmé les observations effectuées en 1986-1987 dans une autre salle dite « à l’italienne », la salle Louis Jouvet de l’Athénée-Théâtre Louis Jouvet. Comme toutes les salles étudiées, cette salle à l’italienne pouvait être découpée en zones spectatrices possédant des caractères spécifiques, ce découpage remettant en question la hiérarchie traditionnellement admise des places, du 5e rang d’orchestre (les plus cotées) au

poulailler (les moins coûteuses). Nous avions en effet distingué trois grandes positions spectatrices, dont les critères de définition se sont avérés plus proxémiques que perceptifs, chaque zone correspondant à une certaine expérience spatio-temporelle et à un mode particulier d’interaction avec la scène. Quoique centrée sur les phénomènes de vision et de regard, l’enquête avait intégré d’une part ce qui concernait l’expérience auditive des spectateurs, d’autre part ce qui concernait leurs modes d’expression audibles, depuis les silences plus ou moins intenses jusqu’aux paroles, murmures et cris. Dans chacun des cas, vision et audition s’articulent d’une façon originale. La proximité visuelle, par exemple, favorise l’individualisation, réelle et imaginaire, de l’écoute ; l’éloignement atténue ce phénomène, l’éloignement vertical se distinguant de l’éloignement horizontal : au poulailler, la grande distance optique associée à l’excellente acoustique, au surplomb, à l’invisibilité, suscite des attitudes fort différentes du retrait sensoriel moyen des étages intermédiaires127. Ainsi, les occupants du 2e et du 3e balcon (appelé aussi galerie)

de la salle Richelieu n’hésitent-ils pas à répondre à voix haute aux questions posées par Ubu, à ajouter un mot d’esprit.

L’étude des enregistrements d’Ubu roi effectués à partir de deux points différents de la salle montre aussi que les différentes zones s’entendent – plus ou moins – mutuellement réagir. L’humour noir de Jarry, retravaillé par Jean-Pierre Vincent, permet aisément de le vérifier. « On ne goûterait pas le comique si l’on se sentait isolé. Il semble que le rire ait besoin d’un écho128 »,

peut-on lire chez Bergson – que Jarry avait eu comme professeur de philosophie. Les mouvements des spectateurs, les acteurs les saisissent aussi, mais atténués, floutés, moins précisément localisés, les captations de la régie en témoignent. « Au théâtre, écrit Louis Dandrel, deux territoires cohabitent : la scène et la salle. Mais les limites de la scène sont mobiles, elles peuvent s’agrandir jusqu’à contenir la salle, l’extérieur de la salle et même au-delà129. » L’analyse de

quelques séquences du spectacle révèle un phénomène inverse. Nous prendrons l’exemple de la « chanson polonaise », une séquence de deux minutes environ, située à une heure et demie du début. Certains soirs, les « échos » (au sens de Bergson) internes à l’assistance jouent entre eux de telle sorte qu’ils suscitent d’autres échos chez les acteurs (chez les personnages ?), au-delà de la rampe, sur le plateau. C’est alors la salle qui semble enfler, sortir acoustiquement d’elle-même et empiéter sur l’aire de jeu. L’action s’organise de la façon suivante : Ubu (Serge Bagdassarian) chante les couplets de l’hymne polonais grotesque, debout à l’avant-scène, devant un vieux micro sur pied. Sa voix monte dans les aigus, il tient très longtemps une note. Le 27 mai 2009, avec une salle particulièrement vive, on entend plus distinctement que jamais les rires surgir successivement de différents points de la salle, d’un étage, d’un autre, de l’orchestre, de la galerie,

127 Voir L’Assise du théâtre, op. cit., p. 100-123.

128 Bergson H., Le rire. Essai sur la signification du comique, Paris, éditions Alcan, 1924, p. 10-11. « Echo : Phénomène de réflexion d’une onde sur une surface ou sur des inhomogénéités existant dans le milieu de propagation ; l’onde ainsi réfléchie. » Définition du TLF.

129 Dandrel L., « A propos d’espaces sonores… », AS (Actualité de la scénographie), n° 49, Paris, septembre-octobre 1990, p. 57-58, ici p. 58.

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on entend les zones s’entendre et les rires augmenter, jouer, puis l’acteur jouer à son tour, attendre et laisser rire et reprendre son chant, salué à la fin par une explosion de bravos qui unifie un temps l’ensemble du théâtre, horizontalement et verticalement. Dans d’autres séquences, celle de la trappe, celle de l’incendie du village « dans les environs de Varsovie », celle de la torture du capitaine Bordure, les rires sonnent vite comme des fausses notes, une dramaturgie de l’écoute s’organise et divise les spectateurs, le metteur en scène fabrique le malaise, certaines salles trouvent le ton lorsque d’autres n’y parviennent pas.

« Un violoncelle rempli de coton »

La Salle Richelieu a été construite entre 1786 et 1790 par l’architecte Victor Louis, dans le style néoclassique, et agrandie sous le Second Empire. Elle a connu ensuite de multiples transformations130. En 2012, Muriel Mayette, administratrice générale, décide de profiter du

chantier de rénovation du bâtiment dont l’objectif est la mise aux normes des équipements techniques (accessibilité et sécurité), pour refaire l’acoustique de la salle « “qui avait subi l’embourgeoisement des siècles”. […] Au-delà du cinquième rang, la parole n’était plus perçue clairement”, précise l’acousticien Jean-Paul Lamoureux [à qui a été commandée une étude]. La salle avait perdu près de 20 % de ses capacités acoustiques. […] “Tous les éléments qui composent une salle ont leur importance dans la perception du son, explique Sophie Bourgeois, directrice des bâtiments et des équipements de la Comédie-Française […] : les matériaux réverbérants (plafond de la salle, dorures des balcons...), absorbants (moquette, velours, parois entre les loges...). Et la masse du public bien sûr qui influe sur la qualité de réception. Nous avons donc redéfini le bon équilibre, soit un tiers ‘d’absorbant’ et deux tiers de ‘réfléchissant’ ” »131. La

moquette rouge a été remplacée par un plancher, les velours des fauteuils par un revêtement en bois, des cloisons séparatives ont été ajoutées entre les loges, des portes feintes augmentent la réverbération. « Ces portes ont été travaillées avec des ornementations, car le son “accroche” mieux sur une surface bosselée que sur des grands aplats », ajoute l’expert acousticien. On s’est aussi avisé qu’à l’avant-scène, les loges du milieu, de forme arrondie, assument une fonction de « porte voix » en direction du public pour les acteurs situés sur le plateau.

Ce que l’administratrice du Français appelle « embourgeoisement », ce n’est pas seulement le goût des velours et des damas tendus, qui, choisis pour leur beauté et leur couleur, auraient eu aussi la caractéristique malheureuse d’absorber les sons. On avait sciemment voulu atténuer les bruits du public : arrivées des retardataires, départs des mécontents, bavardages, claquements de sièges. Le résultat est résumé en une image choc par Christophe Bottineau, architecte en chef des Bâtiments historiques en charge du 1er arrondissement de Paris : « C’était comme si on avait

rempli un violoncelle avec du coton ». Avec une acoustique beaucoup moins mate, tous les sons redeviennent plus audibles : les voix des comédiens, comme le souligne le site de la Comédie- Française132, mais aussi et peut-être surtout les bruits de la salle. « Il faudra, remarque Muriel

Mayette, compter sur l’intérêt des gens à regarder ce qui se passe sur scène ». La restauration ne touche pas

130 Voir le site de la Comédie-Française : http://www.comedie-francaise.fr/restausr/historique.html 131 Hernandez B., « La Comédie-Française retrouve sa voix », Le Point, 29 janvier 2013.

132 « L’évolution des techniques du jeu au cours des trente dernières années a rendu encore plus nécessaire une acoustique de qualité afin de mieux rendre les nuances vocales du jeu des comédiens. La réverbération sonore relativement courte en comparaison du volume de la salle pouvait expliquer la gêne ressentie d’une part par le public et d’autre part par les acteurs, obligés d’adapter leur voix pour combler acoustiquement le volume et se faire entendre. »

seulement l’audition des acteurs par les spectateurs, elle augmente l’audibilité de ces mêmes spectateurs.

Au moment où Jean-Pierre Vincent monte Ubu roi, en 2009, la rénovation n’a pas encore eu lieu, les conditions ne sont pas réunies pour le développement de vives interactions entre la scène et la salle et entre les diverses zones de la salle. Une de ses premières notes de travail, en février 2008, est consacrée au problème que pose la « grande scène », là où il faudrait un « petit théâtre de marionnettes » ou un « théâtre d’appartement » 133, formes pratiquées ou préconisées par Jarry.

En octobre 2008, le dramaturge, Bernard Chartreux écrit au metteur en scène : « Il me manque quelque chose : l’élasticité, sinon la friabilité, sinon l’abolition possible du quatrième mur. […] Le public peut être sollicité, convoqué, houspillé […]. Il n’est pas à l’abri. » Pour que la dynamique ubuesque s’amorce, il faudra donc l’apport d’une sonorisation très travaillée, organisée par Benjamin Furbacco, comportant l’usage de nombreux micros, dont certains bien visibles (« des vieux micros de conférence, mobiles, déplaçables à volonté, avec fils »). Ceux-ci, loin de dissocier le « territoire » de la scène du « territoire » de l’assistance, suggèrent aux spectateurs d’autres types de spectacle moins intimidants (« salle de bal, salle de restaurant à louer pour fêtes diverses », « jeu Intervilles », « théâtre d’amateurs »). Il faudra surtout une organisation savante des voix, des bruitages, de la musique et des chansons (« l’art et le plaisir de chanter ensemble ») capables de faire réagir les spectateurs-auditeurs de tous les étages (« Parler à ceux du poulailler, nom de dieu ! ») et arracher à la salle Richelieu ce qui lui reste de ses capacités de résonance, faire fonctionner sa multidimensionnalité auditive et phonique, impulser des répliques (rires, bruits et paroles) rapides et dynamiques de spectateurs, lancées en direction de la scène et indirectement aux autres spectateurs.

Le silence serait-il moins urbain que le bruit ?

Après avoir été un lieu bruyant, séparé de l’animation des rues, mais bruissant des événements et des conflits de la cité, le bâtiment théâtral est depuis le début du XXe siècle un espace acoustiquement protégé, où le public, assis et quasi invisible, a appris à se taire. Le son du théâtre moderne – qui peut se faire tonitruant – s’organise sur cette nouvelle base. Est-ce la raison pour laquelle le lieu de la représentation n’est presque jamais pris en compte dans les descriptions des ambiances urbaines ? Alors que la métaphore scénique nourrit les discours en sciences humaines, la scène véritable, indissociable de la salle (ou de l’espace des spectateurs) est gommée des approches sonores de la ville. A l’époque où l’on réfléchit à la ville comme à un lieu de développement de l’imaginaire, on néglige l’espace qui, le premier en Europe, a concrètement ancré dans l’espace urbain la fonction symbolique, s’étant lui-même défini à partir des lieux de la vie sociale qui étaient déjà empreints de fiction et de jeu avec la fiction : la salle, la cour, la place, ces espaces que Konigson appelle « dramatisés ». A l’époque où les analystes des espaces sonores urbains s’intéressent au silence, faisant la part des « utopies anti-bruit »134 pour mieux observer la

complexité des endroits et des temps de retrait et de calme135, on a tendance à oublier l’institution

qui depuis un siècle construit méthodiquement des « silences habités » scéniques (selon le mot d’André Serré) et des réponses souvent muettes dans la salle. Que les spécialistes en études

133 Notes de travail de Jean-Pierre Vincent, consultables à la Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française. Les citations qui suivent sont extraites de ces notes.

134« Délimiter des aires de silence est une illusion », soulgine O. Balaÿ, « Trois utopies sonores pour la ville contemporaine », Ambiances et espaces sonores, dir. B. Barraqué et G. Faburel, L’Harmattan, 2004, p. 74.

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sonores soient souvent des musiciens, privilégiant le musical, n’explique qu’en partie cet oubli, dont la responsabilité majeure incombe aux spécialistes de théâtre eux-mêmes et à la longue survalorisation de la vision dans leurs approches de la scène moderne.

En s’intéressant à l’audition telle qu’elle est mise en œuvre dans le lieu théâtral, en se mettant à l’écoute des traces acoustiques de ce lieu enregistrées dans les archives, le groupe de recherche sur « le son du théâtre » a amorcé un renouvellement de la perception et de la conception de cet art. Nous souhaitons montrer ici que ce processus conduit à redécouvrir pour ainsi dire de l’intérieur, et pas seulement d’un point de vue architectural ou urbanistique, les liens unissant le théâtre et la ville. Les études portant sur le tournant du XIXe au XXe siècle (dont la thèse de

Melissa Van Drie136) ont dessiné une cartographie théâtrale parisienne jusque là inconnue,

incluant le réseau du théâtrophone, les lieux d’écoute phonographique, mais aussi les salons où l’on disait des monologues (un genre dramatique beaucoup phonographié), sans oublier les salles de spectacles mixtes, les premières à avoir recours aux appareils de reproduction mécanique de la voix. D’autres chercheurs du groupe redécouvrent le lien de la scène aux performances de poésie sonore, aux lectures dramatiques et poétiques, à certaines installations musicales, aux créations radiophoniques, aux formes dramatisées des arts de la rue. Cependant, le bâtiment-théâtre (« l’abri » et surtout « l’édifice »137) échappait encore largement à cette réécriture de l’espace.

Elie Konigson a indiqué comment l’espace théâtral s’était élaboré dans l’Europe médiévale à partir de quelques « objets de représentation » en usage dans la société : le tréteau [l’échafaud], le

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