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2.6.1 / CENTRALITE, CELLE DE LA REPRESENTATION DU POUVOIR COLONIAL

La production du centre de la ville s’est faite par étapes. On a pu en distinguer au moins deux ; Il y a d’abord production du centre que nous désignons par « centre militaire », mais on pourrait tout aussi bien l’appeler « centre conquérant » : c’est le centre de substitution, il a pris la place de l’ancien centre historique. Situé dans la partie Ouest (place Damrémont), où l’on trouve principalement le tertiaire : Banque, Poste, Préfecture, Mairie, et habitat ; dans une mise en scène d’un « noyau de centre », qui n’a jamais pu rivaliser avec l’ancien. La stratégie du pouvoir dans l’artificialité de son choix pour créer une image urbaine du type Baroque, révèle sa faiblesse. Consécutivement à cela, on peut reconnaitre un second centre, c’est le centre où l’aristocratie expose, étale sa gloire en même temps que sa richesse, peut-être pourrait-on appeler ce centre « centre triomphaliste » : c’est l’espace de la brèche avec plus de déterminisme, dans une valse d’équipements comme le théâtre & la halle (1888), et plus tard, le palais de justice (1919), l’hôtel des postes (1917), qui ont pu s’implanter par décision autoritaire. Faisant de cet espace public, un lieu de toutes les inaugurations et au même temps le témoin clé des parcours rituels et commémoratifs de la ville.

Il nous semble que le passage de l’une à l’autre forme peut s’exprimer dans le fait qu’il y a eu au début une ville des militaires qui constitue la première étape et par la suite la ville est devenue des civils et des colons. Le centre « conquérant » a donc été remplacé par le centre « colonisateur ». (Fig. 39, 40)

Les opérations urbaines coloniales réalisées à Constantine substituent à l’ancienne organisation spatiale un nouveau système urbain fondé sur l’architecture monumentale, les grandes artères et la primauté de l’espace public au sens pratiques urbaines européennes, selon les écrits d’André Raymond « toute l’entreprise était par ailleurs fondée sur la double conviction profondément enracinée chez les nouveaux occupants d’Alger, de la supériorité de la civilisation occidentale qu’ils venaient de faire débarquer en Algérie et l’infériorité de la civilisation des vaincus : cette conviction justifiait la substitution à un urbanisme jugé anarchique, d’un urbanisme « moderne » à l’européenne fondé sur la régularité et les larges perspectives »2.

1 Cette centralité n’est pas vue en terme géométrique (distance, forme, …), mais en terme de pôle d’échange et de

pratique d’urbanité (échange, shoping, promenade, rencontres, café, etc.).

2 Raymond, André, « Le centre d’Alger en 1830 », Revue de l’occident musulman et de la méditerranée, n°31,

151 Fig. 39 (a) Le Théâtre & le Marché couvert sur la Brèche.

Le photographe Jean Geiser éditeur à Alger.

Fig. 39 (b) La Nouvelle Poste. Le photographe Jean Geiser éditeur à Alger.

152 Façades urbaines donnant sur la place publique « la Brèche »,

La Centralité, celle de la représentation du pouvoir colonial, Constantine.

Fig. 40 (a). Place de la Brèche (ex-Place Nemours) Photographe Anonyme.

Fig. 40 (b). Rampe et Ordonnancement des façades. Le photographe M.Mélix éditeurs à Alger.

153 Sur ce constat, nous sommes devant un système de représentation de l’architecture urbaine coloniale et la formation de ses places publiques, « (…) Un réseau d’institutions vient s’implanter sur la place de la Brèche. La mairie, sur le boulevard de l’Ouest, et le Palais de Justice, transféré de la Place Négrier, fournissent l’appareil législatif et juridique nécessaire à l’expropriation des tribus et des familles1 . Le Crédit foncier, construit sur l’emplacement du marché, et la Banque de l’Algérie, installée dans le bâtiment de l’ancien Service du Trésor et des Postes, apportent quant à eux le support financier et l’image d’une crédibilité indispensable au drainage et à la fixation des nouveaux colons. Sont ainsi concentrés en un seul lieu du pouvoir les « équipements » qui servent au démantèlement des structures collectives et spatiales indigènes et à la répression de toute résistance, tout en représentant symboliquement les idéaux de « liberté », de « fraternité » et « d’égalité ». Ce réseau de formes consacre la place comme l’espace de la technique moderne et de sa représentation au service de l’action coloniale2 , la visualisation de l’idéal du projet d’assimilation des autochtones à la culture et à l’idéologie françaises »3. (Fig. 41, 42)

2.6.2 / LE CENTRALITE, CELLE DE LA REPRESENTATION DE L’IDENTITE URBAINE COLONIALE, DEVIENT L’ENTREE DU ROCHER

Ce que nous avons pu relever, c’est que cette organisation du centre revêt à chaque fois des formes différentes il n’y a pas permanence d’une forme, puisque chaque conquête a produit son propre centre. Il est à chaque fois différent tant dans son organisation spatiale que dans sa signification sociale. Et si Le centre de la ville ottomane est différent de celui de la ville coloniale, cette différence (diversité) s’explique par le fait que chaque société vient s’inscrire dans son espace une logique ou des logiques particulières qui lui sont propres et celles-ci se déploient à chaque fois de manière différente.

Dans cette analyse du rocher, nous avons montré que le passage d’une formation urbaine et sociale donnée, à une autre révèle qu’il y a à chaque fois un centre. En effet, on constate qu’il y a maintien d’un dispositif spatial centré ; cependant, malgré la pérennité d’une tendance centralisante, nous avons vu que le centre ne gère ni l’espace, ni la société, de la même manière.

1 Comme c’est indiqué au chapitre 3, p 177 « Les Outils Juridiques & Règlementaires » : « Cette richesse du domaine de l’Etat, écrit Malverti, constituée des biens des Turcs, des biens des corporations, des biens des tribus obtenues par l’achat, l’expropriation ou par la confiscation, amène la justice à préciser les notions de domaine public de l’Etat et domaine privé, ainsi que leur mode de vente ou d’attribution à des colons. » Cf.

Malverti, Xavier & Picard, Alèthe, la fabrication des villes, Paris, éditeur gevr, (1995), p, 11.

2 Sa valeur démonstrative sera renforcée par l’inauguration de la Maison du Colon en 1950.

3 In « Conflit de culture, conflit de signes dans l’architecture urbaine : les transformations coloniales de Constantine », Sadri Bensmail & Salwa Boughaba, Ecole d’architecture de Paris- La Villette/ - Ecole des hautes

154 D’une période à une autre, le centre a revêtu à chaque fois des formes différentes et des contenus différents ; dès lors, il n’est plus possible de penser le centre en termes de permanence mais plutôt en termes de rupture. Cette investigation nous a donc permis d’affirmer la non permanence du centre et de la centralité.

Nous avons montré comment le centre de la ville de la période colonial inscrit plusieurs logiques ; Il est tout d’abord un centre « conquérant », espace où l’on inscrit la victoire, le triomphe. C’est la substitution d’un centre colonial qui vient se superposer ou plutôt détruire l’ancien dispositif spatial de la ville ottomane. C’est la place d’armes, qui remplace la place de la grande mosquée. La deuxième étape dans la production du centre est liée à des conditions historiques particulières : c’est la période du grand essor économique de l’Algérie ; on voit apparaitre une nouvelle organisation de l’espace, beaucoup plus liée à la circulation de la marchandise, cette étape marque la naissance d’une ville « quartier » typiquement européenne ; peut-être peut-on parler alors de « centre colonisateur » pour caractériser ce centre du type nouveau qui se démarque assez du premier, qui lui est axé sur le fait militaire. La persistance du fait morphologique existe bien entendu, renforcé par l’attribution fonctionnelle des bâtiments, ce qui conforme l’articulation de la ville au-delà du rocher, tout le long des voies qui y convergent, appuyé par la construction du pont jeté sur le Rhumel (Sidi Rached) (1912). Cette ouverture à l’horizon des lieux, suivant l’axe de l’ancienne avenue Valée, dessine un paysage soumis. Ces transformations opérées en fin du XIXème siècle, vont

perdurer jusqu’à la moitié du XXème siècle. Plus tard, la période d’après-guerre qui verra

l’industrialisation des moyens de transports prendre un essor important, notamment dans le domaine de la « voiture », va marquer en 1950 l’espace public de la brèche, en renouant avec la tradition commerciale de la ville. Autre fois « halle aux grains », devient le nouveau garage « Citroën », avec une façade de style « Arabisance », à la fois musée et marché de l’automobile indiquant alors l’avènement du capitalisme industriel dans la ville. Encore une fois cet espace est le siège d’expression de la société coloniale « moderne ».

L’idée qui s’annonce, de réunir les faubourgs qui se profilent autour d’un centre, est de parvenir à cette identité urbaine européenne longuement recherchée. Le centre, de la représentation du pouvoir colonial, devient l’entrée du rocher, très appuyé par le développement et la présence précoce de l’activité commerciale, qui déjà faisait de lui le principal espace commercial de la ville et l’unique espace d’échange des habitants ; cette caractéristique perdure jusqu'à aujourd’hui malgré l’expansion de la ville et son développement.

155 Fig. 41 (a). Place de la Brèche (le Théâtre & les Halles).

Le photographe Louis Levy et fils éditeur à Paris, sous le sigle (LL).

Fig. 41 (b). Place de la Brèche (le Crédit Foncier). Le photographe M.Mélix éditeur à Alger.

156 Fig. 42. L’Hôtel de ville, Constantine.

157 2.7 / LES RAPPORTS FAUBOURGS/ ROCHER (Fig. 43, 44).