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A / EMPREINTES DE STRATEGIE

2.3/ LES ACTES MARQUES

2.3. A / EMPREINTES DE STRATEGIE

Nous sommes dans cette logique nécessitée par la pacification, qui a vu l’espace traditionnel sur le rocher se métamorphoser : consolidation des fortifications, élargissement des voies, création de places, transformation de maisons beylicales en établissements, multiplication des commissions pour la mise en place de l’outil législatif.

La Casbah, choisie en tant que fort va servir d’appui à une première installation militaire, elle impose par sa masse et sa pérennité, une image positive, et sa liaison avec les principales portes de la ville sera le principal souci de l’autorité militaire. Le palais du Bey va servir de résidence au chef de commandement ; probablement est-il excessif de dire qu’il se reconstitue une enceinte dans l’enceinte, l’image qui se constitue profile une rupture entre cette partie et le reste de la médina, qui en retour vont permettre le développement

1 Gouvernement Général d'Algérie. 1936. Statistique de la population algérienne. Tome 2. Département de

Constantine, Alger, Service Central de Statistiques.

119 différencié de la partie Ouest & Nord. La restitution d’un système viaire sophistiqué constitué de parcours principaux et secondaires, est validée par ce qui se dessine en Europe. Dès 1841, une voie carrossable est achevée (rue Damrémont)1 pour relier la casbah à la place d’arme

(place Valée ou/ la Brèche), desservant ainsi, la partie Ouest et Nord du rocher, en système de rues presque rectilignes, « (…) Les ingénieurs du génie partagent les idées sur la ville largement développées au cours du XIIIème siècle. La ville doit permettre une circulation plus aisée et des conditions d’hygiènes meilleures. On préconisant des voies plus larges, des carrefours plus vastes, des promenades et des jardins mieux répartis, et des rues pavées construites sur un réseau d’évacuation des eaux : une ville propre, aérée et ordonnée »2.

Les maisons, vont servir de logements de la garnison, de magasins et d’écuries. Cette situation a encouragé l’afflux de population militaire et civile, rendant leur nombre et leurs besoins plus importants. Réinvestissement d’abord et adaptation ensuite, seront à l’origine du « fait urbain », qui va marquer l’architecture de rue sur le rocher, synonyme de transformation, et de la transcription sur le sol de l’idéologie coloniale, qui sera imposée de force :

• Réinvestissement : des maisons traditionnelles, avec des recompositions des pièces, et des rectifications légères des façades.

• Adaptation : au parcellaire réduit à l’échelle de la maison traditionnelle, et l’apparition de nouvelle façade.

Dans les deux cas, les édifices réalisés auront permis la rencontre entre, une tradition et l’inspiration à une architecture métropolitaine. Le résultat au niveau de l’image architecturale qui se profile, en est presque le même. Cette volonté de cacher l’espace historique, qui contraste avec celui d’organiser et de servir l’image du colonial, marque ce dédoublement de ce « projet » sur le rocher, qui apparaît comme une projection de l’idéologie de la dualité (que nous appelons tension urbaine & architecturale)3.

« Le rôle des ingénieurs aurait-il été de remplacer l’opacité par la transparence, la malpropreté par l’assainissement, le désordre par l’organisation rationnelle, l’introverti par le public »4. Pour répondre à cette préoccupation d’image du site5, qui n’arrive pas à

affirmer son européanité face au cliché de l’ancien tissu. Le pouvoir colonial va employer

1 Damrémont Charles Denys : Général français successeur de Clause en Algérie, fut tué en assiégeant Constantine

en 1837.

2 Xavier, Malverti, op.cit., p, 234.

3 Nous empruntons cette « expression » que nous avons déjà utilisée dans nos travaux de magistère, (Université

de Sétif, Département d’Architecture, Octobre 1995).

4 Tsakopoulos, Panayotis, « Technique d'intervention et appropriation de l'espace traditionnel, L'urbanisme

militaire des expéditions françaises en Méditerranée », Figures de l’orientalisme en architecture, revue du monde

musulman et de la méditerranée- REMMM-, 73/74, (1996), pp. 209.227.

5 Les ensembles européens et traditionnels présentent une relative unité morphologique globale, que seule une

120 deux actions portées par deux ambitions architecturales, qui tenteront malgré tout à des moments distincts, de lui donner un sens :

• La première « la volonté de voiler le rocher »

La démarche est fidèle en cela à ce qui se dessine en Europe, le pouvoir colonial en l’occurrence, contrôle partiellement l’image de la ville, image qui pour se constituer doit accepter comme règle de jeu celles des modèles architecturaux (typologies des édifices) et forme urbaine (parcellaire existant). Les outils urbains se trouvent être la façade et la parcelle, qui sont aussi des moyens de gestion et de contrôle du développement du tissu sur le rocher. Le cadre dans lequel ces instruments démontrent leurs efficacités étant le système du réseau de voies (percement) mis en place par le pouvoir, comme moyen pour « voiler » le rocher. Ainsi les constructions traditionnelles et mixtes se retirent derrière les immeubles longeant ces voies et ceux de la ceinture des boulevards périphériques, et que seule l’échelle de la parcelle peut montrer cette rupture du jeu, qui s’opère entre profondeur et périphérie1.

• La seconde « la volonté de créer un espace public soigné »

Pour la première fois dans l’histoire du rocher, se manifeste le phénomène de « façades ordonnancées » sur un long alignement, les façades alignées de différents édifices de propriétés différentes donnant sur des rues, et astreintes par des décrets visant une unité de style (des frises, corniches continues, le même nombre d’étages et formes identique de toiture). Sur ces attributs d’une politique d’immeubles de prestige, et d’équipements signifiants, va suivre la volonté de créer un centre européen, en procédant à l’aménagement de la place Valée, avec ses immeubles et son espace public de qualité. Le parti pris architectural était volontairement monumental et signifié par une architecture néo-classique, dont le traitement symbolise l’équilibre immuable de la justice, mais cette composition par sa rigueur désigne l’incompatibilité qu’elle a avec le reste du rocher.

Encore une fois il ne s’agit pas de juger d’une bonne forme dans l’absolu, mais bien de souligner la divergence entre ce que le plan appelle, et ce que l’image urbaine dicte. Nous sommes loin de la stratégie Haussmannienne, qui d’un plan régulateur passait sans ambages à une image unificatrice. Les opérations urbaines coloniales réalisées à Constantine comme à Alger, substituaient à l’ancienne organisation spatiale un nouveau système urbain fondé sur l’architecture monumentale, les grands boulevards et la primauté de l’espace public au sens pratiques urbaines européennes, selon les écrits d’André Raymond « toute l’entreprise était par ailleurs fondée sur la double conviction profondément enracinée chez les nouveaux occupants d’Alger, de la supériorité de la civilisation occidentale qu’ils venaient de faire débarquer en Algérie et l’infériorité de la civilisation des vaincus : cette conviction justifiait

1 Il est difficile, à première vue de distinguer une maison traditionnelle qui aura ouvert sa façade sur la rue, de

121 la substitution à un urbanisme jugé anarchique, d’un urbanisme « moderne » à l’européenne fondé sur la régularité et les larges perspectives »1.

Les premières implantations militaires, ont développé une tendance à deux visages :

• La première issue des rectifications de rues, et recomposition d’intérieur des maisons, induisant de nouvelles façades.

• la deuxième issue, d’une occupation de parcellaire du tissu traditionnel, avec une architecture nouvelle (nouvelle construction), dont l’image ne diffère guère de la première.

Ces transformations n’influèrent guère d’une manière significative sur l’image urbaine du Rocher, malgré la main mise militaire.