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C2 / LA RUE DE FRANCE (Caraman)

2.3/ LES ACTES MARQUES

2.3. C2 / LA RUE DE FRANCE (Caraman)

Par sa position axiale orientée Sud-Ouest/Nord-Est, cette rue va marquer la limite entre la ville haute et la ville basse (que nous avons évoqué plus haut, dans la division du rocher) traversant une partie très forte en implantation commerciale et très proche de l’organisation soukière (hiérarchisée, aménagée et entretenue, jouant le rôle de support d’activités sociales, et économiques - voir descriptif du rocher à l’époque turque Ottomane- ) ; et à partir de laquelle, des rues transversales la rejoignent plus haut vers l’Ouest (côté rue Damrémont). Les opérations d’alignements qui ont suivi, son élargissement en 1851, par la construction d’immeuble européen en bordure, ont fortement perturbé la structure socioprofessionnelle. Un rapport fut établi en avril 1859, pour la restauration de la mosquée Salah Bey et sa medersa dans cette partie, après qu’un avis favorable du conseil du gouvernement à Alger fut donné. Le projet maintient la disposition d’ensemble de la mosquée et ces dépendances, et reproduit approximativement la distribution générale, tout en apportant des modifications majeures pour répondre aux impératifs de « réalignement », en vigueur de l’époque. Seuls quelques détails ornementaux, par exemple les arceaux, les colonnes et les décors ont été conservés (voir en aval l’étude de cette Mosquée et sa medersa).

131 Nous exposons quelques réclamations et protestations des riverains de cette rue, à titre d’illustrations de cette situation difficile, et des effets désastreux du plan d’alignement sur leurs maisons. (Fig. 35)

Le Receveur de l’enregistrement & des domaines, soussigné, nommé membre de la commission des alignements et des nivellements de la ville de Constantine par arrêté de M. le Gouverneur général en date du 22 décembre 1846, n’ayant pas été convoqué dans la séance vu le travail définitif a été arrêté, croit devoir faire sur le présent registre toutes réserves jusqu'à ce que l’autorité supérieure ait statué sur l’absence précitée.

Constantine, le 09 février 1847 Parmi les nombreuses réflexions que le nouveau plan de la ville de Constantine est fait pour suggérer, les soussignés se bornent à mentionner celles qui suivent ; d’abord quelques observations générales :

Les soussignés estiment qu’un plan aussi important, qui attaque, dévore ou mutile les 8/10 des propriétés actuellement existantes, et qui par conséquent lèse les intérêts d’un nombre considérable de personnes dont beaucoup peuvent être actuellement absents de Constantine, aurait dû rester exposé, non pas pendant quinze jours, mais pendant plusieurs mois ; le laps de temps aurait permis aux absents de prendre des informations, il n’était pas moins nécessaire aux personnes présentes pour étudier et munir leurs observations.

En second lieu, à quel système se rattache le nouveau plan de Constantine ?

De 1837 à 1843 l’accès de cette ville est interdit aux Européens, afin de lui conserver son type arabe. En 1843 un arrêté autorise les transactions entre européens et indigène. En juin 1844 une ordonnance Royale sanctionne ce principe, en le restreignant toutefois à une option de la ville. Cette ordonnance annonce en outre un plan de délimitation des deux quartiers européen et arabe ; bien plus, dans le courant de l’année suivante des peines sévères sont prononcées contre ceux qui contreviendront à cette disposition. Et cependant, chose à peine croyable, ce plan n’a jamais paru !

Aujourd’hui tout change, plus de ville arabe, plus de distinction de quartier, plus de respect pour les mœurs indigènes, Constantine doit être désormais une ville toute française.

Tant pis pour les spéculateurs imprudents, ou le malheureux colon qui, se fiant au texte des ordonnances, a construit ou restauré à grand frais, même sur un alignement donné ; tant pis pour celui qui a acquis de bonne foi et chèrement une propriété dans ce qu’on lui a dit être le quartier européen ; avec les hommes le système a changé.

Cette absence complète du plan arrêté et d’idées fixées, a eu jusqu'à présent pour conséquences d’éloigner du pays la confiance et les capitaux. La mesure nouvelle et brusque dont il est question aujourd’hui aura une conséquence bien plus fâcheuse, et ne pourra trouver de compensations que dans un avenir aussi éloigné qu’incertain.

Ainsi, pour en donner quelques exemples, la rareté du numéraire à Constantine, dont l’intérêt se soutient depuis longtemps à un taux exorbitant, a rendu bien difficile les placements sur hypothèque ; aujourd’hui où presque toutes les maisons sont menacées d’être démolies, le peu d’argent que l’on a trouvé à emprunter sur leur valeur va être retiré, et dans l’incertitude de leur sort à venir, il ne va plus être possible d’en trouver.

Il ne sera pas moins difficile aux propriétaires actuels de trouver à vendre, même à bas prix, des immeubles construits à grand frais, et cela, non seulement pour les causes qui précèdent, mais encore pour l’incertitude, malheureusement trop fondée, d’une indemnité quelconque résultant de l’expropriation.

132 Sous ce rapport, le plan nouveau de Constantine est pour tous les propriétaires une véritable épée de Damoclès (expression d’une menace permanente) suspendu au-dessus de leur tête. Sans doute que s’il se rattachait à une idée bien conçue, il faudrait moins avoir égard à ses résultats présentés, quelque fâcheux qu’ils puissent être, qu’aux résultats heureux de l’avenir ; mais que peut-on raisonnablement espérer de cette versatilité, qui depuis 17 ans se trouve dans l’administration de l’Algérie, de cette absence complète de lois, de ce tiraillement continuel des diverses autorités qui paralyse leurs efforts et jusqu’à leurs intentions ?

Pour nous, qui sommes volontairement exilés de la mère patrie, qui avons coopéré à la conquête, à la conservation et au progrès de la terre d’Afrique ; qui, après avoir tout sacrifié, avons apporté à Constantine toute notre industrie ; qui y avons notre fortune, notre avenir et notre famille, nous ne pouvons envisager sans crainte et sans désespoir les malheurs dont nous sommes menacés.

Ne raisonnant que sur les conditions du présent et de l’avenir le plus probable, nous dirons que l’exécution du nouveau plan de Constantine amènera la ruine de notre commune, le retrait du crédit et de l’argent ; et enfin qu’il chassera de la ville la majeure partie des propriétaires Européens et indigènes.

Qui croirait, en consultant ce plan, que la rue Caraman a déjà été reconstruite presque en totalité, depuis la conquête, sur un alignement donné ? De grands établissements s’y sont élevés ; plusieurs annoncés du travail patient et pénible a amené, à peine aujourd’hui leur propriété : il n’est question de rien moins qui de tout abattre de tout détruire. Cette perspective est une bien triste récompense du sacrifice presque héroïque.

En un mot, et pour résumer ce qui précède, le plan nouveau de Constantine est une contradiction des principes posés ; sa publication, au milieu de la crise actuelle du commerce est intempestive ; elle arrête et rend impossible pour longtemps toute transaction immobilière ; elle accroît la méfiance des capitalistes ; elle présage la ruine de beaucoup, et enfin elle repousse et disperse une partie notable de la population.

Quant aux observations matérielles sur le plan, la rue Caraman nous paraît avoir une largeur beaucoup trop grande, en égard à la circonscription restreinte de la ville, et si l’on veut bien tenir compte de la superficie que représente l’ensemble des autres rues, le boulevard de ceinture, et les divers plans, on trouvera que les constructions n’occupent que les 5/6 du plateau. L’église nous paraît d’une proportion gigantesque, et telle que ne la comptera jamais la population. Elle nous paraît trop éloignée du centre, et nous ne pouvons comprendre qu’on l’ait isolée au milieu d’un si vaste espace.

La place de la Brèche et celle du Palais, nous semble également disproportionnés, leur étendue actuelle est en effet bien suffisante pour l’agrément d’une ville que l’on compte doter d’un vaste et large boulevard ceinture qui servira également de promenade.

Nous, soussignés prions instamment ceux qui sont appelés à sanctionner le plan nouveau de Constantine, et à jeter les yeux sur les observations qui précédent et de vouloir bien en étudier le mérite, et de le faire avec d’autant plus de soin et de bienveillance, que notre voix a de la peine à se faire entendre, et qui les intérêts menacés sont les nôtres.

133 Fig. 35 (b). Rue de France.

Le photographe Jean Geiser éditeur à Alger. Fig. 35 (a). Rue Caraman (de France).

134 Un autre déclare sur le registre :

Je possède deux maisons rue Caraman au n° 147 et 149 d’après le plan exposé, on me prend six mètres de profondeur dans la première maison qui n’en a que 10 mètres et 06 mètres, dans la seconde qui n’a que 06 mètres 50. C’est à dire qu’on me prend tous, car le peu qui me resterait n’aurait aucune valeur.

Ainsi, comme mes maisons toutes neuves par les grandes constructions que j’y ai faites construire que j’exclue à 25 mille francs, il s’en suit qu’on me ruine d’un trait de plume, oui je serai ruiné par l’exécution du nouveau plan et cela pour deux motifs, le premier c’est la perte des propriétés ; la seconde c’est la perte de mon commerce ; car je ne pourrais créer aucun établissement sur la mince bande de terre qu’on me laisserait.

Je n’ai pas à examiner si une nouvelle rue de sept mètres, largeur plus grande que celle des rues Damrémont et de Nemours, ne serait pas suffisante non plus que l’opportunité du renversement que l’on propose ; je n’ai pas d’avantage à m’occuper de la valeur du nouveau plan, s’il pourrait être mieux entendu ; j’ai dit que ce plan me ruinerais et qu’en conséquence je dois protester de toutes mes forces, comme je proteste en ce moment contre vos exécutions et je maintiendrai cette protestation à mourir qu’on ne m’assure une indemnité égale aux pertes.

Les soussignés ont l’honneur d’ajouter aux observations générales consignées dans le présent et quelque autre qui se rattachent à la rue Caraman.

Ils ont déjà réclamé contre l’excessive largeur attribuée à cette rue par noir sur le plan, qu’elle est aussi disproportionnée qu’inutile, elle pourrait être réduite à sept mètres.

Les constructions faites par les soussignés, dans la rue Caraman ont été faites d’après les alignements qui ont été donnés par les autorités ; les dépenses faites dans ses propriétés se montent à la somme de : cent cinquante mille francs, aujourd’hui seulement que les immeubles sont d’un rapport, le nouveau plan de Constantine vient le menacer sérieusement d’une suffocation complète.

En conséquence que l’administration veuille bien réfléchir et qu’avant de signer l’arrêt de mort sur les propriétaires qu’elle pèse dans la balance de l’équité le sort plus heureux qui devrait leur assurer leurs efforts et leurs sacrifices fait dans l’insert de la colonie d’Afrique. La maison rue Caraman n°26 étant sujette au reculement suivant le nouveau plan adopté par la commission d’alignée, je ferai observer à la commission, qu’une grande partie de la dite maison est prise pour la voie publique, à cet effet, je dois faire connaître quelles sont mes observations concernant la partie de ce terrain, je demanderai qu’il me soit indemnisé par le terrain du gouvernement qui entrave la maison, de l’espace, que je pourrais perdre pour la rue, si la commission prend en considération ma réclamation, je me propose de faire construire aussitôt qu’elle me donnera l’ordre par fait.

Constantine, le 01 mars 1847 Aujourd’hui, quatre mars mille huit cent quarante-sept, nous commissaire civil, près de la commission des alignements et nivellements de la ville de Constantine, avons clos et arrêté le présent registre qui est resté ouvert pendant un mois que dure le rapport relevant du plan arrêté par ladite commission.

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