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UN CAS PARTICULIER : LE PLAN DU JARDIN.

2 LES REPRÉSENTATIONS DU JARDIN : ANECDOTE ET PROJET

2.4 LES GRAVURES DE LE ROUGE.

2.4.1 UN CAS PARTICULIER : LE PLAN DU JARDIN.

En ouverture du cahier (planche 2) se trouve un plan du Désert de Retz (Fig. 2.3), dont le graveur nous dit qu'il a été « levé sur le lieu même

par M de Monville en juin 1785 ».– François-Nicolas-Henri Racine du

Jonquoy, sieur de Monville et de Thuit (vers 1734 – Paris 1797) est le concepteur propriétaire du Désert de Retz. Le cas de cette planche est très intéressant pour nous. Dans un travail sur ce jardin, j’avais montré il y a

quelques années 32 l’impossibilité de reporter ce plan dans le fond de plan actuel. En effet, pour rendre comparables différents plans du jardin qui existent aux différentes époques de son occupation, j’avais voulu tous les transcrire à la même échelle (1/2000) sur un fond de plan actuel issu du cadastre national. Ce document initial donnait notamment le relief par des courbes de niveaux, ce qui n’existait sur aucun autre plan connu. Cette manipulation avait par ailleurs l’avantage de remettre le plan de Le Rouge dans une géométrie « juste », puisque son fond de plan ne correspond pas à celui de notre époque, mais surtout de voir le jardin dans son environnement pour décrire leurs relations. Tous les plans ont été simples à transcrire – 1776, 1811, 1939… – sauf celui de 1785. Il s’est avéré que Le Rouge pour pouvoir loger tous les objets du jardin et tous les espaces qui les accompagnent, a été obligé de réduire l’échelle de la représentation. C’est ainsi que sur mon plan la forêt de Marly et les tailles d’Herbelay sont bien au 1/2000, mais que l’intérieur de l’enceinte du Désert est dessiné environ au 1/4000 (Fig. 2.4 a et b). Les arbres sont plus petits pour que le cloisonnement entre les scènes du jardin soit vraisemblable et que les taillis ne se réduisent pas à un simple alignement.

Le Rouge a été obligé de tricher les dimensions des espaces pour faire entrer la totalité du jardin dans son fond de plan qui, s’il est géométriquement faux doit être juste pour ce qui concerne la contenance du jardin notée précisément en légende du plan. Le Rouge en effet, dans un autre cahier, se présente comme « Ingénieur Géographe du Roi », il ne pouvait donc pas se permettre de faire paraître des documents avec des indications fausses sur les surfaces des terrains. On sait en outre que l’espace disponible n’était pas plus grand que ce qui est représenté sur ce plan. En effet les limites du jardin sont très facilement détectables aujourd’hui sur le terrain, et par ailleurs à la fin du XVIII e siècle, le plan de la gravure de Le Rouge est reporté sur la carte des Chasses du Roi sans paraître s’étendre au delà des limites actuelles. (Fig. 2.5) Le plan de Le Rouge donc, qui ne montre pas ce qui entoure le Désert, qui le présente comme une île sur une mer blanche s’étendant jusqu’à l’horizon, est bien cependant un plan réaliste du territoire.

L’ensemble de ces informations nous fait dire que Le propriétaire du Désert a miniaturisé toutes ses interventions, et ce sans doute pour une raison principale qui est liée au rapport de dimensions qu’il voulait installer entre le visiteur et la colonne brisée d’une part ; et entre la colonne et le

32 Philippe Hilaire, Le Désert de Retz, mémoire de fin d’études pour l’obtention du titre de Paysagiste dplg. École Nationale Supérieure du Paysage à Versailles. 1986.

Université de Paris Diderot – Paris VII – CERILAC

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reste du jardin d’autre part. La colonne brisée qui est la principale fabrique du jardin doit sidérer le visiteur dès l’entrée. Son état de ruine (ou d’ébauche, et l’on peut souligner cette similitude d’apparence entre deux état aussi différents et même contradictoires d’un même objet, mais j’y reviendrai) doit laisser l’imagination entreprendre sa reconstruction ou sa construction complète. (Fig. 2.6)

Le plan de Le Rouge présente le Désert de Retz comme un isolat, sans contexte – le plan est montré découpé dans le vide sans notation de ce qui entoure le jardin. Il manipule par cette omission les dimensions réelles du jardin qui seraient apparues par contraste si la forêt et les prairies avoisinantes avaient été notées sur le plan. Il omet le relief, alors que sur d’autres lieux, d’autres documents de la même époque – ou même antérieurs – ont déjà des conventions pour le représenter, ne serait-ce que par un système d’ombres qui marque les changements importants d’altimétrie. Le site, déjà à l’écart dans un repli de la vallée du ru de Buzot, a été conforté dans cette position de monde isolé et clos sur lui-même par la création du jardin. Ou plutôt le jardin a utilisé ce caractère initial pour servir la démonstration de son créateur.

Pour conforter cette hypothèse de l’écart et de la miniaturisation, on peut examiner un des rares témoignages de l’époque que nous ayons. Thomas Blaikie dont nous verrons plus loin le caractère critique avait en effet formulé l’avis suivant sur le jardin :

L’ensemble du parc était un labyrinthe de sentiers plutôt étroits et tortueux, sans former beaucoup de sites agréables, l’entrée était une sorte d’arc de triomphe de bâtiments gothiques, et à gauche sur un terrain en pente il y avait un petit temple dans le goût dorique, la tour en formait un autre, mais trop entassés. 33

« Sans former beaucoup de paysages agréables » est instructif pour nous.

En effet si une autre vue pittoresque comme celle qui réunit le temple de Pan et la colonne avait été observée par Blaikie, il n’aurait pas manqué de nous en faire part, ne serait-ce que pour la qualifier négativement. Blaikie nous renseigne en outre sur les dimensions réduites du Désert qui a dû être morcelé en un labyrinthe d’allées étroites pour accueillir toutes les compositions de Monsieur de Monville.

33 Thomas Blaikie, Sur les terres d’un jardinier, journal de voyages 1775 1792, Besançon, éditions de l’imprimeur, 1997. p. 262. Dans d’autres traductions ou transcriptions on note « sans former beaucoup de paysages agréables » au lieu de « sites agréables ».

Ce plan de Le Rouge, pour finir, n’a donc pas d’intentions sur la représentation de l’espace du jardin. Mieux, il dissimule volontairement le rapport de dimension avec la forêt qui l’entoure pour réserver la sidération de l’entrée dans le jardin pour l’expérience physique et empêcher toute anticipation. En effet sur les gravures du cahier, la colonne n’apparaît pas comme un édifice démesuré, on ne peut pas soupçonner l’effet de sa masse en même temps que celui produit immédiatement par le trouble induit par le décalage entre « colonne », qui est identifiable dès l’entrée du jardin et « tour habitée », qui est également compréhensible immédiatement par la présence des fenêtres et des portes du rez-de-chaussée. (Fig. 2.7 et 2.8)

Le plan ne peut donc être regardé que comme un simple repérage de la situation des objets les uns par rapport aux autres. Il fonctionnerait donc comme un document que l’on consulte avant la visite. 34