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Le cadre théorique retenu pour ce mémoire s’inscrit dans le champ de recherche des relations personnes- milieu. Ce dernier approche la participation aux activités réalisées à l’extérieur du domicile comme une transaction entre un individu et son milieu de vie, incluant le cadre bâti. En tissant des liens conceptuels entre pratiques quotidiennes et mobilité territoriale, cette section permet de mieux comprendre la participation des baby-boomers aux activités non liées au travail en lien avec le milieu bâti qu’ils habitent et qu’ils fréquentent.

2.2.1 Théories sociales du vieillissement

Deux principales théories visent à expliquer le rôle plus ou moins important des individus dans la société à partir du troisième âge (Atchley, 1999). La première, la « théorie du désengagement » développé par Cumming & Henri en 1961, stipule qu’en vieillissant, le retrait progressif de la personne âgée dans la société est inévitable, jusqu’à la perte permanente de ses rôles sociaux en fin de vie. Sans être remise en question, cette théorie est toutefois fortement critiquée, principalement en raison des modalités de désengagement mises de l’avant, ainsi que de son caractère inévitable et universel (Lord, 2009). Au contraire, la « théorie de l’activité » (Havighurst, 1963; Rosow, 1967; cités par Atchley, 1999) soutient que les personnes âgées ont un vieillissement réussi s’ils maintiennent leur participation à diverses activités au quotidien. Ces activités, surtout si elles sont significatives, permettent de remplacer celles abandonnées en quittant notamment le marché du travail et de soutenir les interactions sociales. Cette théorie est aussi critiquée en lien avec les inégalités en matière de santé et de statut socioéconomique susceptibles de faire obstacle au maintien d’un mode de vie actif chez certaines personnes âgées : chaque individu est différent et un seul modèle est inapproprié (Phillipson, 1998; cité par Gagliardi et al., 2007).

En partie en réaction à ses critiques, Atchley (1999) propose la « théorie de la continuité » qui suggère que les individus conservent les habitudes et le style de vie acquis au cours de leur vie adulte et qu’en vieillissant, ils ont tendance à maintenir notamment leurs activités de loisirs, dans la limite de leur fonctionnalité. Contrairement aux théories précédentes, cette dernière soutient qu’en avançant en âge, les individus font des choix visant une certaine continuité. Cela dit, le résultat de ces décisions peut être aussi bien un échec qu’un succès (Atchley, 1993). Cette continuité peut être interne, c’est-à-dire qu’elle renvoie à l’identité, à la conception de soi, aux valeurs et à l’affect. Appliquée à l’étude des activités, elle se traduit par des orientations spécifiques accordées à certains domaines d’activités (la famille, le travail, les groupes communautaires, etc.), ainsi qu’aux compétences des individus et à leurs préférences. L’auteur cite en exemple la retraite qui « libère » en quelque sorte les individus des pressions sociales les obligeant à placer le travail devant d’autres préférences et leur permet de se développer dans d’autres domaines valorisés et dans lesquels ils ont certaines compétences et connaissances (Atchley, 1993). La continuité externe, quant à elle, se définit par le

maintien de liens avec l’environnement social et physique de l’individu. À travers le maintien d’activités, elle limite les effets négatifs du vieillissement physique et mental. Ces deux dimensions du concept de continuité permettent de comprendre comment les activités sont susceptibles d’évoluer avec l’avancée en âge. Ainsi, la personne âgée adaptera ses activités en visant une certaine continuité interne et externe. Une activité entreprise sera peut-être nouvelle, mais le domaine ne le sera probablement pas.

2.2.2 Vieillissement et environnement

Au début des années 70, Lawton & Nahemow (1973) ont été parmi les premiers chercheurs à proposer un modèle écologique du vieillissement (Ecological Model of Aging). Ce modèle, à ce jour utilisé en gérontologie environnementale (Cardinal et al., 2008; Gagliardi et al., 2007), permet d’associer les compétences de la personne âgée, soit l’ensemble de ses habiletés cognitives et de ses capacités psychologiques et physiques, en lien avec la demande exercée par son environnement (Environmental Press). Il a tout d’abord été développé à l’échelle architecturale, puis par la suite repris à d’autres échelles, notamment celle urbaine. Ce modèle place l’individu au centre de son environnement interpersonnel et suprapersonnel (aspect personnel, milieu de vie, réseaux d’interrelations, etc.) et le lie à la fois à son environnement social (normes sociales et institutions) et au milieu bâti dans lequel il évolue. Le Modèle transactionnel de la personne âgée et de son environnement (figure 2), raffiné par Lawton en 1986, permet de visualiser l’évolution constante des compétences de l’individu en lien avec les pressions exercées par son environnement. Dans ce modèle, le milieu de vie est ainsi considéré comme une source de stress, avec lequel la personne âgée est en constante adaptation pour trouver confort et stimulations en fonction de compétences qui diminuent dans le temps. L’adaptation, concept clé de cette théorie, renvoie à l’expérience affective, perceptuelle et cognitive de la personne et se définit selon des critères individuels d’actualisation de soi et des normes sociales en place (Cardinal et al., 2008). Ce modèle a toutefois été relativisé plus récemment par Lawton lui-même (Lawton, 1998; cité par Lord, 2009) : l’environnement de l’aîné n’est plus uniquement une source de stress pour la personne âgée, il peut aussi offrir des solutions à des inconforts et permettre d’y mobiliser des ressources.

Figure 2 : Modèle transactionnel de la personne âgée et de son environnement

Source : Lawton (1986 : 12 ; traduction libre)

2.2.3 Vieillissement et mobilité

En 1970, le cadre conceptuel de la géographie temporelle (Time-Geography) proposé par Hägerstrand a permis le développement d’un champ de recherche portant sur l’analyse des déplacements quotidiens des individus, avec un accent sur l’effet des contraintes de temps et d’espace (Mercado & Páez, 2009). Ainsi, l’individu s’inscrit dans un «prisme spatio-temporel» (space-time prism) représentant le potentiel d’activités que celui-ci peut réaliser dans une journée, tout dépendant de sa localisation géographique et des ressources qui sont à sa disposition (Mercado & Páez, 2009). Les activités et déplacements effectifs réalisés au quotidien s’inscrivent dans un parcours spatio-temporel (space-time path) et leur réalisation est conditionnée par trois types de contraintes, la nature et le niveau des contraintes variant d’un individu à l’autre. Le premier type, soit les capability constraints, réfère aux facteurs physiques ou biologiques qui limitent la capacité des individus à se mouvoir dans l’espace, ainsi qu’aux outils et services à leur disposition pour surmonter ces limites (état de santé, capacité à conduire une voiture). Le deuxième type de contraintes, soit les coupling constraints, se réfère au lieu, à l’heure et à la durée d’une rencontre ou d’une activité, qu’elle soit d’ordre professionnel,

commercial ou social. Par exemple, un retraité aura probablement plus d’opportunités et de flexibilité pour programmer des activités ou des rendez-vous, son horaire n’étant plus contraint par le travail. Enfin, le troisième type de contraintes, soit les authority constraints, fait référence aux lois, règlements, barrières économiques et limites d’accessibilités imposées pour la fréquentation de certains lieux, institutions ou personnes. Par exemple, le coût d’une voiture ou un péage peuvent représenter des barrières économiques qui régissent l’utilisation de ce mode de transport (Mercado & Páez, 2009).

Rejoignant le cadre conceptuel proposé par Hägerstand (1970) sur l’influence de différents types de contraintes sur la mobilité des individus dans le temps et dans l’espace, le sociologue Vincent Kaufmann et ses collègues en Suisse proposent le concept de motilité (Kaufmann & Jemelin, 2004). Emprunté à la biologie animale, où ce concept renvoie plus précisément à la capacité d’un animal à se mouvoir, les auteurs le définissent comme « la manière dont un individu ou un groupe d’individu fait sien le champ du possible en matière de mobilité et en fait usage pour développer des projets » (Kaufmann & Jemelin, 2004 : 5). Ce potentiel ne résulte pas nécessairement en un déplacement et peut rester à l’état d’opportunité pour un usage ultérieur. Trois facteurs contribuent à la motilité d’un individu. Le premier, l’accessibilité, renvoie aux opportunités de mobilité disponibles selon des contraintes temporelles, spatiales, économiques et contextuelles. Le second, les compétences, réfère au savoir-faire des individus, en matière d’acquisition de compétences (ex. : posséder un permis de conduire), de connaissances (ex.: connaître les horaires d’autobus) et de gestion des ressources offertes en matière de mobilité (ex.: planifier ses déplacements). Le dernier, soit l’appropriation, regroupe les habitudes (emprunter un certain parcours) et les préférences des individus (préférer l’intimité et l’indépendance que procure les trajets en automobile versus en transport en commun) en lien avec leur aspiration à la mobilité et au sens donné aux accès et aux compétences (Kaufmann & Jemelin, 2004).

Figure 3 : Schématisation du concept de mobilité

2.2.4 Mobilité et style de vie

En lien avec le dernier facteur compris dans le concept de motilité, soit l’appropriation, référant aux habitudes et goûts des individus, des auteurs en sociologie urbaine se sont penchés plus en détail sur cette dimension socioculturelle de la mobilité (Jahn and Wehling, 1998; cités par Ohnmacht, Götz & Schad, 2009). Les auteurs supposent qu’il existe un aspect plus symbolique lié à la manière dont un individu se déplace et aux endroits qu’il fréquente, exprimant en quelque sorte son appartenance à un milieu social particulier. Les comportements de mobilité ne sont donc pas uniquement considérés comme une demande dérivée, satisfaisant un besoin personnel, mais représentent aussi un positionnement social, sous forme de style de vie, d’orientations et d’influences, découlant des réseaux sociaux des individus (Ohnmacht, Götz & Schad, 2009). Un style de vie réfère ici à la manière dont une personne vit et qui nécessairement sera influencée par le regard qu’elle a sur cette vie, mais aussi par ses motivations, ses croyances, ses intérêts, ses goûts, ses valeurs et ses attitudes générales (Bourdieu, 1984 ; Ganzeboom, 1988 ; Weber, 1972 ; cités par Van Acker, Kobe Boussauw & Witlox, 2011; Ohnmacht, Götz & Schad, 2009). En outre, l’environnement social des individus serait composé de deux dimensions interdépendantes, soit la dimension verticale et la dimension horizontale. La première comprend les caractéristiques sociodémographiques et socioéconomiques, telles que l’âge, le genre, le revenu, le niveau d’éducation. La deuxième dimension se distingue quant à elle par une strate sociale, référant aux attitudes, opinions, goûts et valeurs (Bourdieu, 1984 ; Bergman, 1998 ; cités par Ohnmacht, Götz & Schad, 2009). Cela signifie qu’en plus d’observer les variables classiques qui sont associées aux comportements de mobilité, il est important également d’inclure d’autres types de variables personnelles, qui sont plus subjectives et reliées aux attitudes, opinions et valeurs, et qui auront nécessairement une influence sur les comportements de mobilité. Ainsi, les comportements de mobilité liés aux loisirs sont dans une certaine mesure significativement reliés aux pratiques quotidiennes. Ils sont des expressions des styles de vie, qui à leur tour peuvent se manifester dans les comportements de mobilité.