• Aucun résultat trouvé

2 Le cadrage de la prise de parole

Dans le document Internet et politique en Chine (Page 39-77)

Il me semble qu'une approche interactionniste (ou "praxéologique"125) permettrait de rendre compte de cette complexité. La "construction des problèmes publics"126 peut s'analyser comme le résultat d'interactions entre divers acteurs qui confrontent des points de vue sur des "arènes publiques", au moyen de récits, de témoignages, de discours d'experts et d'autres formes de représentations. Au cours de ces interactions, les acteurs procèdent à des opérations de "cadrage"127 qui leur permettent d'attirer l"attention publique" sur ces problèmes en justifiant de leur "pertinence". Ce cadrage comprend notamment le respect des modalités légitimes de la prise de parole128 et des types de justifications129 ou d'argumentaires recevables dans les espaces publics concernés, et notamment sur Internet. C'est une convention, un compromis normatif en constante renégociation au fil des interactions et des conflits d'interprétation entre les acteurs. En permettant à certains problèmes plutôt qu'à

123 FRENCH Howard. "Mob rule on China's Internet: The keyboard as weapon", The New York Times,

01/06/06.

124 FRANCOIS, Bastien, et NEVEU, Erik (dir.), Espaces publics mosaïques, acteurs, arènes et

rhétoriques des débats publics contemporains, Presses universitaires de Rennes, 1999.

125 QUERE Louis. "Opinion: l'économie du vraisemblable. Introduction à une approche praxéologique

de l'opinion publique", Réseaux, vol. 8 n°43, 1990, p. 33-58.

126 QUERE Louis. "Opinion: l'économie du vraisemblable. Introduction à une approche praxéologique

de l'opinion publique", Réseaux, vol. 8 n°43, 1990, p. 33-58.

127 GOFFMAN Erving. Les cadres de l'expérience, Paris: Minuit, 1991. 128 GOFFMAN Erving. Façons de parler, Paris: Minuit, 1987.

129 BOLTANSKI Luc et THEVENOT Laurent. De la justification. Les économies de la grandeur,

d'autres de recueillir l'attention de publics, et a fortiori de porter des conséquences politiques, ce processus fait partie intégrante du fonctionnement politique du pays.

En me fondant sur cette approche, je souhaite analyser la formation de l'opinion publique chinoise en ligne comme le produit d'une idéologie dominante dans la Chine urbaine, qui place l'expression personnelle des individus au cœur d'un important projet de "modernisation" du pays. Cette idéologie fonctionne comme une norme sociale qui définit, ou "encadre"130 au sens de Goffman, les modalités légitimes de la prise de parole individuelle et collective sur Internet. Bien plus que la censure proprement dite, cette norme donne aux internautes des indications sur ce qui se dit et ce qui ne se dit pas, ce qui se dit à demi-mot ou en privé. Je souhaite montrer que si cette norme fonde largement l'autocensure de nombreux internautes, elle fournit aussi des argumentaires sur la base desquels de nombreuses causes individuelles ont trouvé un écho auprès d'un large public. C'est à partir de cette idéologie dominante que je souhaite décrire la formation complexe des mobilisations en ligne. Il est donc nécessaire d'en dresser une description détaillée.

La modernité à la chinoise: une promesse

Les transformations économiques et politiques des trente dernières années se sont accompagnées d'une révision complète des fondements idéologiques du contrat qui lie le Parti Communiste Chinois à la population131. Depuis 1978, le Parti Communiste Chinois fonde sa légitimité132 dans sa capacité à assurer les conditions d'un développement économique

130 GOFFMAN Erving. Les cadres de l'expérience, Paris: Minuit, 1991 GOFFMAN Erving. Façons de

parler, Paris: Minuit, 1987. Pour une analyse détaillée de l'apport des théories de Goffman à l'analyse

des mobilisations, voir CEFAI Daniel. Pourquoi se mobilise-t-on?.

131 Pour une bonne synthèse des réformes et de leurs enjeux, voir par exemple SAICH Tony.

Governance and politics of China, New York: Palgrave, 2001 ou ZHAO Yuezhi et SUN Wusan.

"Public opinion supervision: possibilities and limits of the media in constraining local officials", in GOLDMAN Merle et PERRY Elizabeth (dir.). Grassroots political reform in contemporary China, p. 300-324.

132 J'entends cet effort de légitimation comme "l'entretien par les gouvernants et les groupes dominants

de l'image d'un pouvoir politique accordé à des valeurs qui sont, dans le même temps, présentées

comme constitutives de la cohésion morale de la société". LAGROYE Jacques, FRANCOIS Bastien et SAWICKI Frédéric. Sociologie politique, Paris: Presses de Sciences-po et Dalloz, 2006, p. 448. Souligné par l'auteur.

soutenu133. En échange de l'introduction de l'économie de marché et d'un assouplissement du contrôle des individus, le PCC réaffirme régulièrement et fermement son rôle de leader politique incontestable, garant de l'unité de la nation et de la stabilité du pays, qui sont présentées comme les conditions sine qua non du développement économique.

Par conséquent la montée des inégalités sociales engendrée par trente ans de croissance économique134 est peu à peu devenue un enjeu crucial pour le gouvernement chinois135. Les différences territoriales entre les zones urbaines plus développées et les zones rurales se déclinent en inégalités d'accès à l'éducation, à la santé ou même à l'emploi. Si le pays s'est considérablement enrichi, tous les Chinois n'en bénéficient pas de la même manière, alors que dans le même temps les attentes de chacun sont de plus en plus élevées. La préoccupation visible dont font preuve les sociologues chinois136 sur ces questions montre à quel point les

clivages retiennent l'attention en plus haut lieu. Comment comprendre autrement le slogan du président Hu Jintao mettant au premier plan le concept de "société harmonieuse"?

Dans ce contexte, l'accession d'une certaine frange de la population à un niveau de prospérité confortable soulève de nombreuses spéculations137. Cette portion de la population étant moins riche que les milliardaires "parvenus", et n'étant plus vraiment pauvre, elle a rapidement été nommée la "classe moyenne". Ce terme recouvre une signification relativement vague et qui repose d'abord sur une observation intuitive. Tous les observateurs de la Chine contemporaine (journalistes, sociologues, mais aussi résidents) peuvent décrire dans leur entourage l'émergence d'un mode de vie nouveau, marqué par un niveau de

133 HOWELL Jude (dir.). Governance in China, Oxford: Rowman & Littlefield, 2004; LALIBERTE

André et LANTEIGNE Marc (dir.). The Chinese Party-state in the 21st century. Adaptation and the

reinvention of legitimacy, londres et New York: Routledge, 2008.

134 A l'occasion de l'anniversaire des réformes à l'hiver 2008/2009, les articles de synthèse ne

manquent pas dans la presse. ANG Audra. "30 years transform China, but not its politics", Associated

Press, 17/12/2008; BRANIGAN Tania. "30-year journey from Mao to the market", The Guardian,

18/12/2008.

135 GIROIR Guillaume. "Les fractures socioterritoriales en Chine, ou l'impossible 'société

harmonieuse'?", Perspectives chinoises, n°2007/3, p. 88-97.

136 LI Peilin. "The building of a harmonious society and the 'China experience'", Social sciences in

China, vol.28, automne 2007, p. 98-107.

137 ZHOU Xiaohong. "La classe moyenne chinoise: réalité ou illusion?", traduit par Mylène Hardy et

Jean-Louis Rocca, Actes du colloque Quels outils pour analyser les sociétés contemporaines?, Pékin: Université Tsinghua, 19 et 20 mai 2007.

consommation plus élevé, des ambitions professionnelles débordantes, un intérêt plus marqué pour le cinéma, la musique ou la décoration intérieure… Ces observations convergentes restent cependant diffuses, floues. Cette "classe moyenne" reste très difficile à saisir, à définir et à quantifier.

Le premier réflexe pour tenter de saisir les contours de la classe moyenne est de procéder par une classification des revenus. Or les plus grandes difficultés se manifestent déjà. Quels critères adopter? En 2004, le Bureau national des statistiques138 retenait une fourchette de revenus annuels de 60 000 à 500 000 RMB par an et par ménage. Cela a-t-il un sens d'agréger dans un même groupe des personnes dont les salaires s'échelonnent de un à dix? De même, peut-on mesurer ensemble des niveaux de revenus dans des villes différentes, ou même dans les campagnes, où le coût de la vie est tout à fait incomparable?

Selon les critères retenus, les chiffres peuvent varier considérablement. Ainsi un rapport139 de 2001 sur la question donnait-il lieu à une grande controverse en chiffrant à 80 millions de personnes la classe moyenne chinoise. Le Quotidien du Peuple annonce, lui, dès 2001, 200 millions de personnes pour 2006, en citant une étude prospective du Centre national des informations140. Le China Daily141 cite quant à lui, en 2004, trois sources contradictoires. L'Académie des sciences sociales de Chine aurait évalué la classe moyenne à 19% de la population, soit 247 millions de personnes. Le même article cite un chiffre de BNP Paribas de 2002 qui fixerait le niveau de revenus à 75 000 RMB annuels, ce qui aurait alors concerné 50 millions de personnes. Il cite enfin les "chiffres officiels" du Bureau national des statistiques qui prévoyait que 75 millions de personnes appartiendraient à la classe moyenne en 2005. Une autre étude, en 2006142, où les chercheurs ont retenu le critère de revenu 2000

138 Cité par ZHOU Xiaohong. "La classe moyenne chinoise: réalité ou illusion?", op. cit.

139 LU Xueyi. Dangdai Zhongguo shehui jieceng yanjiu baogao [Rapport d'étude sur les couches

sociales de la Chine actuelle], Beijing: Shehui kexue wenxian chubanshe, 2001

140 "La classe moyenne chinoise comptera d'ici cinq années 200 millions de personnes", Le Quotidien

du peuple, 20/07/2001, consulté le 16/10/2010 sur http://french.peopledaily.com.cn/french/200107/20/fra20010720_48311.html.

141 XIN Zhigang. "Dissecting China's 'middle class'", China Daily, 27/10/2004, consulté le 16/10/2010

sur http://www.chinadaily.com.cn/english/doc/2004-10/27/content_386060.htm .

142 CAMBIER Claire. "Une étude de la classe moyenne chinoise controversée", Aujourd'hui la Chine,

13/11/2006, consulté le 16/10/2010 sur http://www.aujourdhuilachine.com/actualites-chine-une-etude- de-la-classe-moyenne-chinoise-controversee-1034.asp?1=1.

RMB mensuels dans les villes et 1500 RMB mensuels dans les campagnes, a soulevé l'indignation générale par l'invraisemblance de ses résultats. Une majorité des répondants annonçaient en effet des revenus très élevés, mettant en doute les méthodes d'enquête.

Le critère du revenu permet toutefois de préciser le fait que cette classe n'est pas véritablement conçue comme "moyenne". Elle se distingue certes de la catégorie des "parvenus" qui sont soupçonnés de tenir leurs privilèges de leurs relations et de la corruption, et elle est porteuse de valeurs différentes fondées sur le mérite, l'éducation, l'esprit d'entreprise. Cependant la catégorie généralement désignée par le terme "classe moyenne" a un mode de vie très au-dessus de la moyenne des citoyens chinois. Compte tenu de l'écart très important entre les différentes catégories de revenus, il est hasardeux de situer ce groupe en formation au "milieu" de l'échelle des revenus ou du niveau de vie, alors que ce groupe se situe plus vraisemblablement dans la catégorie des hauts revenus. Dès lors cette classe ne représenterait qu'une petite portion de la population, d'un nombre comparable par exemple aux 150 millions de migrants qui peupleraient les villes sans être l'objet d'un discours aussi enthousiaste143. Néanmoins la classe moyenne chinoise reste toujours aussi insaisissable.

D'autres articles mentionnent des critères de niveaux de vie, comme la propriété d'un appartement144 ou d'une voiture. L'appartement surtout garantit une certaine stabilité à leurs propriétaires dans la mesure où il existe très peu de mécanismes de protection sociale. Acheter son logement est une priorité pour les jeunes actifs. C'est bien souvent la condition sine qua non pour pouvoir s'installer, et se marier. Les annonces matrimoniales ont d'ailleurs consacré l'expression "you fang, you che" [appartement, voiture] comme un critère de sélection rédhibitoire. Il semblerait donc que la possession d'un appartement soit un indicateur intéressant de l'amélioration du niveau de vie de certaines catégories de la population. Cependant ce critère est biaisé par une grande diversité dans les modalités d'accès à ce type de ressources. Ceux qui possèdent un appartement ne sont-ils pas, plutôt que des gens relativement aisés, ceux qui disposent de bonnes connexions dans les administrations, ou bien tout simplement d'anciens employés des entreprises d'Etat qui ont pu acheter leur logement à

143 "China now has 150 million migrant workers", Reuters via China Daily, 29/10/2006, consulté le

16/10/2010 sur http://www.chinadaily.com.cn/china/2006-10/29/content_719289.htm.

144 LI Jian et NIU Xiaohan. "Accès à la propriété et formation d'une classe moyenne à Pékin",

des tarifs préférentiels auprès de leur unité de travail?145 Ainsi le critère du logement peut-il rassembler des entrepreneurs très riches qui collectionnent les appartements à des fins de spéculation (ce qui est désormais limité par la loi) et des retraités aux revenus faibles, et qui n'ont pour seul patrimoine que l'appartement qu'ils ont obtenu de leur unité de travail pour une bouchée de pain.

Un autre critère envisagé pour désigner la classe moyenne est celui de l'activité professionnelle, et en particulier de la catégorie des "entrepreneurs", ceux-là même qui sont au cœur de la "Théorie des trois représentations"146 de Jiang Zemin. Cette dernière explicite les trois catégories que le PCC se doit de représenter depuis que les ouvriers ne sont plus au cœur de la stratégie de développement du gouvernement. Désormais le PCC représente les "forces productives progressistes", la "culture chinoise moderne" et les "intérêts fondamentaux de la majorité de la population" chinoise. Cette théorie est généralement comprise comme une façon de coopter les entrepreneurs dans les sphères du pouvoir 147. Ces nouveaux admis, capitalistes148, sont désormais invités à entrer au Parti. Bien souvent cependant, les cadres du Parti ont pu bénéficier de leur capital politique pour faciliter leur conversion à l'entreprise capitaliste149. Cette cooptation ne fait ainsi qu'entériner des liens déjà très complexes et ambigus. Les entrepreneurs chinois "sont moins une classe moyenne qu'une future part centrale de la classe dirigeante"150. Ainsi Gentelle voit-il naître une bourgeoisie

145 TOMBA Luigi. "Creating an urban middle class: social engineering in Beijing", The China

Journal, n°51, 2004, p. 1-26.

146 TRAN Emilie. "Trois représentations", in SANJUAN Thierry (dir.). Dictionnaire de la Chine

contemporaine, Paris: Armand Colin, 2007.

147 ZHANG Houyi. "The position of the private entrepreneur stratum in China's social structure",

Social Sciences in China, vol.16, n°4, 1995, p.29-36.

148 BERGERE Marie-Claire. Capitalismes et capitalistes en Chine: XIXe-XXIe siècle, Paris: Perrin,

2007; GUIHEUX Gilles. "Le renouveau du capitalisme familial: défense et illustration par un entrepreneur du Zhejiang", Perspectives chinoises, n°87, janvier/février 2005, p.22-32.

149 NEE Victor. "The emergence of a market society", American sociological review, n°56, vol.3, p.

267-282.

150 GOODMAN David. "Why China has no new middle class", in GOODMAN David (dir.). The new

industrielle dans les sphères du pouvoir151, et Chang voit la résurgence d'une sorte de bourgeoisie152.

Cependant, il semble que la classe moyenne puisse recouvrir une population plus large que ce groupe particulier d'entrepreneurs. Ceux-ci représentent certes une attitude nouvelle par rapport à l'entreprise privée et à l'enrichissement, mais la notion de classe moyenne ne se limite pas forcément aux seules caractéristiques de ce groupe. Pour beaucoup de sociologues, elle regroupe en fait l'ensemble des travailleurs non manuels, et en particulier la catégorie des "cols blancs", qui avait retenu l'attention de Mills dans un ouvrage classique sur les classes moyennes américaines153. Il est vrai que les réformes économiques des trente dernières années

ont donné lieu à d'importantes transformations des formes d'emploi et notamment à une augmentation du nombre de salariés des entreprises privées, qui forment un contingent de plus en plus important d'employés de bureaux, de commerciaux ou de cadres, autrement dit des "cols blancs".

L'amélioration rapide du niveau de vie est en effet une réalité pour un grand nombre de cadres salariés de grandes entreprises privées ou publiques, et en premier lieu les employés des entreprises étrangères. Selon Luigi Tomba, cette catégorie se caractérise par la propriété du logement, un haut niveau d'éducation, des responsabilités managériales, et une identité de consommateurs bien définie, ce qui les place au cœur du développement économique154. Le marché intérieur dont la Chine aurait tant besoin serait assuré par la classe moyenne qui aurait du temps et de l'argent à dépenser. Les salariés, ou plus généralement les employés de bureaux ou "cols blancs", formeraient ainsi une sorte de bourgeoisie sur laquelle reposent de nombreux espoirs de développement.

151 GENTELLE Pierre. "Une société en mouvement", Questions internationales, n°6, mars-avril 2004,

p.26-38.

152 CHANG Chen-pang. "The resurgence of the bourgeoisie", Issues and Studies, vol. 30, n°5, mai

1994, p. 31-44.

153 MILLS Charles Wright. Les cols blancs : essai sur les classes moyennes américaines, Paris: Seuil,

1970.

154 TOMBA Luigi. "Creating an urban middle class: social engineering in Beijing", The China

Ces dernières remarques montrent que l'idée de classe moyenne recouvre une grande diversité de situations, selon le mode de résidence, le niveau de revenus ou le statut professionnel entre autres critères. Un seul critère ne peut donc suffire à caractériser la classe moyenne chinoise (peut-être pas plus que toute autre classe moyenne). C'est sur ce constat que des enquêtes tentent le pari de délimiter une classe moyenne à l'aide de critères croisés. Par exemple, Zhou utilise le revenu, la catégorie professionnelle ainsi que le niveau d'études dans un sondage, pour arriver au chiffre de 11.9% des habitants des villes, soit 105 millions de personnes en Chine en 2005155. Zhou suggère une liste des types d'activités qui forment le groupe de la classe moyenne: y figurent les chefs d'entreprises privées, les petits commerçants et indépendants, ainsi que les cadres du gouvernement, les cols blancs des entreprises étrangères, les managers d'entreprises et enfin "le groupe à hauts revenus apparu avec l'utilisation des hautes et nouvelles technologies et les nouveaux secteurs".

Il en ressort une impression très disparate et l'idée que ce sont des individus concernés par une certaine ascension sociale, qu'elle soit due à un bon niveau d'éducation, une bonne situation professionnelle ou à un capital social ou patrimonial. Luigi Tomba décrit par exemple une "classe moyenne urbaine, éduquée et riche en ressources", définie de manière très floue: un groupe social large, qui partage le potentiel ou l'expérience d'un accès accru à des ressources (éducation, information et richesse) et d'une ascension sociale rapide, et qui devient l'objet, l'inspiration et l'exemple sur lequel s'appuient les discours gouvernementaux actuels sur le développement personnel.156

Cette idée d'ascension sociale semble fédérer de plus en plus de chercheurs. Wang Xin constate par exemple que les individus d'un (petit) échantillon ont des "identités divergentes, et des intérêts convergents"157. Plutôt qu'une classe "moyenne", Goodman propose de parler des "nouveaux riches" que sont les "bénéficiaires de la croissance économique". Loin d'ignorer la disparité des situations au sein même de cette catégorie, en termes de revenus,

155 ZHOU Xiaohong. "La classe moyenne chinoise: réalité ou illusion?", traduit par Mylène Hardy et

Jean-Louis Rocca, Actes du colloque Quels outils pour analyser les sociétés contemporaines?, Pékin: Université Tsinghua, 19 et 20 mai 2007.

156 TOMBA Luigi. "Of quality, harmony and community: civilization and the middle class in urban

China", Positions: East Asia cultures critique, 2009.

157 WANG Xin. "Divergent identities, convergent interests: the rising middle-income stratum in China

d'activités professionnelles ou de statuts, il propose d'en faire un objet d'analyse. "Comprendre les interactions entre ces hiérarchies de richesse, de pouvoir et de statuts aide à expliquer les dynamiques de la société chinoise et l'exercice du pouvoir politique."158

L'ascension, de fait, est en grande partie l'apanage de la jeune génération qui a évidemment plus de cartes en mains pour se positionner sur le nouvel échiquier social que leurs aînés, pour qui les dés sont jetés. Les jeunes nés après 1980 en particulier sont affublés d'un surnom, "post 80" (balinghou), qui souligne leur spécificité dans la société chinoise. N'ayant connu que la Chine de l'ouverture, enfants uniques pour beaucoup (surtout dans les villes), ces jeunes ont été élevés dans un esprit très différent de celui qui a vu grandir leurs parents. Dans leur génération prime surtout l'esprit de compétition et l'individualisme, qui se traduit bien souvent par des ambitions assez élevées. C'est ce qui fait que Rosen opte par exemple pour l'expression "jeunesse en cours d'ascension sociale"159 et qu'il prend des

Dans le document Internet et politique en Chine (Page 39-77)