• Aucun résultat trouvé

II. RETOUR SUR LE METIER DE COMEDIEN

II. 2. C) Symbolisation et médiations thérapeutiques

• Qu’est-ce qu’une médiation thérapeutique ?

L’intérêt porté au jeu d’acteur dans cette recherche émerge entre autres, de la façon dont le théâtre, comme objet d’étude psychanalytique, est devenu un outil de médiation thérapeutique dans les services de psychiatrie, sous différentes formes. Qu’il s’envisage comme psychodrame, atelier théâtre ou même séance de théâtre-forum, il apparaît que le théâtre dans son essence a attiré les cliniciens par des effets thérapeutiques qu’il semblait favoriser. Il me parait ainsi ici important de revenir sur les enjeux de la médiation thérapeutique.

Le terme de médiation désigne le « fait de servir d’intermédiaire entre deux ou plusieurs choses. »139 Il peut s’agir d’une personne désignée comme médiateur ou bien d’une pratique ou d’une activité. Initialement sociales, certaines activités artistiques et culturelles s’envisagent comme activités de médiation à visée thérapeutique lorsqu’elles sont introduites dans des dispositifs de soin, auprès de patients pour lesquels le constat est fait d’une « radicale insuffisance des dispositifs classiques, standard, fondés sur le langage

138 GREEN A., Le travail du négatif, Op. cit., p. 291 139CNRTL

57 verbal. »140 Lorsque la souffrance psychique ne peut plus s’exprimer et que le corps et les actes deviennent les « messagers privilégiés des errances psychiques »141, l’introduction de médiations thérapeutiques vise à soutenir des processus de pensée et ouvrir de nouvelles voies d’accès à la symbolisation. Ces activités artistiques sont de plus en plus nombreuses dans les institutions de soin psychiatriques. Elles offrent un nouveau matériel clinique aux professionnels, tant par le processus de création que les productions du patient engagé dans une activité de médiation. Le matériel est « un terme utilisé couramment en psychanalyse pour désigner l’ensemble des paroles et des comportements du patient en tant qu’ils constituent une sorte de matière première offerte aux interprétations et constructions. »142 On pense aisément à des médiations par la peinture, le modelage, les contes, le chant ou encore le théâtre. Elles mobilisent la créativité tant des professionnels que des patients, pour devenir le tiers nécessaire qui soutiendra un narcissisme fragile, afin de remettre en mouvement les processus de subjectivation. Au-delà de cette dimension thérapeutique, directe pourrait-on dire, les médiations s’envisagent en institution à un deuxième niveau. Elles permettent de faire émerger un matériel clinique qui vise à soutenir une parole mais qui ne pourrait émerger dans le cadre d’un entretien basé uniquement sur la parole.

A. Brun s’interroge sur la façon de reconnaître un dispositif à médiation thérapeutique référé à la théorie psychanalytique, et propose ainsi se revenir aux fondements de la psychothérapie psychanalytique que sont « la prise en compte de l’associativité et du transfert. »143 L’intérêt des médiations thérapeutiques est précisément qu’elles offrent la possibilité d’une associativité non verbale par l’investissement du champ sensori-moteur, qu’il s’agisse de la gestuelle, de la posture corporelle, mais aussi des choix de techniques que les patients pourront faire pour réaliser une création, du choix du support, etc… « L’intérêt de ces thérapies à médiation consiste à exploiter la sensori-motricité comme vecteur de symbolisation. »144 Ainsi le transfert s’envisage comme transfert au thérapeute aussi bien qu’au médium. « Dans les groupes à médiation, la fonction du médium sera d’être un attracteur sensoriel, qui permet le transfert d’expériences primitives sur l’objet médiateur car il réactualise des expériences archaïques souvent catastrophiques, qui concernent les

140 BRUN A., « Spécificités de la symbolisation dans les médiations thérapeutiques » in Cliniques, paroles de

praticiens en institution, 2016 (n°11), Toulouse, Erès, p. 18

141 COSTANTINO C., DE SAINT JACOB P., « Editorial » in Cliniques, paroles de praticiens en institution,

2016 (n°11), Toulouse, Erès, p. 11

142 LAPLANCHE J. et PONTALIS JB, Op. cit., p. 232

143 BRUN A., Cliniques, paroles de praticiens en institution, Op. cit., p. 20 144 Ibidem.

58 états du corps et les sensations. »145 Les psychanalystes post-freudiens ont continué de se poser la question du transfert pour aller au-delà de la conception selon laquelle il ne serait que réédition d’une relation passée. R. Roussillon précise qu’il peut être envisagé également comme « tentative pour faire advenir ce qui n’a pu avoir lieu dans les situations plus ou moins traumatiques de l’histoire, comme D.W. Winnicott l’a fortement souligné. »146

• L’acte de symbolisation au-delà du langage verbal

L’acte de symbolisation est en premier lieu le processus psychique qui permet de pallier au manque, de se représenter l’absence par la constitution d’un objet interne.147 Dans la théorie freudienne, la symbolisation est d’abord « fondée à peu près uniquement sur la perte, le deuil, l’absence, la castration et les diverses formes du manque : on symbolise pour tenter de pallier le manque, pour faire pièce aux formes et figures du négatif et de la négativité. »148 L’accès au symbolique tel que J. Lacan le théorise, permet de sortir du narcissisme primaire par la coupure qu’opère la castration sur le lien originaire entre la mère et l’enfant. Lorsque l’illusion se brise pour l’enfant d’être le phallus de la mère, peut alors se constituer petit à petit un Idéal du moi qui guidera les choix du sujet. Un idéal qui ne sera jamais atteint mais qui précisément devient structurant pour le sujet en tant qu’il s’érige comme tiers, comme médiation entre le sujet et son Idéal du Moi narcissique et tout puissant. Dans ce passage fondamental de l’être à l’avoir : être l’objet du désir de la mère, le phallus, à la possibilité d’avoir le phallus, comme le père possède le phallus, peut advenir la symbolisation149. Elle le processus nécessaire qui permet au sujet de se représenter l’absence et donc également le manque.

Dans le cadre de l’analyse ou de la psychothérapie orientée par la psychanalyse, on pourrait alors envisager la posture du clinicien, retiré de la scène, comme position d’absence en tant qu’elle serait « l’absence perceptive à tenter de symboliser »150. Mais R. Roussillon

nous rappelle que S. Freud ne s’arrête pas sur sa conception selon laquelle la symbolisation permettrait d’amener à la conscience ce qui est inconscient, de représenter les contenus inconscients. Certaines transformations de la vie psychique inconscientes peuvent être

145 Ibid., p. 21

146 ROUSSILLON R., « Diversité et complexité des pratiques cliniques » in Cahiers de psychologie clinique

2013/1 (n° 40), p. 33

147 FREUD S., Œuvres complètes, Volume XV, Op. cit.

148 ROUSSILLON R., Cahiers de psychologie clinique, Op. cit., p. 34 149 LACAN J., Ecrits, Op. cit.

59 nécessaires pour trouver une voie de représentation et donc de symbolisation. En ceci la présence, voire l’intervention du clinicien s’avère nécessaire. L’auteur revient ainsi également sur la prise en charge de patients présentant des pathologies narcissiques- identitaires qui poussent les cliniciens à inventer de nouvelles modalités d’intervention. « Pour trouver le moyen d’explorer avec eux les expériences subjectives en souffrance de partage et d’intégration subjective, il fallait trouver un moyen de « parler leur langue », de centrer l’attention clinique sur leurs tentatives pour transmettre et mettre en forme le vif de ces expériences. »151 Si le langage est l’outil de la symbolisation, il s’agit de considérer les différents types de langage sans s’arrêter au langage verbal. La symbolisation vise à permettre au sujet de s’approprier une expérience vécue, qu’elle puisse trouver un sens et s’inscrire dans l’histoire subjective. Ce dont les patients souffrent lorsqu’ils entrent en institution, c’est précisément de ne plus pouvoir parler de ce qui les agit. La parole ne peut plus être le messager privilégié de l’existence et de l’expérience vécue. Ainsi, la répétition en acte ou dans le corps fait souffrir le sujet à son insu. « Dans les expressions pathologiques, le corps est mobilisé, mais dans un symbolisme arrêté. Le sens se perd, comme englué, enfoui et figé dans une manifestation organique muette, ou plutôt qui n’est pas en mesure de se dire autrement que par le langage du corps, qu’il s’agisse de somatisation, de conversion somatique ou d’enkystements corporels plus archaïques. Au contraire, l’acte symbolique met en mouvement la sensorialité et la motricité vers une finalité unifiée et reconnue comme telle par le sujet qui peut, de ce fait même, s’en approprier le sens. »152

Lorsque le sens n’est pas à déchiffrer mais précisément à créer, le recours à des médiations artistiques peut permettre de nouvelles voies d’expression, dans l’espoir que le sujet puisse s’en saisir pour figurer des objets internes informes. Mais cela ne peut se faire sans l’intervention du thérapeute à l’écoute des messages corporels énigmatiques. « Le travail thérapeutique consiste donc d’abord à relancer les accordages premiers entre l’enfant et ses premiers objets : l’ensemble de la clinique du premier âge montre en effet l’importance du partage de sensations corporelles entre le bébé et son environnement pour constituer un fond sur lequel s’établit la possibilité d’un accordage émotionnel »153. Il

revient au thérapeute de se laisser affecter par des formes de langage qui « constituent des

151 Ibid., p. 38

152 CHOUVIER B. (sous la direction de B. Chouvier et R. Roussillon), « Introduction – l’acte symbolique :

donner un corps au fantasme » in Corps, acte et symbolisation, coll « Psychanalyse aux frontières », Paris, de Boeck, 2014 (réed), p. 19

60 tentatives d’échange et de communication avec l’objet »154 pour en théâtraliser quelque

chose qu’il pourra renvoyer au patient afin que celui-ci puisse identifier ce qui émane de lui- même et se l’approprier.

• L’atelier théâtre comme médiation

C’est entre autres selon ces principes que l’atelier théâtre comme médiation thérapeutique a vu le jour, en s’appuyant notamment sur le psychodrame psychanalytique qui lui préexistait mais qui cependant « ne se réclame pas du champ de la médiation thérapeutique. »155 En effet la médiation théâtrale et le psychodrame ont des correspondances mais les modalités thérapeutiques diffèrent. « En psychodrame, le thérapeute part de la scène théâtrale pour explorer la scène psychique (individuelle ou groupale). En médiation théâtrale, le thérapeute convoque le patient à utiliser les forces vives de sa scène psychique pour alimenter l’esthétique de la scène théâtrale, faisant se côtoyer la dimension de la réalité psychique et celle de la réalité sociale et culturelle. »156 La

médiation théâtrale, contrairement au psychodrame dont le cadre est précisément défini et qui s’envisage plutôt comme thérapie de groupe, s’appréhende d’une façon chaque fois différente et spécifique. Cela se fait en fonction de l’institution dans laquelle elle s’établit mais également en fonction du professionnel qui l’anime, qu’il soit comédien, psychologue, art-thérapeute, psychomotricien ou encore infirmier. C’est ce qui lui donne toute sa complexité, car la souplesse du cadre ne doit pas aller de pair avec l’absence de cadre. « La scène, et ce qui s’y rapporte, est à envisager comme le cadre nécessaire à cette perlaboration dans le champ des psychoses et états limites qui, à la différence des névroses, barrent l’accès à l’élaboration verbale. »157 L’enjeu symbolisant du jeu théâtral serait de faire advenir sur

scène ce qui a eu lieu dans le passé sans le sujet. Il ne s’agit ni tout à fait de se remémorer ni précisément de créer quelque chose de nouveau. Le jeu dramatique semble se situer dans cet entre eux, ce dont témoigne les acteurs en précisant que le jeu n’est que réactivation toujours différente de quelque chose qu’ils trouvent en eux-mêmes à leur insu. « Allier en quelque sorte la parole à une non-intentionnalité, à un non-pensé, c’est pour le comédien être

154 Ibidem.

155 GUENOUN T., « Différentiel entre les dispositifs de médiation théâtrale et de psychodrame pour les

adolescents en souffrance psychique » in Psychothérapies 2016/4 (Vol. 36), p. 222

156 Ibid., p. 225

157 ATTIGUI P., « Et si le jeu théâtral remettait en débat l’approche clinique des psychoses ? » in Cliniques,

61 immergé dans l’immédiateté. »158 Le travail thérapeutique par le jeu théâtral s’appuie sur la

possibilité pour le patient d’interpréter un personnage sans pour autant le devenir. Le patient-comédien peut alors expérimenter les conflits auxquels sont en proie les personnages, qui se distinguent de ceux du patient, tout en s’en approchant sans que cela ne se dévoile trop. « C’est en effet en préservant des zones de non-dits, relevant d’une intériorité jusqu’alors non perçue, qu’il est permis à chacun de rejouer les conflits archaïques les plus redoutés, ceux auxquels on n’avait pas encore eu accès, et cela n’est possible qu’à travers un malaise émotionnel toujours à rejouer, avec à chaque fois un nouveau niveau de conscience et une dédramatisation des conflits. »159

Si la médiation thérapeutique s’envisage ainsi nouveau moyen de symbolisation, ce n’est pas par hasard, mais précisément parce que l’activité choisie aurait révélée en dehors du cadre de soin, par la créativité des comédiens, des qualités symbolisantes et sublimatoires. Lorsque tel artiste raconte comment sont art lui a sauvé la vie, se pose nécessairement la question de ce qui, au travers de sa pratique et son expérience, pourrait être appréhendé et en quelque sorte maitrisé ou dompté tout du moins, afin d’offrir à ces patients en souffrance psychique, qui luttent pour retrouver une vitalité évanouie, de nouveaux outils aux vertus thérapeutiques. La complexité d’une médiation thérapeutique relève précisément de ce qu’elle est opportunité de transformation psychique par l’énigme qui lui est inhérente, de ce qui agit à un niveau inconscient. « Il y a quelque chose de plus dans l’acte symbolique qui va au-delà d’une simple dimension fonctionnelle et qui lui confère une portée sublimatoire. Cet acte s’inscrit dans un dépassement de soi qui confère au sujet une ouverture vers un mode de satisfaction intégré au niveau du moi. »160

158 Ibid., p. 103 159 Ibid., p. 104

62

III. QUELQUES THEORIES DU JEU DANS LA