• Aucun résultat trouvé

IV Les applications analytiques des aptamères

IV.1 Les biocapteurs à base d’aptamères : « aptasensors »

IV.1.3 Les « aptasensors » optiques

IV.1.3.1 Les biocapteurs fluorescents

Dans ce type de biocapteurs, l’interaction entre l’aptamère et sa cible se traduit par une émission de fluorescence.

Le premier « aptasensor » optique publié a été utilisé pour la détection de la L-adénosine par immobilisation d’un aptamère ARN biotinylé, spécifique de la L-L-adénosine, à la surface d’une fibre optique fonctionnalisée par de l’avidine [199]. Ce capteur permet de mesurer les constantes de fixation de la L-adénosine marquée par la fluorescéine isothiocyanate (FITC). La L-adénosine a été détectée par cette méthode à une concentration de l’ordre du µM à l’aide d’une fixation par compétition en présence de L-adénosine non marquée.

Potyrailo et ses collaborateurs ont construit un « aptasensor » permettant une détection directe en une seule étape d’un analyte non marqué [200]. Pour cela, l’aptamère anti-thrombine [105], marqué par la FITC en 5’, est immobilisé de façon covalente au niveau d’un support modifié chimiquement. L’anisotropie de fluorescence est utilisée pour détecter la fixation de la thrombine sur son aptamère marqué. En effet, cette fixation résulte en une augmentation de la taille qui conduit à une modification de la vitesse de diffusion rotationnelle et donc de l’anisotropie de fluorescence. Cet essai est rapide (10 min), sensible (LOD = 5 nM), et spécifique de la molécule cible.

Un autre exemple d’« aptasensor » optique permettant la détection de la thrombine a été décrit [201]. Dans ce système, l’aptamère anti-thrombine est immobilisé à la surface de

Chapitre 2 : Les aptamères, des molécules aux propriétés prometteuses

122

microsphères de silice, ces billes étant distribuées dans des micropuits à l’extrémité distale de la fibre optique. La fibre est elle-même couplée à un système microscopique à épifluorescence et son extrémité est incubée avec une thrombine marquée à la fluorescéine. Les billes sur lesquelles est immobilisé l’aptamère, fixent sélectivement leur molécule cible avec une limite de détection de 1 nM.

Un biocapteur à base d’aptamères a également été construit pour l’analyse de différentes protéines impliquées dans des cancers (l’inosine monophosphate déshydrogénase (IMPDH), le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF), et le facteur de croissance des fibroblastes basiques (bFGF)) [202]. Les différents aptamères marqués à la fluorescéine sont immobilisés à la surface d’un support en verre puis l’anisotropie de fluorescence est utilisée pour étudier les constantes de fixation entre l’aptamère et sa molécule cible. Cette méthode permet la détection et la quantification spécifique de protéines impliquées dans des cancers dans des extraits cellulaires ou dans des échantillons de sérum humain ce qui est très prometteur pour la détection de cancers.

Plusieurs approches pour la construction de biocapteurs reposent sur la détection d’un signal fluorescent via la conception de balises moléculaires (« molecular beacon ») [203]. Ces biocapteurs, utilisant un aptamère comme élément de reconnaissance, nommés « aptamer beacons » ou « aptabeacon », combinent la spécificité de fixation des aptamères avec le signal de transduction efficace des balises moléculaires. L’aptamère est conjugué à deux groupements : l’un est un fluorophore, l’autre un inhibiteur de fluorescence (quencher). L’éloignement des deux composés permet une émission de fluorescence alors que leur rapprochement l’interdit. Si le réarrangement structural consécutif à l’association/dissociation du ligand et de l’aptamère provoque une variation de la distance entre fluorophore et inhibiteur, on dispose d’un capteur permettant de détecter la présence du ligand par une mesure de l’intensité de fluorescence. La conception des « aptabeacons » repose sur ce principe.

La première étude portant sur l’utilisation d’« aptabeacon » a été publiée par Yamamoto et Kumar en 2000 [204], à partir d’un aptamère spécifique de la protéine Tat du VIH-1 [205]. Pour construire cette balise moléculaire, les auteurs ont utilisé deux oligomères ARNs à partir de l’aptamère préalablement sélectionné. L’un des oligomères, ayant la capacité de se replier en une structure en « épingle à cheveux », a été modifié chimiquement par le greffage d’un fluorophore et d’un quencher aux extrémités 5’ et 3’ et l’autre oligomère est utilisé comme sonde. En absence de la protéine Tat, les deux oligonucléotides existent

Chapitre 2 : Les aptamères, des molécules aux propriétés prometteuses

123

indépendemment. En revanche, lorsque la protéine est introduite, l’« aptasensor » change de conformation pour interagir avec l’autre partie de l’aptamère afin de fixer la protéine Tat. L’ouverture de la structure en « épingle à cheveux » engendre une séparation physique entre le fluorophore et le quencher ce qui résulte en une émission de fluorescence (figure 40). Cependant, cette stratégie peut être difficilement applicable à des aptamères ne possédant pas de telles caractéristiques structurales.

Figure 40 : Représentation schématique d’un « aptabeacon » permettant la détection de la protéine Tat virale [204].

Une étude similaire a été réalisée par Stojanovic et son équipe [206] où un aptamère séparé en deux oligonucléotides différents a la capacité de s’autoassembler en présence de sa molécule cible. L’un des oligonucléotides est marqué par un fluorophore et l’autre par un inhibiteur de fluorescence. Ainsi, lors de l’ajout de ligand, les deux oligonucléotides s’assemblent pour former l’aptamère et il y a alors un quenching de la fluorescence. Un aptamère anti-cocaïne et un aptamère anti-ATP ont été construits en utilisant cette stratégie et se sont avérés non seulement sensibles mais également sélectifs pour leur molécule cible. Il a également été possible d’utiliser simultanément les deux capteurs afin de détecter la présence de la cocaïne et de l’ATP par modification de la fluorescence.

D’autres études, portant sur la création de balises moléculaires à partir d’aptamères possédant une spécificité pour la thrombine, ont été réalisées. Une étude similaire à celle décrite précédemment a été effectuée par Hamaguchi et ses collaborateurs à l’aide d’un aptamère anti-thrombine [207].

Chapitre 2 : Les aptamères, des molécules aux propriétés prometteuses

124

Li et son équipe [208] ont construit deux types d’« aptabeacons ». Le premier est formé d’un aptamère marqué par un couple fluorophore-quencher comme pour le système décrit précédemment. Le deuxième est marqué par deux fluorophores (une paire donneur-accepteur) basés sur la technique de transfert d’énergie de fluorescence (ou FRET pour Fluorescence Resonance Energy Transfert). Ainsi, en absence de thrombine, l’« aptabeacon » possèdent une structure en équilibre entre un état déplié non structuré et une structure compacte en quadruplexe (figure 41). Lors de l’ajout de thrombine l’équilibre se déplace en faveur de la structure en quadruplexe ce qui engendre le rapprochement entre fluorophore (F) et quencher (Q), entraînant un « quenching » de la fluorescence. En revanche dans le système de type FRET, la fixation de la thrombine aboutit à une augmentation de la fluorescence. Pour ces deux systèmes, les auteurs ont observé en temps réel l’interaction entre l’aptamère et la molécule cible de façon spécifique et avec une sensibilité importante (concentration en thrombine de 112 pM).

Figure 41 : Représentation schématique du fonctionnement de l’« aptabeacon » construit par Li et al. [208].

Nutiu et ses collaborateurs [209] ont développé une approche générale à partir d’un aptamère modèle fixant l’ATP [83]. Les auteurs ont formé un duplexe entre l’aptamère marqué par un fluorophore en 5’ (nommé F-ADN) et un petit oligonucléotide modifié par un quencher (nommé Q-ADN) (figure 42). En absence de la cible, l’aptamère fixe le Q-ADN, amenant le fluorophore à proximité du quencher, et inhibant ainsi la fluorescence. Lorsque la cible est introduite, l’aptamère forme de préférence un complexe avec cette dernière, ce qui aboutit à un relargage de la séquence Q-ADN et à une émission de fluorescence. Cette méthode est facile à généraliser, elle a également été appliquée à l’aptamère spécifique de la thrombine et est spécifique de la molécule cible.

Chapitre 2 : Les aptamères, des molécules aux propriétés prometteuses

125

Figure 42 : Représentation de la stratégie développée par Nutiu et ses collaborateurs [209] permettant la

détection d’une molécule cible [210].

Stojanovic et ses collaborateurs [211] ont créé un capteur en déstabilisant l’une des trois tiges de l’aptamères spécifique de la cocaïne formant une jonction articulée autour de trois tiges appariées (« three-way junction »). Les deux extrémités de l’aptamère ont été marquées par un fluorophore en 5’ et par un quencher en 3’. En absence de cocaïne, l’aptamère est partiellement déplié. En présence de la cible, l’aptamère est replié pour former sa conformation active ce qui permet un rapprochement entre le fluorophore et le quencher et permet ainsi la détection et la quantification de la cible. Ce capteur est sélectif de la cocaïne et de ses métabolites et permet également la détection de la cocaïne dans le sérum.

Une nouvelle approche a été conçue, à partir d’un aptamère anti-PDGF, permettant de suivre la présence de la molécule cible à partir d’une modification de la longueur d’onde d’émission de fluorescence lors de la fixation de cette dernière [212]. L’aptamère anti-PDGF, marqué à chacune de ses extrémités par un groupement pyrène, est capable de modifier la longueur d’onde d’émission de fluorescence, par changement de conformation à partir de son état monomère (λ ~ 400 nm) pour former un état dimère excité nommé excimère (λ ~ 485 nm) lors de la fixation de sa molécule cible (figure 43). Les auteurs ont été capables de détecter le PGDF, de façon spécifique et sans traitement au préalable, à des concentrations de l’ordre du pM dans des échantillons cellulaires. Pour permettre une détection spécifique, les auteurs ont utilisé le fait que l’excimère possède une durée de fluorescence bien meilleure que le monomère (~ 40 ns contre ~ 5 ns). Cette méthode offre une plus grande sélectivité et une meilleure sensibilité que la stratégie similaire développée par Yamana et ses collaborateurs

Chapitre 2 : Les aptamères, des molécules aux propriétés prometteuses

126

[213] sur un aptamère anti-ATP. Elle possède également un grand potentiel pour l’analyse de

protéines pour des études biomédicales puisqu’elle est applicable à des aptamères spécifiques pour d’autres protéines.

Figure 43 : Illustration schématique d’une stratégie permettant la détection du PDGF par modification de la

longueur d’onde d’émission de fluorescence liée à sa fixation [212].

Une des stratégies utilisée pour modifier un aptamère avec un fluorophore et pour signaler la présence d’une molécule cible est d’attacher le fluorophore à une position spécifique de l’aptamère, qui soit compatible avec son changement de conformation lors de la fixation de la cible, et qui permette de conserver son affinité pour celle-ci [214]. Deux aptamères différents, l’un sélectionné à partir d’un pool d’ARNs et l’autre à partir d’un pool d’ADNs ont été modifiés avec différents colorants en différentes positions autorisant la fixation de la cible. D’après les analyses structurales de ces aptamères, le résidu 13 à proximité du site de fixation de l’aptamère ARN anti-adénosine [82] ne participe pas à la fixation de l’ATP. Un groupement acridine a été incorporé à la place de l’adénosine en position 13. De la même manière, le résidu 7 de l’aptamère en série ADN anti-adénosine [83] se trouve à proximité du site de fixation de l’ATP mais ne possède pas d’interaction directe avec l’ATP. Donc, un fluorophore a été introduit à la place du résidu 7 et un autre entre le résidu 7 et 8 (cf § III-5-1). Ces aptamères modifiés montrent une augmentation de l’intensité de fluorescence lors de la fixation de l’ATP. En revanche, en présence d’analogues de l’ATP ou d’une version mutée de l’aptamère, aucune augmentation significative de la fluorescence n’est observée. Ces deux aptamères modifiés permettent donc une détection quantitative de l’ATP avec une bonne spécificité et reproductibilité.

Un biocapteur aptamérique modulaire permettant de suivre la reconnaissance entre un aptamère et sa cible grâce à une émission de fluorescence lors du changement de conformation de l’aptamère a été construit par Stojanovic et ses collaborateurs [215]. Cet aptamère modulaire est formé de 3 domaines : un domaine « signal » (aptamère pour le vert de malachite), un domaine de reconnaissance (aptamère spécifique de l’analyte) et un

Chapitre 2 : Les aptamères, des molécules aux propriétés prometteuses

127

domaine formant une tige permettant la connexion entre les deux éléments précédents (module de communication) (figure 44).

Figure 44 : Représentation schématique d’un capteur aptamérique modulaire [210].

Dans ce système, la liaison du ligand au niveau du module de détection stabilise le module de communication ce qui permet au domaine « signal » de créer un site de fixation pour le vert de malachite. Dans ce système la fixation du vert de malachite est corrélée à la fixation de la cible. En substituant seulement le module détecteur par un autre aptamère, il est possible de détecter d’autres molécules cibles telles que la flavine mononucléotide (FMN) et la théophylline. Ce système peut être utilisé pour des diagnostics in vitro mais également pour la détection in vivo.