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Campagne expérimentale MICA « Les expérimentateurs sont des gens sérieux. Ils savent que la physique est

5.3 Analyse phénoménologique

5.3.2 Bilan énergétique

Pour l’instant, l’analyse phénoménologique des tirs à haute vitesse que nous avons faite est très qualitative. Elle n’a pas permis d’identifier les mécanismes dominants mais seulement de proposer une explication à la forte diminution de la profondeur de pénétration. Un bilan énergétique devrait nous permettre de compléter notre compré-hension.

L’énergie cinétique d’une bille d’acier de 0,5 mm de diamètre projetée à v0=4 km.s−1

est d’environ Ecin

p = 4,1 J, c’est l’énergie d’entrée du système. En accord avec les données expérimentales, nous considérons que le projectile ne rebondit pas. Ainsi, le bilan d’énergie s’écrit :

Ecin p −Ecd

p −Eplasp −Epf rag−Ecin c −Ecd

c −Ecf rag−Ecin

f =0 (5.7)

Ecd

p et Epplassont respectivement l’énergie dissipée dans le projectile par choc et détente successives et par déformation plastique, ce qui inclut donc l’énergie de dissipation thermique. Epf rag est l’énergie de fragmentation – ou de création de nouvelle surface – du projectile. Quant à elle, l’énergie transférée à la cible est répartie entre le cycle de compression-détente Ecd

c , la mise en vitesse de la cible Ecin

c et des fragments éjectés hors du cratère Ecin

f et la fragmentation Ecf rag. L’énergie thermique peut être bien plus élevée dans un matériau poreux que dans un matériau dense [140] à cause de l’importante

variation de volume lors de sa compression. Même si elle n’apparaît pas explicitement, nous ne la négligeons pas car elle est comprise dans Ecd

c .

À l’impact, la pression locale maximale peut largement dépasser le GPa nécessaire à la densification complète de l’EDM3 : 15 GPa en utilisant l’approximation sonique de la section 5.3.1 ; 40 GPa en considérant des données expérimentales de chocs de plaques [61]. Même en supposant une forte atténuation de la pression en profondeur de la cible, le volume de matière voyant des pressions supérieures à 1 GPa sera certai-nement important. Or, les hystérésis partielles qui sont apparus lors des compressions confinées cyclées de la figure 2.4 laissent penser que le cycle de compression-détente du graphite est un grand consommateur d’énergie. Nous allons donc estimer la contri-bution de chacun des termes du bilan d’énergie, en faisant des hypothèses délibéré-ment exagérées afin de montrer que seule l’énergie de compression-détente de la cible Ecd

c est vraiment significative.

Énergie thermique du projectile L’énergie stockée dans le projectile après l’impact consiste principalement en une part thermique qui inclut l’énergie de choc-détente Ecd

p et l’énergie de déformation plastique Eplasp . Cette dernière a déjà été évaluée en section 5.3.1 à environ 150 mJ.

À partir de l’équation d’état de Mie-Grüneisen de l’acier, on peut estimer l’énergie interne spécifique à 104J.kg−1. La masse du projectile étant de 0,5 mg, on trouve Ecd

p <

5 mJ. L’énergie dissipée thermiquement dans le projectile ne représente finalement que 3,9% de l’énergie apportée au système.

Énergies cinétiques L’enregistrement vidéo d’un tir à 4,9 km.s−1 a révélé que la vitesse maximum des débris éjectés lors de l’impact est vf = 200 m.s−1. Supposons que le volume de fragments est égal au volume du cratère, soit 3,9 mm3. L’énergie cinétique de ceux-ci est alors Ecin

f ∼130 mJ.

Puisque le projectile est piégé dans la cible, on peut estimer l’énergie cinétique de la cible par la conservation de la quantité de mouvemement et les résultats expérimen-taux :

mpv0=mcvc−mfvf (5.8)

La masse de la cible étant de 18,6 g, sa vitesse est vc ∼ 0,18 m.s−1 et son énergie cinétique Ecin

c ∼ 0,3 mJ. Finalement, les énergies cinétiques des fragments et de la cible représentent 3,3% de l’énergie cinétique du projectile. Par ailleurs, on peut re-marquer que la quantité de mouvement des particules éjectées est inférieure à 50% de la quantité de mouvement du projectile. Cela signifie que le rapport entre la quantité

de mouvement transmise à la cible et celle du projectile – appelé en anglais momentum enhancement – est inférieur à 1,5. Ceci est cohérent avec les résultats de Walker and Chocron [141] à des vitesses d’impact et un matériau de résistance similaires.

Énergies de fragmentation L’énergie de fragmentation augmente avec la création de surface, c’est-à-dire lorsque la taille des fragments diminue. D’après la formule d’Ir-win, l’énergie de fragmentation par unité de surface γ est donnée par l’équation 5.6. Dans le cas du projectile d’acier, γpest autour de 500 à 900 J.m−2ce qui implique une valeur maximum de Epf rag d’environ 2 mJ.

La ténacité KIc de l’EDM3 n’est pas connue. Toutefois, de nombreuses études ont montré que celle des graphites polycristallins obtenue par différents moyens est proche de 1 MPa.m1/2 [62–67]. L’énergie de fragmentation de l’EDM3 est donc γc∼40 J.m−2. Supposons que la cratérisation est totalement gouvernée par la fragmentation et non par la compaction. Pour produire le cratère de volume Vc, l’énergie de fragmentation requise est

Ecf rag =γVcSf

Vf (5.9)

où Vf et Sf sont respectivement le volume et la surface d’un fragment de taille carac-téristique. Pour des débris sphériques de rayon r, l’énergie de fragmentation devient

Ecf rag =

r Vc (5.10)

La figure 5.11 donne l’énergie de fragmentation en fonction du diamètre d= 2r d’un fragment de taille caractéristique pour un cratère de volume 3,9 mm3. L’hypothèse d’une fragmentation intergranulaire suppose que la taille minimum des fragments est égale à la taille de grain de l’EDM3, soit 5 µm. Ecf rag est alors de l’ordre de 190 mJ. Sur la base d’un équilibre entre l’énergie de création de surface et l’énergie cinétique, Grady [142] a proposé une relation entre la taille caractéristique des fragments et la vitesse de déformation : d= 24Gc ρ0˙ǫ2 1/3 (5.11) où Gc=2γ est le taux de restitution de l’énergie de déformation par unité de surface. Dans l’hypothèse d’une vitesse de déformation de 107s−1, la taille caractéristique des fragments devrait être proche de 20 µm. D’après la figure 5.11, cela implique une énergie de fragmentation d’environ 50 mJ. Ainsi, la quantité d’énergie consommée par fragmentation de la cible et du projectile est comprise entre 1 et 4,5 %.

Figure 5.11 – Énergie de fragmentation en fonction de la taille caractéristique des fragments d=2r pour un cratère de volume 3,9 mm3.

Finalement, c’est bien l’énergie consommée par le cycle de compression-détente de l’EDM3 Ecd

c qui est la principale consommatrice de l’énergie cinétique du projectile transférée au système à hauteur d’au moins 88%.

Énergie de compression-détente Négligeons l’élastoplasticité, la part minoritaire d’énergie restituée par l’hystérésis de la courbe de compression confinée cyclée et la viscosité du matériau. L’énergie de compression-détente d’une unité de volume soumise à des pressions supérieures à 1 GPa peut donc être estimée par l’aire sous la courbe de compactage, présentée au chapitre précédent en figure 4.1, soit ecd

c =

108 J.m−3. Or, l’impact d’une bille d’acier crée une onde de choc – qu’on suppose sphérique divergente bien que la réalité soit plus complexe – qui se propage dans le matériau. Le volume hémisphérique de matière affecté par de telles pressions est donc : VGPa c = 2 3πR3= 0,88Ecin p ecd c =36 mm3 (5.12)

Ainsi, au-delà d’un rayon R=2.6 mm, les pressions vues par la cible sont inférieures à 1 GPa. La zone fortement affectée mécaniquement est finalement restreinte à une demi-sphère dont le rayon est de l’ordre de la profondeur de pénétration du projectile.

Conclusion sur le bilan d’énergie Il est intéressant de remarquer que la réparti-tion de l’énergie d’entrée entre chaque phénomène consommateur est franchement

différente de celle constatée par Gault and Heitowit [143] et Braslau [144] pour qui l’énergie cinétique des fragments était plus importante. L’écart vient probablement des plus grands cratères obtenus lors de leurs expériences sur du basalt et du sable. La masse totale éjectée était respectivement de 370 et 4000 fois la masse de l’impacteur alors que pour nous, le rapport est d’environ 14.

Pour conclure, on peut dire que ce bilan d’énergie nous a permis d’identifier le phéno-mène dominant lors d’un impact hypervéloce sur de l’EDM3 : le cycle de compression-détente de la cible. Les données expérimentales sur le matériau nous ont aidé à dé-terminer le volume de matière fortement affecté mécaniquement. Néanmoins, il est difficile de se prononcer a priori sur les conséquences de cette affectation. Modifica-tion de la porosité ? Présence de macro-fissures ? DétérioraModifica-tion de la cohérence du matériau ? Le suspens est insoutenable.