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Basculement ou non de la fibre

IV.3 Comparaisons entre simulations et résultats expérimentaux

V.1.1 Basculement ou non de la fibre

Le premier résultat est qu’il existe une longueur de fibre critique pour une épaisseur donnée au-delà de laquelle la fibre bascule irrémédiablement d’un côté. Nous avons en effet observé que des fibres courtes de longueur L ≤ 2 cm pour une épaisseur

t = 350 µm restent en moyenne droites dans la géométrie de pénétration utilisée (voir

figure V.3a). Cette longueur critique est légérement plus faible pour des compacités plus grandes approchant le blocage. D’autre part, nous avons montré que des fibres de longueur L = 2.5 cm (juste au-dessus du seuil) qui basculaient pour une épaisseur de t = 350 µm restent droites pour une épaisseur plus grande de t = 1 mm. Comme attendu, augmenter la rigidité de flexion de la fibre décale la longueur critique pour laquelle il y a basculement. Pour caractériser le basculement, nous avons étudié en particulier la déflexion latérale de l’extrémité libre de la fibre, δ.

A partir de l’évolution de δ avec la distance de pénétration, nous avons mis en évidence qu’il existe un régime de petites fluctuations pour toutes les expériences, y compris pour les fibres courtes (L ≤ 2 cm) ou épaisses (t = 1 mm) qui ne basculent pas. La première question que l’on peut se poser est quel critère permet de déterminer si le basculement a lieu, alors que la fibre ne reste jamais strictement droite et que sa position fluctue toujours un peu.

a Force critique

Notre première intuition est que le basculement est lié à une force critique que les grains doivent imposer à la fibre. On peut penser à deux types de sollicitations de la fibre à petites déflexions : flambage ou flexion simple. Dans chacun de ces types de sollicitations, les forces caractéristiques vont avoir une expression différente.

86 Chapitre V. Discussion

(a) (b)

Figure V.1 – (a) Force critique de flambage Fc en fonction de la longueur de l’intrus

L. (b) Force typique de flexion pour qu’un grain situé en bout de fibre la défléchisse

d’un rayon de grain en fonction de L.

Dans le cas du flambage, on s’intéresse à la force critique de flambage d’Euler pour une poutre encastrée-libre sans étreinte latérale : Fc = π

2

4 EIL2 ; il s’agit du cas limite

le plus simple auquel on peut se référer. Cette force est fonction de la longueur de la fibre L (voir figureV.1a). Dans le chapitre 2, nous avons montré que la transition entre régime I et II s’effectue pour une déflexion de l’ordre d’un rayon de grain. Donc, pour la force de flexion, nous choisissons comme force caractéristique la force nécessaire pour qu’un grain situé en bout de fibre la défléchisse d’un rayon de grain d2/2. Cette force

notée F1grain vaut 3EId22L3 (voir figure V.1b) si un seul grain appuie en bout de fibre.

Elle vaudrait 8EId2

2L3 si plusieurs grains appliquaient une force répartie le long d’un côté

de la fibre.

Notons que ces deux forces caractéristiques ont le même ordre de grandeur pour les longueurs que nous étudions ; les deux scénarii de flambage et de flexion sont donc à priori possibles. Cependant, dans le régime de petites fluctuations, les grains arrivant sur l’intrus ne sont jamais parfaitement centrés et n’appliquent généralement pas une force purement dans l’axe de l’intrus, nécessaire pour obtenir un flambage. Par ailleurs, les fibres peuvent avoir une légère courbure naturelle, ce qui favorise la flexion plutôt que le flambage. Dans ces conditions, nous privilégions un scénario de flexion de la fibre au cours du régime de petites fluctuations. La force F1grain semble donc la plus

adaptée pour décrire la force que le milieu granulaire doit exercer sur la fibre pour provoquer la transition vers le régime de basculement.

b Diagramme de phase

Nous pouvons à présent proposer un critère permettant de prédire si la fibre bascule ou non en utilisant une force de flexion. Dans un premier temps, imaginons que la fibre soit défléchie de δ avec δ/L << 1, c’est à dire que l’on est dans le régime de petites fluctuations (voir figure V.2). Pour revenir à sa position droite, la fibre doit rabattre une certaine quantité de grains, ceux qui se trouvent dans la surface S1. Mais pour que

ces grains puissent bouger et trouver de la place, il faut qu’ils déplacent eux-mêmes une surface de grains S2. Au premier ordre, on peut estimer que la surface S1 est

V.1. Rappel des principaux résultats 87 triangulaire avec : S1≈ δL2 .

Nous faisons l’hypothèse d’un front de compaction qui se propage latéralement vers la gauche lorsque la fibre initialement défléchie à droite doit rabattre les grains pour revenir droite. Ce front s’étend d’autant plus sur la gauche que le déport local de la fibre est grand initialement. Le front de compaction délimite donc une surface S2 de

forme triangulaire S2 = ℓF2L dont la plus grande extension latérale est ℓF. La compacité

du milieu granulaire à l’intérieur de S2 est supposée être celle d’un cluster de grains

compact à la compacité de blocage φc. De ce fait et par conservation de la matière, on

a :

ℓF =

δφ0

φc− φ0

Comme la compacité initiale φ0 est très proche du blocage φc, on a ℓF >> δ et

S2= φSc1−φφ00 >> S1.

Au cours du redressement, les grains situés dans la surface S2 vont frotter sur la

surface en verre du dispositif. Or la contrainte de frottement vaut τ = µmg

s où µ = 0.49

est le coefficient de frottement grains/verre, m = 0.26510−3 kg la masse moyenne des

grains. s est la moyenne pondérée des surfaces des petits et des gros grains :

s = N1s1+ N2s2 N1+ N2

= 1.4910−5 m2

La force de frottement correspondante vaut Ff rot = ΦcS2τ soit

Ff rot=

φ0φcδL

2(Φc− Φ0)

(V.1) Par ailleurs, si on estime que les grains exercent une poussée selon la normale à la fibre avec une force répartie de manière homogène le long de celle-ci, la force de rappel élastique de la fibre vaut Ff lexion= 8EIδL3 (dans la limite des faibles déflexions).

Si les grains n’exercent leur effort qu’en bout de fibre, on a Ff lexion= 3EIδL3 ; donc, de

manière générale, on écrit :

Ff lexion=

αEIδ

L3 (V.2)

A partir des équation (V.1) et (V.2), on obtient qu’il y a équilibre Ff lexion= Ff rot

pour une longueur critique valant :

Lc=

4

s

2αEI(φc− φ0)

φ0φcτ (V.3)

avec α = 8 pour un chargement homogène. Pour L < Lc, la force de rappel élastique

l’emporte et la fibre se redresse ; on a alors un comportement avec uniquement le régime de petites fluctuations. Pour L > Lc, la force de frottement l’emporte sur la force de

rappel élastique, ce qui empêche la fibre de revenir à sa position droite : le régime de basculement est donc possible. L’évolution de Lc prédite par l’équation (V.3) en

88 Chapitre V. Discussion

(a)

(b)

Figure V.2 – (a) Surfaces S1 et S2 intervenant lorsque la fibre se redresse à partir

d’une déflexion δ. (b) Évolution de la longueur critique Lc de l’équation (V.3) en

fonction de EI et de φ0.

Le graphe de la figure V.3a correspond à la comparaison de la longueur critique prédite par l’équation (V.3) avec les diagrammes de phase expérimentaux. Notons que la courbe bleue du premier graphe correspond à une coupe du grapheV.2par la valeur expérimentale de EI égale à 4.0710−05 N.m2. On observe que la courbe bleue prédit à

chaque fois très bien la séparation entre les domaines. En particulier, on peut observer qu’elle passe à proximité du point (L = 2 cm, Φ0 = 81.99%) pour lequel les deux cas

(1 seul régime ou 3 régimes) ont été observés. L’expression Lc est donc satisfaisante

pour prédire la longueur critique Lc au dessous de laquelle la fibre ne peut rester en

régime de petites fluctuations seul.