1.1.2.1. Les situations européenne et française Le marché européen
La climatisation individuelle est un besoin relativement récent en Europe mais en très forte augmentation : environ 3,5 millions d’unités ont été vendues en 2005 contre 1,6 millions en 1996 (120 % d’augmentation en 10 ans).
En Europe, le taux de pénétration de la climatisation reste très faible par rapport à d’autres régions. Dans le secteur résidentiel par exemple, il est estimé à environ 5 %, contre 85 % au Japon et 65 % aux Etats-Unis.
L’Italie, l’Espagne et la Grèce représentent à eux seuls 67 % du marché européen, la France avec 7 % se positionne derrière ces trois pays (Figure 1.6).
Italie
Figure 1.6. Répartition nationale des ventes de climatiseurs individuels en Europe
(BSRIA, 2009)
Le marché français
La Figure 1.7 présente l’évolution des ventes de climatiseurs individuels (de puissance inférieure à 17,5 kW) entre 1998 et 2006. Ce marché est en forte croissance, puisqu’en l’espace de 8 ans, les ventes ont augmenté de 170 %, avec notamment une croissance très importante des climatiseurs mobiles (65 %) et Split (220 %).
Suite à l’été caniculaire de 2003, les ventes ont exceptionnellement augmenté de 50 % entre 2002 et 2003, puis de nouveau de 50 % entre 2003 et 2004. Une autre évolution importante de ces dernières années, est la poussée des équipements réversibles qui constituaient, en 2006, 91 % des ventes de systèmes Split (Clim’Info, 2007).
0 100000 200000 300000 400000 500000 600000
1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
Nombre d'unités vendues
Mono-Split Multi-Split Mobiles Fenêtres
Figure 1.7. Evolution des ventes de climatiseurs individuels de puissance inférieure à 17,5 kW (chiffres Clim’Info)
Rivière et al. (2009) donnent la répartition des ventes et du stock de climatiseurs individuels en fonction de différents types de bâtiment (Tableau 1.1). La climatisation individuelle est principalement employée dans les bureaux, puis en proportion similaire dans les commerces et les résidences. Cette part importante du secteur résidentiel est due aux climatiseurs mobiles, celui-ci ne représente en effet qu’environ 10 % du stock et des ventes de systèmes fixes.
Tableau 1.1. Répartition des ventes et du stock de climatiseurs individuels en 2005 en fonction de différents types de bâtiment (Rivière et al., 2009)
Appareils Résidences Bureaux Commerces Mobiles 2 260 694 296 043 134 565
Split réversibles 1 173 041 6 817 095 3 601 031 Split à
refroidissement seul 396 145 2 302 188 1 216 097 Stock
[kW frigorifique]
Total 21 % 52 % 27 %
Mobile 178 265 23 344 19 924 Split réversibles 171 382 995 982 526 113
Split à
refroidissement seul 26 711 155 229 81 998 Ventes
[kW frigorifique]
Total 17 % 54 % 29 %
1.1.2.2. Les principaux déterminants de l’augmentation des ventes de climatisation individuelle
Des appareils vendus à des prix de plus en plus abordables
Concernant les climatiseurs individuels, un véritable marché de masse s’est développé en Europe. La majorité des produits est fabriquée en Chine (environ 85 %6) puis vendue à bas prix en Europe. Les climatiseurs ont vu leur prix de vente se réduire significativement. A titre d’exemple, Adnot et al.
(1999) estimaient le prix d’un appareil mobile de type « single duct » à 385 €1998/kW (frigorifique) soit environ 459 €2008, dix ans plus tard, Rivière et al. (2009) ne l’estiment plus qu’à 177 €2008/kW.
Des appareils dotés d’une fonctionnalité chauffage
Dans le contexte français, l’utilisation des appareils en mode chauffage contribue à l’augmentation des ventes. Ainsi, Clim’Info (2006) explique que la fonction « chauffage » bouleverse la saisonnalité des
6 Selon Koizumi (2006), 12 % des climatiseurs produits en Chine pour l’exportation (environ 28 million d’unités en 2005 et 2006) sont destinés à l’Europe, soit 3 million d’unités en 2005 et 2006.
ventes et que celles des mois de septembre à décembre représentaient 30 % du volume annuel en 2005.
Ce mode de chauffage bénéficiait d’ailleurs d’un crédit d’impôt jusqu’en 2009, date à laquelle la loi de finance a limité l'assiette de ce dernier, s'agissant des dépenses d'acquisition des pompes à chaleur, aux pompes à chaleur « autres que air/air ». Une fois installées, les pompes à chaleur air/air réversibles sont très susceptibles d’être utilisées en climatisation. C’est une des raisons qui a motivé l’exclusion des pompes à chaleur air/air du système de crédit d’impôt français. Le rapport en première lecture de l’Assemblée Nationale (2008) suite au projet de loi de finance 2009 mentionne en effet que celles-ci
« sont facilement réversibles et souvent utilisées pour la climatisation des logements ».
Une augmentation des attentes en matière de confort thermique
Les attentes des occupants en termes de confort, et plus particulièrement de confort thermique, s’accroissent. A l’image du secteur automobile où elle s’est imposée7, la climatisation dans les bâtiments pourrait devenir en Europe un service ordinaire au même titre que le chauffage ou l’éclairage. C’est d’ailleurs en grande partie déjà le cas dans les bureaux et les magasins.
Conception et usage des bâtiments
Les pratiques de conception usuelles sont parfois à l’origine d’une augmentation des besoins de refroidissement dans les bâtiments. La multiplication des surfaces vitrées, l’impossibilité d’ouvrir les fenêtres, ou encore une inertie faible, sont par exemples des facteurs fortement susceptibles d’entraîner l’installation de systèmes de climatisation. D’autre part, le fort développement de l’usage d’équipements électriques (bureautique et éclairage notamment) a contribué à l’augmentation des apports internes et donc des besoins de refroidissement. Enfin, une isolation renforcée des bâtiments (nécessaire pour réduire les consommations de chauffage) peut piéger les apports de chaleur intérieurs et extérieurs, provoquant une détérioration importante de l’inconfort estival (Feldmann et Schwarzberg, 2009).
L’effet d’îlot de chaleur urbain
La température de l’air dans des secteurs urbains denses est sensiblement plus élevée qu’aux alentours.
Adnot et al. (2004) rappellent que ce phénomène microclimatique, connu sous le nom « d’effet d’îlot thermique », est principalement dû :
- au manque d’arbre et de végétation (ce qui diminue l’évapotranspiration et assèche l’air urbain),
- à l’utilisation de surfaces peu réfléchissantes pour les toits et les trottoirs qui absorbent et stockent l’énergie solaire,
- à la chaleur anthropogénique libérée par la combustion des carburants et des combustibles des sources fixes ou mobiles d’énergie et du métabolisme humain,
- à l’effet de serre engendrée par l’atmosphère urbaine polluée.
Le profil de température tracé sur la Figure 1.8 représente le phénomène d’îlot urbain et met en évidence les différences de température entre les milieux urbain et rural. En France, différentes études ont été menées afin d’évaluer cet effet dans plusieurs villes. Dubreuil et al. (2008) notent qu’en juillet 2006, à Rennes, la température de nuit (22h – 5h) mesurée en centre ville a été en moyenne plus élevée de 2,5 °C par rapport à la campagne environnante. En revanche, pendant la journée, les écarts moyens horaires ne dépassent pas quelques dixièmes de degrés. A Paris, sur la période 1990-1999, l’écart moyen de température nocturne entre centre ville et campagne était de l’ordre de 3,3 °C mais a oscillé entre 1 et 6 °C8 (Cantat, 2004). Selon l’auteur, le contraste de température était surtout marqué la nuit en été.
7 Selon Barbusse et Gagnepain (2003), le taux d’équipement en climatisation des véhicules neufs vendus en France a cru de moins de 15 % en 1995 à plus de 60 % en 2000.
8 Il arrive cependant qu’il soit beaucoup plus important comme le 5 octobre 1997 au matin où on a relevé 12,9 °C en centre-ville alors que, sur la campagne environnante, cette température descendait fréquemment en-dessous de 4°C.
Le phénomène d’îlot urbain en été contribue donc à augmenter la demande de climatisation.
Ceci constitue un cercle vicieux car l’augmentation de l’utilisation de climatisation contribue elle-même au phénomène en rejetant notamment de l’air chaud au condenseur. A titre d’exemple, Yuangao et Zhiwei (2008) ont ainsi évalué que dans la ville de Wuhan9 (en Chine), les climatiseurs domestiques étaient à l’origine d’une augmentation de la température de 2,56 °C en atmosphère stable (vents faibles) et
de 0,2 °C en atmosphère instable (vents élevés). Figure 1.8. Représentation du phénomène d’îlot urbain : profil type de température (HIG, 2009)
Canicules et changement climatique
Les été exceptionnels, tels que la canicule de 2003, déclenchent un marché de masse et contribuent fortement à augmenter le taux de pénétration de la climatisation. Ceci est particulièrement vrai dans les pays comme la France où l’achat d’un climatiseur individuel relève souvent plus d’une impulsion que d’un choix planifié. Les ventes ont ainsi augmenté de 50 % entre 2002 et 2003, puis de nouveau de 50 % entre 2003 et 2004.
Le GIEC (2007) envisage une dérive climatique variant d’ici 2100 de 1,1 °C à 6,4 °C selon les scénarios d’émission et les modèles climatiques utilisés. La Figure 1.9 présente les résultats de Dusfrene et al. (2006) concernant l’évolution de la température moyenne estivale en France métropolitaine. Ces résultats ont été obtenus avec deux modèles de simulation climatique en s’appuyant sur deux des scenarii définis par le GIEC (A210 et B111). Les observations de température sont aussi mentionnées, elles font clairement ressortir le côté exceptionnel de l’été 2003. Dans le scénario A2, la température moyenne des étés croît fortement, et, à la fin du siècle, la température de tous les étés simulés dépasse celle de l’été 2003. Concernant le scénario B1, si la température des étés augmente plus faiblement, un été de type 2003 n’est plus exceptionnel en 2100.
a) Scénario A2 b) Scénario B1
Figure 1.9. Evolution de la température moyenne (°C) durant les trois mois d’été (juin à août) en France métropolitaine ; observée (étoiles noires), et simulée par les modèles du CNRM (en rouge) et
de l’IPSL (en vert).
9 Dans cette ville, la température moyenne journalière dépasse 35 °C pendant 21 jours par an.
10 Sans rentrer dans les détails, le scénario A2 suppose que la population mondiale croisse jusqu’à 15 milliards d’individus en 2100, la croissance économique et la pénétration de nouvelles technologies énergétiquement efficaces sont très hétérogènes selon les régions…
11 Sans rentrer dans les détails, le scénario B1 suppose que la population mondiale culmine à 9 milliards d’individus en 2050 puis décroît, les nouvelles technologies énergétiquement efficaces sont massivement utilisées, l’économie est dominée par les services et les technologies de l’information…
Ces résultats illustrent comment les effets d’un changement climatique global seraient susceptibles de se traduire à l’échelle régionale. La canicule de 2003 pourrait devenir la norme en France dans quelques décennies, ce qui s’accompagnerait d’un développement massif de la climatisation.