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4.4 Etat de la recherche (2009-2013)

4.4.1 Des attitudes contrastées

Quelle que soit la méthode de recherche employée pour examiner les attitudes des enseignants du niveau primaire vis-à-vis de l’intégration scolaire, les études sélectionnées pour cet état de la recherche indiquent des résultats plutôt contradictoires : certaines études rapportent des attitudes plutôt négatives, d’autres plutôt positives ou neutres. Ce premier constat a également été établi par Yu, Su et Liu (2011) dans leur revue de la littérature sur l’intégration scolaire en Chine. Les résultats des différentes recherches sont exposés ci-après de manière successive selon que les attitudes des enseignants interrogés sont plutôt négatives, positives ou neutres.

4.4.1.1 Des attitudes plutôt négatives

Comme l’ont mis en évidence de Boer et al. (2011), plusieurs études récentes indiquent, elles aussi, que les attitudes des enseignants vis-à-vis de l’intégration scolaire seraient plutôt négatives, quelque soit le pays dans lequel les recherches ont été menées (Grieve, 2009 ; Kovačević & Maćešić-Petrović, 2012 ; Leung & Mak, 2010 ; Rakap & Kaczmarek, 2010). Selon Kovačević et Maćešić-Petrović (2012), les enseignants serbes de leur étude justifient leurs attitudes plutôt négatives par les nombreux obstacles qui rendent difficile l’intégration scolaire, dont notamment le manque de contacts personnels avec les élèves ayant des besoins éducatifs particuliers et le manque d’informations sur leurs besoins, habiletés et droits. Leung et Mak (2010) ont quant à eux précisé que plus de la moitié des enseignants interrogés dans leur étude à Hong Kong sont préoccupés par les progrès scolaires des élèves et qu’un tiers d’entre eux estiment que l’intégration scolaire peut avoir un effet négatif sur les enseignants, comme celui d’augmenter la difficulté en termes de gestion de classe. D’autres préoccupations concernent le manque de ressources et de soutien. Leung et Mak ont également supposé que ces craintes peuvent provenir d’un manque de compréhension de ce que représente l’éducation à visée inclusive ou de ce en quoi elle consiste.

Les résultats de la recherche mixte menée par Grieve (2009), qui s’est intéressée spécifiquement aux attitudes des enseignants envers l’intégration d’élèves présentant des troubles émotionnels et/ou du comportement, indiquent également des attitudes plutôt négatives : seul un tiers des enseignants interrogés pense que ces élèves peuvent être intégrés en classe ordinaire pour autant que les enseignants reçoivent le soutien nécessaire. Le second tiers d’enseignants estime que l’intégration scolaire de ces élèves serait réalisée au détriment des apprentissages des autres élèves de la classe, en raison notamment de leur comportement. Quant au dernier tiers, il pense que ces élèves bénéficieraient d’un meilleur encadrement en classe ou en école spécialisée.

Ajodhia-Andrews et Frankel (2010) ont mené une recherche de type qualitatif en Guyane. Ils ont relevé que, de manière générale, la prévalence d’attitudes négatives existantes dans la société

guyanaise (ignorance et discrimination des personnes en situation de handicap, notamment) est l’un des défis les plus importants dans la mise en œuvre d’une éducation à visée inclusive dans leur Département. Spécifiquement, les enseignants expriment des attitudes plutôt négatives, comme un manque de patience avec ces élèves, des attitudes d’ignorance, un manque de temps pour répondre aux besoins des élèves ou encore la perception que l’enseignement à ces élèves représente une charge trop élevée, notamment parce qu’elle s’additionne aux autres tâches d’enseignement.

Enfin, Lalvani (2013) a mis en évidence, à l’aide d’entretiens approfondis auprès d’enseignants américains, que les limites perçues par la plupart des enseignants de son étude relativement à l’intégration scolaire seraient fortement associées à leurs croyances sur la nature du développement cognitif et des performances scolaires des élèves. La perception de l’intelligence humaine comme étant fondée biologiquement serait particulièrement exprimée par les enseignants qui perçoivent l’intégration scolaire comme un privilège eu égard à la participation automatique des élèves en situation de handicap aux classes ordinaires. Les résultats de Lalvani rejoignent ceux de Jordan et al. (1997) rapportés par Avramidis et Norwich (2002) en rapport aux différences de croyances et de pratiques d’enseignement selon que les enseignants ont une perception plutôt déficitaire ou fonctionnelle du handicap.

4.4.1.2 Des attitudes plutôt positives

Contrairement aux quelques études présentées précédemment, plusieurs études indiquent des attitudes plutôt positives vis-à-vis de l’intégration scolaire chez les enseignants (Anati & Ain, 2012 ; Blecker & Boakes, 2010 ; David & Kuyini, 2012 ; Gyimah, Sugden, & Pearson, 2009 ; Horne & Timmons, 2009 ; Hwang & Evans, 2011 ; Memisevic & Hodzic, 2011 ; Segall & Campbell, 2012 ; Starczewska, Hodkinson, & Adams, 2012 ; Wilde & Avramidis, 2011). Certains auteurs comme Segall et Campbell (2012) ont par ailleurs démontré l’importance d’adopter des attitudes positives : les attitudes des enseignants de classe ordinaire vis-à-vis de l’intégration scolaire d’élèves ayant un trouble du spectre autistique prédisent fortement l’emploi de stratégies adaptées aux besoins de ces élèves scolarisés dans leur classe.

D’autres auteurs ont mis en évidence les bénéfices de l’intégration scolaire perçus par les enseignants, notamment lorsqu’ils expriment des attitudes plutôt positives (Ben-Yehuda, Leyser, & Last, 2010 ; Blecker & Boakes, 2010 ; Hwang & Evans, 2011 ; Lalvani, 2013). Par exemple, Ben-Yehuda et al. (2010), qui se sont intéressés aux caractéristiques des enseignants perçus par leur responsable comme

réussissant l’intégration sociale des élèves ayant des besoins éducatifs particuliers18, ont relaté que les

enseignants qui réussissent l’intégration de leurs élèves expriment non seulement des attitudes plus positives vis-à-vis de l’intégration scolaire que les enseignants qui réussissent moins bien, mais qu’ils perçoivent également plus de bénéfices scolaires et sociaux pour les élèves ayant des besoins éducatifs particuliers. De même, les enseignants favorables à l’intégration scolaire relèvent les bénéfices de ce mode de scolarisation pour les élèves avec et sans besoins particuliers, notamment en termes de développement socioémotionnel et d’acceptation de la différence (Horne & Timmons, 2009 ; Hwang & Evans, 2011 ; Lalvani, 2013). Outre les bénéfices de l’intégration scolaire liés au développement des compétences sociales, ceux relatifs aux performances scolaires, comme l’amélioration de l’écriture, sont également soulignés (Hwang & Evans, 2011). Blecker et Boakes (2010) n’ont pas fait de distinction claire entre enseignants de classe ordinaire et enseignants spécialisés, mais sont partis d’un échantillon constitué majoritairement d’enseignants réguliers (76%). Ils ont relevé que les enseignants du sud du New Jersey aux Etats-Unis expriment non seulement des attitudes positives à l’égard de l’intégration scolaire, mais qu’ils ont également la perception que les élèves en situation de handicap bénéficient des liens d’amitié qu’ils peuvent créer avec leurs pairs au développement typique, ainsi que d’autres associations avec ces pairs, tant dans un contexte d’apprentissage que lors d’activités extrascolaires. Ces résultats rejoignent ceux de Khochen et Radford (2012) au Liban, qui indiquent également, malgré un échantillon restreint (N = 40) et des résultats purement descriptifs, que les enseignants voient positivement les relations entre élèves avec et sans besoins éducatifs particuliers à l’école ordinaire.

De plus, Lalvani (2013) a relevé que les enseignants qui démontrent une forte volonté de mettre en œuvre l’intégration scolaire ont également des croyances à l’égard de l’éducation à visée inclusive la définissant comme un principe associé aux sociétés démocratiques, à une éducation équitable pour tous les élèves (et pas seulement pour les élèves en situation de handicap) et à la justice sociale. Pour ces enseignants, qui représentent une petite partie de son échantillon, les bénéfices sont perçus pour tous les élèves, avec quelques rares exceptions. Ils se distinguent en cela de leurs collègues quant à leurs perceptions du développement cognitif des élèves. En effet, ils accordent une importance toute particulière aux influences environnementales (conditions socioéconomiques, accès aux ressources, nutrition et soins médicaux, style éducatif parental, et opportunités d’apprentissage précoce). Rejetant les assertions que la variabilité de l’intelligence humaine est due uniquement à des facteurs individuels, ils mettent également en avant leur responsabilité accrue à répondre de la meilleure manière possible aux besoins de tous leurs élèves. Un tel constat a également été relevé par Horne et

18Les critères permettant aux responsables d’affirmer qu’un enseignant réussit l’intégration sociale de ses élèves sont les

suivants : 1) les élèves intégrés réalisent les progrès scolaires attendus comparativement à leurs pairs ; 2) aucun problème majeur de comportement n’est signalé pour ces élèves ; 3) les parents de ces élèves ont tendance à être satsifaits et n’ont pas émis de plaintes majeures par rapport aux progrès de leur enfant ; 4) il n’y a, de manière générale, pas de difficulté relative à l’intégration de ces élèves (Ben-Yehuda et al., 2010, p. 22).

Timmons (2009). En outre, ces perceptions d’enseignants soutenant fortement le concept d’intégration scolaire sont en cohérence avec les perspectives du modèle social du handicap.

Malgré la recension d’attitudes positives ou de bénéfices perçus relatifs à l’intégration scolaire, plusieurs auteurs mettent en évidence certaines nuances associées aux attitudes positives. Par exemple, Anati et Ain (2012) ont rapporté que les enseignants des Emirats arabes qu’ils ont interrogés se sentent concernés par l’éducation à visée inclusive, qu’ils sont d’accord avec le principe ou le concept général de l’intégration scolaire, mais qu’ils manquent de confiance et de formation pour travailler dans des structures à visée inclusive. D’autres auteurs comme Memisevic et Hodzic (2011) ont également relevé des attitudes plutôt positives chez les enseignants de Bosnie-Herzégovine à l’égard de l’intégration d’élèves présentant une déficience intellectuelle. En effet, un peu plus de la moitié des enseignants interrogés soutiennent le concept d’intégration scolaire et expriment la volonté d’enseigner à tous les élèves dans leur classe, quels que soient leurs besoins. Néanmoins, ils font également état de nombreuses préoccupations : ils se sentent stressés et peu compétents pour soutenir les élèves ayant une déficience intellectuelle et craignent que leur potentielle incompétence leur soit reprochée. Dans leur recherche mixte menée en Corée du Sud, Hwang et Evans (2011) ont rapporté que si 41% des enseignants interrogés soutiennent le concept d’intégration scolaire – alors que 34% le perçoivent négativement et qu’environ 25% expriment des attitudes neutres – ils sont plus de la moitié à ne pas vouloir enseigner à des élèves en situation de handicap dans leur classe. De fait, même les enseignants qui croient en l’idée de l’intégration scolaire éprouvent de la réticence à accepter un élève en situation de handicap dans leur classe. Cela rejoint les propos de Wilde et Avramidis (2011) et de Starczewska et al. (2012) : si la plupart des enseignants interrogés perçoivent l’intégration scolaire comme une valeur positive ou expriment des attitudes positives vis-à-vis de l’idéal de l’intégration scolaire, en réalité, peu d’entre eux pensent que ce principe s’applique à tous les élèves ou que tous les élèves peuvent être intégrés à tout moment. Si ce constat a déjà été mis en évidence par Avramidis et Norwich en 2002, il est en outre également relevé par les auteurs dont les recherches aboutissent au résultat selon lequel les attitudes des enseignants à l’égard de l’intégration scolaire sont plutôt neutres.

4.4.1.3 Des attitudes plutôt neutres

Plusieurs auteurs ont indiqué que les enseignants expriment des attitudes ni clairement négatives ou positives, mais plutôt neutres (Hsieh, Hsieh, Ostrosky, & McCollum, 2012 ; Malinen, Savolainen, & Xu, 2012 ; Savolainen, Engelbrecht, Nel, & Malinen, 2012 ; Shady, Luther, & Richman, 2013). Or, certains d’entre eux ont relevé que ce serait la perception de la mise en œuvre de l’intégration scolaire qui contre-balancerait des attitudes plutôt positives vis-à-vis du concept général de l’intégration scolaire. Par exemple, Savolainen et al. (2012) ont expliqué les attitudes plutôt neutres des enseignants tant finnois que sud-africains de leur étude par les préoccupations pédagogiques que certains enseignants expriment : les enseignants finnois sont notamment préoccupés par ce qui pourrait

survenir si des élèves ayant des besoins éducatifs particuliers sont intégrés dans leur classe, indiquant leur scepticisme à l’égard de l’idée d’intégrer concrètement des élèves en situation de handicap dans leur propre classe. Bien qu’ils expriment des sentiments très positifs face à leur interaction avec des personnes en situation de handicap, ils seraient relativement critiques sur le fait de devoir enseigner à ces élèves. Ces résultats rejoignent ceux de Hwang et Evans (2011) et de Shady et al. (2013). En effet, Hwang et Evans (2011) ont relevé que le souhait ou la volonté d’enseigner à des élèves en situation de handicap est plus faible que ce que les attitudes favorables vis-à-vis du concept de l’intégration scolaire indiqueraient. En ce sens, même les enseignants qui croient fermement au concept d’intégration scolaire (et qui expriment des attitudes plutôt positives) peuvent être réticents à enseigner à ces élèves. En outre, les enseignants de cette étude sont nombreux à penser que les élèves avec des besoins éducatifs particuliers requièrent des services spécialisés dans des classes spécialisées et sont préoccupés par le fait que ces services pourraient disparaître si les élèves sont scolarisés dans un environnement ordinaire. Ces préoccupations illustrent en partie les raisons de leur hésitation à mettre en œuvre des pratiques inclusives. Quant à Shady et al., ils ont relaté que certains enseignants sont en accord avec le concept général de l’intégration scolaire, mais qu’ils ne pensent pas que cela va fonctionner dans leur propre classe. De plus, ces auteurs ont précisé que les enseignants interrogés dans leur étude semblent indécis quant aux bénéfices générés par l’intégration scolaire. Dans le même sens que les propos précédents, d’autres auteurs relèvent que les attitudes des enseignants vis-à-vis de l’intégration scolaire paraissent dépendre de quelle manière l’intégration est mise en place dans les écoles (Grieve, 2009) et de comment les enseignants conceptualisent sa mise en pratique (Lalvani, 2013).

D’autres auteurs ont expliqué les attitudes plutôt neutres des enseignants qu’ils ont interrogés par l’effet d’autres variables. Hsieh et al. (2012) ont notamment expliqué leur résultat par le fait que les enseignants interrogés ont évalué positivement les items portant sur l’intégration en général ou sur ses bénéfices (par exemple, l’intégration scolaire permet à tous les élèves de bénéficier d’une expérience précieuse) alors qu’ils ont évalué plus négativement les items relatifs au soutien et à la formation. Cela leur a permis d’affirmer que si les enseignants taïwanais perçoivent l’intégration scolaire comme étant une bonne pratique, ils ne s’estiment pas suffisamment formés et n’estiment pas avoir les ressources et le soutien nécessaires pour mettre en œuvre l’intégration scolaire avec succès. Enfin, des attitudes plutôt neutres vis-à-vis de l’intégration scolaire peuvent être associées au fait d’exprimer des attitudes mitigées envers les personnes en situation de handicap de manière générale (Khochen & Radford, 2012).

Ces premiers résultats indiquent que les attitudes des enseignants vis-à-vis de l’intégration scolaire sont nuancées et que l’absence d’un consensus entre les professionnels de l’éducation peut rendre difficile le développement d’un système éducatif qui accueille et soutient la diversité (Hwang & Evans, 2011). En effet, le principe d’intégration scolaire nécessite non seulement un changement dans

la philosophie de l’éducation, mais également dans la construction d’un consensus pour la mettre en œuvre (Hwang & Evans, 2011). En outre, différents facteurs explicatifs sont identifiés par les auteurs afin de donner du sens à la variabilité des attitudes à l’égard de l’intégration scolaire. Pour cette raison, cet état de la recherche se poursuit en examinant chacun de ces facteurs regroupés selon qu’ils sont associés à l’élève, à l’enseignant ou encore à l’environnement scolaire.