cida à faire visiter son œil. Les médecins qu'il vit d'abord, qui
n'étaient pasoculistes, lui conseillèrent de ne
rien
faire. Ce fut un professeursuisse, arrivédans le
pays oùle malade travaillait, qui
lui proposa l'opération, mais le conseil nefut pas
suivi.
Six ans s'écoulèrentainsi. Enfin les conditions empirèrent de telle sorte, quele malade ne pouvait plus aisément fermer son
œil,
etil
vintmeconsulter.
R. T... n'ajamais été malade. Son père et sa mère sont morts de
lapellagre, à laquelle il a pu échapper à cause de ses conditions
financièresmeilleures. Ses frères sonten bonne santé. Ilne se plain
d'aucun trouble, sice n'est de celui de larégion del'œilgauche.
Le globe oculaire est poussé considérablement en avant et en dehors, à un tel degré, quela partie externe du pôle postérieur du globeesten rapport avecle bord orbitaire externe. La fente
palpé-brale estaussi fortement déplacée en dehors, et plus grande et plus
ouverte que celle du côté droit :les paupières,parla notable
protru-sion de l'œil, ne recouvrent que difficilement le bulbe dans leur
contraction.
Lespointslacrymaux conservent avecle globe leursrapports nor¬
maux, mais le lacdes larmes est agrandi, ce qui éloigne beaucoup
l'œil de l'angle palpébral interne. Les deux paupières au-devant de
l'œils'accommodent aisément àsa convexité, mais àl'intérieur, no¬
tammenten bas, elles sont fortement distendues par un corps qui
semble occuper toute la cavité orbitaire. La conjonctive palpébrale
etbulbaire estpâle et unie, la caroncule lacrymale tout àfait nor¬
male eten contact avec le bulbe, tandis que le restede la surface
du sac lacrymal est constitué par la conjonctive distendueet con¬
vexe. Pas de larmoiement.
Depuis l'angle palpébral interne jusqu'au sillon orbito-nasal, il
existe une surface cutanée triangulaire assez grande, étendue et
unie. Au toucher, pas de douleur, température normale et égale à
celle de l'autre côté, la peau est libre et normale, l'orbiculaire se
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contracte librement. Le bord orbitaire est entièrement explorable,
même à la région dusac lacrymal. Ce bord est normal, à l'exception
de la partie supéro-interne, qui est transformée en une écaille
osseuse, élastique, à bord tranchant. On peut toucherle pôle posté¬
rieur de l'œilsur le bord externe, mais dans les autres parties011 ne
peutenfoncer le doigt explorateur, cariamasseorbitaire s'yoppose.
Il y a une fluctuation très évidente dans toute la région occupée par la tuméfaction. Le globe oculaire est tout à fait normalcommeforme
et comme fonction. V = 1 ; réfraction, accommodation normales et
égales à celles de l'autre œil, pupille régulière avec réflexes régu¬
liers, vision binoculaire parfaite, extension des muscles normale, jamais de diplopie.
A l'ophtalmoscope, pasde différence entre les deux veux.
Je fis examiner les cavités nasales qui se trouvèrentlibres, cepen¬
dant la muqueuse de la cavité gauche était quelque peu épaissie en haut et en dehors. Je fis alorsune ponction exploratrice dansla
tuméfaction orbitaire, avec une seringue de Pravaz gros modèle;
aussitôt quej'eus transpercé les tissus tégumentaires,je ne rencon¬
trai aucune résistance dans la masse et il sortit une substance
liquide, épaisse, glutineuse, filante, un peu opaque, brun rougeâtre qui, au microscope, parut constituée de nombreux globules rouges désorganisés, car ils étaient sans pigment et la plupartratatinés.
Les globules blancs étaient aussi très nombreux et contenaient en
grand nombre des corpuscules noirâtres, amorphes.Des corpuscules analogues étaientlibres.
Le résultat microscopique plaidait donc en faveur d'un abcès chronique ;je me confirmai dans cette idée, qui me semblait laplus probable, avant la ponction et je posai .le diagnostic d'abcès chro¬
nique de l'orbite.
Cependant, je ne me cachais pas les différentes hypothèses
qui
pourraient faire douter de mon diagnostic, d'autant plus que pres¬
que tous mes confrèresne furentpas de mon avis.
Lafaçon dont s'était opéré le déplacement du globe oculairefai¬
sait admettre que la lésion avaiteu son début dans la paroi interne
de l'orbite ; unelésion des parois supérieure et inférieure ne pou¬
vant être que secondaire.
On pouvait admettre un hématome enkysté d'abord et suppuré
ensuite etle nombre des globulesrouges plaidait en faveur de cette idée; mais ilest assuré qu'après le traumatisme lemaladen'éprouva
aucune gêne à la région oculaire gauche.
On pouvait songer à un kyste à entozoaires; mais le kyste du cysticercuscellulosse n'acquiert pas un grand volume, et le kyste liydatique n'estpresquejamais unique et renferme un liquide clair
comme de l'eau de roche, riche en chlorure de sodium.
D'ailleurs, tousles kystes de l'orbite sont contenus dans le tissu cellulo-adipeux rétrobulbaire. Ils donnent, tôtou tard, des douleurs
etgênent l'œil dansses fonctions.
Au contraire, en envisageant notre cas, nous comprenons aisé¬
mentque tout le liquide était au dehors du contenu orbitaire qui, malgré le déplacement considérable, jouissait encore de fonctions
normales.
On pouvait aussi songer à un ostéome suppuré; mais un ostéome
de celte région qui, après huitans, n'avait pas encore envahi la
cavité nasale, était très douteux. Était-cela diffusion à l'orbite d'un
processus pathologique du sac lacrymal ? Pas davantage. Le sac
lacrymalétait normal.
J'étais donc convaincu que l'abcès avait dù avoir une origine
osseuse oupérioslique de la paroi interne de l'orbite etj'en propo¬
sai l'ouverture.
L'opération se fit le 15 janvier. Le malade fut chloroformisé etje
fisune incision de 2 centimètres de long sur la partie la plus proé-minante de la paupière inférieure, en commençant immédiatement
au-dessous de l'angle palpébral interne. Il en sortit une quantité
énorme deliquide (un verre) avec tous les caractères sus-indiqués
et qui, au microscope, donna les mêmes indications.
La cavité vidée et nettoyée,j'y introduisis le doigt, qui arriva jus¬
qu'ausommet de l'orbite. Au traversd'une membrane unie, épaisse
etassez mobile, on sentait le globe oculaire qui était resté en sa cavité; a la région interne, en haut et en bas, du côté des os, on rencontrait une surface unie etrégulière, continuation de celle de la paroi externe et qui donnait lasensation d'une cavité kystique. La surface de cette cavité, éclairéeà l'ophtalmoscope, se montrait
blan-che, nacrée, luisante,aspect, dû à lamembrane
qui la revêtait entiè¬
rement.
J'essayai avec une cuiller de Volkmann de
racler les parois, mais
l'instrument glissait surlamembrane sans l'entamer.
En attendant,
je tamponnaila cavité avecde la gaze et iodoforme;
plus tard, je
neréussis pasmieuxet,convaincuquejamaiscette
surface unie n'aurait
donnéde bonnesgranulations, je la cautérisai avec une
solution fai¬
ble de chlorure d'antimoine.
La réaction consécutive à la cautérisation fut assez vive; l'œil, à
cause du gonflement des tissus rétrobulbaires, fut poussé
fortement
en avantet, deuxjours après, l'épithélium cornéen se gonfla etse troubla.
Heureusement, la réaction ne dura que très peu, ce qui permit
la
régénération presque complète del'épithélium cornéen. Cinq jours
après la cautérisation, commença
l'élimination
en morceauxde la
membrane nécrosée et celle-ci continua jusqu'à complète libération
de la cavité. Alors seulement, je rencontrai, surla paroi interne de
l'orbite, une surface rugueuse et mobile et avecune pince,
j'en
pusextraire une lame osseuse, nécrosée, de laforme et de la grandeur
de l'os planum de l'etbmoïde.
Successivement, j'enlevai
encoredeux petites et minces écailles osseuses, après
quoi, la réparation
se fit régulièrement. Il y eut aussi une
communication transitoire
avec la cavité nasale, communication qui n'avaitpas existé
jusqu'a¬
lors.
Quarantejours après, l'œil était rentré à sa place
normale
etl'ori¬
fice fistuleux était fermé. 11 persistaune tache du segment
inférieur
de la cornéequi envahissaitle champ pupillaire, une
rigidité consi¬
dérable des muscles moteurs du globe et un surplus de tissu
tégu-mentaire des paupières, qui empêchait l'ouverture
complète de cet
œil.Ayant jugéinutileuneautre
intervention,
jecongédiai le malade,
en lui ordonnant de l'iodure de potassium àpetitesdoses, etl'enga¬
geant à se faire voir tous les mois aumoins.
Lentement la peau des paupières revintà ses conditions
normales
et le globe oculaire reprit tous ses mouvements; la tache
cornéenne
seulement, ne s'effaça pas entièrement et le pouvoir
visuel resta
affaibli.
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