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Introduction du Chapitre 4

Enjeu 2 Articuler les dimensions économique et sociale du projet

- Version GRÉUS : « Bien que le projet social ait toujours été au cœur de sa stratégie, la direction de l’UCPA avait le sentiment que l’organisation véhiculait une image essentiellement commerciale. Afin de se réapproprier son identité associative et son projet social, l’UCPA souhaitait affirmer son ancrage dans l’économie sociale et solidaire, valoriser ses pratiques singulières et envisageait de faire de cet ancrage un positionnement différenciant par rapport aux entreprises commerciales avec lesquelles elle était en concurrence. En interne aussi, si l’on était certain que l’UCPA faisait vivre à ses salariés et ses clients une expérience spécifique liée à “l’esprit UCPA”, c’est-à-dire liée à son projet social et à la “manière d’être” de l’organisation, la formulation de cette plus-value sociale ne semblait pas suffisamment aboutie et unifiée. La réappropriation de cette identité spécifique devait passer nécessairement par un travail d’explicitation de son utilité sociale » (Lasida, Machado Pinheiro et Gille 2015).

- Traduction interne UCPA : « Favoriser le rayonnement de l’UCPA et piloter son développement en tant qu’entreprise de l’ESS en faisant la preuve et en sachant mettre en valeur son utilité sociale » (UCPA 2015d).

Enjeu 2 : Articuler les dimensions économique et sociale du projet

- Version GRÉUS : « Pour l’UCPA, l’enjeu de cette démarche d’identification et de mise en valeur de son utilité sociale résidait aussi dans la maîtrise de l’activité économique et sociale qu’elle génère. Il s’agissait de ne pas perdre de vue le projet associatif, derrière les contraintes économiques, et au contraire de montrer que les aspects sociaux du projet associatif étaient intrinsèquement liés au modèle économique. Pour l’UCPA, il s’agissait de comprendre la pertinence économique de la plus-value sociale, étant entendu que si l’association arrivait à mieux maîtriser ce modèle vertueux, cela lui permettrait de fédérer ses partenaires principaux autour du projet associatif et de

137 Le processus d’élaboration du projet de recherche-action a eu comme résultat la rédaction d’un document écrit par les membres du GRÉUS intitulé « Projet de recherche-action : Mise en valeur de l’utilité sociale de l’UCPA » dont la dernière version date de février 2015 (Lasida, Machado Pinheiro et Gille 2015). À partir de ce document, l’UCPA a rédigé un document intitulé « Projet de recherche-action : Définition et valorisation des organismes de l’ESS » qu’elle a présenté aux partenaires ayant financé le projet de recherche à l’occasion d’une réunion ayant eu lieu le 16 mars 2015 (UCPA 2015d).

se tourner vers la finance solidaire pour se financer. Il s’agissait aussi, en s’acheminant vers une politique de groupe qui maîtrise cette articulation, de libérer le management intermédiaire de la complexité de devoir concilier, au quotidien, création de valeur économique et création de valeur sociale » (Lasida, Machado Pinheiro et Gille 2015).

- Traduction interne UCPA : « Maîtriser et développer l’innovation et la création de valeur sociale en cohérence avec les enjeux de création de valeur économique » (UCPA 2015d).

Source : élaboration propre.

1.1.2. Enjeux pour le GRÉUS

Le GRÉUS adhère à la conception proposée par J. Gadrey (2004a) selon laquelle l’utilité sociale constitue une convention socio-politique, et partage son diagnostic sur l'apparition et la consolidation de la thématique de l’utilité sociale en France. En ce sens, le GRÉUS s‘est intéressé à cette convention socio-politique avec trois objectifs : 1) participer aux débats sur l’évaluation de l’utilité sociale en créant des ponts entre praticiens et chercheurs ; 2) contribuer à la réflexion théorique et méthodologique et à la création de conventions scientifiques sur la pratique de l’évaluation de l’utilité sociale au sein des organisations de l’ESS ; 3) accompagner les organisations de l’ESS dans la construction des conventions sur leur utilité sociale.

Les membres du GRÉUS partagent une approche pragmatique de la recherche et, suite à une première phase de travail faite de lectures et de la mise en commun d’expériences individuelles, cherchaient un terrain commun d’expérimentation afin de pouvoir poursuivre leurs réflexions autour d’un cas concret et d’une expérience commune d’évaluation. Comme nous avons vu dans l’Introduction générale, E. Lasida avait auparavant conduit une expérimentation à L’Arche de France avec une approche méthodologique que les membres du groupe jugeaient novatrice. Le GRÉUS cherchait alors un terrain d’expérimentation commun pour pouvoir systématiser la démarche et en faire une analyse de « second ordre » dans le cadre des travaux de thèse (Luhmann 2011 [1991]). La rencontre entre les membres du GRÉUS et la direction de l’UCPA s’est, en ce sens, présentée comme une opportunité pour consolider le développement du groupe de recherche autour d’une évaluation de l’utilité sociale commune et de deux travaux doctoraux, dont la présente thèse. Le prochain point, consacré à l’approche épistémologique et méthodologique de la recherche, sera l’occasion d’expliciter en quoi consiste l’approche pragmatique de la recherche au sein du GRÉUS.

1.2. Approche épistémologique et méthodologique : convention et recherche-action

Comme expliqué dans l’Introduction générale, l’approche épistémologique et méthodologique de la recherche au sein du GRÉUS a été influencée notamment par deux courants de pensée : l’économie institutionnaliste et la philosophie pragmatiste. Voyons plus en détail comment ces deux influences ont permis d’aborder la situation problématique que nous venons d’exposer.

1.2.1. L’influence conventionnaliste : l’utilité sociale pour le GRÉUS

Comme nous avons analysé dans la Section 2 du chapitre précèdent, le deuxième parti-pris du GRÉUS est l’appréhension de la notion d’utilité sociale comme une convention socio-politique. L’équipe du GRÉUS décida d’aborder la question de la valeur sociale à travers la notion d’utilité sociale pour de raisons similaires à celles avancées par J. Gadrey (2004a) : la notion d’utilité sociale semblait, au moment de la conception du projet de recherche-action entre 2014 et 2015, le terme le plus courant en France pour se désigner les notions de « valeur sociale », de « valeur ajoutée sociale » ou de « plus-value sociale » dans les débats scientifiques et politiques relatifs aux organisations de l’ESS, comme en témoignent les débats autour de la Loi ESS du 31 juillet 2014 (Ayrault, Moscovici et Hamon 2013 ; Frémeaux 2013 ; Hamon et Moscovici 2013)138.

Dans un tel contexte, le projet de recherche-action s’est donc articulé autour de la notion d’utilité sociale comprise comme une convention socio-politique (Gadrey 2004a, p. 27). Il s’agissait d’accompagner l’UCPA dans le processus de réflexion sur son apport au bien commun et dont, pour ce faire, d’enquêter sur un phénomène qui, à l’instar de l’intérêt général, n’a pas de définition et de contenu préétabli et demande d’être précisé et validé par des « procédures démocratiques » (Ibid., p. 29, 48). Face à cette situation indéterminée et aux questions relatives à la valeur sociale de l’UCPA, l’hypothèse était qu’un processus d’auto-évaluation accompagné par l’équipe du GRÉUS pouvait participer à la réactivation de la convention d’utilité sociale, dont la force tend à s’étioler si elle reste trop longtemps implicite ou impensée (Gadrey 2005, p. 48).

138La principale différence entre le contexte de 2004, date à laquelle J. Gadrey mena ses travaux sur l’utilité sociale, et celui de 2014, lorsque le projet de recherche a été élaboré, réside, comme nous avons pu le voir dans l’Introduction générale de la thèse, dans le fait que la notion d’utilité sociale se voit dès les années 2010, fortement concurrencée par celle d’origine anglo-saxonne d’« impact social » (cf. Introduction générale).

L’évaluation a donc été conçue comme un processus pendant lequel l’organisation et ses parties prenantes allaient entamer une réflexion sur l’identité de celle-ci et la conformité de leurs valeurs et de leurs actions avec des objectifs de bien commun (Gadrey 2004a, p. 49). Il s’agissait alors de parvenir à un « accord en justice », au sens de L. Boltanski et L. Thévenot (2011 [1991]) entre les parties prenantes de l’UCPA et de créer, à travers le rapport réflexif entre les individus et les institutions, des formes plus intenses et plus conscientes d’adhésion à l’UCPA (Perret 2003) (cf. Section 2 du Chapitre 3).

1.2.2. L’influence pragmatiste : la recherche-action pour le GRÉUS

La Section 1 du Chapitre 3 a été l’occasion d’expliquer l’adhésion des membres du GRÉUS à une approche pragmatiste de l’évaluation en tant que processus mis en œuvre dans le cadre d’une enquête et par lequel une personne ou un groupe définissent, délibèrent et manifestent « ce à quoi ils tiennent » (Dewey 1993 [1938] ; Dewey 2011a [1939]). L’évaluation renvoie dès lors à l’activité au cours de laquelle un ou plusieurs individus attribuent des qualités (comme bien ou mauvais, utile ou inutile) et donnent une certaine importance aux activités et aux conséquences des activités d’une organisation. En ce qui concerne l’activité de recherche, l’orientation pragmatiste du GRÉUS et le cadre de la convention CIFRE entre les laboratoires de recherche et l’UCPA nous ont conduit jusqu’à l’approche dite de la « recherche-action » censée de mieux permettre de cerner le type de connaissance et de production de savoir qui allait avoir lieu dans la relation entre les chercheurs et les acteurs du terrain de l’UCPA139. La recherche-action n’est, en effet, ni une méthodologie, ni une méthode ni une technique de plus de la recherche fondamentale positiviste, mais plutôt une nouvelle approche de la recherche dotée d’objectifs différents et reposant sur d’autres formes de rapports entre chercheurs et acteurs concernés. Elle propose ainsi une façon différente de concevoir

139 Le premier chercheur à utiliser la notion de « recherche-action » a été le psychologue américain Kurt Lewin en 1946 avec l’idée que c’est par l’action sur le système que le chercheur finit par connaître (Adelman 1993 ; Greenwood 2007 ; Greenwood et Levin 2007 ; Lewin 1946 ; Morrissette 2013 ; Reason et Bradbury 2008 ; Tremblay 2014 ; Vinatier et Morrissette 2015). Néanmoins, il existe un consensus dans la littérature française et anglo-saxonne sur le fait que la « recherche-action » trouve ses origines et ses fondements épistémologiques chez les philosophes pragmatistes Charles Sanders Peirce, William James, George Herbert Mead, Richard Rorty et, notamment, John Dewey (Adelman 1993 ; Anadón et Savoie-Zajc 2007 ; Bussières et Fontan 2011 ; Greenwood 2007 ; Greenwood et Levin 2007 ; Lenoir 2012 ; Reason et Bradbury 2008 ; Vinatier et Morrissette 2015). En ce sens, les deux Handbooks sur recherche-action qui ont été le plus cités dans la littérature que nous avons révisée font une référence explicite aux travaux de J. Dewey et R. Rorty pour fonder leur épistémologie (Greenwood et Levin 2007 ; Reason et Bradbury 2008). Par exemple, D. Greenwood et M. Levin affirment : « John Dewey is particularly important for our exposition because his pragmatic philosophy laid out an action approach to science as a form of human inquiry » (2007, p. 59).

la connaissance et sa relation avec la pratique (Ballon 2016 ; Greenwood 2007 ; Reason 2003)140. L’approche dite de recherche-action menée au sein de l’UCPA présente, à ce titre, certaines spécificités qu’il convient à ce stade de présenter plus en détail.

Nous avons, en effet, rappelé que l’ambition de J. Dewey (2003a [1919]) était de « reconstruire la philosophie » en tirant les conséquences philosophiques du darwinisme pour s’opposer aux philosophies mécanistes et dualistes (Hildebrand 2008 ; Renault 2016 ; Zask 2015). Or, le paradigme scientifique moderne est l’héritier des philosophies critiquées par J. Dewey et, par conséquent, de leur conception spectatrice de la connaissance et d’une approche de la vérité en tant que correspondance entre idée et monde (Ibid.). En ce sens, et comme a pu le souligner G. Bourgeault (1999, p. 103), la recherche fondamentale positiviste adopte une « (…) vision descendante, selon laquelle un ordre du monde préétabli et déterminé d’en haut, immuable, impose à la conscience comme aux conduites humaines la rigueur de sa loi ». En conséquence, cela « (…) conduit à inféoder la pratique à la théorie, celle-ci dictant à celle-là ce qu’il convient de faire, les milieux de pratique étant réduits à des lieux d’application des théories, les acteurs de terrain étant conçus comme de simples exécutants » (Morrissette 2013, p. 46).

Or, les pragmatistes rejettent toute approche opposant « connaissance et action » ou « théorie et pratique » et subordonnant la pratique ou l’action à la théorie ou à la connaissance (Dewey 2003a [1919] ; Frega 2006 ; James 2003 [1907] ; Rorty 2017 [1979]). Selon ce courant de pensée, les dualismes « réalité/apparence », « matière/esprit », « sujet/objet », « chercheur/objet d’étude » conduisent à une conception métaphysique appréhendant la réalité comme quelque chose d’extérieur et d’indépendant de la personne qui connaît. Cette vision de la réalité va à l’encontre de l’expérimentalisme et de la conviction selon laquelle une proposition est « vraie » dans la mesure où elle correspond à l’expérience actuelle qu’on a du monde (Dewey 1993 [1938] ; J. L. Stark 2014 ; Zask 2015). Les pragmatistes ne cherchent pas « la » vérité, mais plutôt « une croyance » adaptée à la « situation » (Hildebrand 2008 ; Zask 2015). La « croyance » qui se construit alors à partir de l’interaction avec l’environnement apparait justifiable si elle offre des repères fiables pour agir et parvenir à des objectifs et si elle passe le test de l’observation des conséquences de l’action (Rorty 1999). La

140 P. Reason (2003) fait, en ce sens, une analogie intéressante : de même que les pragmatistes essaient de « re-construire » la philosophie, les chercheurs partisans de l’approche de la recherche-action essaient de « re-construire » la recherche scientifique (Dewey 2003a [1919] ; Rorty 2017 [1979]).