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Partie I : Cartographier le débat parmi les féministes, les lesbiennes et les queers entourant

Chapitre 2 : Cartographie du débat parmi les féministes, les lesbiennes et les queers sur

2.5 Contestations féministes des structures et des privilèges hétérosexuels

2.5.2 Apports à la problématisation de l’hétérosexualité : privilèges, normes et structures

Cette phase contemporaine du débat contribue aux problématisations déjà existantes par l’intérêt porté aux pratiques microsociales invisibilisées et naturalisées qui assurent – au quotidien – la reconduction de l’institution hétérosexuelle. Quatre types de contribution peuvent être repérés : comprendre comment l’hétérosexualité permet des privilèges et des statuts normatifs ainsi que des divisions et des hiérarchies de genre; élaborer des définitions de l’hétérosexualité plus englobantes de ses différentes dimensions; documenter les différents « moments-clés » quotidiens de l’hétérosexualité et enfin, réfléchir au pouvoir de normalisation de l’hétérosexualité de toutes formes de déviance ou de marginalité.

Premièrement, les féministes tentent de théoriser l’hétérosexualité en prenant appui sur une diversité d’approches et de cadres théoriques. Cette volonté tient ses origines de l’appel à créer des ponts sur les plans politiques et théoriques entre les réflexions féministes radicales et queers sur la question de l’hétérosexualité (Richardson, 2000). Il devient nécessaire de comprendre comment l’hétérosexualité est à la fois un système de domination et d’exploitation intimement lié au patriarcat, ce que Stevi Jackson appelle « hetero-oppression » ou « hetero-patriarchy » (1999 : 163), et comment l’hétérosexualité constitue aussi un système qui privilégie et normalise sur les plans de la matrice (sexe-genre-désir) les personnes qui y correspondent, c’est-à-dire « the privilege of the right to visible invisibility », comme le note Chris Brickelle (2005 : 101). La réflexion sur les privilèges et les statuts hétéronormatifs occupera ainsi une place importante. Elles examinent les enjeux liés à leur situation, à savoir se retrouver à la fois dans la norme (être invisible) et dans des rapports sociaux inégaux socialement naturalisés (Brickelle, 2005 : 101). Enfin, ce travail critique implique de considérer l’interaction et le renforcement de l’hétérosexualité avec d’autres systèmes de domination comme le racisme – la blanchité – (Ingraham, 1999; Stoke, 2005) ou le capitalisme (Ingraham, 1994; Jònasdòttir, 2011; VanEvery, 1995), tout en repérant les implications matérielles quotidiennes de cette institution sociale.

Deuxièmement, le travail sur l’élaboration d’une définition la plus complexe possible de l’hétérosexualité est notamment l’œuvre de Stevi Jackson. L’hétérosexualité a finalement « très peu à voir avec le sexe », sa perpétuation est assurée par un ensemble de pratiques dans toutes les sphères de la vie (Jackson, 1999 : 26). La chercheuse définit les quatre dimensions suivantes pour

l’hétérosexualité : « structural » (la structure macrosociale institutionnalisée, dont les liens avec l’État et les lois), « meaning » (le sens – le langage, les discours, les normes, les symboles – associé au genre et à la sexualité qui ont cours dans les pratiques quotidiennes), « routine » (les pratiques quotidiennes qui sont faites et refaites qui sont contextuelles et relationnelles et qui constituent un procédé réitératif) et « subjectivity » (il s’agit d’expériences émotionnelles et de désirs qui ont du sens pour les individus les constituant comme sujets genrés et sexués) (Jackson, 1996c : 30-35; 1999 : 123-134; 2005 : 18-19; 2006 : 86-87; Jackson et Scott, 2010 : 86-87). Diane Richardson conçoit l’hétérosexualité selon des dimensions similaires (« particular form of practice and relationship, of family structure, and identity » [1996 : 2]), mais rappelle que sa stabilité et son hégémonie reposent sur sa cohérence interne naturalisée. Ainsi, la façon de définir l’hétérosexualité gagne en profondeur et en complexité.

Heterosexuality is not a monolithic entity, but a complex of institution, ideology, practice, and experience, all which interest with gender. Moreover, heterosexuality is not only a means of ordering our sexual lives but also of structuring domestic and extradomestic divisions of labor and resources. Hence, the intersections between gender and heterosexuality are exceedingly complex (Jackson, 2005 : 26).

Ces différentes dimensions permettent de figurer les manières par lesquelles se renforce, se reconduit et se perpétue l’hétérosexualité. Sur les plans conceptuels, politiques et théoriques, il est utile de pouvoir percevoir ces différentes dimensions de l’hétérosexualité, mais il reste difficile de les penser distinctement. Selon Jenny Hockey, Angela Meah et Victoria Robinson, il importe de considérer l’interrelation entre ces aspects, pour bien comprendre « […] the way practice and experience themselves produce an institution and an identity we recognize as “heterosexual” » (Hockey, Meah et Robinson, 2007 : 62). Se reconnaître comme « hétérosexuel.les » exige une sorte de sentiment d’appartenance ou une identification subjective par rapport à cette institution sociale hégémonique. Le fait d’être hétérosexuelles ou de s’identifier à l’hétérosexualité peut être déterminant pour certaines femmes. Mais, comme le note Stevi Jackson, politiser cette identité hégémonique soulève certains enjeux : « Heterosexuality cannot form the basis of feminist political identity precisely because it is the institutionalized patriarchal norm. » (1996 : 175.) Enfin, ces théoriennes accordent une importance aux enjeux de structures, de normes et de privilèges pour penser l’hétérosexualité dans ses dimensions sexuelles et non sexuelles.

Troisièmement, les féministes s’emploient à documenter les différents « moments-clés » de l’hétérosexualité, ce que Jenny Hockey, Angela Meah et Victoria Robinson ont appelé « mundane heterosexualities » (2007). Ce travail s’intéresse à ce qui se passe dans la quotidienneté

hétérosexuelle. Il s’agit d’analyser les pratiques invisibles qui assurent la reconduction de l’institution hétérosexuelle. Cela s’incarne, par exemple, dans la prise de parole quotidienne, c’est-à-dire cette manière de s’énoncer implicitement comme hétérosexuel.les ou en couple hétérosexuel (Coates, 2013). La documentation des pratiques s’intéresse principalement aux dynamiques microsociales et montre comment se reconfigurent – banalement – les hiérarchies, les divisions, les rôles, les places et l’hégémonie dans l’hétérosexualité. « In the materiality grounded recollections of bodies, food, clothing and guttering, we find exemplified a diversity of mundane experiences of being heterosexual », affirment Jenny Hockey, Angela Meah et Victoria Robinson (2007 : 142). Cette démarche reste intimement liée aux efforts définitionnels de l’hétérosexualité qui tentent d’élargir la façon de concevoir l’hétérosexualité. L’intérêt est largement orienté vers les dimensions microsociales au sein de l’hétérosexualité. Trois angles d’analyse prédominent : les questions de sexualité; l’amour; le travail domestique.

Les pratiques sexuelles hétérosexuelles restent largement étudiées et l’objectif est de fournir une conception plus positive et moins ennuyeuse de la sexualité partagée entre femmes et hommes (Beasley, Heather et Holmes, 2012). Ces démarches essaient de faire valoir que les schémas sexuels bougent doucement et surtout, que les femmes sont, de plus en plus, à même d’être des actrices sexuelles, que la sexualité hétérosexuelle peut être agréable, excitante et diversifiée, malgré les préjugés qui perdurent. La force de la contrainte à l’hétérosexualité fait l’objet de nombreuses études afin d’observer la négociation que les femmes (ou les filles) entretiennent avec l’obligation hétérosexuelle (Miriam, 2007) ou d’analyser comment elles interrogent davantage maintenant leur orientation sexuelle (Morgan et Thompson, 2011). Ces recherches s’investissent à définir les différentes formes de résistance des femmes hétérosexuelles afin d’entrevoir leur agentivité dans le cadre de ces rapports (Hockey, Angela et Robinson, 2007; Jackson, 1996a; Morgan et Thompson, 2011; Myriam, 2007; Renold et Ringrose, 2008). Pointer les formes de résistance des femmes hétéros révèle qu’elles ne sont pas toujours passives et victimes dans les rapports avec les hommes, même si ces derniers impliquent de la hiérarchie : « […] to deny heterosexual women any agency, to see us as doomed to submit to men’s desires whether as unwilling victims or misguided dupes. » (Jackson, 1999 : 177.) Cette démarche est importante, car elle vise à ce que l’agentivité sexuelle et le plaisir ne se passent pas simplement du côté des sexualités non-hétérosexuelles : « […] heterosexuality continues to be assessed as unpleasant and inquitable, as the realm of male victimisers and feminine victims. » (Beasley, Heather et Holmes, 2012 : 85.) Bien que les contraintes se desserrent, le genre opère toujours hiérarchiquement dans la configuration des rapports hétérosexuels. Notamment,

plusieurs années après la dénonciation du mythe de l’orgasme vaginal par Anne Koedt, les femmes s’affirment plus en matière de sexualité. Toutefois, le sentiment d’amour entre les partenaires continue d’être un enjeu de pouvoir important : « The embarrassment of negotiating condom use with the one you love indicates the current contradictions of female subordination in the close encounters of heterosexual sex. » (Holland, Ramazanoglu, Scott, Sharpe et Thompson, 1996 : 129.) Notamment toute la charge mentale reliée au travail de soutien et d’entretien émotif qu’assument principalement les femmes (Gunnarson, 2014; Jònasdòttir, 2011).

D’ailleurs, des travaux sont menés pour comprendre « l’amour » (et son rôle) dans les rapports hétérosexuels (Jackson, 1999; Jònasdòttir, 2011; Jònasdòttir et Ferguson, 2014; Johnson, 2005). L’amour a été critiqué par les féministes comme une source d’aliénation, de vulnérabilité, d’exploitation ou de dépendance des femmes face aux hommes : elles seraient des esclaves de l’amour dans le patriarcat. Il importe de penser l’amour, selon Stevi Jackson, comme un site de complicité avec les relations patriarcales et aussi potentiellement, un site de résistance (1999 : 114) pour transformer les rapports sociaux. Les liens d’amour (de sollicitude, d’affection) sont centraux dans les configurations actuelles de l’hétérosexualité ainsi que pour l’ensemble des relations associées : la famille et le couple. En fait, l’amour intimement partagé est l’une des manières de « faire l’hétérosexualité », montre Paul Johnson (2005). « [L]oving is related to practices of doing heterosexuality » (Johnson, 2005 : 1). L’expérimentation subjective de ce sentiment est prise pour naturelle, non problématisée et non politisée : « tomber en amour » reste en quelque sorte le but ultime « naturel » de l’hétérosexualité, qui, elle-même, trouve son aboutissement dans la reproduction humaine (Johnson, 2005 : 2). Ce type de travaux permet de montrer, comment le genre structure le rapport à l’amour, à la manière d’être amoureux ou d’être amoureuse dans l’hétérosexualité, comment ces manières « d’aimer » et d’entretenir ces liens d’amour reconduisent hiérarchiquement les rôles et les places des femmes et des hommes dans les relations entretenues (Gunnarson, 2014; Jònasdòttir, 2011; Johnson, 2005). Ces travaux obligent à interroger fondamentalement un ensemble de façons d’être, de faire et de pratiques naturalisées et invisibilisées qui assurent la reconduction de l’institution hétérosexuelle, ses hiérarchies intrinsèques ainsi que les rôles et les places qui en découlent. Dans une perspective similaire, Anna G. Jònasdòttir (2011) étudie les composantes de l’amour (« care » et « erotic ecstasy » [2011 : 55]) et illustre le niveau d’énergie – non équivalent – que les femmes et les hommes investissent dans ces relations, dans les sociétés capitalistes et patriarcales, ce qui donne lieu à des dynamiques d’exploitation, sans que cela ne soit nécessairement perçu négativement (ou alors difficilement) par les individus (Jònasdòttir, 2011 : 53). En fait, l’amour comme idéal vécu à travers

le couple monogame exclusif et la famille nucléaire constitue un liant de l’hétérosexualité souvent éludé dans la compréhension de l’institution sociale. Parce que naturalisé, le sentiment de « l’amour », Paul Johnson (2005), considère que les gestes de l’amour légitiment et normalisent des comportements campés dans les binarités féminins/masculins qui renforcent les hiérarchies sociales.

Au-delà du travail de l’amour et d’entretien des relations sociales, les féministes qui s’inscrivent dans une perspective radicale matérialiste montrent les résistances de l’institution hétérosexuelle et des hommes en particulier en faveur de l’égalité réelle. Jo VanEvey (1995) documente comment il est difficile d’entretenir malgré les bonnes volontés des relations de couples hétérosexuels égalitaires à long terme, lorsque l’on considère la division et les responsabilités du travail domestique, même lorsque les couples font l’effort d’établir des « anti-sexist living arrangements ». « Heterosexuality, in sense of an orientation, clearly implicates many woman in long-term domestic arrangements with men, in which women’s paid and unpaid labour is appropriated. » (VanEvey, 1996 : 49.) D’ailleurs, elle rappelle que l’analyse de la parentalité, de la famille, du travail salarié et gratuit doit être faite à partir de la lorgnette du couple hétérosexuel, comme nœud de reconduction des divisions inégalitaires des responsabilités (VanEvery, 1996 : 50). Pour Diane Richardson, le couple hétérosexuel est le « raw material » pour penser la société patriarcale (1996 : 11) et les configurations qu’il instaure entre le privé et le public, les responsabilités et les rôles sociaux genrés.

Quatrièmement, la force disciplinaire et de récupération de l’institution hétérosexuelle est analysée malgré l’insistance sur les formes potentielles de résistance des femmes dans l’hétérosexualité. Le pouvoir de l’hétérosexualité de récupérer toutes formes de déviance ou de marginalité est manifeste. Ces recherches interrogent autant la reconduction des effets hétéronormatifs que les modifications de la norme sociale hétérosexiste. En fait, l’une des forces de l’hétérosexualité est sans doute sa capacité à renormaliser la dissidence et les divers mouvements par rapport à elle : « [...] the boundaries of normative heterosexuality have shifted, along with the ways in which those boundaries are regulated, heterosexuality retains its hold as the “normal” and the “normative” form of human sexuality and it’s taken for granted as such in much of everyday life. » (Jackson et Scott, 2010 : 75.) Ainsi, l’étude porte sur les modifications et les reconfigurations de l’hétérosexualité à la suite des changements sociaux passés. L’intérêt porte entre autres sur la configuration des nouvelles formes de famille face au modèle normé et nucléaire hétéro (Silva et Smart, 1999); sur la normalisation (l’homonormativité [Duggan, 2004;Puar, 2007]) des groupes sexuels minorisés gais et lesbiens pour devenir « respectables »

(stables, deux, former des familles, se marier) (Seidman, 2005). L’institution hétérosexuelle avec ses hiérarchies internes et ses binarités exclusives reste et demeure, au plan normatif, la forme hégémonique (dont le privilège est invisibilisé) à partir de laquelle les sociétés se comprennent, s’interprètent et s’imaginent (Richardson, 1996 : 11).

2.5.3 Les formes de lutte préconisées : l’agentivité des femmes hétérosexuelles

La conception des luttes féministes qui prévaut dans cette phase s’inspire principalement des logiques de résistance et de subversion. La perspective d’une transformation radicale de la société, de l’abolition de l’institution hétérosexuelle ou d’un au-delà de l’hétérosexualité est moins importante, comparativement à la période allant des années 1960 aux années 1980. Cela se constate dans l’attitude des chercheuses face à l’hétérosexualité. Elles essaient d’abord de repérer les dynamiques internes de l’hétérosexualité, pour ensuite concevoir diverses manières de les déjouer. Néanmoins, il existe une part d’utopie dans la pensée des théoriciennes de cette période. Garder en tête une part de rêves fait dire à Stevi Jackson (1998 : 77) que les luttes féministes doivent servir à faire bouger les divisions, les hiérarchies, les normes et les privilèges tels qu’ils existent actuellement. Cela permet d’entrevoir que l’hétérosexualité ne représentera peut-être pas toujours les pratiques sexuelles majoritaires, ce qui implique d’abandonner l’idée que les LGBTQ formeront éternellement des minorités. Cela repose sur l’idée selon laquelle il n’y aura pas toujours une hiérarchie entre les femmes et les hommes ainsi qu’entre les formes de sexualités.

Pour actualiser ces aspirations, une part des théoriciennes insiste sur la possible « queerisation » de l’hétérosexualité afin de montrer comment les normes, les frontières et les configurations internes de cette institution sociale peuvent bouger. Cette idée de « queerisation » vise l’intégration de pratiques de genres et de sexualités qui déplacent les frontières binaires exclusives de l’hétérosexualité (Beasley, Heather et Holmes, 2012; Jeppesen, 2012). James Joseph Dean définit la « queerisation de l’hétérosexualité » par :

[…] identifications that contest uniform and essentialist understanding of heterosexuality and include some form of sexual fluidity in their self-experience, whether it is dreams, waking fantasies, kissing, or sexual intercourse with a person of the same sex. Queered heterosexualities shows that sexual categories do not predetermine or prescribe the sexual desires, behaviors, or identity practices that are assumed under the identity category of heterosexuality (Dean, 2014 : 182).

Il est possible d’avancer l’hypothèse qu’il se produit actuellement une sorte de « queerisation » de l’hétérosexualité, par le caractère non monolithique et parfois subversif de certaines pratiques sexuelles (par exemple, la non-monogamie consensuelle, le polyamour, la diversification des sexualités). L’agentivité ou le pouvoir d’agir des femmes s’inspire largement de la conception proposée par les poststructuralistes et les queers. La logique est celle de la résistance comme capacité de changement à petite échelle, plutôt qu’une forme révolutionnaire. Les différentes pistes explorées par les féministes concernent principalement les femmes dans leur individualité ainsi que dans les relations qu’elles entretiennent. Ces stratégies de luttes reposent sur leur volonté/capacité à se mettre en action individuellement. Les travaux de Jo VanEvery relatent les possibilités (et les limites) de la mise en place d’arrangements de vies intimes « non-sexistes », ce qu’elle reconnaît comme une des manières de résister : « […] the defining characteristic of anti-sexist living arrangements was the refusal to be a wife » (1995 : 120), mais ceux-ci ne sont possibles qu’en raison de la collaboration des hommes (1995 : 123). La recherche de l’agentivité des femmes hétérosexuelles se concentre sur la sexualité (Lang, 2013). Cette insistance sur l’agentivité vise à montrer comment les femmes peuvent mettre en place des stratégies de résistance par rapport aux places et aux rôles hiérarchiquement distribués. L’agentivité est pensée comme la volonté de ne pas correspondre ou agir en conformité avec les attentes hétérosexuelles (Beasley, Heather et Holmes, 2012; Holland, Ramazanoglu, Scott, Sharpe et Thomson, 1996, 1998). Cette posture du refus pour les femmes – certes individualisée – permet dans une certaine mesure de faire bouger les frontières de l’hétérosexualité. Par exemple, la question de la normalité de la monogamie – comme défiance au deux de l’hétérosexualité – est explorée (Jenkins, 2017; Robinson, 1997; Willey, 2015).

Enfin, l’agentivité est également comprise comme capacité d’affirmation des femmes dans les rapports hétérosexuels, notamment sur le plan sexuel. En fait, entrevoir l’agentivité est une manière de contester le positionnement prétendument passif ou contraint des femmes hétérosexuelles. L’insistance sur l’agentivité comme avenue de luttes vise l’élargissement des possibilités pour les femmes au sein des normes et des structures hétérosexuelles.

Pour conclure, la phase la plus contemporaine des débats féministes sur l’hétérosexualité impulsée par certaines féministes anglo-saxonnes tente de sortir les réflexions de l’impasse dans laquelle elles avaient été laissées au début des années 1990. Toutefois, cette phase du débat ne s’élabore pas en faisant fi des avancées et des acquis au plan théorique opérés lors des périodes de discussions

précédentes. Cette dernière phase relance les réflexions entourant l’hétérosexualité de manière à opérer aux plans politique et théorique une contestation des divisions, des normes et des privilèges découlant de cette institution hégémonique, sans condamner (du moins directement) les personnes qui se retrouvent dans ces rapports. La formulation de telles critiques qui combinent ces deux registres (les hiérarchies et les privilèges) est loin d’être facile, en ce qu’il demeure une forme de concurrence entre les perspectives plus radicales matérialistes, poststructuralistes et queers tout au long de la période. Essentiellement, il y a une reconnaissance commune de l’existence d’injustices, d’oppressions et de conditions d’exploitation dans les rapports qui ont cours au plan structurel dans l’hétérosexualité entre les femmes et les hommes dans l’intimité comme dans l’espace public. À partir de différentes perspectives théoriques, les féministes tentent de proposer une compréhension de l’hétérosexualité qui évoque son caractère pluriel (non-monolithique) en relevant ses dimensions subjectives, expérientielles, pratiques et institutionnelles. En fait, l’intérêt prédominant reste les « moments-clés » de la quotidienneté, par lesquels se reconduit cette hégémonie sociale. Enfin, cette dernière phase des débats montre que ces féministes pensent principalement à partir d’une posture d’hétérosexuelles féministes sans préconiser de voies de sortie à l’hétérosexualité tout en étant solidaires des lesbiennes (et de l’ensemble des LGBTQ) à l’encontre de l’hétéronormativité.