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Appartenir à une maison • La liberté sous contrainte

Conclusion de chapitre

Chapitre 2 : Les carrières

2.1. Entrer dans le métier

2.2.1. Appartenir à une maison • La liberté sous contrainte

Qu’il s’agisse d’une maison d’édition, d’un organe de presse adulte ou d’un illustré, la question de la « pratique ambulante472 » ou de l’appartenance à une maison est cruciale pour comprendre l’organisation des carrières. A priori, le stade de l’implantation dans une maison semble plutôt correspondre à un moment bien installé dans la carrière, où il est désormais possible de ne plus dépendre de lieux de publications différents. Parmi les anciennes générations, la Vieille Garde participe ainsi à nettement moins d’illustrés après-guerre que leurs successeurs alors que les « Classiques », qui commencent à travailler juste après-guerre, fréquentent presque le double d’illustrés [tableau 37].

Tableau 37. Moyenne du nombre d’illustrés et de types d’illustrés fréquentés et moyenne du nombre de fonctions exercées par les dessinateurs selon la génération

Vieille-Garde

Anciens Anciens classiques

ANCIENS CLASSIQUES Modernes Jeunes MOD/ JEUNES Illustrés 2,8 3,4 3,5 3,3 4,3 3 1,9 2,8 Type d’illustrés 1,6 1,9 2 1,9 2,3 1,9 1,5 1,8 Fonctions exercées 2,9 3,6 3,9 3,6 4,3 3,8 2,7 3,1

Après plusieurs années de tâtonnements, Siné est ainsi reconnu pour ses Portées de chats publiées chez Jean-Jacques Pauvert en 1958 et embauché la même année à l’Express. Le fait qu’il décide d’en démissionner en 1962, exaspéré tant par la censure de ses dessins que par le ton adopté par les rédacteurs de la revue pour traiter des débuts de la république algérienne, montre par la négative qu’il est vraiment un dessinateur attaché du journal, même s’il n’est pas pour autant salarié. Son dossier à la CCIJP nous apprend d’ailleurs qu’il bénéficie des primes et des augmentations annuelles dévolues à tous les collaborateurs de la revue473. De manière semblable, le couple Naret-Dauphin est intimement lié à L’Humanité, tandis que « Jacques Martin a dit que le journal Tintin devait être rebaptisé en journal des Funcken. Chaque fois qu’il fallait boucher les trous, qu’un dessinateur était malade…on [les] appelait474 ». En 1952, le conseil hebdomadaire de

472 J. Baudry, La bande dessinée entre dessin de presse et culture enfantine, op. cit., p. 30 et sq. 473 CCIJP, Paris, dossier Maurice Sinet (Siné).

Tintin note d’ailleurs en marge de leur discussion qu’il faut « demander des couvertures passe-partout à de Moor, Panis, Weinberg, Funcken475 » pour assurer le bon fonctionnement du journal quel que soit le sujet abordé. Cette relation d’exclusivité avec les éditions du Lombard ne satisfait d’ailleurs pas toujours le couple Funcken, puisqu’elle les met « chaque fois en retard sur [leurs] propres projets476 ». Dans ce cadre, leurs relations avec Casterman est questionnée pendant de longs échanges où ils doivent rappeler :

Nous avons un contrat d’exclusivité avec Les éditions du Lombard. Nous sommes toujours disposés à travailler pour vous mais, comme vous le savez, notre planning est fort chargé et il ne faut pas que nos travaux pour Les éditions du Lombard souffrent d’une surcharge, et d’autre part, il faut que vous-même ne souffriez pas de retards dans les livraisons. […] Nous préférerions que, étant donné notre contrat d’exclusivité, vous vous mettiez en rapport direct avec Monsieur Leblanc et que vous lui soumettiez la liste des différents ouvrages dont vous aimeriez nous confier l’illustration477.

Debraine contacte à la suite de cette lettre le Lombard, qui accepte cette collaboration ; en échange, Casterman augmente les tarifs du couple. De manière semblable, à plusieurs reprises dans leurs échanges avec Casterman, René Follet et Élisabeth Ivanovsky refusent ou repoussent des travaux pour en privilégier d’autres, sans chercher à se justifier plus avant.

À l’inverse, les maisons peuvent aussi chercher la collaboration exclusive de dessinateurs débutants prêts à accepter des projets tous très différents et à se plier au style de la maison qui les embauche. Les « Modernes » et surtout les « Jeunes » participent donc à nettement moins d’illustrés que leurs aînés [tableau 37]. Hachel délaisse ainsi quelque peu Tintin au profit d’un quotidien liégeois, La Wallonie, qu’il contacte après que le journal a publié en 1967 un article très flatteur, promettant que « son humour très spécial le hissera dans quelques années au pavois de la gloire478 » :

Tout est différent, avec mon premier journal quotidien liégeois, j’avais vraiment des rapports privilégiés, ils ne pensaient pas pouvoir s’offrir une collaboration

475 Comptes-rendus des conférences hebdomadaires de Tintin, 24/09/1952. 476 Hop no 80, juillet 1998, p. 9.

477 Archives Casterman, Tournai, dossier Fred et Liliane Funcken, Liliane et Fred Funcken à Jean Debraine, 23/01/1959.

478 J. Wathieu, « Retenez le nom de ce Liégeois, son humour très spécial le hissera dans quelques années au pavois de la gloire », La Wallonie, 16/02/1967.

extérieure comme ça, j’étais le seul dessinateur. […] Il leur fallait 40 illustrations pour un roman tous les samedis par exemple. […] On avait des relations très très bonnes parce que j’étais leur seul dessinateur. Régulièrement j’avais leur rédac-chef au bout du fil. Et on a fait des beaux projets ensemble479.

Julio Ribera décrit ces relations d’exclusivité avec optimisme, en particulier dans le cadre d’une rédaction, où le dessinateur peut se sentir en charge de la fabrication du journal :

À partir du moment où on a fait des choses qui marchent, dans l’esprit de la maison, tout changeait. Il n’y avait pas de moment où on disait « tu fais partie de la rédaction », mais on sentait que peu à peu ça venait, et vous aviez le droit de parler positivement ou négativement de tout ce que vous vouliez480.

Bien entendu, ces relations peuvent aisément se tendre et se rompre. C’est le cas par exemple de Maurice Parent, dont la déférence envers Louis-Robert Casterman est proportionnelle à son besoin d’une rémunération régulière. Il accepte tous les projets d’encyclopédie et d’illustrations qui lui sont faits de 1956 à 1960, mais, alors qu’il est appointé à l’Auto-Journal, il perd sa place privilégiée dans la maison d’édition parce que son style ne convient plus. Dès 1960, Leblanc fait preuve de réserve :

Je suis assez déçu de ces dessins. Les premiers qu’il nous avait montrés étaient exécutés à la gouache – ceux-ci sont faits à l’encre de chine, de couleur. C’est totalement différent. Autant (à mon avis) ils me paraissaient amusants et susceptibles de faire une bonne vente, autant ceux-ci me semblent ternes et lourds, – et certains même un peu prétentieux. […] Je suppose que Parent a voulu faire du moderne, ce qui n’est pas tout à fait son genre481.

N’est-ce pas le genre de Parent ou pas celui de la maison ? En 1964, Parent essaye de se rapprocher de nouveau de la maison d’édition en proposant un « tout autre style, de genre bien différent (je le pense moderne et très personnel) enfin sans aucun rapport avec les encyclopédies482 », dont Leblanc pense qu’il n’est toujours pas de nature à intéresser la maison. Et Casterman de conclure dans une lettre qui semble d’autant plus être de rupture qu’elle est la dernière du dossier :

479 Entretien avec Hachel, op. cit. 480 Entretien avec Julio Ribera, op. cit.

481 Archives Casterman, Tournai, dossier Maurice Parent, Raymond Leblanc à Louis-Robert Casterman à propos d’Oscar et Bigoudi, 01/07/1960.

À vous parler très franchement, j’ai été quelque peu désorienté en examinant votre nouvelle technique. Sans doute présente-t-elle beaucoup d’originalité mais le résultat final n’en est pas moins à mon humble avis un peu confus parfois, et moins en accord avec le goût des jeunes en général que vos productions antérieures de style traditionnel. […] Nous devons obligatoirement orienter nos productions dans le sens d’une variété la plus grande possible483.

Dans sa correspondance, Casterman se comporte comme un professionnel au sens où l’entend Andrew Abbott : il est capable de diagnostiquer un problème (ce qui ne fonctionne pas dans la nouvelle technique de Parent), d’évaluer les solutions possibles et de proposer un traitement du problème (se séparer du dessinateur s’il ne revient pas à son outil et sa technique traditionnels)484. Ce comportement est également attendu des dessinateurs professionnels.

Pour un dessinateur, ce type d’appartenance implique donc, outre une certaine polyvalence pour pouvoir accomplir tous les travaux qui lui sont alloués, qu’il se conforme à un style. En d’autres termes, la maîtrise du « style » devient une composante du « savoir professionnel » spécifique au métier, qui permet de définir les bornes de la profession et qui évolue avec le temps, le marché et les générations. Ce style peut être celui de la maison, à moins que les éditeurs n’aient repéré un style qu’ils pensent convenir au dessinateur. Au regard du peu de liberté créatrice que cela implique, il est plus facile de recruter des jeunes dessinateurs. Richard Medioni rappelle ainsi qu’à Vaillant, le dessinateur ne se présente pas « un beau jour au siège d’un journal et propose une série parfaitement au point que la rédaction publie telle quelle »; il se plie aux demandes de la rédaction qui :

définit sa ligne éditoriale, le public visé, les proportions entre les séries comiques, réalistes et le rédactionnel, les genres qu’elle souhaite publier. […] C’est en fonction de cette ligne éditoriale que la collaboration avec un scénariste ou un dessinateur peut commencer. Chez Vaillant, les scénaristes travaillant pour la plupart à la rédaction même, les histoires proposées correspondent très exactement à ce qui est souhaité […]. Pour un dessinateur réaliste qui se présente au journal ou que l’on contacte, cela se passe un peu différemment. D’abord, la rédaction choisit ou non de l’inclure dans l’équipe en fonction de ses goûts et des besoins. Un scénario est

483 Ibid, Maurice Parent à Louis-Robert Casterman, 12/11/1964. 484 A.D. Abbott, The system of professions, op. cit., p. 35 et sq.

proposé au dessinateur et des planches d’essai permettent aux auteurs et à la rédaction de se mettre d’accord. Pour un dessinateur comique, qui réalise lui-même ses scénarios, on peut soit accepter d’emblée ce qu’il nous propose, soit lui faire une demande compatible avec son style et son type d’humour485.

Dans la même veine, Hergé décide à propos de Tibet qu’il est meilleur dans le dessin humoristique que réaliste486. Là où les commentateurs sont tentés de voir l’expression de soi dans la construction personnelle d’une œuvre, la majorité des dessinateurs construisent donc leur carrière en fonction des commandes éditoriales, comme l’explique clairement Julio Ribera :

On m’a donné un truc à faire, et si ça convenait à la maison vous étiez admis sans qu’on vous le dise, et sinon, y avait rien à faire. C’est comme ça que je n’ai jamais travaillé pour les curés, parce que ce que je faisais ne plaisait pas aux curés. Pour

Bernadette, Lisette, ça marchait, mais je forçais un peu. […] Vaillant c’était un peu

différent, parce qu’ils avaient une doctrine. Si vous teniez dans cette doctrine vous aviez entière liberté, mais si vous vouliez traiter de problèmes religieux, ou de foi, ou de vieux, il fallait beaucoup réfléchir487.

L’exemple paradigmatique est peut-être Jijé, qui se plie aux demandes de Dupuis en prenant la relève de Rob-Vel au pied levé mais n’en forme pas moins, avec Franquin, Morris et Peyo, la génération de dessinateurs qui lui succèdent et qui font avec lui le succès du journal. Il trouve ainsi un juste milieu entre le « sens commercial certain » de Dupuis et une « liberté d’inspiration488 ». Parlant également de Spirou, Derib montre que ces conditions de travail sont toujours d’actualité à la fin des années 1960, quand « les gens ne supportaient pas qu’on vienne leur montrer un truc qui était déjà terminé, fait en dehors de l’avis du rédacteur-en-chef, en dehors de tout conseil pris à la rédaction489 ». Comme on peut le lire au ton quelque peu vindicatif de Derib, cette assignation à un style ou aux besoins du moment n’est pas toujours bien vécue. Mézières s’en plaint, pour qui la participation à Fripounet et Marisette ou Bayard a été source de stagnation parce qu’il devait se limiter à leur style « sans ambitions »: « On nous donnait

485 R. Medioni, « Mon camarade », « Vaillant », « Pif gadget »… l’histoire complète, op. cit., p. 250.

486 Ainsi, à propos de « Ricochet et le mauvais œil » d’André Duchâteau, le conseil de rédaction de Tintin note « L’intrigue en est bonne, mais elle manque totalement d’éléments humoristiques et, par conséquent, ne convient pas spécialement à Tibet », comptes-rendus des conférences hebdomadaires de Tintin, 01/03/1955.

487 Entretien avec Julio Ribera, op. cit.

488 Schtroumpf – les cahiers de la bande dessinée no 39, janvier 1979, p. 7. 489 Schtroumpf – les cahiers de la bande dessinée no 50, juin 1981, p. 8.

une feuille de papier mal tapée résumant le texte dans la page… et “tu me fais trois illustrations dessus”, avec un gentil petit garçon et une gentille petite fille490 ». Des journaux comme Pilote ou Hara-Kiri permettent toutefois de sortir de ce cadre extrêmement contraignant, en partie parce que les rédacteurs font montre d’une véritable exigence éditoriale et attendent des dessinateurs qu’ils s’impliquent vraiment dans la fabrication du journal. C’est ainsi que pour Ribera, avec Goscinny :

C’était beaucoup plus ouvert, mais au même moment y avait plus de responsabilité, parce que la moindre chose qui n’était pas correctement faite ne passerait pas chez Goscinny. Une fois qu’on a travaillé à plusieurs reprises dans une revue comme

Pilote, on sentait qu’on vous regardait autrement et on vous demandait si vous

pouviez passer à la réunion du lundi matin. Fallait se préparer, ça voulait dire qu’on allait vous donner autre chose491.

Pourtant, aussi moderne que puisse être le fonctionnement de Pilote, les dessinateurs doivent là aussi se plier aux exigences du journal et à sa ligne éditoriale, à l’instar de Mézières :

Quand je suis rentré Goscinny m’a sorti un scénario tout prêt de 30 pages… J’ai illustré Reiser…Reiser, dessiné par Mézières, c’est pas très concluant ! C’était pas bien du tout, tout ça c’était très frustrant, y avait du boulot pour des années mais… je me voyais devenir comme Chakir. Il a jamais envie de casser un peu le moule. Il faisait douze pages par numéro dans Pilote alors évidemment ça rapportait… Et moi ça me convenait pas. Moi je sentais que j’allais partir pour des choses qui me plaisaient pas492.

Dans l’entretien mené avec lui, Mézières a en effet cité quelques fois Chakir comme un contre-exemple parce qu’il obéissait aux directives, appréhendant son métier avant tout comme une source de rémunération plutôt que comme un lieu possible d’épanouissement créatif.

Développer sa propre série permet de faire face à ces contraintes, voire de se les approprier. C’est ce que font Mézières et Christin en créant Valérian et Laureline :

490 Entretien avec Jean-Claude Mézières, op. cit. 491 Entretien avec Julio Ribera, op. cit.

Le western on voulait pas parce qu’il y en avait partout… Les histoires de flics, militaires, non merci. On était passionnés de SF, personne n’en faisait, alors on voulait essayer. Et on a dessiné une nana ! […] J’ai fait des broutilles avec tout le monde, ça me plaisait pas, je voulais me lancer dans une longue histoire, bien que y avait pas d’albums à l’époque – et on s’est lancés dans notre première 30 pages493.

Le signe de réussite le plus évident à l’intérieur d’une maison est donc probablement celui-là : y développer sa propre série ou sa propre collection de livres qui s’adapte aux besoins d’une maison sans pour autant dénaturer sa liberté d’auteur. Il s’agit également d’un signe de confiance et d’installation dans le métier : William Vance dessine ainsi 66 histoires complètes et une quarantaine d’illustrations avant qu’on ne lui confie des séries494. La maîtrise du dessinateur professionnel, reconnue par l’éditeur, lui permet de définir les tâches qu’il accomplit. Même ainsi, les situations sont variées selon la réputation des dessinateurs et le degré de confiance qui leur est alloué.

Un dessinateur peut notamment reprendre une série sans en être le premier auteur ; sa collaboration est alors passagère. Pierre Le Goff, par exemple, commence à travailler pour les publications de Cino Del Duca, d’abord à Hurrah et à L’Intrépide, puis à Paris-Jour : il touche donc à plusieurs types de publications pour un même éditeur. Opera Mundi, la maison concurrente de Paul Winckler, le contacte alors pour lui proposer de collaborer à leurs publications et notamment au Parisien Libéré. C’est là qu’il reprend la série des « Professeurs Nimbus », un épisode de sa carrière qu’il juge suffisamment significatif du fonctionnement des publications de bandes dessinées de l’époque pour ouvrir une parenthèse dans son récit :

Si vous voulez, je vous fais une parenthèse sur Nimbus pour vous dire comment les choses se sont passées. Nimbus est un personnage qui ne m’appartient pas. Il appartient à André Delachanal [André Daix], qui avait créé ça en 1934 et qui a eu des ennuis à la Libération parce qu’il a travaillé… […] enfin, Daix avait travaillé directement pour un journal pro-allemand, à qui il avait vendu des Nimbus. Ensuite Winckler […] a récupéré le personnage et il l’a fait dessiner par plusieurs dessinateurs, dont celui qui avait créé Spirou, et il faisait signer la bande Darthel parce que paraît-il que Darthel avait été une de ses maîtresses. C’était Winckler qui signait les bandes… […] Donc le rédacteur d’AG Presse qui avait pris la suite d’Opera Mundi, me dit un jour : « M. Le Goff est-ce que vous voudriez faire des Nimbus ? » […]

493 Entretien avec Jean-Claude Mézières, op. cit.

Et quand AG Presse a disparu dans le brouillard, mon avocat de l’époque s’est débrouillé pour que le personnage, tout ce que j’avais fait moi, m’appartienne. Les Nimbus faits par les précédents dessinateurs, je peux pas y toucher. C’est comme ça que j’ai revendu ensuite un certain nombre de fois mes Nimbus. Après, je les ai signés moi-même495.

Dans les faits, une fois Daix enfui au Portugal puis en Amérique Latine, c’est d’abord Léon d’Enden (Léon Liov de son nom russe) qui reprend le personnage avant que Rob-Vel, Claude Seignolles, Lefort, Pierre Le Goff et Henri Dufranne ne signent chacun la bande sous le pseudonyme collectif de J. Darthel de la fin des années 1960 à 1991. Même si Le Goff a donc « sa » série, qu’il essaye de s’approprier au maximum, il ne la partage pas moins avec d’autres dessinateurs, et l’objectif reste la publication régulière d’une histoire plutôt que le style propre de chaque dessinateur.

À l’autre bout du spectre, Mézières, Arnal, Uderzo ou Peyo créent leurs propres séries et le faîte de la gloire semble atteint au moment où celles-ci deviennent l’emblème des illustrés où elles sont publiées : c’est désormais la maison qui s’adapte à leur style plutôt que l’inverse et ils sont assurés de pouvoir publier longtemps au même endroit. Pour quelqu’un comme Jean Tabary, cette spécialisation par la série vient avant le choix du mode d’expression :

Je n’aime pas tellement que l’on dise que je fais de la BD. C’est comme si on disait à un romancier : vous faites de la littérature. Je ne fais pas de la BD je fais Totoche,

Corinne et Jeannot, Valentin le vagabond et Iznogoud. Je ne suis pas un amateur de BD, et

ce n’est pas par passion pour ce moyen d’expression que je raconte des histoires de cette façon496.

La série et la maison qui la publie restent toutefois reine : Vaillant est le journal de Pif,