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Le sanctuaire d’Aphrodite Pandémos, au pied du bastion d’Athéna Nikè, date du IVe s. (350-310), mais le culte est considéré comme antérieur et on peut repérer des liens avec Thésée et l’agora archaïque353. Le contexte de cet établissement est assez particulier et une étude de ce lieu le situant dans l’ensemble des sites en l’honneur d’Aphrodite est présentée par Pirenne-Delforge354.

VE S T I G E S

La plus ancienne inscription mentionnant Aphrodite en ce lieu (même si l’épiclèse Pandémos ne s’y trouve pas) est datée des environs de 475355. Keramopoulos356 attribue à ce sanctuaire une série de trouvailles et considère que le sanctuaire occupait la section au-dessous et au sud de la porte Beulé, étendue vers l’est jusqu’à la petite section du mur archaïque, lequel aurait fait partie de l’Ennéapylon357. Mais Dontas358 propose comme emplacement du sanctuaire la terrasse directement au sud du bastion d’Athéna Nikè, où le rocher est taillé à plusieurs endroits pour les fondations et les niches à offrandes. Le matériel associé à Aphrodite a été trouvé un peu plus loin, au pied de la pente ouest359.

353 G. Dontas, Ergon, 1960, p. 10-13, fig. 10 ; ROBERTSON 2005, p. 68-76. 354 PIRENNE-DELFORGE 1988 et 1994, surtout p. 26-40.

355 IG, I3, 832, dédicace métrique, retrouvée près de la porte Beulé. Lolling, AD 1889, p. 127 ; Musée épigraphique, n°inv. : 6425.

356 KERAMOPOULOS AD 1929, p. 74-75 et p. 74, note 3. Cet emplacement et le texte d’Apollodore amènent Keramopoulos à localiser Ennéakrounos et l’agora du VIe s. au nord-NO de l’Acropole. 357 Voir aussi BESCHI ASA, p. 517 ; TRAVLOS 1971, p. 2, 4, 8, fig. 5 ; 1960, p. 28, 34.

358 Selon DONTAS 1960, p. 6-9, Apollodore aurait confondu le sanctuaire de Pandémos avec celui d’Aphrodite et Éros.

359 Environ quarante statuettes en marbre étaient tombées des pentes ouest de l’Acropole. DONTAS

1960, p. 5, les attribue à Aphrodite, mais HATZISTELIOU-PRICE (1978, p. 106-107) pense qu’elles conviendraient bien au culte de Kourotrophos. On a aussi trouvé des tessons de loutrophoroi à figures rouges souvent porteurs de dédicaces à Aphrodite et des représentations de ses rites de déesse. Dörpfeld a également trouvé à côté de la porte Beulé des προσωπεία et des inscriptions,

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Les fondations des aménagements architecturaux du IVe s. taillés sur le rocher, sont interprétées par Dontas comme celles d’un sanctuaire à deux sékoi, qui aurait hébergé plusieurs cultes assimilés à celui d’Aphrodite.

CU L T E

Selon Nicandre de Colophon et Apollodore360, Solon aurait réorganisé et fondé le culte d’Aphrodite au sud-ouest de l’Acropole, près de l’« ancienne » agora et la déesse porterait l’épiclèse de Pandémos, parce que c’est à cet endroit que tout le peuple se réunissait. Pausanias (I, 22, 3), pour sa part, attribue la fondation du culte d’Aphrodite Pandémos à Thésée et il la considère comme une conséquence du synœcisme.

Le nom de Pandémos peut en effet être interprété comme « de tous les démoi », ou comme « de tout le peuple »361. La première interprétation renverrait à la version du synœcisme de Thésée. À l’époque de Clisthène, les reformes territoriales sont souvent expliquées par des références cultuelles qui marqueraient les liens entre des dèmes de l’Attique. La deuxième interprétation serait justifiée soit par le fait que le sanctuaire se trouvait à côté de l’Agora archaïque où le peuple se réunissait, soit en faisant allusion à l’épiclèse de la déesse de l’amour des prostituées, Πάνδημος. Certains considèrent qu’il s’agirait d’une sorte de légitimation de la prostitution362. Cette interprétation se fonde sur le Banquet de Platon (180e-181b), où la distinction entre οὐρανίαet πάνδημοςἈφροδίτη

désigne la distinction entre l’amour céleste et l’amour populaire et vulgaire. Solon aurait institué le culte d’Aphrodite Pandémos, en tant que protectrice des esclaves féminines dans les maisons spécialisées, avec l’argent amassé par les tenancières.

AM 1895, p. 511. Voir aussi le compte-rendu de C. Smith, JHS 16, 1896, p. 337. Keramopoulos parle des πλαγγόνες, c’est-à-dire des poupées. Sur les προσωπεία-πλαγγόνες-προτομές, voir K. Chryssanthaki-Nagle, RA 2006, p. 13-15 : entre les VIe et IIIe s., le contexte de leur dédicace peut varier.

360 Nicandre de Colophon, cité par Athénée, Deipnosophistes, XIII, 569d-e et Apollodore 244 F 113 (FGrH IIB, 1075) cité par Harpocration, s.v. ΠάνδημοςἈφροδίτη.

361 PAPACHATZIS 1982, p. 312, n. 5.

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Dans la présente étude, nous voulons prouver que ces explications sont incorrectes. Il est important de noter que les vestiges n’indiquent pas de différence de culte entre les deux déesses. Comme nous l’avons remarqué à propos d’Éros et Aphrodite et comme nous le verrons plus loin à propos d’Aphrodite en Képois et Aphrodite Ourania, la distinction entre les épiclèses est justifiée plutôt par la localisation du sanctuaire et le contexte topographique que par les fonctions de la déesse et les personnes qui fréquentent leurs sanctuaires. La distinction entre Pandémos et Ourania est aussi connue en Arcadie, cette fois dans le même sanctuaire363. On verra aussi à propos du sanctuaire de la Nymphe, au sud de l’Acropole364, que le culte disparaît après la construction de l’Odéon d’Hérode à cet endroit et s’assimile probablement à l’époque hellénistique et romaine avec celui d’Aphrodite Pandémos. Le culte de la Nymphe à ce sanctuaire est consacré au mariage et à la famille avec, entre autres, les rites des loutrophores. Si cette assimilation a vraiment eu lieu à l’époque impériale, il est impossible d’imaginer Aphrodite en tant que protectrice des prostituées, même quelques siècles plus tôt. L’association d’Aphrodite Pandémos avec la Nymphe, due surtout à l’inscription IG II2 5149365, indique qu’elle était, au niveau civique, une divinité de persuasion pour le bon fonctionnement et l’ordre dans la cité, mais aussi, au niveau domestique, pour la vie conjugale366.

Autres divinités associées au culte d’Aphrodite

L’étude de ce site, que nous avons décrit brièvement ci-dessus, nous a rapidement amenée à constater que plusieurs divinités sont associées au culte d’Aphrodite Pandémos. Même si, malheureusement, dans la plupart des cas, nous sommes incapables de dater l’apparition de ces cultes, ceux-ci sont peut-être des indices pour interpréter le rôle d’Aphrodite Pandémos dans ce lieu et définir des limites chronologiques.

363 EDWARDS 1984, p. 69 : « Ourania » fut la forme originale de la déesse et « Pandémos » n’est qu’un aspect de la divinité. Pausanias, VIII, 32, 2.

364 Voir infra, p. 248-250.

365 IG II² 5149 : [ἱερ]έ[αςἈφρ]ο[δίτ]ηςπανδήμουνύμφης — ι[․]θ[․]ο[․]η — —

Trad. : prêtre d’Aphrodite Pandémos, de la nymphe, (le nom de la troisième divinité n’est pas conservé, peut-être Blauté, Gaia, Chloé ou Peithô).

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Plutarque rapporte que Peithô était honorée aux côtés d’Aphrodite Pandémos367. Si Solon inaugure le culte d’Aphrodite, c’est en l’accompagnant de celui de Peithô. La déesse de la persuasion l’a aidé à modérer les oppositions entre fractions, de même que Thésée dans le passé légendaire athénien, a réussi par sa parole politique à créer l’unité territoriale des habitants de l’Attique368. Sur une monnaie athénienne de la fin du VIe s., sur une face, on identifie la tête d’Athéna, et sur l’envers, une tête double représenterait Aphrodite Pandémos et Peithô369. Si cette interprétation de la représentation est correcte370, il est probable également que le culte soit lié aux réformes de Clisthène.

Selon certains chercheurs, Égée aussi aurait eu son culte au même endroit371. Égée est la personnification du bouc qui transporte la déesse sur son dos sur les vagues de l’Est vers l’Attique (ἈφροδίτηἘπιτραγία). Pandémos et Epitragia ont la même iconographie372

et les deux sont liées à la légende de Thésée373.

Pausanias (I, 22, 3) et deux inscriptions374, trouvées encastrées dans le mur de l’époque ottomane qui unissait le bastion d’Athéna Nikè à la petite tour au sud de la porte Beulé, font penser que les cultes de Déméter Chloé et de Gaia Kourotrophos étaient aussi présents à côté de celui d’Aphrodite. Elle était ainsi honorée en compagnie d’anciennes

367 Peithô se trouve également à côté d’Aphrodite dans son sanctuaire à Daphni : IG II2 4583. Cependant on ne sait pas si les deux cultes étaient associés et il ne faut pas exclure l’existence d’un sanctuaire en l’honneur de Peithô seule. Voir PIRENNE-DELFORGE 1991, p. 400-401.

368 Plutarque, Thésée, 24, 1.

369 SIMON 1970, p. 5-24, pl. 2, fig. 4.

370 BUXTON 1982, p. 33-34. De toute façon les origines du culte ne nous sont pas parvenues. 371 Lolling, AM 11, 1886, p. 322 ; Keramopoulos, AD 1929, p. 80 ; ELDERKIN 1941a ; BESCHI

ASA, p. 520 ;DONTAS 1960, p. 6, propose de situer l’hérôon d’Égée vers l’Agora, éventuellement à côté d’Aphrodite Ourania et des Portes d’Égée et non aux flancs de l’Acropole.

372 CALAME 1996, p. 230-232 ; PALA 2010. 373 Plutarque, Thésée, 18, 3.

374 RAUBITSCHEK 1949, 296 et IG I3 832 : [․․․]όδορόςμ’ |ἀνέθεκ’ Ἀφροδ|ίτει | δο̑ρονἀπα|ρχέν⁝⁝

/ πότνια, τ|ο̑νἀγαθο̑ντο̑|ισὺδὸςἀφθον|ίαν … « -odoros m’a consacré en offrande à Aphrodite,

comme prémices. Souveraine, donne-lui abondance de biens ».

IG II2 4596 : τόνδε σοι, ὦ μεγάλη σεμνὴ Πάνδημε Ἀφρ[οδίτη κοσ]μοῦμεν δώροις εἰκόσιν

ἡμετέραις. « Pour toi, grande et vénérable Aphrodite Pandémos, nous ornons ce temple (νεών

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divinités chthoniennes auxquelles elle avait peut-être succédé375. Dans la polis, le Kourotrophion est supposé s’être trouvé sur la pente ouest de l’Acropole, aux limites de l’Agora archaïque, au même endroit que le sanctuaire d’Aphrodite Pandémos. Mais Kourotrophos était-elle identique à Gaia, ou s’agit-il d’une fusion plus tardive ? Une longue bibliographie conduit à faire l’hypothèse que la Kourotrophos attique était une divinité indépendante fusionnée tardivement avec Hécate, Déméter, Artémis et Gaia376.

Le culte de Blauté sera également identifié avec celui d’Aphrodite377. Blauté signifie soit la sandale soit la couleur pourpre. La sandale figure sur une stèle378 et la pourpre est utilisée pour les rites d’Aphrodite et de Peithô. Le culte de Zeus Milichios ou Agoraios379 peut faire partie des cultes qui co-habitaient.

La possible transformation du culte d’Aphrodite en Kôlias à l’époque de Solon et la réorganisation des Oschophories et des Scira à partir de la conquête de Salamine peuvent aussi être liées avec ce site380.

Le culte d’Aphrodite et les cultes associés que l’on peut remarquer sur les pentes de l’Acropole apparaissent surtout à partir de la fin du VIe s. et sont liés soit au synœcisme (avec les figures de Thésée et d’Égée), soit aux divinités de la fécondité381. Parker considère que ces cultes n’avaient pas besoin de la protection civique que l’Acropole ou l’Agora aurait pu leur offrir et que ces lieux sacrés en l’honneur d’Aphrodite correspondent aux besoins personnels des citoyens382. Ainsi on pourrait aussi expliquer

375 BÉRARD 1974, p. 124.

376 HADZISTELIOU-PRICE 1978, p. 101-132.

377 ELDERKIN 1941a ; Keramopoulos, AD 1929, p. 75-76, 79-82. 378 Stèle de Silon, AE 1906, p. 243, fig. p. 246 ; MNA, n° inv. : 1329.

379 VALDÉS 2002, p. 232, d’après Euripide, Euménides, 969-975. Valdès situe les cultes de Kourotrophos, Blauté et Zeus Agoraios dans la zone entre les Propylées et l’Aréopage.

380 Strabon, IX, 1, 21 (C 398) ; Pausanias, I, 1, 5. ELDERKIN 1941a ; Voir aussi F. Durrbach, « Kolias », in Daremberg et Saglio, Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines, p. 851. 381 HILL 1953, p. 101 ; HURWIT 1999, p. 41 ; SHAPIRO 1989, p. 118-119 : le matériel qui nous permet l’identification du sanctuaire et des cultes n’est pas antérieur de la fin du VIe s.

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pourquoi le culte de la Nymphe aurait pu y trouver sa place à l’époque hellénistique ou romaine.

CO N C L U S I O N S

Souvent par rapport au culte d’Ourania383, sinon à son opposé, Aphrodite Pandémos occupe des sites importants dans la ville d’Athènes, investis des mythes de la cité384. À présent, il est impossible de reconstituer le culte d’Aphrodite Pandémos sur les pentes ouest de l’Acropole à l’époque archaïque. Nous doutons d’ailleurs qu’il y ait eu un lieu de culte archaïque en son honneur, puisqu’il ne semble pas en exister des traces archéologiques.

En revanche, il semble vraisemblable que ce dont Aphrodite a hérité, en tant que « Pandémos », à partir de 500, est le résultat de l’assimilation des cultes privés, des rites ou des fêtes plus anciennes, liés à la fertilité, qui n’ont pas pris l’ampleur de grandes fêtes civiques du VIe s. et dont on ne discerne que des traces, localisées dans la zone comprise entre l’Acropole et l’Aréopage.

La localisation de ce sanctuaire est un exemple représentatif de l’importance de la topographie pour l’organisation des cultes et la formation de l’espace urbain. Par cette étude, nous proposons de considérer l’éventualité que le culte d’Aphrodite Pandémos et celui des divinités qui lui sont associées fassent partie de l’ensemble des cultes de l’entrée de l’Acropole, par opposition aux divinités poliades, sur la colline sacrée, et aux cultes civiques dans l’Agora, à l’est de l’Acropole.

383 EDWARDS 1984, p. 69. 384 DALLY 1997, p. 14.

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Dionysos Éleuthéreus